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Exposition
Tarek Atoui, fête du bruit
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L’IAC de Villeurbanne accueille la première grande expo française consacrée à l’artiste qui, grâce à ses chimériques œuvres-instruments, fait du son un matériau vivant.

Tarek Atoui associe matières brutes et composants électroniques. (Thomas Lannes)
par Sonya Faure, envoyée spéciale à Villeurbanne
publié le 3 décembre 2023 à 14h26
Libération

Il y a plusieurs manières d’arpenter l’exposition de Tarek Atoui, à l’Institut d’art contemporain (IAC) de Villeurbanne. En flâneur, se laissant surprendre d’une salle à l’autre par le mugissement soudain d’un tuyau serpentant au sol tel un boa ou par le doux son d’un goutte-à-goutte sur une cymbale. Peu importe que l’une de ces créations sonores reste désespérément silencieuse ou que l’immense cornemuse télescopique actionnée par un petit ventilateur s’obstine à ne souffler que lorsqu’on a le dos tourné. Tarek Atoui a programmé ses instruments à intervalle régulier, mais le secret de ce tempo, lui seul le connaît. L’exposition s’appelle «The Drift», comme on va à la dérive.

Une partition mystérieuse
On peut aussi vouloir la parcourir en bidouilleur, en horloger du son, chercher à comprendre pourquoi, comment, et vers où ce fil électrique entortillé nous mènera, pourquoi ces bulles éclatent par ici et cet orgue s’agite par là. Mais alors, il faudra se munir de temps, du livret de visite (l’IAC se refuse à larder ses murs de cartels explicatifs) ou, mieux, venir à 16 heures, du mercredi au dimanche pour pouvoir expérimenter les œuvres avec les médiateurs.

C’est un concert, prévient-on à l’entrée de l’exposition. Mais un concert aléatoire, une partition mystérieuse. Percussion, frottements, vibrations. Un os, comme le bras d’un tourne-disque, frotte contre une pierre volcanique du Massif central. Une goutte tombe sur deux tiges métalliques, créant pour un instant un lien de conduction entre elles, et déclenchant ainsi un bruit de gong. Dans un baquet de pierre rempli d’eau, un micro amplifie le bruit crissant des bulles. Dans une autre salle, un brouhaha lancinant émane d’un bloc de marbre athénien, tandis qu’une poutrelle en acier venue du port d’Abou Dhabi lui répond de son timbre plus flûté.

Un doux bricolage
C’est la première grande exposition française consacrée a l’artiste, né à Beyrouth en 1980, et qui a aujourd’hui son atelier à Paris. Musicien, compositeur électroacoustique et plasticien, Tarek Atoui conçoit des œuvres-instruments chimériques, associant matières brutes (bois, pierre, marbre, brindilles, eau, cuivre…) et composants électroniques et logiciels. Avec lui, le son devient matériau, mais un matériau qui serpente et circule : on le sent vibrer quand on pose la main sur ce bol de bronze immergé dans l’eau. Il modèle les bruits comme d’autres la terre, les prélève (sur le port de Beyrouth par exemple, quelques mois avant l’explosion de 2020), les amplifie ou les altère. Depuis deux ans, l’artiste intègre le vivant à son doux bricolage de haute précision : plantes aquatiques qui modifient l’architecture de l’eau et donc la manière dont le son y circule, lombrics travaillant à leur compost dans une grande tour en bois, mais aussi le corps du visiteur lui-même invité à suivre de son doigt les courbes sinueuses d’un dessin à l’encre métallique. Et à s’interroger : qu’est-ce que c’est que d’être un corps conducteur, de faire passer, littéralement, le courant, le son ? Mais aussi, devant les œuvres-instruments conçues avec des étudiants sourds : qu’est-ce qu’entendre quand l’ouïe fait défaut, quand la main prend le relais de l’oreille ? Il y a plusieurs façons de traverser «The Drift», commencer ou recommencer par la fin par exemple, et chaque fois c’est une nouvelle symphonie qui se joue.

«The Drift» de Tarek Atoui à l’IAC de Villeurbanne, jusqu’au 28 janvier. Séances pour les adultes et les enfants sourds animées en LSF par Martin Dutrait, visites en famille… Rens. : www. i-ac.eu.