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Interview / Podcast
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Interview de Todd Whitelock (Wynton Marsalis, Herbie Hancock, Chick Corea, Stanley Jordan, Harry Connick Jr.)

Interview de l'ingénieur du son d'Herbie Hancock et Chick Corea

Bien que titulaire d'un diplôme en Production Musicale et Ingénierie Audio de l'université de Berkley, Todd Whitelock dit que c'est en apprenant sur le tas qu'il a pu devenir l'un des ingés son les plus cotés dans le monde du jazz. Whitelock, qui fait aussi des sessions de musiques classique et pop ainsi que de musiques de film et des albums tirés de comédies musicales, a débuté professionnellement comme ingé son dans les légendaires studios Power Station à New York, un grand studio à vocation commerciale (désormais connu sous le nom de studios Avatar).

Interview de Todd Whitelock (Wynton Marsalis, Herbie Hancock, Chick Corea, Stanley Jordan, Harry Connick Jr.) : Interview de l'ingénieur du son d'Herbie Hancock et Chick Corea

“Je me suis trouvé être l’un des rares assis­tants à Power Station à vouloir travailler spéci­fique­ment sur les projets jazz, ” se souvient-il. “Le studio s’était fait un nom grâce à ses fameux sons de batte­rie sur des disques de rock qui étaient en tête des charts. Les autres assis­tants voulaient travailler sur le prochain Bon Jovi, et moi sur le prochain Pat Metheny.”

Après la faillite des studios Power Station, White­lock a commencé à travailler comme assis­tant chez Sony Clas­si­cal Produc­tion à New York, leque a ensuite fusionné avec les studios Sony Music de New York. Il a conti­nué à y travailler pendant quinze ans, gravis­sant les éche­lons d’as­sis­tant jusqu’au rang d’in­gé­nieur du son en chef. 

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Todd White­lock

À la ferme­ture des studios Sony en 2007, il est devenu indé­pen­dant et n’a depuis jamais manqué de travail. Il a fait des sessions pour des grands tels que Wynton Marsa­lis, Herbie Hancock, Chick Corea, Stan­ley Jordan, Harry Connick Jr. et de nombreux autres. Il a récem­ment eu en charge Live at the Village Vanguard du bassiste mondia­le­ment connu Chris­tian McBride, un album qui permit à McBride de se voir décer­ner un Grammy. White­lock lui-même compte à ce jour six Grammy Awards dans son escar­celle.

Audio­fan­zine a eu l’op­por­tu­nité de s’en­tre­te­nir avec White­lock et nous avons beau­coup parlé de l’en­re­gis­tre­ment de sessions jazz, à la fois en live et en studio.

Vous avez réalisé l’en­re­gis­tre­ment qui a permis à Chris­tian McBride de décro­cher un Grammy ?

Il a gagné la récom­pense dans la caté­go­rie de la meilleure perfor­mance solo de jazz instru­men­tal pour Chero­kee. Il a joué au Vanguard [NDLR: le Village Vanguard, un célèbre club de jazz new-yorkais] pendant deux semaines. On a enre­gis­tré une semaine avec son quin­tet Inside Straight, puis une semaine avec son trio. Et c’est de cette dernière semaine qu’est né l’en­re­gis­tre­ment. Le Vanguard, c’est une salle où j’avais déjà enre­gis­tré entre autres Marcus Roberts et Wynton Marsa­lis. L’es­pace [pour le maté­riel d’en­re­gis­tre­ment] y est très limité, on avait tout juste la place de mettre une table et les câbles couraient le long des tuyaux. C’est proba­ble­ment l’une des salles où il est le plus diffi­cile d’en­re­gis­trer du fait de l’es­pace qui y est telle­ment restreint.

En live, vous enre­gis­trez du coup en utili­sant les micros qui alimentent la sono de la salle ?

Dans ce cas précis c’est leur sono qui a utilisé mes micros, parce que leur système de sono­ri­sa­tion est très moyen et il a fallu utili­ser mes micros pour alimen­ter à la fois l’en­re­gis­tre­ment mais aussi la sono et le moni­to­ring de la salle. Sur des scènes plus grandes, je suspends des micros de façon à ce que ceux de la sono et les miens coha­bitent, sachant que chaque appli­ca­tion néces­site des micros aux carac­té­ris­tiques radi­ca­le­ment diffé­rentes.

