William Z. Villain, si vous n'avez pas encore entendu parler de lui, cela ne saurait tarder tant ce jeune homme est talentueux. Avec sa musique indescriptible, son énergie communicative et son humour si particulier, cet artiste protéiforme est tout bonnement l'un des musiciens les plus grisants de cette fin de décennie.
Stonedigger, son deuxième album, vient à peine de sortir et les critiques élogieuses pleuvent déjà. J’ai eu la chance de pouvoir l’interviewer en avril dernier alors qu’il donnait un concert entre deux séances d’enregistrement. Nous avons discuté pendant plus d’une heure de sa façon de créer, de son setup live minimaliste et du pouvoir libérateur des limites. Voici un petit extrait de cette rencontre entre musique et philosophie…
Nantho : Bonjour William, la première question que je souhaite te poser me brûle les lèvres depuis un bon moment : quand sortira-tu Cliff ? C’est avec une vidéo live de cette chanson que j’ai eu le plaisir de te découvrir il y a trois ans de ça et lorsque ton premier album est sorti, j’étais un peu frustré de ne pas la trouver dans la tracklist…
William : [rires] J’ai essayé de l’enregistrer pour le premier album mais le résultat ne me convenait pas donc je l’ai laissée de côté à l’époque. Je pense qu’elle sera sur le deuxième album [N.D.A. – C’est effectivement le cas !] qui sortira en octobre prochain.
Nantho : Tu enregistres donc actuellement ton deuxième album. Où enregistres-tu ?
William : Oui, on a presque fini. J’ai commencé par travailler sur les démos chez moi dans le Wisconsin. Cela nous a servi de base pour réenregistrer avec Jean-Pierre Maillard dans son studio à Grenoble. Jean-Pierre est également mon ingénieur du son pour la scène. Il a du meilleur matériel que moi et quelques instruments sympas comme une American Jazz Bass que j’ai beaucoup utilisée. C’est vraiment cool, ça va sonner !
Nantho : Pourrais-tu nous parler de ton processus de création et de ta façon d’aborder le travail d’enregistrement ?
William : J’aime faire les choses vite. C’est en utilisant des loopers que je m’en suis rendu compte. À l’époque de la vidéo dont tu parlais tout à l’heure, j’utilisais la Line 6 DL4 qui n’a qu’une boucle avec overdub illimité. Quand tu utilises ça en concert, tu dois aller vite car sinon l’énergie retombe pour le public comme pour toi. En studio avec Jean-Pierre, j’aime faire pareil. Par exemple lorsque j’enregistre la voix principale et qu’il y a des harmonies vocales, j’enchaîne directement pour rester dans l’instant. Bref, pour ma façon d’écrire et de créer, plus le matériel mis en oeuvre est simple, mieux c’est. Typiquement quand j’enregistre, je branche un seul micro, un électrostatique à large diaphragme, et je fais tout avec ça. Souvent les gens préfèrent tel ou tel micro pour tel ou tel instrument mais personnellement, je n’ai pas envie de me triturer le cerveau et de perdre mon énergie là-dessus quand je passe de la guitare à la basse ou au chant, etc.
Nantho : Cette recherche d’immédiateté se retrouve dans ton setup live…
William : Tout à fait. J’utilise en ce moment un looper Digitech JamMan Stereo. L’avantage, c’est qu’il a des mémoires et permet de passer de l’une à l’autre, du coup, je peux changer de boucle à la volée pour changer de signature rythmique et/ou de style en plein milieu d’un morceau. Sur le canal gauche, je fais uniquement les boucles de cajón pour que l’ingé-son ait cette piste seule et puisse bien faire claquer le son. Les autres boucles (voix, guitare, percussions additionnelles, synthé basse) passent par une petite table de mixage quatre pistes avant d’attaquer le canal droit du looper, je peux ainsi égaliser et gérer les niveaux en amont. Comme tu peux le constater, mon pedalboard est hyper simple en fait : la table de mixage quatre pistes, le looper et une DI Fire Eye Red Eye. Ce boitier de direct est fabriqué à la main par un gars à Austin dans le Texas, c’est vraiment de la très bonne qualité. Il y a un boost, un contrôle des aigus et ça me permet de splitter le signal de la guitare pour l’envoyer vers ma table quatre pistes ainsi que vers la console de sonorisation. J’ai aussi un splitter X/Y pour le micro chant qui me permet de faire la même chose, le signal vers mon tandem table quatre pistes / looper et vers la sono. Avec tout ça, mon set ne prend que quatre pistes sur la console de sonorisation : voix principale, guitare, boucle gauche (cajón) et boucle droite (le reste).
