« Groovebox hybride taillée pour le sound design  »

Après une année d'utilisation régulière, qui selon moi constitue le temps nécessaire pour appréhender en profondeur l'instrument, je me permets d'apporter ma contribution qui, je l'espère, viendra compléter les avis précédents.

Tout d'abord, le peu d'engouement que suscite cette machine sur les sites francophones me laisse quelque peu circonspect (en témoigne l'inertie sur le forum dédié, ainsi que le peu d'avis présents), et je trouve vraiment dommage qu'un tel instrument n'ait pas davantage été mis en avant, tant par ses qualités intrinsèques, mais encore plus particulièrement par ses qualités sonores et d'éditions, tout bonnement époustouflantes.
Néanmoins, cette impression est à relativiser dès lors que l'on se rend sur certains sites anglophones, ou bien encore sur le groupe FB dédié à l'Alpha Base, très actif et comptabilisant pas moins de 575 membres (si l'on enlève les petits curieux présents sur le groupe, cela constitue tout de même la moitié des utilisateurs par rapport au nombre d'unités vendues, à environ un peu plus de 800 exemplaires, ce qui constitue un bon ratio et garanti le plaisir de partager ses expériences et problèmes avec d'autres personnes).

Pour en revenir à notre sujet, je n'évoquerais pas ce qui a déjà été dit dans les avis précédents, notamment sur la partie hardware, dans la mesure où ceux-ci sont déjà assez exhaustifs.
Mon avis se portera donc plutôt sur l'expérience utilisateur, l'éditions des instruments et samples, le séquençage, ainsi que sur certains points n'ayant pas été évoqués, ou trop peu développés selon moi.

Globalement, l'OS de l'Alpha Base est plutôt stable, je n'ai pas rencontré de bugs particulièrement handicapants, tels que des sauts de valeurs (problème récurent sur les XBASE), pas de problème non plus à déplorer au niveau de la stabilité du midi, elle tourne comme une horloge, y compris en séquençage externe.
Il m'est arrivé qu'elle reste figée au démarrage (toujours lorsque d'autres instruments de ma chaine midi étaient eux-aussi allumés), mais cela m'est aussi arrivé sur le Digitakt, donc cela ne constitue pas un bug à mon sens.

L'interface utilisateur n'est pas très intuitive de prime abord, et demande de ce fait une certaine prise en main de quelques jours.
Il y a une certaine "austérité" propre à la conception allemande selon moi, un parti pris ergonomique, qui fini néanmoins par devenir complètement intelligible et exploitable à terme (avec du plaisir en plus ).

Le séquenceur est simple mais très efficace : 4 mesures de 64 pas avec la possibilité d'y intégrer des P-locks via le seq mode (le pitch mode permet de modifier la hauteur tonale des instruments ou le pitch des samples + un verrous de paramètres supplémentaires au choix - il est néanmoins possible d'aller au delà de cette limite et d'intégrer d'autres verrous de paramètres supplémentaires).
La fonction roll flam est très appréciable et permettra d'apporter du caractère à vos séquences avec des roulements endiablés .
La fonction shuffle est tout simplement géniale et apporte un groove très caractéristique que j'adore.
Il est possible d'éditer le shuffle en global, ou individuellement par instrument.

De manière générale, je trouve que le séquenceur apporte un groove bien singulier, notamment avec les pistes d'accent, et permettra à votre drum machine de se fondre à merveille avec le reste de votre set-up.
Celui-ci est suffisamment flexible pour vous permettre de travailler différents styles autres que le 4/4 : il est ainsi tout à fait possible de faire des patterns breakbeats ou hip hop, notamment grâce à la fonction scale, mais aussi par la possibilité de régler individuellement la longueur de chaque piste (séquence en polyrythmie).

Pour les plus réfractaires, l'Alpha Base peut aussi être séquencée en midi (logiciel ou séquenceur externe), il est très appréciable de souligner que chaque piste bénéficie de son propre canal midi individuel, un vrai plus !

Les FX sont d'excellentes factures, pour des effets internes je pense que c'est important de le souligner. La reverb est splendide et permet de grossir votre son d'une manière harmonieuse (large room de type cathédrale), et le delay permet de dynamiser votre son et de donner un effet de spatialisation.

Il y avait un problème de "bleed" entre les sorties individuelles et la sortie master : lorsque l'on activait des effets sur les instruments avec sorties individuelles, ces derniers étaient audibles sur la sortie master, même lorsque les instruments étaient mutés. Je pensais qu'il serait impossible de trouver une solution à cela, mais un utilisateur a posté sa trouvaille sur le groupe Facebook dédié à la Jomox.
Il suffit de réinitialiser les paramètres de la panoramique sur zéro puis de les positionner sur la valeur 63 au lieu de 64 (me semble-t-il de mémoire).
Quoiqu'il en soit, après cette manipulation, je confirme que plus aucun bleed n'est à déplorer : les sorties individuelles ne viennent plus baver sur le master et vice versa, le master ne bave plus sur les sorties individuelles.

