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Interview / Podcast
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Made In France : Cristal Records et Studio Alhambra-Colbert

Retour vers le futur

Loin des sentiers battus esquissés par une industrie musicale soumise à des directions artistiques (pardon, commerciales) qu’elle a elle-même fini par uniformiser, il demeure encore dans notre beau pays des contrées où l’on peut voir flotter l’étendard de «la véritable» exception culturelle et artistique française.

Pour ce second épisode de « Made In France », nous sommes partis à la rencontre d’une struc­ture de produc­tion musi­cale au fonc­tion­ne­ment singu­lier, siégeant sur le vieux port de La Rochelle et délé­guant les réali­sa­tions sonores à son studio de Roche­fort. Voilà main­te­nant 15 ans que Cris­tal Records – label vrai­ment indé­pen­dant – et son fidèle parte­naire, le Studio Alham­bra-Colbert, offi­cient main dans la main pour géné­rer, promou­voir et fédé­rer des projets artis­tiques origi­naux et uniques. 

Derrière ces deux enti­tés se trouvent deux hommes animés par une passion et une foi inébran­lables : Eric Debègue, fonda­teur du label et François Gaucher, ingé­nieur du son résident, dont la rencontre donna nais­sance à une véri­table entre­prise, commer­ciale, mais aussi et surtout humaine. 

Avec un nombre impres­sion­nant de disques à leur actif et des artistes récom­pen­sés de toutes parts (Django d’Or, Victoires de la Musique Jazz, coups de coeur presse et radio), il était indis­pen­sable pour nous de vous faire parta­ger leur vision unique qui s’est bâtie une solide répu­ta­tion dans le milieu du jazz et qui s’étend aujour­d’hui à bien d’autres genres musi­caux.

Entre­tien avec des humains passion­nés.

Bootz : J’ai­me­rais reve­nir un peu sur la genèse de Cris­tal et, de fait, du Studio Alham­bra-Colbert. Comment l’aven­ture a -t-elle commencé pour vous deux ? 

Eric Debègue

Eric Debègue : À la base, il y a beau­coup de choses qui ne sont pas réflé­chies… Au départ, j’avais une compa­gnie de danse qui tour­nait très bien. En paral­lèle, je donnais des cours de théâtre. Puis j’ai fait quelques films. Comme toute personne qui s’es­saie au métier de comé­dien, j’ai commencé par faire de la figu­ra­tion, puis j’ai eu des petits rôles et, bon an mal an, en cumu­lant mes deux acti­vi­tés artis­tiques, j’avais mon statut d’in­ter­mit­tent du spec­tacle. J’ai donc commencé ma carrière du côté artis­tique, tout comme François d’ailleurs, qui était au départ clavier dans un groupe. 

Dans le déve­lop­pe­ment de ma carrière, j’ai été confronté à un certain nombre de problé­ma­tiques, notam­ment quand j’avais besoin de m’ache­ter des costumes, de trou­ver des salles pour répé­ter, d’or­ga­ni­ser les répé­ti­tions… Je n’avais pas de struc­ture pour « porter » mon projet, faire des demandes de subven­tions. À cette époque, toujours dans mon cursus artis­tique, j’ai rencon­tré d’autres artistes – prin­ci­pa­le­ment des musi­ciens – qui rencon­traient les mêmes problèmes que moi. Avec deux amis, on a décidé de créer une asso­cia­tion qui pour­rait porter nos projets à tous les 3 et c’est en 1992 qu’est née l’as­so­cia­tion Cris­tal Produc­tion – qui existe toujours aujour­d’hui et dont je suis le président béné­vole – qui a été rejoint par de plus en plus de groupes. Au fur et à mesure, je me suis penché sur des problé­ma­tiques terri­to­riales en me deman­dant pourquoi tant de groupes venaient nous rejoindre, s’il se passait vrai­ment quelque chose dans la région.