Nantho : La création de ton premier album fut également très minimaliste il me semble…
William : Oui, pas vraiment Hi-Fi en effet [rires]. Tout a été fait en mono avec un looper pour finir sur un enregistreur à cassette, d’où le son un peu « crade ». J’ai ensuite rajouté des sons d’ambiance comme le chant de criquets dans le fond. Je pense que c’est cet aspect rugueux qui a plu.
Nantho : Ça me rappelle le premier EP d’Ed Harcourt qui est pour moi un véritable petit bijou ! Malheureusement, l’album suivant réalisé en studio n’a pas le même charme… [N.D.A. – voir cet article du guide de l’enregistrement]
William : J’ai parfois peur que cela fasse ça pour mon deuxième album… Quand tu es un adepte du DIY comme moi, passer en studio est un peu inquiétant. Mais tout se passe bien et avec Jean-Pierre on est sur la même longueur d’onde donc il n’y a pas de raison !
Nantho : Tu as fait le premier album entièrement seul ?
William : Oui, il y a juste eu un remastering avant la sortie en Europe. D’ailleurs quand il a reçu l’album, l’ingénieur de mastering a dit un truc du genre « What the F*ck ?! » [rires] Sur Her song par exemple, tu peux entendre que je suis rentré trop fort dans la bande, la grosse caisse est complètement saturée !
Nantho : Ça fait partie de la magie du son. C’est « sale » mais ça participe au côté authentique.
William : J’adore ça ! Les gens voient souvent le son des cassettes comme Lo-Fi, sale, vieux, etc. Pour moi, c’est plus comme de la sérigraphie. C’est le genre de truc qui te limite mais ça peut être génial. Je trouve que le travail en studio se rapproche de l’impression numérique alors que la cassette correspond à la sérigraphie. Ça n’a pas le même charme. Toutes les imperfections de ce procédé participent à la magie. Malheureusement, la majorité des titres diffusés en radio actuellement manquent de ça je trouve. Tout est souvent trop lisse, c’est dommage.
Nantho : Pour conserver ce charme sur le nouvel album, comment vous y prenez-vous ?
William : Jean-Pierre a un vieux huit pistes Tascam à bande 1/2 pouce, nous nous en servons beaucoup. De plus, je fais beaucoup de prises consécutives sans chercher la perfection. En les superposant, cela crée un groove un peu magique car toutes les prises ne sont pas imparfaites de la même façon. Parfois le rendu est horrible, mais c’est quand même souvent vraiment cool. J’enregistre aussi certaines chansons comme sur le premier album en looping direct. D’autres titres sont en revanche enregistrés plus « proprement » en pistes séparées. Ça coïncide avec l’envie que j’ai de tourner à terme avec un groupe car le looping guitare/basse/percu/voix ça fait beaucoup à gérer seul sur scène. Je rêve d’un groupe pour avoir plus d’espace pour l’interaction avec le public. Pour cet album, j’ai écrit beaucoup plus de morceaux qu’il ne peut en contenir, on verra bien avec quoi on finit ! [rires]
Nantho : Nicolas (N.D.A. – Nicolas Miliani, directeur de son label m’a dit que tu n’assisteras pas au mixage de l’album.
William : Effectivement, je ne pense pas rester pour le mixage. Je pourrais, mais le mois de mai est vraiment superbe chez moi dans le Wisconsin. J’aime la France mais j’ai aussi envie d’être un peu chez moi. Et puis on communiquera via le net, je pourrai tout de même suivre tout ça attentivement, même de loin.
Nantho : Ça peut être effrayant de laisser son bébé entre d’autres mains, tu n’as pas l’air de trop t’inquiéter pourtant, non ?
William : Jean-Pierre, c’est mon pote ! Ce n’est pas non plus comme si je lâchais l’affaire à n’importe qui. J’ai entièrement confiance en lui. Tailler la route ensemble pour les tournées, ça crée des liens forts. Nicolas aussi est un pote, il n’y a donc vraiment aucun souci, j’ai totalement confiance en eux pour faire ça bien.
Nantho : Je passe du phoque à l’âne mais j’ai vu qu’en 2017 tu t’étais blessé à la main droite alors que tu entamais une tournée… Ça n’a pas été trop rude pour assurer les concerts ?