Concernant les instruments, je ne vais pas revenir sur les paramètres de chacun d'entre eux, mais plutôt expliquer ce qu'il est possible de faire avec. Pour plus de précisions, je ne peux que recommander de jeter un coup d'œil au manuel.

Le Kick Drum : il n'est plus à présenter tant Jomox a bâti sa réputation sur ce module.
En quelques mots, je dirais que celui-ci est dynamique, punchy, voire crunchy, parfois gourmand en harmonique selon les réglages, mais cela tient plus à ce que j'en fais à titre personnel qu'à ce que ce module peut vous offrir, puisqu'il est réglable par le biais de 19 paramètres. En d'autres termes, les possibilités d'édition du kick sont gargantuesques : du kick technoïdes bien dark à un kick bien groovy du style house - deep / house, en passant par un kick quasi-acoustique en mode free-jazz, ou bien encore à un 808ish kick style hip hop / trap avec basses fréquences …
La variété de kick pouvant être reproduit est tout bonnement phénoménale, voire effrayante dès lors que l'on a une idée bien précise en tête.
A titre d'exemple, j'ai éprouvé une certaine difficulté à reproduire un kick de type 909, tant les paramètres ont une influence les uns sur les autres. Bien que j'arrivais à m'en rapprocher, il y avait toujours des harmoniques indésirables dans le milieu du spectre, et puis à ma grande surprise j'ai fini un jour par y parvenir. Les puristes rétorqueront que mon patch n'est pas exactement identique à celui d'une 909, ce qui est vrai puisque le kick Jomox a son propre caractère, mais le grain est là et sans abus de langage : le résultat est très proche.
Il est par ailleurs tout aussi possible de reproduire un kick de type 808, avec une importante phase de décroissance. J'ai d'ailleurs lu dans un avis précédent que le decay du kick s'arrêtait de manière quelque peu abrupte, mais ce propos est à nuancer dans la mesure où le module propose une extra software enveloppe en Page B ( Pitch attack / Pitch Decay) contrôlable avec le paramètre d'enveloppe amount, et permettant de moduler l'attaque et la décroissance de l'enveloppe de Pitch.
Ce module recouvre ainsi une amplitude tonale très impressionnante, et je pense très sincèrement qu'une très grande variété de kick peuvent être reproduits, à condition de s'en donner la peine…

Le MBrane : il s'agit probablement du module le plus compliqué à utiliser au sein de cette machine. Pour résumer son fonctionnement, cet instrument se comporte comme une membrane avec deux filtres oscillateurs qui interagissent entre eux.
Il est ainsi possible de reproduire une multitude de percussions tels que des kicks, des toms, des lignes de basses, claps, claves, snares etc...
Concernant les caisses claires, j'ai très souvent lu qu'il était impossible de reproduire des snares de type 808, 606, ou bien encore 909 avec son caractère bien snappy, et je tiens à vous assurer que ces types de snares peuvent tout à fait être reproduits dès lors que l'on maitrise un minimum le module MBrane.
J'ai d'ailleurs enregistré plusieurs patchs de ces snares, et l'utilisation des deux LFO's me permet de couvrir les timbres de 606, 808, jusqu'à la 909 avec un seul et même patch (moyennant quelques réglages sur les paramètres de noise, de decay et de M1 dampen et M2 dampen pour reproduire le caractère snappy).
Il s'agit encore une fois d'un instrument assez complexe à prendre en main, mais très gratifiant une fois que l'on rentre dans le sound design.
A ce propos, les verrous de paramètres du séquenceurs, couplés au multimode permettent de placer différents "sounds" ou "patch" de l'instruments à différents steps d'une seule et même séquence : ainsi il est tout à fait possible de faire une ligne de basse sur certains steps, tout en positionnant des snares sur d'autres steps du séquenceur.

L'Alpha Base comporte 6 canaux hybrides. Les deux premiers canaux sont spécifiques à la section Hi Hats, puisque le filtre a été spécialement conçu pour cette utilisation : il s'agit d'un filtre passe bande ( un pour chaque canal HH) 6dB. L'utilisateur pourra donc au choix recourir à la sélection d'un sample de Hihat qu'il pourra moduler à souhait avec l'enveloppe ADSR (VCA analogique) ainsi que le filtre analogique et son enveloppe, ou bien recourir au générateur de son Metal Noize pour sculpter des hihats entièrement analogiques, ou bien encore superposer le générateur Metal Noize avec un sample de hihats.
Encore une fois, les possibilités sont très étendues et laisse place à la libre créativité de chacun.

