Imaginez une ville paumée au centre de la Bretagne. Juste à côté, un immense champ au milieu duquel une demi-douzaine de Bretons qui, respectant la réputation solidement ancrée de cette peuplade fière et rugueuse, ont largement célébré les odes aux dieux Bacchus et Pan.
Et là, au milieu de ce gigantesque champ, histoire d’en sortir une bien bonne, l’un d’entre eux dit tout à coup « c’est pas mal ici. Et si on faisait un festival ? » Et voilà, trente ans plus tard, ça fait près de 60 000 personnes ! J’espère que Djamel Debouze ne m’en voudra pas d’avoir peu pompé sur son impro réalisée sur la grande scène des Vieilles Charrues il y a deux ans pour mon introduction à la découverte de ce festival désormais mythique. Ce pompage me permet de lui laisser la responsabilité de ses propos quant à l’éventuel état éthylique des fondateurs ! Comment être parvenu à faire, dans ce qui est tout de même un trou paumé, un des plus grands festivals d’Europe avec quatre scènes, une affiche diversifiée et la réputation d’une ambiance hors du commun?
Nous sommes allés derrière les barrières, voir ce qui s’y passe et comment tout ça fonctionne. L’occasion de découvrir que le sens de la fête et du partage qui domine ce festival n’est vraiment pas un hasard.
Nous commençons cette série d’articles avec Jacques Simon, le régisseur général du site qui nous parle de toute son organisation et évoque au passage son approche d’ingé son retour spécialisé in-ears.
Un site, des scènes
Scène 1 vue de la scène 2 |
AF : Merci de nous consacrer de ton temps. Peux-tu nous présenter ton travail ?
J : Je m’occupe de toutes les infrastructures, sauf ce qui concerne l’artistique (scènes, son, lumières) qui sont de la responsabilité de Jacquito. Je gère toute l’implantation du site et des extérieurs y compris parkings et campings.
AF : L’occupation du site reste sensiblement la même d’une année sur l’autre ?
J : Globalement, oui. On essaye d’apporter des améliorations en terme de fluidité et de gestion des flux du public. On effectue des changements d’une année sur l’autre par rapport aux doléances des gens ou ce que nous repérons. Cette année, on a refondu les zones espace presse et espace partenaires. Les entrées ont également été un peu modifiées. Mais comme tout découle des implantations scéniques, les grands axes restent identiques. Il faut savoir qu’on a une plateforme stabilisée et même bitumée pour la scène 1. Tout part de là, y compris les zones de bars, de restaux, les gradins…
AF : pour les autres scènes, c’est installé directement sur l’herbe ?
J : oui, mais le site est viabilisé en réseaux. Par exemple, le réseau d’eaux usées et d’eau potable couvre 90 % de la périphérie du site. Il manque 100 mètres pour que le site soit bouclé à 100%. On peut se permettre de poser des bungalows raccordables pratiquement n’importe où sur la périphérie du site. L’électricité et le téléphone sont également de plus en plus enterrés. Dès qu’on fait un trou, on en profite pour passer une gaine !
AF : À qui appartient le site ?
J : à la commune [NDLR : de Carhaix]. Sauf l’espace qu’on appelle La Garenne qui appartient à l’hôpital de Carhaix.
AF: Combien de personnes as-tu à gérer ?
J: mon équipe représente 150 personnes qui travaillent depuis un mois sur le site. La régie générale technique est divisée en plusieurs services. On a un service clôtures qui est le premier service à commencer sur le festival puisqu’on pose 28 kilomètres de barrières. Ils démarrent vers le 10–12 juin. Ensuite, j’ai un service électricité qui attaque pratiquement en même temps. En troisième vient le service bungalow vers le 15–17 juin. Évidemment, tout est planifié auparavant jusqu’aux spécificités des bungalows (nombre de fenêtres et leurs emplacements). Arrive ensuite le service plomberie qui est assez énorme à cause notamment du raccordement des eaux usées. Enfin démarre ce qu’on appelle la polyvalence. C’est la mise à disposition des autres services d’une masse de personnel manutentionnaire. Notamment pour la gestion et le dispatching du matériel, mais aussi tout ce qu’il y à faire sur le site et qui ne découle pas forcément d’un autre service. Enfin, petit à petit, on installe les parkings, les campings… L’installation va du 15 juin au 10 juillet.
Bénévoles et salariés
AF : Tous ces gens sont des bénévoles ?