William : C’était trois jours avant la tournée de mai l’an dernier. C’était la première grosse tournée que je faisais de ma vie, donc ma première véritable opportunité, et ma main était cassée à deux endroits… Impossible de jouer de la guitare. Alors j’ai acheté un petit clavier Yamaha avec un son de Wurlitzer convenable et j’ai retravaillé les arrangements pour que ça passe. Le clavier avait de petite touches, ce qui me permettait d’atteindre plus d’une octave avec ma main valide afin de jouer des accords enrichis. Avec la pédale de sustain et le looper, je pouvais faire déjà beaucoup de choses. Ça n’était bien sûr pas évident mais il était hors de question d’annuler pour moi. Et puis quelque part, j’adore les limitations, d’où le looper et mes instruments bizarres, donc en fait c’était vraiment intéressant de retravailler le set ainsi. Je vois les choses comme ça dans la vie, les problèmes ne sont qu’une question de perception des choses. C’est toi qui choisis si une limitation est un problème ou si c’est une opportunité d’être créatif. Si tu penses à ça comme étant un problème, ça le sera forcément car ta perception de la réalité fera en sorte de trouver des justifications pour que la situation reste un problème. Mais si tu utilises ton énergie pour transformer ça en possibilités, tu vois très vite que tu peux faire comme ci ou comme ça. Là pour moi, cette histoire de main cassée m’a poussé à faire des boucles de clavier et de percussion et je pouvais ensuite me lever pour aller vers le public, chose que je ne faisais pas avec la guitare. Ça m’a même fait écrire de nouvelles chansons car j’en avais besoin pour compléter mon set sur la tournée. Il n’y a vraiment pas de quoi se plaindre ! [rires]
Nantho : Je suis également assez fan des contraintes et je trouve dommage que des gens s’empêchent de faire des choses parce qu’on leur rabâche qu’il faut telle ou telle machine pour travailler…
William : Exactement ! Raisonner en se disant « quelle machine dois-je acheter ? » est contreproductif au possible. On te dit partout que tu dois avoir ça pour avoir le son qui tue et c’est vrai que les gros studios ont du Neumann, du Neve et tout le tralala, mais tu peux aller dans le meilleur studio du monde et ne pas avoir d’inspiration… La matériel ne changera rien à cela. Personnellement, je suis souvent plus inspiré quand je suis simplement assis avec juste une application d’enregistrement basique sur mon téléphone portable. J’encourage les gens à ne pas penser aux problèmes mais plutôt aux possibilités. Tout est musique ! Tu peux jouer de la musique en tapant simplement sur une table ou quoi que ce soit. Et cette façon de penser peut s’appliquer à tout dans la vie je pense.
Nantho : Une excellente preuve que le matériel ne fait pas tout, c’est l’album Nebraska de Bruce Springsteen.
William : Très bon exemple ! Il me semble qu’il n’avait qu’un PortaStudio, les premiers du genre, et ça l’a fait. Ils ont essayé de réenregistrer en studio mais la magie n’y était pas donc au final, ils ont gardé les enregistrements de base. Bien sûr, ils ont certainement dû repasser les pistes après coup au travers d’une console Neve ou un truc du genre, mais la source reste des enregistrements provenant d’un PortaStudio !
Nantho : De nos jours, avec les logiciels que nous avons, le nombre de pistes infini, les plug-ins, etc. il y a beaucoup trop de possibilités. D’un côté, c’est fantastique d’avoir accès à tout cela mais d’un autre, ça donne le vertige et ça peut paralyser…
William : Psychologiquement parlant, nous ne sommes pas faits pour gérer ça sereinement. J’ai lu une étude qui montrait ça justement. On présentait à un groupe de personnes un menu avec énormément de choix alors que pour un autre groupe, il n’y avait que trois choix. Eh bien, les personnes du deuxième groupe étaient beaucoup plus satisfaites de leur choix que celles du premier groupe, c’est vraiment édifiant. Pourquoi s’en faire pour le matériel ? Autant enregistrer là où on se sent à l’aise. De nos jours, les micros embarqués dans les téléphones portables sont d’une excellente qualité alors pourquoi ne pas se servir de ce que l’on a tous dans notre poche ?