Il y a une vraie dimen­sion sociale et humaine dans tout ce qu’on fait.

Donc tu as commencé à t’in­té­res­ser au déve­lop­pe­ment artis­tique local ?

Oui, au niveau régio­nal, c’est là que j’ai commencé à me pencher sur la ques­tion. L’as­so­cia­tion était là pour soute­nir et faire émer­ger les projets de chaque groupe régio­nal qui la compo­sait. Un jour, Pascal Ducour­tioux – l’un des deux musi­ciens avec qui j’ai fondé l’as­so­cia­tion – qui jouait dans le groupe de jazz Café Noir, vient me voir et me dit : « Ce serait bien qu’on fasse un disque, pour déve­lop­per ma carriè­re… » À l’époque, j’avais 23 ans et je ne savais pas du tout comment on faisait un disque ! Et il m’a parlé d’un type qui « habi­tait dans un squat, qui faisait un peu de son »… Je me suis rendu là-bas, c’était un vieux château en ruines, squatté par tout un tas de musi­ciens et ce mec-là, au milieu de nulle part…! (Rires) Fran­che­ment, quand j’y suis allé la première fois, je flip­pais un peu ; j’avais l’im­pres­sion de rentrer dans un château hanté ! (Rires) Et c’est là que j’ai vu François Gaucher ! Il avait été mis là par la mairie pour éviter que le lieu soit squatté ; du coup, il avait fait venir tous ses amis musi­ciens et en a fait un lieu de vie pour musi­ciens. Et lui avait fait son petit studio là-dedans. François a donc enre­gis­tré le groupe de Pascal et c’est comme ça qu’on a commencé à travailler ensemble.

Une fois le disque terminé, le groupe vient me voir en me disant : « C’est super, on a un bon disque, mais ce serait bien de pouvoir le vendre ! ». Mais ça sortait un peu de l’es­prit « collec­tif » de l’as­so­cia­tion, car on se retrou­vait à s’oc­cu­per d’un groupe plus qu’un autre. J’ai donc commencé à m’in­té­res­ser de plus près à tous les maillons de la chaîne de produc­tion, le label, l’édi­teur, le distri­bu­teur… et de me mettre à fond dans cette voie-là. Je me suis dit : « OK, il faut un label main­te­nant, je vais mettre de l’ar­gent sur la table et recru­ter une personne compé­tente ». Et c’est comme ça que j’ai décidé de monter la société Cris­tal Records, en 1996, que j’ai inscrite aussi en tant qu’édi­teur.

Si je comprends bien, le label est né après avoir fran­chi tout un tas d’étapes et s’est profes­sion­na­lisé au fil du temps, de manière assez natu­rel­le…?

Cristal Records

Oui, en sépa­rant les choses quand même, car l’as­so­cia­tion existe toujours aujour­d’hui. Au fil des années, elle s’est étof­fée, elle s’est struc­tu­rée, avec des objets et missions bien précis. Au départ, la mission était de suivre 4 ou 5 groupes et au fil du temps, on est devenu centre de ressources ; on a fait des études sur le terri­toire pour comprendre un peu les problé­ma­tiques des inter­mit­tents. L’as­so­cia­tion, qui compte aujour­d’hui 650 membres et qui conti­nue de porter leurs projets, a évolué dans ses missions et est deve­nue ce qu’on appelle un bureau de produc­tion – l’un des plus anciens de France, car le plus vieux, basé à Paris, a 21 ans – et Cris­tal en a 20 ! On était donc pratique­ment des précur­seurs. La moyenne d’ac­ti­vité des bureaux de produc­tion est de 300 000 euros ; Cris­tal génère 1,2 million d’eu­ros d’ac­ti­vi­tés, soit 4 fois plus que la moyenne. On est devenu le plus gros bureau de produc­tion de France. Ces bureaux de produc­tion sont à l’ini­tia­tive d’un parti­cu­lier, souvent d’un artiste, qui défendent les projets. Et pour Cris­tal, notre mission, c’est le déve­lop­pe­ment de l’em­ploi cultu­rel. On travaille main dans la main avec des struc­tures comme la Maison de l’Em­ploi, mais aussi Pôle Emploi pour juste­ment favo­ri­ser l’em­ploi dans le domaine cultu­rel, créer des dyna­miques, en s’adres­sant prin­ci­pa­le­ment aux picto-charen­tais. 

