Claude Nougaro s'est éteint le jeudi 4 mars dernier à l'âge de 74 ans, laissant derrière lui quelques uns des plus beaux textes de la chanson française. Parce que ce rimeur hors pair était aussi un mélomane averti, AudioFanzine revient sur la carrière de celui qu'on nommait "le petit taureau".
Il était une fois Nougaro
Né le 9 septembre 1929 d’un père premier baryton à l’Opéra de Paris et d’une mère professeur de piano, le toulousain est baigné de diverses influences (Massenet, Rossini, Verdi, Bizet d’un côté, Louis Armstrong, Glenn Miller, Bessie Smith, Charles Trenet, Vincent Scotto, Edith Piaf de l’autre).
Après une scolarité chaotique et un bref passage par le journalisme, il s’installe à Paris avec ses parents. A Saint-Germain-des-Prés ou à Montmartre, il croise Brassens, Mouloudji, Jean Cocteau et rencontre surtout le poète Jacques Audiberti qui l’héberge, le révèle à sa vocation et devient de ce fait son père spirituel, un mentor auquel Nougaro rendra hommage dans la « Chanson pour le maçon ». C’est aussi à cette époque qu’il écrit ses premiers textes, chantés par Marcel Amont (« Le Balayeur du roi »), Jean Constantin ou encore Philippe Clay (« Joseph »).
C’est avec Michel Legrand et Jacques Datin que Claude Nougaro fait ses débuts en tant qu’auteur/interprète. Malgré quelques titres à l’évidente qualité (« Il y avait une ville »), il lui faudra attendre 1962 pour connaître le succès. Papa pour la première fois, Nougaro évoque sa fille « Cécile » et signe alors l’une des plus belles chansons du patrimoine français sur le terme de la paternité. Sur le même disque, les standards se bousculent (« Une petite fille », « le Jazz et la Java », « Les Don Juan ») et, bien qu’étant à rebours de la mode yé-yé, Nougaro commence à rencontrer un public qui trouve dans ses chansons un écho à la Nouvelle Vague cinématographique.
Relectures d’un mot-sicien
Grand rimeur devant l’éternel, ce « mot-sicien » – comme il aimait lui-même à s 'appeler – devient alors un infatigable ambassadeur du jazz et des musiques latino-américaines. En témoignent les nombreuses adaptations qui émaillent sa discographie : « A bout de souffle » (« Blue rondo à la turk » de Dave Brubeck), « Tu Verras » ( « O que sera » de Chico Buarque), « A tes seins » (« Saint Thomas » de Sonny Rollins, « Sing Sing Song » (« Work Song » de Nat Adderley), « Comme une Piaf » (« Beauty and the Beast » de Wayne Shorter), « Brésilien » (Viramundo de Gilberto Gil), « Dansez sur moi » (« Girl Talk » de Neal Hefti ), « Harlem » (« Fables of Faubus » de Charlie Mingus), « Autour de Minuit » (« Around Midnight » de Thelonius Monk) ou encore « Bidonville » (« Berimbau » de Baden Powell)… parmi tant d’autres !
Ce faisant, le toulousain multiplie les collaboration prestigieuses. Après avoir fait ses débuts en compagnie de Michel Legrand, il mène ainsi l’essentiel de sa carrière en compagnie d’ Eddy Louiss (Orgue) et Maurice Vander (Piano), mais réquisitionne aussi à l’occasion la fine fleur des musiciens pour enregistrer ses albums ou faire ses tournées : Michel Portal (saxophoniste-clarinettiste-bandonéoniste), Richard Galliano (Accordéon), Aldo Romano (Batterie), Bernard Lubat (Batterie), Marcus Miller (Basse), Didier Lockwood (Violon), Nile Rodgers (Guitare), Jean-Jacques Milteau (Harmonica) et caetera, et caetera… Signe qu’il était reconnu par la grande famille du jazz, l’album La Note Bleue qu’il était en train de préparer devait d’ailleurs sortir – et sortira, espérons-le – sur le mythique label Blue Note.
De Toulouse à Nougayork en passant par l’Afrique
Il conviendrait toutefois de ne pas limiter l’œuvre de Nougaro à la seule sphère du jazz. Ce virtuose du verbe a en effet passé son temps à faire le grand écart entre les cultures, les registres, les époques et les styles.
Réussissant, dans un premier temps, à concilier Jazz et Java, il chante tout aussi bien la génie de Louis Armstrong sur un air traditionnel (« Armstrong ») ou l’amour sur des rythmes africains (« L’amour sorcier ») que la beauté de sa ville natale dans la veine d’une chanson française plus traditionnelle (« Toulouse »). Mis à la porte de Barclay dans les années 80 car il vend trop peu de disques, il quitte tout pour s’installer à New York et enregistrer le funky Nougayork sous la houlette de Philippe Saisse, album qui, s’il n’est pas sa plus belle réalisation artistique, restera le plus gros succès commercial de sa carrière.
Enfin, d’aucuns verront dans son « Paris Mai » (Une description du chaos de mai 68 posée sur un solo de batterie de Daniel Humair), une œuvre visionnaire qui, aux côtés du « Requiem pour un con » de Serge Gainsbourg, laisse augurer d’un rap qui naîtra quelque quinze années plus tard. Bruno Lopès (alias Kool Shen de NTM) a d’ailleurs rendu hommage « au grand bonhomme » qu’était pour lui Claude Nougaro.
Grand angle sur Nougaro
Pour se replonger dans l’œuvre discographique du « petit taureau », on trouvera évidemment de nombreuses compilations et coffrets parus ça et là chez Barclay, Mercury ou Warner.
Au minimum, on se procurera le Best of de la période pré-Nougayork intitulé Grand angle sur Nougaro, les plus fortunés ayant tout intérêt à acquérir le coffret de 6 CDs portant le même titre. Gageons toutefois que les responsables Marketing des maisons de disques devraient sauter sur l’opportunité de sortir une intégrale ainsi que diverses rééditions remasterisées des disques originaux.
Côté bouquins, on pourra lire les biographies Claude Nougaro – Etats d’âmes d’Annie et Bernard Reval (Préfacé par Eddie Barclay et édité chez France-Empire) ainsi que Claude Nougaro : Souffleur de vers… d’Alain Wodrascka (Editions Carpentier Didier).
On retrouvera aussi l’essentiel de ses textes dans Nougaro sur paroles aux éditions Flammarion. A noter que Librio, le spécialiste du livre à 2 €, avait également publié un recueil des textes de l’auteur mais ce dernier semble hélas épuisé…
Rayon vidéo, en attendant le double DVD Hombre et lumière, on patientera avec Claude Nougaro : Au Théâtre des Champs Elysées (un concert de novembre 2001), et Claude Nougaro : Fables de ma fontaine, un spectacle intimiste de 2002 où l’auteur récite ses textes sur de la musique.
Finissons par le web enfin, avec deux adresses incontournables : le site officiel www.nougaro.com et http://claude.nougaro.free.fr/ qui proposent, entre autres ressources biographiques et discographiques, des dessins et une « fiction » multimédia (réalisée en Flash) du chanteur.
Et surtout, on ne manquera pas d’obéir à une dernière volonté, formulée par le chanteur dès 1973 :
"Dansez sur moi
Dansez sur moi
Le soir de mess funérailles
Que la vie soir un feu d’artifice
Et la mort un feu de paille
Un chant de cygne s’est éteint
Mais un autre a cassé l’oeuf
Sous un saphir en vrai saphir
Miroite mon sillon neuf"