Nantho : Il se trouve que je travaille actuellement sur mon propre album. Lors d’une répétition, j’ai enregistré le batteur avec mon iPhone 4S pour garder une trace de la rythmique sur laquelle on bossait… En rentrant chez moi et en écoutant ça sur mes enceintes, j’ai été surpris de la qualité de la prise ! Bien sûr, c’est du mono et la « propreté » n’est pas exemplaire mais je n’avais au final besoin de rien de plus et c’est cet enregistrement qui va se retrouver sur l’album. Si nous avions fait ça en studio avec une ribambelle de micros, j’aurais certainement dû dépenser beaucoup d’énergie pour revenir à ce résultat. Parfois, on perd un temps fou et une énergie considérable à se poser des questions technico-techniques alors que ça peut être simple.
William : Tout à fait ! Il y a une technique d’enregistrement de batterie qui se résume à utiliser un seul micro au-dessus de la grosse caisse en pointant la capsule vers la caisse claire. Nous avons fait ça avec Jean-Pierre et j’adore le rendu sonore. Comme je te le disais tout à l’heure, j’aime avoir un seul micro patché. Là, pour les percussions, j’avais un micro et j’ai enchaîné cajón, bongo, etc. Je n’aime pas devoir penser au matériel, ça m’ennuie vite. J’ai peut-être un problème de trouble de l’attention. [rires] En plus, avec plein de micros de partout, le batteur peut jouer de façon moins décontractée aussi je pense, ça peut s’entendre dans le jeu et c’est beaucoup plus grave à mes yeux qu’un son soi-disant de moins bonne qualité. Il me semble que le confort de travail prime, peu importe le matériel. Que ce soit un ordinateur portable, un enregistreur à bande ou Abbey Road, si je ne me sens pas en confiance, véritablement serein, il n’y aura pas de magie…
Pour le premier album, j’ai enregistré car j’allais au mariage de mon frère et j’en avais profité pour caler cinq concerts sur le chemin. Je voulais absolument pouvoir vendre des cassettes à ces concerts et j’ai donc fait tout ça. Si j’avais su que ça finirait un jour sur un vinyle, je n’aurais sans doute jamais enregistré comme je l’ai fait et il n’y aurait donc rien eu au final. Là, je n’avais pas de stress, j’étais juste dans une optique d’efficacité pour accomplir un but précis.
Chez moi, dans mon home studio, j’essaye d’avoir tout à portée de main. J’ai un micro et une DI et comme ça je peux enchainer rapidement, une ligne de basse : boum ! Une guitare, une percu, une voix, idem. En procédant ainsi, je reste cool et concentré sur ma musique. Je m’amuse ! C’est important de s’amuser parce qu’après tout, tu joues de la musique.
Quand tu es dans un studio qui te coûte de l’argent toutes les heures, c’est dur de faire ça. Quand tu vas aux toilettes, ça te coûte 3$ ! [rires] On a tant d’exemples de gars qui ont enregistré avec trois fois rien et la magie a opéré. C’est sur ça que nous devrions tous nous concentrer à mon avis. Sur la toile, tu vois des fils de discussion interminables qui parlent de matériel : quoi utiliser comme bidule pour faire tel truc, quel câble XLR, etc. Les gens sont coincés dans ce genre de chose et c’est dommage. Je ne jette la pierre à personne, je suis là-dedans aussi parfois. Je viens d’ailleurs de passer trois heures sur le web à la recherche d’un synthé… [rires]
Nantho : Je suis carrément un geek de l’audio aussi, pas étonnant que je travaille pour Audiofanzine ! [rires] Quand j’étais plus jeune, je croyais dur comme fer que j’avais besoin de ci ou de ça pour arriver à « créer correctement », mais la vie m’a heureusement appris avec le temps que je pouvais faire beaucoup de choses sans tout avoir. Peut-être qu’un jour j’aurai accès à tout ce matériel de rêve et ce sera chouette, mais en attendant je vais jouer de la musique parce qu’avant tout je suis musicien !
William : Carrément ! S’il y a des gens qui nous lisent et qui pensent qu’il leur manque tel ou tel truc pour avancer, je les encourage à réfléchir plutôt à ce qu’ils peuvent faire dès à présent avec ce qu’ils ont déjà sous les doigts. Je suis sûr qu’ils seront agréablement surpris de tout ce qu’ils peuvent faire là maintenant, tout de suite !
Je tiens à remercier chaleureusement William Z. Villain pour avoir pris le temps de répondre à mes quelques questions avec autant de sincérité et d’enthousiasme. Si ce n’est déjà fait, je vous invite à découvrir sa musique de toute urgence. Cerise sur le gâteau, Monsieur Villain est actuellement en concert un peu partout en France et croyez-moi sur parole, le voir sur scène est une expérience que vous n’oublierez jamais !