J : je n’ai aucun bénévole dans les services techniques. C’est une volonté de ma part pour plusieurs raisons. D’abord, pour moi, un bénévole peut ne pas venir travailler s’il n’en a pas envie… Or on est sur des plannings super serrés. Par exemple, en terme de transport, on est à l’heure près. Si j’ai 50 bénévoles dans mon équipe et que 25 décident de ne pas venir un matin parce qu’ils auront fait la fête la veille… La notion de salarié implique une professionnalisation et donne une obligation de résultat ce qui permet de ne pas paralyser tous les autres services du festival. Ça crée une fiabilité dans la réponse et dans la réactivité aux demandes. Ça n’a rien de péjoratif pour les bénévoles, bien sûr. Mais c’est vrai qu’un bénévole peut se permettre de ne pas venir, on ne lui en tiendra pas rigueur. La démarche n’est pas la même pour un salarié.
AF : une question de management, aussi ? Tu ne peux pas demander la même chose à un bénévole qu’à un salarié?
J : oui. Il y a beaucoup de responsables dans mes équipes, parce que je ne peux évidemment pas être partout. Donc je prépare les dossiers en amont et je délègue. J’ai un assistant direct sur le site. Ensuite, j’ai un régisseur dédié à l’hygiène globale (WC, poubelles) qui a lui-même d’autres assistants. Une autre personne s’occupe de tout ce qui est roulant, du vélo au monte-charge télescopique en passant par tous les véhicules de transport, plus les talkies, une personne pour le matériel, une personne dédiée à l’humain…
AF: chacun est autonome ?
J : oui, c’est ce que je demande, sinon on ne s’en sortirait pas. Ce qui est important, aussi, c’est la connaissance sur site, parce qu’il est tellement vaste… J’essaye de travailler à la pérennisation des équipes, ce qui permet aux gens de connaître les lieux, de savoir tout de suite où aller. Et ça marche très bien comme ça.
AF : en terme de masse salariale, ça représente combien ?
J : je n’ai pas le chiffre en tête, mais c’est un bon 100 000 euros. De toute façon, la masse salariale est un des gros budgets du festival. Le premier, c’est l’artistique, ensuite la technique, après, la sécurité et les salaires. Bon, la sécurité, ce n’est que de la masse salariale.
Les WC à grand-mère
deux futs de bière se sont habilement dissimulés dans cette image. Sauras-tu les retrouver ? |
AF : Concernant le matériel, quelle part est la propriété du festival et quelle part est louée ?
J : Le festival est propriétaire de 90% de son matériel de cuisine. Tous les stands de cuisine, les caterings, etc., c’est quasiment de l’autonomie. Pour l’électricité, c’est à peu près 60 %. Par contre, on n’a pas tout ce qui est structures parce que c’est compliqué en gestion et puis il y a l’évolution des normes et le contrôle de conformité. Donc ça, on le loue. On possède aussi tout l’équipement des loges. Enfin, on a 100% des 28 km de barrières. Tous les comptoirs de bars aussi. Et puis des accessoires, de la logistique…
AF : pourquoi les cuisines ? C’est difficile à louer ?
J : Oui. C’est difficile de trouver une telle masse de matériel chez un loueur. C’est très cher. Et puis, on arrive généralement à trouver des coups… Par exemple, il y a eu des refontes de collectivités. C’est dommage, mais des écoles, des hôpitaux se retrouvaient alimentés par des cuisines centrales, donc revendaient du matériel. On a commencé à acheter des lots et de fil et en aiguille, on s’est dit que c’était beaucoup plus simple d’être propriétaire du tout. Le matériel de cuisine, c’est très volumineux. Donc les coûts de transport sont exorbitants. Et puis il n’y a pas de telles structures en Bretagne, donc il faut faire venir ça de très loin, avec des loueurs différents…
AF : En tant que festivalier et de l’avis de bien d’autres, vous faites un super boulot. Mais il y a toujours le point qui chagrine un peu, surtout les filles : ce sont les toilettes.
J : Et pourtant… On est le festival en Europe qui étale le plus de toilettes, proportionnellement. Il y a sur le site plus de quarante modules de WC sur 8 zones qui sont toutes raccordées au tout à l’égout. Ces bungalows raccordés sont d’ailleurs très durs à trouver et on en fait venir de partout. Le fait d’être raccordé au tout à l’égout est bien plus agréable que les WC chimiques. Les WC sont un sujet qui nous tient tous à coeur parce qu’on est bien conscients du besoin, mais actuellement, il est impossible de répondre à la demande de 45 ou 50000 personnes d’un coup. Je pense qu’on est déjà bien là-dessus, mains on n’arrivera jamais à contenter tout le monde. Aujourd’hui, on développe plus les toilettes sèches, ces WC à grand-mère auxquels on revient parce que ça fonctionne très bien. Il y a tout de même encore un peu de chimiques sur certains campings parce qu’ils sont impossibles à raccorder au réseau et qu’on a des difficultés à trouver le nombre de toilettes sèches suffisant. Il aussi 3 ou 4 WC chimiques sur le site : ce sont les toilettes handicapés. Tout simplement pour des histoires de calages, puisque le champ est en pente, ce qui pose des problèmes pour les rampes d’accès. Mais on y travaille pour l’an prochain. On va probablement décaisser des zones, les aplanir. Mais de toute façon, on ne pourra jamais couvrir la masse de festivaliers. Mon prochain projet pour l’année prochaine serait de faire des barrières urinoir, des barrières ERRAS équipées de plaques et de gouttières et disposées à des endroits stratégiques où les gars pourront aller contre une barrière et que ça aille au tout-à-l’égout.