C’est très complexe parce qu’on reste des artistes et que, bien souvent, même si un projet n’est pas viable écono­mique­ment, mais qu’ar­tis­tique­ment, il doit exis­ter, on va se battre pour le faire exis­ter.

Ce qui veut dire qu’il y a donc plusieurs enti­tés chez Cris­tal?

Oui, il y a l’as­so­cia­tion d’un côté et la société Cris­tal qui gère 3 acti­vi­tés : le label, les éditions et le studio. J’as­sure donc la prési­dence géné­rale de l’as­so­cia­tion, qui a sa propre équipe, et qui déter­mine chaque année les grandes lignes direc­trices par rapport à nos actions à desti­na­tion de l’em­ploi, ce qu’on peut mettre en place en sa faveur, etc. Face à cela, cette année, on a par exemple mis en place un salon profes­sion­nel des métiers du spec­tacle, Festif’­Pro, qui s’adresse prin­ci­pa­le­ment à des orga­ni­sa­teurs occa­sion­nels et des orga­ni­sa­teurs de Troi­sième Cercle. La raison pour laquelle on s’adresse à eux est qu’il n’existe pas de salon profes­sion­nel pour ce genre de clien­tèle alors qu’en France, en moyenne, 67% des cachets d’un inter­mit­tent du spec­tacle « émer­geant » – c’est-à-dire « inconnu » – sont géné­rés par ces mêmes orga­ni­sa­teurs occa­sion­nels. C’est pourquoi on a décidé de monter ce salon, qui est source d’in­for­ma­tions, on met en place des tables rondes, des rencontres entre artistes et orga­ni­sa­teurs… C’est une des actions que l’on mène pour répondre à notre objec­tif de l’em­ploi cultu­rel.

Il y a donc une vraie dimen­sion « sociale » – ou devrais-je plutôt dire « citoyenne » – à votre entité où l’on voit plusieurs personnes « mutua­li­ser » leurs compé­tences et leurs efforts…? 

Studio Alhambra Colbert

Oui, c’est tout à fait ça, il y a une vraie dimen­sion sociale et humaine dans tout ce qu’on fait. Après, toute la diffi­culté que l’on doit gérer, François et moi, c’est cet équi­libre entre la dimen­sion « sociale » de l’as­so­cia­tion et réus­sir notre sélec­tion de projets en respec­tant la problé­ma­tique écono­mique de la société. Et c’est très complexe parce qu’on reste des artistes, on fonc­tionne au coup de coeur et que, bien souvent, même si un projet n’est pas viable écono­mique­ment, mais qu’ar­tis­tique­ment, il doit exis­ter, alors on va se battre pour le faire exis­ter. On ne recherche pas le profit absolu ; notre objec­tif n’est pas d’avoir un yacht dans le port de La Rochelle ! (Rires) Simple­ment, notre but est de pouvoir vivre de ce que l’on fait, d’être payé par rapport au travail que l’on four­nit et de pouvoir payer correc­te­ment notre person­nel. Alors on lutte avec nous-mêmes, car on reste au fond de nous des artistes malgré tout. 

On est dans l’ac­tion et c’est aussi ça qui me motive.

Mais alors comment faire dans un contexte écono­mique de « double crise » : crise du disque et crise « géné­rale »?

