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Interview / Podcast
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Interview du producteur Gary Katz (Steely Dan)

Interview de Gary Katz

Pendant la période originelle de Steely Dan, le groupe a produit tout une série de classiques admirés autant pour leur élégance et leur caractère accrocheur que pour les musiciens exceptionnels qui les ont interprétés et la qualité irréprochable de leur production. Pendant tout ce temps, le producteur Gary Katz était l'un des piliers de l'équipe de Steely Dan qui aidait Donald Fagen et Walter Becker à produire leur musique. L'histoire se déroulant avant l'avènement de l'enregistrement numérique, il fallait énormément de travail pour réussir à atteindre la perfection sonore visée par le groupe.

Katz a aussi produit des artistes comme Laura Nyro, Joe Cocker et Root Boy Slim et travaille toujours comme produc­teur indé­pen­dant. Son dernier projet est l’al­bum The Real Me du chan­teur Frank Shiner. Nous avons discuté avec Katz de ses tech­niques de produc­tion, des diffé­rences entre l’époque analo­gique et l’ère numé­rique et de bien d’autres choses encore.

Quand tu es produc­teur d’un projet, comment conçois-tu ton rôle ?

Ma contri­bu­tion prin­ci­pale consiste à amener l’ar­tiste à donner le meilleur de lui-même. Je travaille avec beau­coup d’ar­tistes diffé­rents. Géné­ra­le­ment, ils arrivent avec leurs compo­si­tions et leur concep­tion person­nelle du projet. Mon boulot est de les aider à inter­pré­ter leur musique du mieux qu’ils peuvent. 

Comment t’y prends-tu ?

Il n’a pas de recette parce que chaque artiste est unique. Il faut s’adap­ter à l’ar­tiste aussi bien sur le plan de la person­na­lité que de la méthode de travail. Tu ne peux pas avoir de style car tu dois t’adap­ter au style de chaque artiste et faire en sorte que ça colle. C’est ma façon de faire.

Tu produis de la musique depuis de nombreuses années, tu as vécu le passage de l’ère analo­gique à l’ère numé­rique, cette dernière ayant profon­dé­ment modi­fié le champ des possi­bi­li­tés d’en­re­gis­tre­ment et de trai­te­ment. Est-ce que ça a influencé ton travail de produc­teur ?

Abso­lu­ment. Ça a changé pour nous tous. Les possi­bi­li­tés tech­niques en matière d’en­re­gis­tre­ment sont à présent tota­le­ment diffé­rentes de ce qu’elles étaient avant Pro Tools et consorts. Ça a tout changé.

Outre le son, est-ce que tu regrettes certaines choses de l’époque analo­gique ?

Je pensais que ce serait le cas, mais non. C’est diffi­cile de regret­ter quand on consi­dère les nouvelles possi­bi­li­tés tech­niques.

Si les outils numé­riques avaient existé à l’époque où tu travaillais avec Steely Dan, en quoi auraient-ils modi­fié ces enre­gis­tre­ments ?

Nous aurions écono­misé des millions de dollars. Tu peux chan­ter un seul refrain puis le dépla­cer où tu veux dans le morceau au lieu d’en­re­gis­trer chaque note une seconde ou une troi­sième fois. Oui, nous aurions gagné beau­coup de temps et d’ar­gent et évité de nous tuer à la tâche. Ça nous aurait vrai­ment faci­lité la vie. Nous faisions des disques dans lesquels les refrains étaient souvent répé­tés – ah si nous avions pu les mani­pu­ler et les dépla­cer libre­ment !

Les musi­ciens jouaient au clic ?

Oui.

Tu pour­rais donc certai­ne­ment reprendre la bande du mix stéréo et réar­ran­ger les morceaux ?

Nos morceaux étaient gravés dans la pierre. Il fallait les inter­pré­ter à la note près et rien n’était laissé au hasard. 

Est-ce que ce perfec­tion­nisme était voulu par Becker et Fagen ou est-ce qu’il résul­tait de votre colla­bo­ra­tion à trois ?

Il y avait aussi Roger Nichols [célèbre ingé­nieur du son décédé récem­ment].

C’est lui qui était géné­ra­le­ment aux manettes ?

Oui, presque exclu­si­ve­ment.

Quand on assiste à des démos de moni­teurs de studio, par exemple au NAMM ou ailleurs, on a souvent droit à du Steely Dan. La qualité de tes enre­gis­tre­ments est très admi­rée au sein de la commu­nauté de l’au­dio pro. As-tu consciem­ment essayé de mettre la barre toujours plus haut dans ton travail en studio ?

Nous n’avons jamais essayé d’at­teindre je ne sais quel sommet. Nous essayions seule­ment de faire des disques qui sonnent aussi bien que possible. Et évidem­ment, nous avons aussi porté notre atten­tion sur la qualité sonore des albums. Mais ça venait de chacun de nous, notam­ment de Denny Diaz qui faisait aussi partie du groupe. C’était plutôt intui­tif et ça faisait partie du projet. Personne n’avait besoin d’en parler. Je n’ai jamais entendu « il faut qu’on améliore le son de ça ou ça ». En revanche, il se disait des choses comme « ça ne sonne pas assez bien », et nous faisions ce qu’il fallait. 

N’y a-t-il pas eu un inci­dent resté fameux où la bande a été dété­rio­rée par la faute d’un assis­tant ? Comment ça s’est passé ?