En géné­ral, pour du live, vous mettez un micro de proxi­mité sur chaque instru­ment ?

C’est impé­ra­tif à cause de la repisse sur scène, mais aussi pour capter plus de détails dans le résul­tat final après le mixage. Quant à Chris­tian, comme beau­coup de légendes du jazz, il vénère le Vanguard où il est artiste résident pendant deux semaines chaque mois de décembre depuis envi­ron six ans. Il m’avait dit qu’il voulait que ça sonne exac­te­ment comme le Vanguard du point de vue des spec­ta­teurs. C’est une super salle dans le sens où le son y est à la fois telle­ment intime, précis et natu­rel. C’est vrai­ment le lieu idéal pour un trio de jazz. Plus vous y mettez d’ins­tru­ments et plus le son devient dense. Mais je n’al­lais pas m’y poin­ter avec juste des micros d’am­biance en disant « voilà, c’est ce qu’on entend quand on est au beau milieu de la salle. » Je savais que Chris­tian voudrait que le son et le ressenti soient les mêmes pour son public et pour lui. Au final il faut savoir ce que l’ar­tiste attend du mixage final (c’est un peu comme en studio, dès l’ins­tant où la fina­lité est que ça finisse sur un disque), ne pas se conten­ter de simples prises d’am­biance.

Dans le contexte d’un live comme celui-ci, comment gérez-vous les micros d’am­biance ?

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Chris­tian McBride

Dans une grande salle, je suspends des micros omni­di­rec­tion­nels à gauche, au centre et à droite pour m’as­su­rer que je couvre la plus grande super­fi­cie possible. Au Vanguard, j’ai aussi disposé un micro cardioïde stéréo à l’ar­rière, le dos au bar de façon à avoir une vraie dispo­si­tion en surround. Par contre, j’ai toujours besoin de mettre des micros à l’in­té­rieur du piano ainsi que des micros de proxi­mité sur les fûts de la batte­rie, parce que pour le mixage final j’au­rai besoin de détails sonores à ajou­ter au son ambiant. C’est l’avan­tage avec l’en­re­gis­tre­ment en multi­pistes, ça permet de capter un maxi­mum de détails et de voir ensuite ce qu’on en fait. À ce niveau, j’ai vrai­ment de la chance, même si je me souviens que quelques-uns des meilleurs enre­gis­tre­ments réali­sés au Vanguard l’ont été par Rudy Van Gelder avec deux micros fixés au plafond et un enre­gis­treur de deux pistes Wollen­sak posé sur ses genoux.

Donc au mixage vous avez combiné prises d’am­biance et sources de proxi­mité ?

Vu que le trio lui-même jouait de façon telle­ment équi­li­brée, je n’ai pas eu beau­coup de boulot au mixage. Je prenais les micros de proxi­mité qui marchaient le mieux, avec le moins de repisse, je véri­fiais les compa­ti­bi­li­tés de leurs phases, et j’équi­li­brais avec les micros d’am­biance omni­di­rec­tion­nels de façon à donner autant que possible une sensa­tion d’ou­ver­ture du son, vu que c’était ce que Chris­tian avait demandé. Ce qui trahit les prises d’am­biance, c’est la batte­rie et sa réver­bé­ra­tion. Une batte­rie sonne bien plus « conte­nue » quand on est dans la même pièce que quand on l’en­tend une fois enre­gis­trée. On entend des réflexions sonores natu­relles qui dépendent de l’en­droit où vous êtes placé dans la salle. À ce niveau-là, un micro ne pardonne pas lorsqu’il s’agit du temps de trans­mis­sion du signal.

Lors d’un enre­gis­tre­ment live, utili­sez-vous les mêmes micros qu’en studio pour chaque instru­ment spéci­fique ?

Pas telle­ment, parce que j’ai besoin d’une direc­ti­vité plus serrée. Bien sûr, en studio (parce que j’ai aussi enre­gis­tré Chris­tian en studio), je peux mettre un superbe micro à lampe avec une direc­ti­vité cardioïde, ou même omni dans certains cas, ça dépend de la qualité de l’iso­la­tion. Je ne pour­rais jamais me permettre ça sur scène, tout ce qu’on enten­drait seraient la batte­rie et la repisse de la sono.