Concernant les 4 autres canaux hybrides, il est cette fois question d'un filtre multimode : vous pourrez ainsi choisir entre le filtre passe-bas, passe-haut et passe-bande.
Hormis ces différences, les mêmes caractéristiques et paramètres sont à l'œuvre sur l'ensemble des 6 canaux hybrides.
Comme déjà évoqué dans un précédent avis, les filtres sont tout simplement magiques, quasi chantant en auto oscillation, crémeux à souhait, bref de quoi ajouter énormément d'expressivité à vos samples, notamment grâce la modulation du LFO sur le filtre. L'enveloppe analogique (VCA) est pêchue et les réglages s'opèrent de manière très fine sur le son. L'enveloppe de filtre n'est évidemment pas en reste.
Encore une fois, il est tout à fait possible de sculpter des toms, sticks et autres claves et bleeps simplement avec l'auto oscillation du filtre (le mode sample positionné sur off).
Idem pour le mixage entre un sample passé dans le filtre et le générateur de bruit, qui va permettre de vous emmener vers des territoires que vous n'auriez pas envisagés. (J'ai déjà réussi à reproduire un snare par l'intermédiaire d'un sample de guitare coupé très court, sur lequel j'ai appliqué le filtre ainsi qu'un metal noize).

L'amplitude du pitch est très large, et permet d'aller titiller le bit crush ou le ring mod de part et d'autre.
Il est intéressant de noter que l'Alpha Base reproduit un grain sur les samples qui n'est pas sans rappeler celui des EMU : il suffit de triturer le pitch du sample, d'affiner le réglage de pitch avec le paramètre Cent en page B, puis d'activer la reverse du sample et la magie opère : de l'aliasing à souhait, si caractéristique des illustres sampleurs vintages…

Les pistes X samples permettent d'échantillonner directement dans la machine, mais aussi de lire des échantillons plus longs que les canaux hybrides.
Le seul bémol est qu'elles ne comportent pas d'enveloppe ni de filtre numérique pour le moment, mais il semblerait que Jürgen ait accepté de l'intégrer dans une future mise à jour.
Quoiqu'il en soit ces canaux sont très utiles pour utiliser des échantillons un peu plus longs, ou des kicks que l'on ne souhaite pas voir interagir avec l'enveloppe analogique des canaux hybrides.
Le niveau de sortie des X Samples (sur le master) est quasiment aussi bon que sur les sorties individuelles, il faudra réajuster au besoin le volume interne ou directement sur une table.

Concernant le volume interne, il est important de noter que celui-ci affecte de manière conséquente le son, il est donc essentiel d'effectuer ses réglages avec la plus grande attention. Je serais presque tenté de dire que le volume interne fait parfois presque office de disto. (Cela vaut aussi pour le paramètre de réglage du volume d'accent).

L'instrument FM Synth est celui que j'ai le moins utilisé jusqu'à présent. Malgré tout, il est tout à fait possible de reproduire des percussions réalistes avec celui-ci … ou des sons complètements barrés du cosmos, ou bien encore des synthés très musicaux (pads, drone, leads…).
Il comporte 6 voies de polyphonies et demeure relativement exploitable avec le séquenceur interne, mais je pense qu'il est préférable de le piloter à minima avec un clavier externe.

Je n'ai pas encore remplacé toute la banque de samples d'usine, seulement ajouté une cinquantaine d'échantillons supplémentaires, mais pour avoir longuement discuté et essayé celle d'un ami proche, je peux vous garantir que la personnalisation de vos samples change en partie la physionomie de la machine : j'avais carrément l'impression d'avoir un autre instrument sous les doigts en comparaison de celle que j'aie à la maison. Vraiment très inspirant.

Pour conclure, je pense que cet instrument n'est pas à la portée de tous. Il est essentiel de prendre en considération le fait qu'il ne s'agit pas simplement d'une boite à rythme sur laquelle on va sélectionner quelques samples par ci, éditer des instruments analogiques par là et lancer une séquence.
C'est un outil de sound design à part entière qui nécessite de rentrer "cérébralement" dans la machine pour en comprendre le fonctionnement, éditer les paramètres pour se constituer une banque de patchs (aussi bien sur le kick drum / mbrane que sur les canaux hybrides et le fm synth).
Une fois les automatismes en place et une compréhension assez large de la bête, vient le temps de l'amusement et celui de la créativité.

D’une manière générale, je pense que cette nouvelle itération Jomox est un monstre de versatilité : il est possible de travailler quasiment tous les styles de musique électronique / électro-acoustique.
En ce sens, il s’agit probablement de la meilleure drum machine élaborée par le constructeur.

Je dirais enfin qu'en dépit de son appellation "Analog Drum Synthesizer", la Jomox Alpha Base a tout d'une véritable groovebox hybride réunissant le meilleur des deux mondes : l'analogique et le digital.