Je pars du prin­cipe qu’il n’y a pas de problèmes, il n’y a que des solu­tions. Je suis quelqu’un d’ex­trê­me­ment opti­miste et je me dis aussi que, quand on veut, on peut. Alors après, je suis désolé, ce genre de phrases fait un peu « cliché » mais c’est aussi mon leit­mo­tiv. J’en­tends partout : « le disque est mort. » Pour moi, non, le disque n’est pas mort ! Imagi­nez-vous aujour­d’hui une jour­née sans musique : vous allu­mez la télé, il y a de la musique, vous regar­dez un film, il y a la musique derrière, vous allu­mez la radio, même si vous écou­tez France Info, il y a un moment donné un jingle et le jingle c’est de la musique donc, quoi que vous fassiez, il y a de la musique. La musique aujour­d’hui est omni­pré­sente. Quand on sait ça, je pense que la problé­ma­tique aujour­d’hui de toutes ces maisons de disques, de tous ces labels, d’une part c’est qu’il ont pris les gens pour des cons ; là ils prennent un peu le retour de bâton… Et la deuxième chose, c’est que personne ne remet jamais rien en ques­tion ! Le monde bouge, le monde évolue et à un moment donné, il faut savoir bouger avec le monde. Quand on regarde le modèle écono­mique de ces entre­prises, de toutes ces majors qui existent, et quand aujour­d’hui on regarde comment elles travaillent, comment elles travaillaient il y a 20 ans, elles n’ont pas bougé, j’ai même envie de dire qu’elles ont régressé par rapport à il y a 20 ans ! 

Studio Alhambra Colbert

Pour répondre à ta ques­tion, moi aujour­d’hui j’ai encore fait 4% de plus de chiffre d’af­faires sur mon acti­vité, sur mon bilan de cette année ; l’an­née où tout le monde a fait –50%, j’ai fait + 24%, et l’an­née dernière j’ai fait +10%. Et jusqu’à présent depuis que Cris­tal existe, on n’a quasi­ment jamais fait moins et quand on a fait moins, c’était –2 ou –3%. Dans un marché à –50 !! Ça reste rela­ti­ve­ment posi­tif ! Après, je n’ai pas fait Bac+10, j’es­saie juste d’ob­ser­ver le monde et d’évo­luer avec lui. Alors il y a des choses que je comprends, des choses que je maîtrise et puis d’autres pas… Et puis je m’en­toure ! Je m’en­toure de gens qui ont des compé­tences que je n’ai pas, mais je pense qu’il y a vrai­ment des choses à faire. Et je pense qu’il faut arrê­ter de se plaindre, il faut agir. Ces maisons de disques passent leur temps à se plaindre, à dire qu’on veut leur piquer leurs droits, elles passent leur temps à dire que les artistes se barrent alors qu’elles ont tout fait pour eux… Mais pourquoi ils se barrent ??! Chez nous, on ne fait pas de contrat et on a seule­ment eu 2 artistes qui sont partis en 14 ans ! Si on les « sert » bien, si on sait vrai­ment faire un travail de colla­bo­ra­tion et faire vrai­ment notre métier… Moi ce qui me fait lever tous les matins et qui me fait dire que quelque part je dois bien faire mon métier, c’est que juste­ment je n’ai aucun contrat qui me verrouille mes artistes et qui fait qu’ils sont prison­niers chez moi. Au final, s’ils sont là, c’est parce qu’ils sont contents d’être là et moi je dois travailler, correc­te­ment, pour qu’ils restent là. Tous les matins, j’ai une épée de Damo­clès au-dessus de la tête et c’est à moi de bien faire mon boulot ! Il faut arrê­ter de penser que les artistes sont scel­lés à la maison de disque et qu’ils ne peuvent pas partir. Aujour­d’hui il faut juste travailler autre­ment.

Soyons clairs, aujour­d’hui, les majors n’ont pas su remettre en ques­tion leur modèle écono­mique. 

