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Pédago
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Tueurs d’oreilles

La Loudness War, part 1

Du volume, du volume ! Oui, mais à quel prix ? Cette série d’articles passera en revue les origines de la course au volume, les considérations physiques, les nouvelles normes et outils et son impact sur la santé publique.

Tueurs d’oreilles : La Loudness War, part 1
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Indé­nia­ble­ment, l’au­dio­nu­mé­rique a été une « béné­dic­tion » : on ne revien­dra pas ici sur toutes ses inno­va­tions, la place allouée à cet article n’y suffi­rait pas. Prenons simple­ment quelques exemples : un éditeur comme Auda­city, multi­pla­te­forme et gratuit, dispo­sant d’un Paul­stretch qui nour­rira à l’in­fini n’im­porte quel échan­tillon­neur. « Passez » votre voix « dans » une guitare grâce aux logi­ciels de convo­lu­tion (gratuits…) LA Convol­ver ou Rever­be­rate LE. Dispo­sez pour une cinquan­taine d’eu­ros d’un des meilleurs logi­ciels de trans­po­si­tion et compres­sion/expan­sion tempo­relle, avec Amazing Slow Downer. Pour une tren­taine d’eu­ros, voici Mains­tage, une appli­ca­tion dédiée à la scène (Mac seule­ment, il est vrai), avec une foul­ti­tude d’ef­fets (y compris pour l’au­dio), de synthés virtuels et d’ins­tru­ments échan­tillon­nés, plus un outil d’échan­tillon­nage issu d’Auto­Sam­pler de Redma­tica (arme secrète de plusieurs éditeurs de banques d’échan­tillons…). Ou encore, sur iPad, Auria, STAN audio 48 pistes, permet­tant le travail à l’image (!), avec une qualité sonore irré­pro­chable (pour 24,99 euros…).

La Loudness War

Mais l’au­dio­nu­mé­rique a aussi été une « malé­dic­tion » : alors que l’on dispose d’ou­tils incroyables et toujours plus perfor­mants, la qualité audio a subi une baisse conti­nuelle, offrant de la musique et du son de plus en plus écra­sés, satu­rés, l’op­posé de ce qui fait la vie d’un objet sonore, musi­cal. Sans comp­ter l’im­pact de ces pratiques en termes de santé publique.

Car il faut comprendre une chose : si notre envi­ron­ne­ment et les pratiques d’écoute restent les mêmes, on abou­tira à une géné­ra­tion de sourds à partir de 40–50 ans ! Pour­tant cela fait des années qu’un certain nombre de profes­sion­nels (notam­ment via la Semaine du Son) tirent la sonnette d’alarme. Même les pouvoirs publics, dont on connaît la rapi­dité de réac­tion, se sont empa­rés du sujet ; il n’est jamais trop tard pour bien faire…

Mais avant d’ex­pliquer le pourquoi de cette funeste pers­pec­tive, reve­nons en arrière, pour un peu d’his­toire.

Comment, pourquoi ?

La Loudness War

Un rappel, évident, mais néces­saire : la musique enre­gis­trée n’est que la tradi­tion la plus récente de diffu­sion de cet art. Avant l’ar­ri­vée des premiers procé­dés de repro­duc­tion inven­tés par Édouard-Léon Scott De Martin­ville (le phonau­to­graphe), Charles Cros (le paléo­phone) et Thomas Edison (le phono­graphe), on ne pouvait en écou­ter qu’in­ter­pré­tée en direct, dans un cadre domes­tique ou dans un espace dédié. 

Et, une fois les moyens d’en­re­gis­tre­ment dispo­nibles, l’idée de « produire » la musique, le son, au sens où l’on inter­vient après fixa­tion sur un support, n’était pas de mise : le prin­cipe de base était de rendre le plus fidè­le­ment possible ce que les musi­ciens, compo­si­teurs, arran­geurs, chefs d’or­chestre prenaient tant de temps à peau­fi­ner, de la compo­si­tion aux répé­ti­tions, en passant par l’or­ches­tra­tion, l’ar­ran­ge­ment. Modi­fier la dyna­mique d’un orchestre ou d’un instru­men­tiste après coup, simple­ment pour que le son global soit plus fort n’était pas de mise (voir Reverse Orches­tra­tion).

En revanche, la pratique du gain/level riding, suivi de gain (que l’on pour­rait quali­fier de compres­sion manuelle), a dès le départ été pratiquée dans les premiers studios, qu’ils soient de musique ou de cinéma avec l’ar­ri­vée du son synchrone, et ce afin d’évi­ter les surmo­du­la­tions, les crêtes, ou pour éviter de passer sous le bruit de fond propre du support visé. Mais c’est tout parti­cu­liè­re­ment dans les stations de radio que l’on retrou­vera cette pratique, menant à l’ap­pa­ri­tion des premiers limi­teurs, après que plusieurs tech­ni­ciens ont effec­tué des modi­fi­ca­tions maison sur des ampli­fi­ca­teurs. En découle, en 1936–1937, l’ar­ri­vée sur le marché des Western Elec­tric 110-A, RCA 96-A et Gates 17-B, libé­rant plus ou moins les opéra­teurs de cette tâche. 

Les premiers racks perfor­mants datent de 1947, année de sortie du Gene­ral Elec­tric GE BA-5 (limi­teur feed-forward), RCA le copiant immé­dia­te­ment, sous le nom de… RCA BA-5. Premiers effets colla­té­raux, le pompage et la distor­sion (déjà…). Peu de temps après, le RCA BA-6A tente de remé­dier à ces effets. Mais c’est l’ap­pa­ri­tion de nouveaux tubes variable-mu dans les années 50, des compres­seurs/limi­teurs avec fonc­tion­ne­ment opto-élec­trique (Tele­tro­nix LA-2A) ou utili­sant des tran­sis­tors à effet de champ (Urei 1176) dans les années 60, asso­ciés aux débuts de l’en­re­gis­tre­ment multi­piste, qui vont chan­ger à jamais la gestion du volume, avant, pendant et après enre­gis­tre­ment. 

Reverse Orches­tra­tion

Prokofiev

Bien sûr, la volonté de repro­duire fidè­le­ment ce que l’on enten­dait en l’en­re­gis­trant n’a pas été la seule direc­tion suivie. Et c’est notam­ment dans le domaine du cinéma que les premières expé­riences ont été menées. Deux exemples seule­ment : en France, Maurice Jaubert, premier véri­table théo­ri­cien de la musique de films, a mis en avant la néces­sité de s’ap­puyer sur les apports tech­niques afin de propo­ser une autre réalité sonore, en appliquant ses théo­ries (voir notam­ment  la scène du dortoir dans Zéro de Conduite de Jean Vigo, 1933). 

Et en Russie, Proko­fiev, compo­si­teur régu­lier de Sergueï Eisen­stein, a pratiqué la « reverse orches­tra­tion1 », grâce au place­ment des micro­phones : la possi­bi­lité de satu­rer ou de mettre en avant un instru­ment au-dessus d’une masse orches­trale d’une façon tota­le­ment impos­sible dans la réalité (un basson soliste sur les triple forte d’un tutti d’or­chestre, par exemple). Voir Alexandre Nevski (1938).

1-Selon le terme créé par Robert Robert­son dans Eisen­stein On The Audio­vi­sual, IB Tauris Publi­shing, 2009.

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