A l'occasion de la sortie du CD/DVD "satine ünder philharmonëën", le groupe revient l'un des plus incroyables tours de force qu'on ai jamais vu dans le monde de l'autoprod : donner un concert avec un orchestre philhamonique et en tirer un CD et un DVD, sur la seule énergie du bénévolat.
Du bénévolat de pro
Après nous avoir détaillé la genèse de son projet, Satine revient sur le rapport à l’orchestre, le concert même et la réalisation du DVD 'satine ünder philharmonëën’.
AF : Vous avez évidemment voulu enregistrer et filmer ce magnifique moment?
Aliosha : Sa manière habituelle de bosser, c’est soit en solo, soit avec 2–3 caméras. Il aime bien le côté un peu…
Nicolas : brut !
Aliosha : voilà. Et quand on lui a parlé de notre projet, Il a lui-même changé de perspective et il a dit « bon, votre projet me donne des ailes. Vous avez tellement bossé dessus que j’ai envie de m’y mettre ». Il avait tout de même réalisé une captation d’Arcade Fire… Ce n’est pas rien. Au départ, il est parti sur quoi ? 20 caméras, c’est ça ?
Aliosha : …il a fait la même chose de son côté, quoi.
AF : L’ambition du projet l’a poussé à faire quelque chose de plus ambitieux.
Nicolas : …de Radio-France et tout ça. On a eu plein de retours du style « si je peux vous donner un coup de main ». A la fin, on en avait trop ! C’était hyper agréable. Pour finir on avait cinq techniciens… qui ont aussi prêté des micros. D’ailleurs, on appelait tout le monde « t’as pas un micro ? »
Aliosha : On était partis pour louer du matériel et finalement, on n’a rien loué.
Nicolas : C’était énorme !
AF : Puisqu’on parle de location, tout s’est fait à partir de bénévolat. Mais ça a quand même un coût, tout ça…
Aliosha : Parce qu’il fallait absolument leur montrer dans quelle démarche on était. Qu’ils ne se disent pas « 'ils vont nous exploiter ». Donc on dresse notre buffet…. Et la première réaction, c’était « on n’a jamais été reçus comme ça ! Nous généralement, c’est deux petits gâteaux ». Mais on est comme ça. Tu ne peux pas demander éternellement des choses aux gens si toi même tu ne donnes pas, si tu n’as pas le cœur pour le faire.
Nicolas : il y en avait qui se retrouvaient, des petits groupes. C’était trop bon. Tu vois, j’en ai encore des frissons.
Aliosha : Et là, quand ça a commencé à jouer, ça a été l’apothéose…
Nicolas : Oui, on a tous craqué : on n’en pouvait plus. Les larmes aux yeux. C’était hallucinant. Les morceaux qu’on écoutait en virtuel depuis des mois, ils posent les partitions et paf ! Ça remplit l’espace… [rires]
Aliosha : Et puis tous ces gens que tu ne connais pas et qui sont là pour toi, tu te dis « Mais c’est énorme ! »
Nicolas : Oui, ils ne se connaissaient pas forcément tous et c’est la magie des partitions du classique : tout le monde joue ensemble. Là on prenait vraiment en pleine gueule le lancement du truc. On ne maîtrisait plus. C’était lancé !
Aliosha : Nous avions quarante musiciens qui jouaient notre musique… Il n’y a eu que quatre répets, mais comme ils sont pro…
AF : J’ai remarqué la qualité de l’orchestre. J’ai aussi remarqué l’ambiance qu’il y avait dans les coulisses : à la fois conviviale et festive tout en restant dans une rigueur professionnelle.
Nicolas : Didi, c’était Adrien Hypolithe qui nous a énormément épaulé. C’est un mec qui travaille au CNSM et à l’OpéraBastille, un régisseur habitué des concerts classiques. Encore un ami d’ami…
Tout s’est passé comme ça. Deux jours avant le concert, on n’avait pas de timbale ! Le chef d’orchestre me dit : « Ecoute, moi j’ai un plan, mais faut aller à Seaux, c’est le bordel, c’est à 50 bornes. Appelle le conservatoire du Xème, on ne sait jamais ». J’appelle le conservatoire et ils nous les ont prêtées. On est arrivé avec le camion, on a pris deux timbales, on a joué et on les a rendues le lendemain… Un truc de fou ! Et c’est trop bon de se dire qu’aujourd’hui, tu peux encore croire à ça. T’as le côté industrie musicale complètement pourri qu’on connaît aussi. On a fait des tremplins, des trucs où tout était magouille, et puis t’as l’autre versant où c’est vachement fluide, où les gens sont super heureux de travailler ensemble… Du coup, plus on vit ça, plus on envie d’envoyer balader le reste.
AF : Je n’ai pas non plus senti énormément de stress.
Nicolas : il n’y avait aucun stress. On avait eu un an de stress et là, on ne pouvait plus reculer, alors…
Aliosha : Et puis tu vois les techniciens, sur scène, la façon dont ils parlent, dont ils branchent un truc : tu vois à qui tu as affaire et qu’ils gèrent parfaitement leur truc.
Aliosha : Ils n’ont pas l’habitude. Et ils ont pensé un moment « mais il y déjà des gens sur scène ? ». Mais non, c’était pour eux !
Nicolas : On les sentait super heureux. Quand ils sont rentrés sur scène, ils ont eu une méga ovation…
Aliosha : Normalement, t’applaudis le chef d’orchestre. Et puis le premier violon… Mais là, c’était eux… Les gens étaient aussi venus voir l’orchestre. Et c’est ce qui leur a beaucoup plu. Même pour la suite, ce qui les motive à revenir.