Les choses ont bien évolué…

Oui, et il y a égale­ment un autre problème. Il faut arrê­ter de travailler sur le même modèle écono­mique. Il y a 6/7 ans, la Fnac repré­sen­tait 75/80% de notre chiffre d’af­faires. Aujour­d’hui, elle n’en repré­sente plus que 30%. Et on conti­nue à faire plus de chiffre d’af­faires. Ces gens-là ne veulent plus faire leur travail correc­te­ment donc nous il faut qu’on fasse notre travail autre­ment. Mais aujour­d’hui, il ne faut pas me dire que le disque ne se vend pas. Ça n’est pas vrai, le disque se vend, c’est simple­ment qu’aujour­d’hui, il y a des gens qui ne savent plus vendre ! Je peux vous montrer un mail d’un direc­teur de rayon dans une Fnac  qui pleure, qui ne sait plus quoi faire : ça fait 10 fois qu’il commande à sa direc­tion un disque – parce qu’ils n’ont même plus le droit de comman­der en direct aux distri­bu­teurs ou aux maisons de disque – d’une artiste qu’on a sorti, qui s’ap­pelle Kika pour ne pas la citer. Il en a commandé 30, ça fait 2 mois et demi et il n’ar­rive pas à être livré ! Il a réussi à être livré 'en loucedé', par le distri­bu­teur direc­te­ment, de 4 CD et il les a vendus dans la jour­née ! Et après la Fnac dit : « les disques ne se vendent plus ! »?? Ça fait 2 mois et demi qu’il a fait la commande !! Le maga­sin n’ar­rive pas à être livré ! Donc qui fait que ça ne marche pas ?! On sait très bien que le disque reste un achat d’im­pul­sion et que, pour qu’il se vende, il se doit d’être en adéqua­tion avec la promo. La Fnac ne recrute pas des gens sans quali­fi­ca­tion ; s’ils ont vu ça, c’est qu’ils le font sciem­ment. Si la Fnac faisait bien son travail, il y aurait une recru­des­cence des ventes de disque ; mais simple­ment, aujour­d’hui, ils ne veulent plus. Il y a une espèce de « triche­rie » révol­tante dont il faut parler. Je ne fais pas partie de ces gens-là, je n’ai jamais eu peur de l’ou­vrir et de dire ce que je pense.

Ce qui ne vous empêche pas, en tant que struc­ture, d’être impliqués au niveau régio­nal et d’être écou­tés, de conti­nuer à exis­ter.

Studio Alhambra Colbert

Non, ça ne nous a jamais empê­chés parce qu’on n’est pas seule­ment dans le : « je te dis que » mais plutôt dans le « je te prouve que ». On est dans l’ac­tion et c’est aussi ça qui me motive. De démon­trer les solu­tions. De démon­trer que mes convic­tions, là où elles se trouvent, ne sont pas des utopies. De démon­trer que c’est possible, que c’est réaliste. Et pour reve­nir au studio – parce qu’on a un peu bifurqué ! (Rires) – et même à Cris­tal, je pense que c’est une famille. C’est peut-être con à dire, mais c’est comme ça que les artistes le perçoivent. C’est comme ça que moi que je les traite ; au studio, les artistes se sentent comme chez eux ! Le fait qu’il soit rési­den­tiel, c’est une chose, mais je connais d’autres studios qui proposent l’hé­ber­ge­ment, mais il y a le studio d’un côté et les artistes de l’autre. Chez nous, ça vit, c’est un lieu qui vit ! Tu rentres dedans, tu as une âme, tu t’y sens bien.