Donc vous devez utili­ser des modèles hyper­car­dioïdes et super­car­dioïdes ?

En fait, pour la contre­basse, j’ob­tiens mes meilleurs résul­tats avec des micros en figure en 8, comme des micros à ruban. La direc­ti­vité d’un micro à ruban est étroite à l’avant et l’ar­rière et rejette les signaux laté­raux, avec des médiums doux qui flattent les sono­ri­tés de la plupart des instru­ments acous­tiques.

Sur une contre­basse, où le posi­tion­nez-vous la plupart du temps ?

Je cherche le « sweet spot » à l’oreille autour du cheva­let. En fonc­tion du type de ruban, je dirais que ça peut être n’im­porte où entre le bas de la touche et juste en dessous de cheva­let. En studio, j’uti­lise deux micros diffé­rents. En géné­ral, l’un est un micro cardioïde à lampe que je mets en dessous du cheva­let, l’autre un micro à ruban poin­tant vers le bas de la touche, parce qu’un micro à ruban apporte beau­coup de présence et de douceur au son et permet d’ar­ron­dir les bruits typiques du jeu au doigt que les contre­bas­sistes détestent qu’on entende. Mais pour le mixage final, j’ai besoin de garder un peu de cette attaque, alors il faut bien trou­ver un compro­mis.

En géné­ral, à quelle distance de la contre­basse le micro se trouve-t-il pour un enre­gis­tre­ment en live ?

Bien trop près, je vous l’as­sure [Rires]. Je dirais à envi­ron une quin­zaine de centi­mètres des cordes. Si le contre­bas­siste utilise un archet, alors il faut faire des compro­mis. Mais s’il ne joue à l’ar­chet que sur un seul morceau, alors c’est au contre­bas­siste que je demande de faire un compro­mis et de se pencher un peu vers l’ar­rière quand il utilise son archet. Parce que je ne veux pas sacri­fier l’en­semble de la capta­tion en recu­lant le micro de sept ou huit centi­mètres de plus.

Mais en studio, vous recu­le­riez un peu plus le micro ?

Oui. Vous le recu­lez pour que l’ins­tru­ment ait l’op­por­tu­nité de réson­ner et de sonner de façon natu­relle, surtout une contre­basse parce que les notes graves et leurs fonda­men­tales mettent plus long­temps à se former.

À quelle distance en géné­ral ?

Je dirais que le micro vers le cheva­let reste proche, pareil, aux envi­rons d’une quin­zaine de centi­mètres pour avoir un son plus direct, mais pour ce qui est du micro du haut, je le recule d’une tren­taine de centi­mètres de façon à ce qu’il resti­tue l’ins­tru­ment dans son ensemble. Évidem­ment, chaque instru­ment est diffé­rent et il faut toujours passer du temps avec musi­cien et son instru­ment dans la cabine ou la pièce pour jauger leur inter­ac­tion.

Vous ne poin­tez pas les micros vers les ouïes ?

En studio, non, ce n’est pas là qu’on obtient le son d’en­semble. Main­te­nant, en live, dans le cas de Chris­tian, il utilise une marque de micros que j’aime beau­coup, des AMT (Applied Music Tech­no­logy). Ce sont des micros à pince avec une capsule hyper­car­dioïde au bout d’un col-de-cygne. Ça a bien marché pour enre­gis­trer au Vanguard, avec un micro à ruban poin­tant vers le cheva­let et l’AMT vers l’ouïe, que j’uti­li­sais aussi pour alimen­ter la sono en lieu et place d’une boîte de direct. La combi­nai­son « micro embarqué + D.I. », c’est géné­ra­le­ment ce qu’un joueur de jazz vous deman­dera d’évi­ter à tout prix parce que l’un comme l’autre sonnent très arti­fi­ciels. Mais ils offrent un signal clair, et parfois le volume sonore sur la scène est telle­ment impor­tant qu’es­sayer de pous­ser un micro exté­rieur plus fort pour alimen­ter la sono ne fait qu’em­pi­rer les choses.

 
White­lock a enre­gis­tré et mixé « Chero­kee » pour McBride

En géné­ral, comment enre­gis­trez-vous la contre­basse de Chris­tian en studio ?

