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Dossier sur l'histoire de la Talk Box

La bave aux lèvres, petite histoire de la Talk Box

La Talk Box a beau avoir marqué de son empreinte de nombreux hits — on citera évidemment « California Love » de 2Pac, « Livin’ on a Prayer » de Bon Jovi, ou encore le « Pigs » de Pink Floyd — elle reste un effet assurément méconnu. Souvent confondue avec le vocoder, la wah wah, ou même l’auto-tune, cette machine aux vocalises étonnantes est plus ancienne qu’on ne le pense. A l’heure où les morceaux issus du revival 80’s pompent allègrement dans le répertoire de Zapp & Roger (Troutman) ou Stevie Wonder, il est temps de revenir sur cette mal aimée.

Man in the box

En préam­bule de notre article, il est néces­saire de rappe­ler ce qu’est une Talk Box. Cet effet permet de modu­ler le son d’une guitare ou d’un clavier à l’aide de sa bouche. Pour cela, la machine se compose d’un boîtier abri­tant un haut-parleur (souvent un moteur de compres­sion), relié à un tube en plas­tique. En bran­chant un instru­ment ampli­fié à la Talk Box, le haut-parleur va diffu­ser ce que vous jouez au coeur du boîtier. Le son va évidem­ment s’échap­per par l’in­ter­mé­diaire du tube en plas­tique, et le musi­cien peut alors utili­ser sa bouche comme caisse de réso­nance en gobant allè­gre­ment le goûteux cylindre. Il ne reste plus qu’à former des mots, sans les pronon­cer, pour modu­ler le son d’ins­tru­ment qui sort de la cavité buccale. Évidem­ment, le volume produit étant plutôt faible, il est préfé­rable de « chan­ter » devant un micro. 

 

 

Rétro­fu­tu­risme

Vous maîtri­sez à présent les bases de la Talk Box. Mais connais­sez-vous son histoire ? 

Les premières traces d’une voix modu­lant un instru­ment date de la fin des années 30. C’est en effet en 1939 que le guita­riste Alvino Rey, pion­nier de la guitare ampli­fiée et de la pedal steel, compose des morceaux agré­men­tés de sono­ri­tés uniques qu’il nommera « singing guitar ». Etonné par les capa­ci­tés des laryn­go­phones, un micro de contact que l’on place sur la gorge afin de resti­tuer la voix, il convainc Luise King, sa femme, de chan­ter avec cet appa­reil et le relie à son ampli : il peut alors jouer un instru­ment à cordes et modi­fier le chant de sa compagne. Cette dernière n’ap­pa­rais­sait d’ailleurs pas sur scène, se faisant voler la vedette par Stringy, la guitare qui parle… La pres­ta­tion qui suit date de 1944 :

 

 

À la même époque, un certain Gilbert Wright met au point le Sono­vox, l’an­cêtre de la Talk Box. La légende raconte qu’une scène quoti­dienne anodine serait à l’ori­gine de ce système. Wright se rasait à l’aide d’un rasoir élec­trique, lorsque sa femme entama une discus­sion. Il lui répon­dit alors que le rasoir était en contact avec sa gorge, et produi­sit un son étrange, comme si le rasoir venait de s’ex­pri­mer ! L’idée était née, et très vite deux petits haut-parleurs rempla­cèrent le rasoir élec­trique. 

Le Sono­vox préfi­gure réel­le­ment la Talk Box puisque le son émane de la bouche du musi­cien, et qu’il est possible de former des mots en arti­cu­lant. Cette tech­nique inno­vante conquit même diffé­rents milieux profes­sion­nels, puisqu’elle fut utili­sée dans un certain nombre de films holly­woo­diens (dont le Dumbo de Walt Disney en 1941), ou encore en radio. Côté musique, le Sono­vox est trop en avance sur son temps, et n’est que peu exploité. L’ap­pa­ri­tion la plus notable de la machine est certai­ne­ment l’in­tro­duc­tion de l’al­bum Sell Out des Who en 1967.

 

 

La Talk Box à propre­ment parler appa­rait au début des années 60. À l’ori­gine du concept, l’on trouve à nouveau des joueurs de pedal steel. Pete Drake et son guita­riste Bill West eurent l’idée d’uti­li­ser un tube en plas­tique pour trans­por­ter le son d’un haut-parleur direc­te­ment dans la bouche, et non plus vers la gorge ! Le morceau Fore­ver de Pete Drake, sorti en 1964, illustre bien les possi­bi­li­tés des premières Talk Box. Dès cette époque, l’on retrouve les sono­ri­tés qui marquèrent quelques années plus tard l’his­toire de la musique, mais le volume produit était très faible et seule une utili­sa­tion en studio était envi­sa­geable. De plus, les rares machines en circu­la­tion étaient de simples proto­types réali­sés par Bill West.