C’est vrai que le lieu est assez unique, éton­nant et qu’il est très accueillant ! Votre struc­ture – dans sa globa­lité – me fait vrai­ment penser aux studios qui, à la « glorieuse époque du disque », appar­te­naient aux labels…

Oui, à la diffé­rence près que l’on raisonne à partir de l’oeuvre. Le disque n’est pas une fin en soi, c’est un moyen de faire véhi­cu­ler l’oeuvre, au même titre que la radio, la télé, la scène, etc. Et en fait, le studio est un outil au service de l’oeuvre, au même titre que le label quelque part. C’est pourquoi on peut dire que le studio – comme le label – appar­tient à l’édi­tion. Mais ce que je te dis là est le fruit de réflexions, de remises en ques­tion perma­nentes et d’une évolu­tion de l’en­tre­prise ; on ne fonc­tion­nait pas comme ça avant.

Tu vois, il y a des choses qui me révoltent dans le paysage cultu­rel. Quand aujour­d’hui on parle des majors qui sont censées avoir des contrats à 360° avec leurs artis­tes… Mais elles n’ont le 360° de rien du tout ! (Rires) Elles ne commu­niquent pas entre elles, l’édi­teur peut par exemple signer un artiste qui va sortir sur le label concur­rent… Je ne comprends pas ce fonc­tion­ne­ment. Et après elles te font la promo de leur 360° ! Mais quel 360° ??!! Soyons clairs, aujour­d’hui, les majors n’ont pas su remettre en ques­tion leur modèle écono­mique. Pour Cris­tal, c’est diffé­rent, on est pratique­ment en perpé­tuelle évolu­tion.

Avant, il y avait 3 acti­vi­tés distinctes : le label, le studio, le publi­shing. Chaque acti­vité avait sa vie, son fonc­tion­ne­ment, son projet, son DA… Aujour­d’hui, il y a l’édi­tion et après, des outils à son service. Je ne dis pas que le modèle qu’on adopte est LE modèle à adop­ter, mais si on regarde notre modèle écono­mique de nos débuts et celui d’aujour­d’hui, ce n’est plus la même chose. On essaie juste de s’adap­ter au marché de la musique d’aujour­d’hui, car il faut repen­ser toute la chaîne du disque, de sa concep­tion à la vente. 

On raisonne à partir de l’oeuvre. Le disque n’est pas une fin en soi, c’est un moyen de faire véhi­cu­ler l’oeuvre. 

Votre label possède un certain « style » musi­cal, orienté jazz et chan­son. C’est un choix, une envie person­nel­le…?

Studio Alhambra Colbert

C’est une histoire de rencontres. Fran­che­ment, je ne suis pas celui qui a la meilleure culture musi­cale, loin de là ! (Rires) Ma culture musi­cale – pour tout te dire – c’est plutôt Barbara, Brel, Sanson… Pour tout le côté français. Après, j’aime toute la mouvance améri­caine, Mickael Jack­son, Janet Jack­son, Diana Ross Earth Wind And Fire… Tout la mouvance soul/funk. Ça, c’est vrai­ment ma culture musi­cale. Tu vois, je suis extrê­me­ment loin de ce qu’on fait chez Cris­tal ! (Rires) Tout ce que je fais ne corres­pond pas du tout à ma culture musi­cale. Mais oui, c’est le fruit de rencontres et après j’ai appris, à décou­vrir le jazz notam­ment. La première fois que j’ai rencon­tré Pascal Ducour­tioux – avec qui j’ai monté l’as­so­cia­tion – c’était en 1991 ; il a commencé à me parler de jazz et je ne savais pas qui était Miles Davis ! (Rires) Fran­che­ment, je n’ai pas honte de le dire ! C’est la vérité, mais à un moment donné, on peut apprendre les choses ! Oui, évidem­ment, je voyais qui c’était, mais j’étais inca­pable de dire ce qu’il avait fait. Ce n’était pas du tout ma culture. Je connais certai­ne­ment des artistes dont d’autres n’ont jamais entendu parler. Il faut savoir qu’il y a 10 000 disques qui sortent par an, on ne peut malheu­reu­se­ment pas tout connaî­tre… Donc le jazz, c’est vrai­ment les rencontres, ça s’est fait comme ça. La chan­son pour enfants, je voulais en faire moi, person­nel­le­ment, parce que j’ai gardé mon âme d’en­fant et aussi parce que je voulais un peu « dépous­sié­rer » tout ce qui s’était fait jusqu’alors… Alors après, tu déve­loppes ton réseau, tu essaies d’ap­por­ter quelque chose de nouveau à la créa­tion. Aujour­d’hui, on est demandé par les plus grosses boîtes pour faire des produits enfants : de Gaumont à Caster­man, en passant par Père Castor… les plus grosses boîtes nous solli­citent aujour­d’hui pour faire du produit enfants. Même TF1 ! Parce qu’on a su peut-être faire des choses un peu nova­tri­ces… Là on est en train de prépa­rer un super projet avec Anthony Kavan­nagh sur Oggy et les Cafards. On fait des choses un peu nova­trices parce qu’on a envie que les enfants puissent s’écla­ter ! On fait aussi du ludo-éduca­tif, histoire de lier l’utile à l’agréable. 