Lui comme moi aimons bien utili­ser un U47 en très bon état pour le cheva­let. Et encore une fois, j’aime bien avoir les sono­ri­tés d’un micro à ruban dans le mixage. J’ob­tiens de très bons résul­tats avec le micro à ruban cardioïde KU4 d’AEA, je l’aime beau­coup et c’est celui que j’ai utilisé au Vanguard. Il y a un nouveau modèle à ruban que j’aime aussi parti­cu­liè­re­ment, il est produit par un fabri­cant origi­naire de Detroit du nom de Mesa­no­vic, c’est leur M2 [Model 2]. C’est un micro au spectre très large que j’uti­lise de plus en plus, sachant que le recours aux rubans est en train de deve­nir un auto­ma­tisme chez moi. Pendant long­temps ce n’était pas forcé­ment le cas mais je me suis rendu compte de la présence que ces micros apportent aux enre­gis­tre­ments. Même sur des overheads de batte­rie, ils apportent de la dyna­mique et des médiums. Ils marchent bien pour les fûts, et ils atté­nuent en quelque sorte les cymbales. Bien sûr, je parle ici d’un usage en studio et je ne les pren­drais pas forcé­ment pour des overheads en live, à cause de la repisse de la sono au-dessus des cymbales.

Du coup, en live, quelle est votre confi­gu­ra­tion habi­tuelle pour enre­gis­trer une batte­rie ?

Unique­ment un micro pour la grosse caisse, un pour le char­les­ton, un pour la caisse claire, un pour chacun des fûts et deux overheads. Pour l’al­bum de Chris­tian, j’avais pris des [Neumann] KM140 en overheads et le [Neumann] KM84 pour la caisse claire, avec des [Shure] SM98 fixés aux fûts et un Soun­de­lux U195 sur la grosse caisse. Le but était de pouvoir amener la batte­rie dans le mix avec une vraie clarté, vu que je suis obligé de surcom­pen­ser la quan­tité de repisse captée par chacun des autres micros sur la scène, de même que le retard des micros d’am­biance, que j’aligne tempo­rel­le­ment dans le mix mais qui conservent la marque sonore de la batte­rie dans le loin­tain.

Dans ce genre de situa­tion, en temps normal, combien de micros utili­sez-vous pour la batte­rie ?

Pour enre­gis­trer Chris­tian, je devais avoir huit pistes de batte­rie, en comp­tant les micros clip­sés aux fûts pour capter tous les détails et l’at­taque du jeu en « fills » du batteur. Norma­le­ment, je n’in­tègre au mixage que les courts passages où il y a des fills, sinon le reste du temps, on n’a rien d’autre que le son des cymbales captées du dessous en arrière plan.

Utili­sez-vous les overheads comme base pour votre son avant d’ajou­ter les autres micros ?

Oui, avec une batte­rie de jazz on peut faire comme ça, à moins qu’il n’y ait trop de repisse prove­nant des retours et/ou de la sono et qu’il faille compen­ser tout cela. Beau­coup de kits de batte­rie pour le jazz sont petits, mais telle­ment bien accor­dés qu’ils sont bien captés par une simple paire d’ove­rheads. Quand j’en­re­gistre Wynton et le Jazz At Lincoln Center Orches­tra en live au Rose Hall, tout ce que j’ai, ce sont la grosse caisse, la caisse claire et les overheads.

Le live de Chris­tian McBride n’a qu’un piano, une contre­basse et une batte­rie, mais si vous aviez un saxo ou une trom­pette qui sonnent fort sur la scène, est-ce que ça modi­fie­rait votre façon d’en­re­gis­trer ?

Oui, bien sûr. Je devrais proba­ble­ment mettre les micros plus près. Je devrais peut-être même chan­ger les micros que j’uti­lise pour les overheads à cause de ça. Mais n’ou­bliez pas qu’ils sont là, en l’air, et qu’ils dominent dans le mixage, alors il faut être sûr d’ap­pré­cier leur type de repisse et de pouvoir les gérer. Après tout, la « bonne » repisse, ça existe.

Et en studio, utili­sez-vous le même nombre de micros pour la batte­rie ?