AF : Et on n’a pas vu tout le cirque du classique, le salut du chef au premier violon, etc.
– Oui, c’est ça
– Donc c’est mesure combien ? 124 ? OK."
On n’avait pas du tout le même langage. C’était rigolo.
AF : Beaucoup ?
Aliosha : Et puis on a les retours des musiciens. Nous, déjà, on leur a témoigné individuellement toute notre gratitude, mais il y a leurs retours et on commence à mesurer que ça a été pour eux une super expérience et qu’ils sont tous au taquet pour repartir.
AF : Vous avez tous envie de le refaire ?
Nicolas : Au bout d’un moment, faire les choses bénévolement et devoir continuer à bosser à côté, ça va toutefois être un peu lourd. Donc, il va falloir professionnaliser tout ça, en espérant le faire avec les mêmes personnes, mais en les payant. Ce n’est pas simple. On s’est amusés à calculer ce que ça aurait donné si on avait eu une boîte de prod pour tout payer et je crois que l’addition serait monté jusqu’à 30 000 € ou quelque chose comme ça.
Aliosha : Même dans un label, les mecs ne suivent pas. Tu leur dis que tu veux faire un tel projet et les mecs te disent : « oui, mais on n’a pas d’argent ».
AF : Pouvoir réussir un tel projet, c’est donc la force de l’autoprod ?
Nicolas : je crois, oui. Et du coup, on aimerait bien pouvoir garder cette liberté.
AF : Ce n’est pas la même chose pour les bénévoles de venir participer à un truc comme ça avec un groupe en autoprod ou de venir travailler bénévolement pour un groupe signé, commercialisé.
Nicolas : C’est pour ça qu’on aimerait bien garder cette liberté, notre production, mais en même temps avoir une super licence…
AF : Est-ce que la solution ne serait pas de monter votre propre label ?
En tout cas, on ne tient pas forcément à rester en autoprod. On essaye de rester le plus autonomes possible, en attendant plutôt qu’on vienne nous chercher. Mais ne croyez pas que ce soit volontaire : s’il y a des groupes qui ont une telle démarche, qui ne veulent pas de label, ce n’est pas notre cas du tout. S’il y a une grosse boîte qui s’intéresse à nous…
Aliosha : Tu as dit « grosse », quand même! [rires]
Le DVD est là !
Seconde interview réalisée le 24/03/2010
AF : Le DVD sort ces jours-ci, un an après la date initialement prévue. Pourquoi un délai aussi long ?
AF : Comment avez-vous géré les différentes qualités d’images ?
AF : Quelles sont les principales difficultés rencontrées ?
AF : Quel a été le budget de production ?
AF : Pour le pressage, trouver un prestataire a-t-il été difficile ?
AF : Que pensez-vous des droits SDRM en autoproduction ?
Nicolas : Ça fait un peu mal au cœur, mais on est censé récupérer 80% de ce qu’on a versé. Et comme c’est un coffret, on a dû payer double.
AF : Avec l’expérience, que feriez-vous autrement ?
Nicolas : Le système de diffusion dans la salle aussi. Comme c’était une salle à balcons, un théâtre à l’italienne, il aurait fallu un Line Array pour arroser convenablement l’espace. Mais ça ne s’entend pas sur le DVD, on a bien le son qu’on avait en tête. Beaucoup de gens qui étaient au concert vont redécouvrir l’écriture des morceaux d’orchestre qu’ils n’ont pas forcément bien entendu lors du concert.
Aliosha : Ce qui nous chagrine un peu, c’est qu’on aboutit à un projet, puis à un produit qui, si tout le monde avait été payé, aurait coûté 70 à 80 000 euros. On aurait aimé que certains organismes ou labels sachent l’exploiter, par une licence, une distrib. C’est un peu… pas rageant, mais un peu attristant. Ça peut venir de la période difficile ou de la timidité des labels, ou encore du style de musique sur lequel on est un peu frileux en France : ça se serait peut-être mieux passé ailleurs.
Conclusion
Le concert était un très beau moment. Le DVD, outre le plaisir qu’on retire de sa vision, reste le témoignage qu’il est possible de réaliser de superbes choses en autoproduction. On voit aussi que si beaucoup y voient un business, une fabrication de produits destinés à remplir les linéaires de supermarchés et les sites de sonneries pour portables, la musique reste heureusement une affaire de passion, de rencontres et de partage.
Il n’était pas possible de tout garder dans cette (déjà longue) interview. Je veux donc souligner que j’ai eu tant au cours du reportage au soir du concert que lors des contacts avec les membres de Satine un fort aperçu de la chaleur et de l’humanité qui ont gouverné cette aventure.
Crédits :
Making of, réalisation Christelle Arrivé / Stufftrack.org
Photographies : Clara Dieber, Adrien Hippolyte, Jean Rauzier, Gregory Roussel, Fred Toulet, Will Zégal
Toutes photos copyright de leurs auteurs respectifs sauf Will Zégal : Créative Commons usage non commercial
Le DVD qu’il est bien Le groupe ne nous a rien demandé en terme de promotion, mais vu que le DVD/CD est un bel objet, comme dirait Pierre Bellemare, qu’on y sent bien le collectif, comme dirait Aimé Jacquet, et que la musique qu’il renferme figure sans problème dans le haut du panier de la production hexagonale, ce serait vraiment stupide de ne pas vous le recommander chaudement. A 18 €, la chose a en outre le bon goût d’être très accessible. Si vous ne l’achetez pas pour le groupe, achetez-le pour la cause autoprod : avec un peu de chance, ils auront peut-être à en represser quelques exemplaires. C’est tout le mal qu’on leur souhaite. Chapeau bas en tous cas… Los Teignos
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