On a une autre manière de regar­der les gens.

Comment vois-tu alors le futur du studio – le vôtre en tout cas – dans tout ça ?

Je peux déjà te parler du présent ! Là où on est assez unique par rapport aux autres studios – hormis le fait d’être à Roche­fort, ce qui est un vrai combat ! (Rires) – c’est qu’on propose aujour­d’hui des solu­tions complètes par rapport à la musique de films. On a mis en place un orchestre – l’Or­chestre de l’Al­ham­bra – qui, pour les compo­si­teurs et les produc­teurs audio­vi­suels, devient un véri­table outil au service de la musique à l’image. Avec, bien sûr, les compé­tences d’adap­ta­tion néces­saires : on peut aller d’un quatuor à un orchestre d’une soixan­taine de musi­ciens. Ce qui est assez unique en France, car on reste un des rares lieux avec cette capa­cité d’ac­cueil, à propo­ser ce genre de pres­ta­tion globale. 

Fina­le­ment, vous reve­nez un peu vers un modèle qui se faisait dans le passé…? 

Studio Alhambra Colbert

Quand on est dans un marché où il y a plus de demandes que d’offres, on est toujours le roi du pétrole et on peut se permettre de dire non. Mais aujour­d’hui on n’est plus dans un marché comme ça. Encore une fois, il faut que les gens se remettent en ques­tion. Et ils ne le font pas ; ils sont restés scot­chés à la période des « bonnes années », quand ça marchait bien. Les studios, c’est pareil. Je fais travailler mes confrères aussi, mais quand je vois leur fonc­tion­ne­ment… Je n’ai pas l’im­pres­sion qu’ils se soient adap­tés. Et en plus, ils se plaignent. Le monde a changé. Le studio travaille pour l’édi­tion, mais reste « ouvert » pour les autres produc­tions. Je suis quelqu’un qui va beau­coup sur le terrain et ce qu’on me « reproche » un peu, c’est d’être de tous les côtés de la barrière : je monte souvent à Paris, je vais voir les clients, les artistes, je passe du temps avec eux… Parfois, je reçois des emails d’ar­tistes me disant : « Même si c’est non, merci de m’avoir répondu ». Je ne sais pas, pour moi c’est normal, ça s’ap­pelle le respect ! Ce n’est pas parce que tu ne signes pas un disque ou que tu ne vends pas un produit que tu ne réponds pas à la personne. Ça doit venir de mon côté « artiste » qui ressort. Tout ça contri­bue au fait que Cris­tal soit devenu une grande famille : on a une autre manière de regar­der les gens. Mais ça, pour le coup, je pense que ça n’est pas une stra­té­gie, c’est juste lié à nous. Parce qu’on est auto­di­dacte, parce qu’on est artiste à la base et que c’est, peut-être, ce qui fait un peu la diffé­rence. 

En supplé­ment, voici la visite du studio Alham­bra Colbert avec François Gaucher :


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