J’en utilise bien plus. L’iso­la­tion du studio me permet d’être un peu plus créa­tif. Mais ça ne veut pas dire que j’uti­lise tout pendant le mixage. Cela signi­fie que j’ajoute aussi des micros à ruban en overheads, en fonc­tion du genre de musique qui doit être enre­gis­tré. Si celle-ci est entraî­nante et pleine d’éner­gie, j’uti­li­se­rai des micros à ruban pour adou­cir un peu tout ça. S’il y a beau­coup de crashes et de fills, ça va être super avec un micro à ruban. Mais si c’est une ballade, que le batteur utilise des balais et que vous voulez que le son de la ride soit cris­tal­lin, dans ce cas le son du micro à ruban sera un peu trop sombre. Que j’en­re­gistre dans une cabine isolée ou dans une grande salle, j’aime bien avoir tout un éven­tail de micros, et enre­gis­trer sur plein de pistes fait qu’au besoin je peux avoir deux sons de batte­rie diffé­rents. Même s’ils n’émanent que d’un seul batteur jouant sur un même kit, la dyna­mique qu’ils apportent selon la chan­son peut être extrê­me­ment diffé­rente et au moment du mixage on peut faire appel à la solu­tion qui parait la plus adap­tée au morceau.

Vos micros à ruban pour overheads sont-ils en confi­gu­ra­tion « appai­rés et espa­cés » ?

Tout à fait. Je les place en fonc­tion du nombre de cymbales, ou de la taille du kit. L’un des sons que je préfère pour les overheads, je l’ob­tiens avec des micros Coles.

Des 4038 ?

Exac­te­ment. Et ils marchent mieux quand ils pointent pile vers le bas. Je trouve que la confi­gu­ra­tion Blum­lein ne donne pas le meilleur résul­tat. Je l’ai essayée aupa­ra­vant, mais elle rend la spatia­li­sa­tion plus compliquée et ne permet pas de rendre le son de la ride aussi vivant là où il devrait l’être, ni le char­ley de l’autre côté. Donc oui, en les faisant en quelque sorte poin­ter pile vers le bas, c’est la meilleurs orien­ta­tion. L’autre chose, selon la pièce, que la batte­rie soit dans la pièce prin­ci­pale ou dans une cabine isolée, c’est que j’uti­lise un [AKG] C24 stéréo pour la prise d’am­biance. Parfois je le mets derrière la tête du batteur pour capter sa percep­tion. Je mets aussi deux micros d’am­biance plus éloi­gnés.

AEA KU4
White­lock a notam­ment utilisé des micros à ruban AEA KU4 pour enre­gis­trer la contre­basse de McBride en studio

Peut-on dire que pour enre­gis­trer du jazz, il s’agit moins de cher­cher à créer un son que de capter un son de façon réaliste ?

C’est ça. J’ajou­te­rai que beau­coup d’ar­tistes (et ça dépend du style qu’ils recherchent) veulent que le son soit aussi direct que possible, un son dans l’es­prit “Rudy Van Gelder / Blue Note”. Mais il y a des artistes qui vont vous dire « faites du neuf », ou « faisons quelque chose de diffé­rent. »

Prenons les prises de piano. Combien de micros utili­sez-vous sur un piano de studio ?

Deux à l’in­té­rieur, deux à l’ex­té­rieur. Souvent en confi­gu­ra­tion ORTF à l’in­té­rieur avec des micros à conden­sa­teurs et petits diaphragmes. J’adore le Schoeps MK-4 et le DPA 4011, mais c’est le piano qui va déter­mi­ner quel modèle utili­ser en fonc­tion de la brillance de son timbre. En géné­ral, je les place de façon à capter une sorte de son de proxi­mité et une pers­pec­tive qui corres­pondent à ce que la plupart des pianistes veulent, et ce qu’ils veulent entendre au casque. Et je dispose aussi des micros à l’ex­té­rieur du couvercle (ouvert au maxi­mum), à peu près à la hauteur où l’on récu­père les harmo­niques et en exagé­rant un peu la « pano­ra­mi­sa­tion ».

Égale­ment en confi­gu­ra­tion stéréo ?

Oui, mais juste des micros cardioïdes espa­cés, l’un à gauche l’autre à droite. Parfois, quand je peux, j’uti­lise le [Senn­hei­ser] MKH 800 Twin, qui possède deux capsules cardioïdes collées ensemble mais avec des sorties sépa­rées. Une capsule avant, une autre arrière et on enre­gistre deux canaux. Grâce aux faders, ça permet en quelque sorte d’avoir une influence sur la direc­ti­vité, pour doser le son venant de l’ar­rière de l’ins­tru­ment et l’am­biance de la pièce.