 

 

Notre effet s’im­pose réel­le­ment dans l’uni­vers musi­cal à partir des années 70. Peter Framp­ton et son tube Do you feel like we do (1973) révèlent à la face du monde la Talk Box. C’est d’ailleurs lors d’une rencontre avec Pete Drake aux studios Abbey Road que Framp­ton découvre les capa­ci­tés du boîtier futu­riste, qu’il adop­tera rapi­de­ment.

Un autre artiste impor­tant s’illustre avec une Talk Box quelques mois avant le hit de Framp­ton : Joe Walsh avec le morceau Rocky Moun­tain Way (1973). À l’ins­tar de son collègue, le futur guita­riste des Eagles (qu’il rejoint en 1975) avait décou­vert la pédale par l’in­ter­mé­diaire de Pete Drake. Il demanda même un exem­plaire à Bill West qui le lui four­nit. 

 

 

C’est aussi à Joe Walsh que l’on doit la première produc­tion en série de la Talk Box ! Comme nous l’in­diquions, la machine de Bill West était diffi­ci­le­ment utili­sable en live. La firme Kustom Elec­tro­nics avait bien tenté de lancer sa propre version de l’ef­fet inti­tulé The Bags, mais elle connut un échec commer­cial. L’on peut néan­moins entendre The Bags sur le morceau Sex Machine de Sly and the Family Stone (1969), ou encore sur le She’s a Woman de Jeff Beck (1975).

Walsh est donc insa­tis­fait de l’ap­pa­reil qu’il possède, et en discute avec son ami Bob Heil. Ce dernier décide fina­le­ment de produire une pédale plus puis­sante dans un châs­sis en fibre de verre. La plus popu­laire des Talk Box, la Heil Talk Box, était née.

La musique rock n’est pas la seule à s’em­pa­rer de la Talk Box aux débuts des années 70. Nous avons bien sûr cité Sly and The Family Stone, mais toute une partie de la scène R’n’B et funk se fascine pour l’ef­fet vocal. En 1972, Stevie Wonder frappe un grand coup avec un album devenu clas­sique : Music of my Mind. Tous les morceaux sont entiè­re­ment compo­sés, inter­pré­tés, et produits par l’ar­tiste, qui en profite pour décla­rer son amour pour la Talk Box. 

 

 

L’hé­ri­tage

De nombreux artistes vont emboi­ter le pas aux pion­niers que nous venons d’évoquer. Certains utilisent la Talk Box avec parci­mo­nie, notam­ment pour des solos comme dans les morceaux Pigs de Pink Flod (1977) et Hair of the Dog de Naza­reth (1975), ou pour des intro­duc­tions comme Aeros­mith et son Sweet Emotion (1975) ou Steely Dan avec Haitian Divorce (1976).

D’autres musi­ciens vont user et abuser de l’ef­fet, dont le maître incon­testé de la Talk Box, Roger Trout­man. Cet ancien membre de Funka­de­lic fonde à la fin des années 70 le groupe Zapp, et va tout centrer sur sa pédale chérie, influençant gran­de­ment les scènes disco-funk, elec­tro-funk, puis hip-hop. Il sera d’ailleurs l’un des compo­si­teurs du tubesque Cali­for­nia Love (1996) du rappeur 2Pac.

 

 

Des années 80 au début des années 2000, de nombreux groupes de hard FM et de métal passent eux aussi par la Talk Box, de Bon Jovi avec Livin’ On a Prayer (1986) à Black Label Society (Fire it Up en 2005), en passant par le Mötley Crüe (Kicks­tart my Heart en 1989 ) et Alice in Chains (Man in the Box en 1990). Même les mythiques membres de Metal­lica céde­ront à la Talk Box le temps d’un solo sur l’al­bum Load (1996).

 

 

Ces 20 dernières années, le rock a clai­re­ment délaissé la boîte parlante. Heureu­se­ment, le hip-hop et la musique élec­tro­nique ont repris le flam­beau, comme en témoigne l’élec­tro-pop funky des cana­diens de Chro­meo (Needy Girl en 2004), les sono­ri­tés hip-hop West Coast de DJ Quik (I used to know her en 1998), ou encore la démarche robo­tique de Daft Punk avec son fameux Around the World (1997).

Plus récem­ment encore, la Talk Box a fait un retour fracas­sant dans le nouveau hit du wonder boy Bruno Mars, 24K Magic. Le revi­val 80’s semble avoir encore de beaux jours devant lui…

 

 

Vous mettre à la Talk Box

Tous ces morceaux vous ont mis l’eau à la bouche. Pris d’une crise de G.A.S., vous venez d’ache­ter une Talk Box… D’ici la fin du mois, vous paye­rez cher cet acte incon­si­déré, alors voici un petit guide pour en profi­ter le plus rapi­de­ment possible.