Un morceau de Gaucho a été effacé. Ça devait être le single. C’était terrible. Nous sommes arri­vés au studio et l’as­sis­tant était allongé par terre, pleu­rait… et même plus. C’était moche.

Vous avez ré-enre­gis­tré le morceau ?

J’ai insisté pour qu’on le ré-enre­gistre. Habi­tuel­le­ment, quand on prenait vrai­ment le temps d’en­re­gis­trer un morceau sans savoir exac­te­ment où on allait – et on travaillait avec les tout meilleurs musi­ciens, on arri­vait à la conclu­sion que le problème ne venait pas des hommes mais du morceau lui-même et on l’aban­don­nait. Mais dans l’al­bum, « The Second Arran­ge­ment  » [le morceau effacé] était mon titre préféré. J’ai donc insisté pour qu’on le refasse et on m’a écouté. Mais il nous a laissé un arrière-goût bizarre et nous ne l’avons pas utilisé. Le résul­tat n’était pas conforme à nos espé­rances. Aupa­ra­vant, nous avions un enre­gis­tre­ment fabu­leux que nous aimions tous mais qui était mort du fait de cet inci­dent.

Est-ce que tu as appliqué une méthode précise au mixage ? Est-ce que tu pars d’une mise à plat que tu améliores où est-ce que tu commences de zéro ?

Nous partions toujours de zéro. Et nous ne pouvions rien rappe­ler ni remixer. On mixait puis on passait à autre chose. Mais c’était long.

Les séances de mixages étaient longues ?

Avec le recul, je ne trouve pas sachant que nous n’avions pas d’au­to­ma­tion. En revanche, il y avait 10 mains au-dessus de la console.

Mixer c’était comme faire une pres­ta­tion live ?

Oui.

Le fait d’avoir Roger Nichols comme ingé­nieur du son a certai­ne­ment bien aidé.

Sur le plan tech­nique, Roger était en avance sur son temps et faisait partie de l’équipe autant que chacun de nous. Nous n’au­rions pas pu faire de tels albums sans lui.

Si l’Auto-Tune et le time stret­ching avaient existé à l’époque, penses-tu que vous les auriez beau­coup utili­sés ?

Pas l’Auto-Tune parce que Donald chante toujours juste. La problé­ma­tique était plutôt de savoir quel jour il aurait la meilleure voix. Mais le phrasé et la justesse n’ont jamais posé problème avec lui ! En revanche, je pense que nous aurions beau­coup utilisé la possi­bi­lité de dépla­cer les choses. Ça nous aurait vrai­ment aidés. Par exemple pour le titre New Fron­tier de Night­fly, l’al­bum solo de Donald Fagen. Mais ce n’est qu’un exemple. Donald avait une partie de clavier répé­tée pendant presque tout le morceau. Il fallait qu’elle soit parfaite sans quoi l’ef­fet tombait à l’eau. Il fallait qu’il en joue chaque note pendant les cinq minutes du morceau. S’il avait pu se conten­ter de jouer huit mesures, nous aurions fait les prises en 45 minutes au lieu de huit heures. Des choses de ce genre. 

Est-ce que Becker et Fagen avaient déjà écrit les morceaux avant d’en­trer en studio où est-ce qu’ils les compo­saient sur place ?

Toute la musique et tous les textes étaient écrits avant d’en­trer en studio.

Il y avait une pré-produc­tion ?

Non, nous n’avons jamais fait de maquettes. Pour les deux premiers albums, nous avions le groupe au moment de commen­cer les séances, de très bons musi­ciens. Puis, quand nous avons eu la possi­bi­lité de faire appel à d’autres musi­ciens, nous avons pris les meilleurs du monde. De Jim Kelt­ner et Bernard Purdie à Chuck Rainey, nous avons vrai­ment choisi ceux que nous voulions avoir. Bref, les morceaux étaient écrits et struc­tu­rés. On présen­tait les parti­tions aux musi­ciens que nous avions rassem­blés. Ils les décou­vraient en studio, s’as­seyaient et on commençait à enre­gis­trer. Nous ne voulions pas qu’ils connaissent déjà les morceaux. Nous voulions capter leur première inten­tion.

Est-ce que tu as un album ou un morceau préféré de Steely Dan ?

Je suis fier de quasi­ment tout ce que nous avons fait. L’al­bum Katy Lied est certai­ne­ment mon favori.

Compte tenu de l’évo­lu­tion de la pop et du rock depuis cette époque, est-ce que tu aimes les nouvelles produc­tions on est-ce que tu as l’im­pres­sion que ce n’est plus pareil qu’avant ?

Je ne suis vrai­ment pas passionné par ce qui sort actuel­le­ment. Je ne suis pas sûr de pouvoir en dire plus [rires]. Non, je n’aime pas beau­coup ce qui se fait actuel­le­ment. C’est très répé­ti­tif et pas créa­tif. Bien entendu, il y a des excep­tions. Il y a toujours des excep­tions.

Est-ce que tu penses que les tech­no­lo­gies à dispo­si­tion influencent la créa­ti­vité musi­cale parce que les musi­ciens n’ont plus besoin de travailler autant pour produire des titres au son profes­sion­nel ?

Oui, exac­te­ment. Tu peux rester chez toi en peignoir, te prélas­ser et appuyer sur un bouton pour obte­nir une partie de batte­rie. C’est comme ça et on ne peut pas reve­nir en arrière. Mais selon moi, ce n’est pas aussi plai­sant musi­ca­le­ment. 


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