Je suppose que pour enre­gis­trer un live vous ne pouvez pas utili­ser les micros en dehors du piano, à cause de la repisse ?

Je les mets à l’in­té­rieur du coup, mais le spectre n’est pas aussi large.

Utili­sez-vous un micro pour les graves et un pour les aigus ?

Si on les sépare on perd beau­coup de médiums. On les utilise en quelque sorte en conjonc­tion l’un avec l’autre, et on essaie d’en mettre un en plein milieu et l’autre tout près de là où les cordes aiguës rentrent dans le cadre pour capter surtout les aigus et les graves. En live, j’opte pour une confi­gu­ra­tion XY quand le couvercle n’est que légè­re­ment ouvert, le micro est plus petit et la réponse en fréquences est limi­tée du fait de cette faible ouver­ture. J’ai aussi enre­gis­tré en ORTF avec des KM84 sur une barre de couplage à l’in­té­rieur, ou des 4011 juste à l’in­té­rieur du couvercle, et j’aime beau­coup. Encore une fois ça dépend de plein de choses, de la proxi­mité entre les musi­ciens sur scène, des instru­ments, et du place­ment des retours de scène.

Et concer­nant la capta­tion d’un saxo, quelle est la diffé­rence entre le live et le studio ?

Pour le live, on peut utili­ser le micro à pince du saxo­pho­niste parce qu’il en apporte toujours un. J’en ai entendu des bons comme des mauvais. Mais j’ai aussi utilisé d’autres micros. Dans le cas de Steve Wilson, qui jouait au sein d’In­side Straight avec Chris­tian, j’avais amené un Neumann TLM67 et il avait fallu que je le posi­tionne au plus près de lui, de côté, afin que son corps fasse obstacle au son de la batte­rie.

Et vers où le micro pointe-t-il ?

Dans ce cas précis, il vise proba­ble­ment le bord supé­rieur du pavillon. La prise de côté a très bien marché, en mélan­geant le signal à celui de son micro à pince dès qu’il sortait trop de l’axe. Mais en studio, ça dépend du saxo­pho­niste. J’ai enre­gis­tré un album d’Aa­ron Diehl sur lequel il y avait un saxo­pho­niste de légende, c’était un album hommage d’Aa­ron aux grands que sont Joe Temperly and Benny Golson, qui jouent sur leurs morceaux respec­tifs. On avait un sax alto, un sax ténor et un sax bary­ton. Donc je chan­geais les micros. Comme c’était aux studios Avatar, j’avais la possi­bi­lité d’uti­li­ser un bon [Neumann] U47 à lampe pour commen­cer, et si pour une raison ou une autre le son sonnait trop « lampe » ou la couleur n’al­lait pas, je prenais un Tele­fun­ken 251 que j’adore. Encore une fois, l’avan­ta­ghe d’être à Avatar, c’est que l’on peut choi­sir entre un Tele­fun­ken 251 ou un magni­fique Neumann U47, et de se rabattre sur un bon [AKG] C12 si aucun ne convient pour l’ins­tru­ment.

Choix corné­lien. [Rires] Donc un seul micro en studio ?

Un seul c’est mieux, parce qu’ainsi, on n’a pas de problème de phase. Le son est plus ouvert et on peut capter autant de nuances de jeu de bouche que le musi­cien peut espé­rer. Certains n’en veulent pas, mais d’autres aiment bien qu’on entende le son subtil de l’at­taque de anche.

Et de quelle façon le diri­gez-vous ?

Dans la plupart des cas, pratique­ment comme un micro pour voix, pointé vers le bas. Je le suspends comme un overhead, puis je le posi­tionne selon un angle de 45 degrés en direc­tion de l’ins­tru­ment. Proba­ble­ment avec un peu de recul de façon à ce que le musi­cien puisse remuer un peu. Pas de façon à ce qu’il risque de se cogner la tête s’il se penche, mais d’une façon qui permette de capter le son du haut de l’anche tandis que le bas de la capsule captera le pavillon. Ça donne une bonne image sonore. Parfois, se mettre de l’autre côté fait que les gars sortent plus faci­le­ment de la bonne zone. Si vous vous alignez sur leur bouche, vous ne les perdez pas. Si au contraire vous essayez de viser pile le pavillon et qu’ils bougent vers la gauche ou la droite, ils sortent de l’axe. L’ali­gne­ment est crucial.