Le prin­cipe de la Talk Box est d’une simpli­cité décon­cer­tante, mais son fonc­tion­ne­ment néces­site un mini­mum de maté­riel : en plus de la pédale, il faut s’équi­per d’un micro, d’un système de son pour ce dernier, et d’un ampli­fi­ca­teur. Arrê­tons-nous d’ailleurs sur ce point. La plupart des Talk Box agissent comme un simple haut-parleur, nous l’avons déjà indiqué. Or, un HP a besoin d’être stimulé par un signal élec­trique puis­sant, ce qui implique une ampli­fi­ca­tion en amont.

Plusieurs solu­tions existent suivant l’ins­tru­ment joué. Pour un guita­riste, il est possible de bran­cher la guitare dans un ampli, puis de placer la Talk Box entre l’am­pli de puis­sance et le haut-parleur pour guitare. De cette façon, il pourra acti­ver ou non la Talk Box, et alter­ner entre le son de la pédale et le son pur de la guitare dans l’am­pli.

Rocktron Banshee 2 Talkbox : DSC00560

Dans le cas d’un stack, ce bran­che­ment est facile puisque la tête d’am­pli possède obli­ga­toi­re­ment une sortie HP jack 6,35 mm. Cela donne donc cette confi­gu­ra­tion : Guitare —> Tête d’am­pli —> Talk Box —> Baffle. N’ou­bliez pas d’uti­li­ser des câbles de haut-parleurs — et non des des câbles d’ins­tru­ments — entre la sortie de la tête d’am­pli et l’en­trée de la Talk Box, et entre la sortie de cette dernière et l’en­trée du baffle ! Dans le cadre de l’uti­li­sa­tion d’un combo, certains modèles ont des sorties HP, et d’autres non. Dans ce dernier cas, il faudra modi­fier le câblage reliant l’am­pli de puis­sance aux haut-parleurs internes afin d’y insé­rer la Talk Box. Mais cela exige des connais­sances, et trifouiller un ampli guitare peut s’avé­rer dange­reux. Faites donc appel à un profes­sion­nel !

Vous l’au­rez compris, il n’est pas si évident de bran­cher une Talk Box. D’au­tant plus qu’il faut idéa­le­ment adap­ter l’im­pé­dance de la pédale (souvent 8 ohms) à l’im­pé­dance de l’am­pli et du baffle. En effet, le HP accueillera succes­si­ve­ment le signal de l’am­pli (lorsque la pédale n’est pas acti­vée) et le signal de la Talk Box (lorsqu’elle est acti­vée), avec pour chacun une impé­dance propre. Au final, les guita­ristes feraient bien de s’ins­pi­rer des clavié­ristes, et d’uti­li­ser un ampli dédié à leur confi­gu­ra­tion Talk Box. Un ampli peu puis­sant et peu onéreux devrait large­ment faire l’af­faire. De plus, un baffle n’est plus néces­saire, et une bonne ABY Box offrira toujours la possi­bi­lité de jouer avec son ampli guitare favori.

Enfin, évoquons une dernière possi­bi­lité qui simpli­fie énor­mé­ment l’uti­li­sa­tion de notre effet : les Talk Box avec ampli­fi­ca­teur inté­gré. Les guita­ristes et les clavié­ristes n’ont alors plus à s’en faire, puisqu’il suffit de bran­cher l’ins­tru­ment dans la pédale pour immé­dia­te­ment la faire fonc­tion­ner. Ces Talk Box sont aussi dotées d’une sortie pour direc­te­ment rentrer dans un ampli et utili­ser ce dernier lorsque la pédale est inac­tive.

Main­te­nant que vous savez bran­cher votre pédale, il ne vous reste plus qu’à vous armer de patience ! Loin d’être un effet gagdet, la Talk Box est un art qui néces­site énor­mé­ment d’en­trai­ne­ment. Ainsi, il vous faudra apprendre à former des mots de façon à ce qu’ils soient le plus intel­li­gibles possible, à adap­ter votre jeu de guitare ou de clavier aux exigences de la machine, et à synchro­ni­ser idéa­le­ment votre instru­ment et votre bouche. Autant vous dire que vous allez en baver…

Quelques modèles passifs : Dunlop Heil Talk Box, Elec­tro-Harmo­nix Golden Throat 1 et 2, Keeley Elec­tro­nics Framp­tone, Maxon TM 505, le D.I.Y

Quelques modèles actifs : Rock­tron Banshee 1 et 2, MXR M222 Talk Box, Dane­lec­tro Free Speech, Elec­tro-Harmo­nix Golden Throat Deluxe, le D.I.Y

PS : Nettoyez le tube plas­tique de temps à autres, c’est quand même dégou­tant !


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