« Un splendide couteau suisse »

Et encore un nouveau coup de maître niveau marketing de la part du vétéran Rupert Neve (c'est ironique, cela va sans dire) !

Résumons :
2 versions au moins du MBP semblent circuler, l'un noté 'master buss processor', l'autre 'stereo buss processor', mais impossible de savoir s'il y a une différence entre les deux. Le modèle existe en blanc ou en noir, la version noire est plus récente que la blanche mais là encore, impossible de savoir si elles sont techniquement identiques. Le nom 'Portico II' pourrait laisser supposer qu'il y a un Portico I, mais en fait (sauf erreur de ma part), non.
Cosmétiquement, malgré le nombre important de potards et de diodes de différentes couleurs, on est dans la discrétion, voire l'austérité. Pour le dire autrement, il ne paye pas de mine et on peut facilement passer à côté sans le remarquer. Si on ajoute le fait que ce n'est pas le compresseur dont on parle le plus dans les forums (doux pléonasme !), qu'on trouve assez peu de tests dans les revues pro et que ce n'est pas non plus la 1ère machine qu'on trouve en studio, le père Rupert aurait voulu que son MBP ne se vende pas qu'il ne s'y serait pas pris autrement ! Pas de doute, du grand art...

Tout ça pour dire que, ironie (facile) mise à part, la version dont je vais parler là est la version noire estampillée 'master buss processor'.
(j'ai eu l’occasion de tester la version blanche, elle m'a paru identique, mais comme je ne l'ai pas testé à côté du mien ni dans les mêmes conditions, cette opinion est à prendre avec des pincettes. Ce qui est sur, c'est que si différence il y a (ce qui est loin d'être certain), elle n'est pas flagrante)

Le MPB est un compresseur VCA parmi les plus complets du marché. Rien d'ésotérique ni d'obscur, mais il regroupe à peu près tout ce qu'on rêve de trouver sur un compresseur. Sur chaque canal, on trouve donc (accrochez-vous !) :
. Réglages classiques des ratio, treshold, attack, release
. mode FF ou FB au choix (splendides l'un comme l'autre, à choisir en fonction des utilisations)
. mode RMS ou Peak (qui tous deux fonctionnent magnifiquement et apportent des couleurs différentes)
. choix du circuit de sidechain interne fixe (dommage) ou externe (parfaitement pensé)
. un limiteur basique mais à la couleur intéressante : si ce n'est pas un brickwall radical, il reste parfaitement efficace et peut amener une belle densité.
. Un circuit de 'texture' avec réglage des harmoniques paires et impaires qui amèneront au choix une belle chaleur dans les graves ou un soyeux dans les aigus
. Un potard de blend pour doser son traité / son dry (mais pourquoi donc tous les fabricants n'en mettent-ils pas !)
. un circuit de mid-side très complet avant ou après compression (selon que l'on est en FF ou FB) avec réglage du volume indépendant du mid et des sides + un petit égaliseur rudimentaire (une fréquence à choisir parmi 4 en mode 'on/off') mais redoutable

Très impressionnant donc ! Ce qui a pu faire dire à certains qu'on avait affaire à un véritable couteau suisse. Ce qui n'est pas faux mais réducteur : souvent, quand on a en tête le terme de 'couteau suisse', on pense à un outil sans grande personnalité. Là, ce n'est pas du tout le cas, le MBP a juste une palette de possibilités assez impressionnante : il peut se faire discret (mais en apportant un je-ne-sais-quoi toujours classe) ou au contraire affirmer son caractère bien trempé. Pas de doute, c'est du Neve ! C'est ample, profond, nerveux mais sans excès, solide, des basse fermes, des aigus soyeux, une splendide image 3D. On est quelque part entre l'ultra caractériel des vieux Neve (mais le MBP est nettement moins typé) et la 'fermeté' des Focusrite Red (sans la froideur) (bon, faut dire que pour ma part, Focusrite, je n'ai jamais vraiment accroché). Bref, c'est utilisable partout, tout le temps, en mastering mais aussi en mix, et c'est toujours très beau.

Le revers de la médaille est une prise en main pas évidente vu le nombre de possibilités et le caractère versatile de la bestiole (la taille et le nombre des potards sur une relativement petite surface n'aidant pas). C'est très trompeur : si on va trop vite, on essaye, on se dit 'bof' et on est tenté de passer à un autre compresseur. Il faut faire tout le contraire : y passer du temps, ne pas hésiter à lui rentrer dedans, ou au contraire faire preuve d'une pudeur de violette, ajouter de la texture ici, en mettre là, ou pas du tout, ou utiliser le limiteur, ou pas, et au bout d'un moment, on arrive à un résultat toujours classe. De tous mes compresseurs, c'est sans doute celui qui réclame le plus d'apprentissage (à égalité avec le germanium compressor de Chandler et le GML, pour des raisons différentes), mais une fois qu'on le connaît bien, c'est un vrai bonheur. C'est bien simple, il ne déçoit jamais.

Pour rester dans le domaine du mastering (et parler des machines que je connais bien), un Shadow Hills sera plus nerveux et impitoyable, un Zeener (Chandler) plus typé (mais quand ça marche, que c'est beau !), un GML plus ostensible, un Manley glue davantage, un FCS aura une 'assise' différente (et inimitable, mais qui ne fonctionne pas partout), tous ces compresseurs pourront aller 'plus loin' que le MBP dans leurs caractères respectifs, mais aucun n'aura la versatilité du MBP. C'est le compresseur que je n'ai jamais réussi à prendre en défaut quelque soit le genre pratiqué. Par ailleurs, sa fermeté et ce son 'typé Neve mais pas trop' ajoute toujours un 'petit plus' que les autres n'ont pas. Depuis que je l'ai, il est sur les 3/4 de mes masterings et je n'hésite pas à l'ajouter en fin de chaîne, derrière un manley ou un shadow hills, ne serait-ce que pour apporter ce trois-fois-rien de très classe absolument inimitable (et parfois, je n'utilise que lui).

Une machine très impressionnante donc, très bien conçue, presque 'universelle', d'une 'neutralité très classe pas totalement neutre' qui sait faire preuve de caractère si besoin. Si certains compresseurs peuvent faire mieux et plus typés dans certains contextes, aucun n'a sa polyvalence (GML excepté, dans un autre genre) ni sa classe, discrète en toute occasion.
Le revers de la médaille : ce n'est pas une machine simple à prendre en main, elle se mérite.