J’ai cru comprendre que vous utili­sez du maté­riel de chez Dange­rous Music pour le mixage en MAO ?

Dangerous Music COMPRESSOR
L’un des aspects du Dange­rous Compres­sor que White­lock appré­cie le plus, c’est sa trans­pa­rence

Ça pour­rait très bien être tout autre chose. Quand [le studio] Sony a fermé en 2007, j’ai perdu ma salle de mixage favo­rite. En même temps, les budgets de produc­tion dimi­nuaient et je ne pouvais pas me permettre d’ache­ter de grosses consoles de mixage. C’est donc par néces­sité que je suis passé au mixage en MAO, et j’ai parlé avec mon collègue et néan­moins ami Damon Whit­te­more (de Valve­Tone Recor­ding) qui partage les locaux de Fab DuPont aux studios Flux, et qui avait complété la confi­gu­ra­tion de maté­riel de chez Dange­rous de Fab (Dange­rous Master / 2-Bus+ / Mixer / Moni­tor ST / Compres­sor, Bax EQ etc.) avec du super maté­riel vintage qu’il possé­dait, comme une vieille console de broad­cas­ting de chez Neve et de très bons égali­seurs et compres­seurs à lampes et toute une collec­tion de trans­for­ma­teurs. Il a insisté pour que je passe tester leurs locaux pour mon projet suivant, qui était à l’époque Seeds from the Under­ground de Kenny Garret. Le résul­tat m’a emballé, mixer en MAO puis faire ressor­tir tout ça au studio Flux via du maté­riel de chez Dange­rous nous avait offert un son plus clair, j’ai décou­vert que ça ouvrait le champ stéréo en évitant de passer par les kilo­métres de routage d’une grosse console. Ce que j’adore à la Fabu­lous Room c’est que pour la conver­sion je peux choi­sir de passer par des Aurora de Lynx, ou les C8, ou l’Uni­ver­sal Audio Apollo. Fab bosse avec Dange­rous, il bosse aussi avec d’autres fabri­cants, donc j’ai l’op­por­tu­nité d’en entendre, du maté­riel. Quel que soit le mix, j’aime beau­coup le Dange­rous Compres­sor. J’ai la chance d’avoir un compres­seur dédié unique­ment à la batte­rie. Donc je fais une somma­tion de la batte­rie et je la fais passer par une chaîne qui comporte un Dange­rous Bax EQ et un Dange­rous Compres­sor. Ça marche tout aussi bien pour le piano et d’autres sources dyna­miques qui néces­sitent de la trans­pa­rence et que l’on peut limi­ter sans appliquer beau­coup de compres­sion. Et puis, vu que le Dange­rous Compres­sor est très rapide, je n’en­tends quasi­ment pas son temps de relâ­che­ment.

Fab Dupont ?

Oui, Fab DuPont. Sa Fabu­lous Room, c’est la prin­ci­pale salle dans laquelle je mixe. Ça doit faire envi­ron huit ou neuf ans que j’y travaille. En plus d’avoir des oreilles extra­or­di­naires, il a une excel­lente intui­tion quant aux tendances à suivre en matière de maté­riel et de pratiques d’en­re­gis­tre­ment. Ses échanges avec des fabri­cants comme Dange­rous, Focal, UAD, et Lauten Micro­phones m’ont permis de parti­ci­per à leurs essais de R&D, à son invi­ta­tion. Sans ses conseils, je n’au­rais jamais décou­vert autant de maté­riel aussi fantas­tique.

Utili­sez-vous Pro Tools ?

Oui, Pro Tools. Et j’ai aussi un système Sequoia pour le maste­ring. Il se trouve que j’ai utilisé un système Sequoia pour le Live at the Village Vanguard de Chris­tian McBride. C’était l’en­re­gis­treur multi­piste prin­ci­pal, avec un Tascam X48 comme enre­gis­treur secon­daire au cas où.

Merci beau­coup, Todd, d’avoir partagé autant d’in­for­ma­tions avec nous sur vos tech­niques !

De rien ! Je suis heureux d’avoir eu la chance de m’en­tre­te­nir avec Audio­fan­zine.

 

Vous pouvez consul­ter ici la liste complète des crédits de Todd White­lock


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