AF : Ce qu’ils font déjà de toute façon
J : oui, mais ça va dans le champ alors que là, ça sera au tout-à-l’égout. On voulait monter ça cette année, mais ça n’a pas été possible, notamment parce qu’on a eu du monde qui s’est mobilisé pour l’hôpital de Carhaix. [NDLR : L’hôpital de la ville était menacé de fermeture, une catastrophe pour cette région enclavée avec le prochain hôpital à 45 min. Une lutte acharnée a permis de conserver l’hôpital et pas mal d’emplois. La bonne nouvelle est tombée peu avant le festival.
Des gars de chez eux
Installation sur la scène 1 |
AF : Pour en revenir au personnel. Le festival a une très forte implantation carhaisienne. Carhaix n’est pas juste le lieu où ça se passe.
J : tout à fait.
AF : quelle est la part de gens du coin que vous arrivez à embaucher ?
J : Cette année beaucoup plus, parce que par exemple, pour les manutentionnaires, on n’a pris que des jeunes carhaisiens qui cherchaient un travail d’été. Déjà, ça représente 55–60 % de cet effectif. Le reste des équipes, ce sont beaucoup des gens qui viennent d’un rayon d’une centaine de kilomètres. Dans mon équipe, en tout cas. Parce que dans celle de Jacquito [NDLR : le régisseur responsable de toute la partie artistique], les spécialisations sont telles qu’il faut aussi aller chercher plus loin. Mais d’une façon générale, on essaye de prendre les gens au plus proche pour les qualifiés et pour les non qualifiés, on prend au maximum en local. C’est bien plus simple, d’ailleurs, à plein de niveaux, comme l’hébergement. Et puis ça fait bosser les jeunes d’ici qui sont très impliqués. Ils sont contents parce qu’ils reçoivent un salaire plutôt pas mal.
AF: combien y a-t-il de permanents à l’année ?
J : Aucun ! Moi même je ne suis pas pas permanent à l’année. Je suis intermittent. Je suis né à Carhaix, mais j’ai choisi de faire une école de spectacle et j’ai fait beaucoup de tournées : Miossec, Louise Attaque, les Wampas, Matmatah… Je suis venu ici plusieurs fois avec les artistes. J’ai commencé à donner des coups de main à Jacquito qui s’occupait de tout auparavant et de fil en aiguille, avec un passage par des formations, on a créé ce poste.
AF : Tu es donc plutôt ingé son ?
J : Oui. Plutôt spécialisé retours en in-ears monitors
AF : Tu fais donc les retours sur Matmatah demain ?
J : Demain, oui, bien sur ! La dernière de Matmatah à Carhaix…
AF : Pourquoi la dernière ?
J : Ils se séparent. On a terminé la tournée au mois de décembre et ils veulent tous faire un peu autre chose. Ils voulaient faire une petite tournée d’adieu, 5–6 dates dans des endroits un peu stratégiques, où ils ont un peu grandi, dont Carhaix évidemment puisque c’est quand même leur premier gros spot. Je me voyais mal ne pas venir faire ça ici. Donc demain, je poserai mon talkie et toutes mes affaires pour prendre mes in-ears et faire du son. Ça sera bien, je pense. Et puis il y a une belle machine.
Les in-ears
AF : Peux-tu nous parler un peu des spécificités techniques du travail aux in-ears ?
J : Ce n’est pas tellement technique. C’est surtout une philosophie. Moi je viens du brutal, dans le son. Je serais plutôt Motorhead, comme garçon ! J’ai fait partie des gens qui mettaient très fort sur scène pour des groupes qui m’embauchaient pour ça. J’étais assez spécialisé pour faire déplacer des retours avec des coups de grosse caisse ! Mais à un moment, les années aidant… La technique, c’est bien, mais après il y a une philosophie qui est claire. La première chose, c’est la limite désormais de 105 dB. Cette loi qui nous tient est assez logique. Plus tu vas mette fort sur scène, plus l’ingé de face va mettre fort et la diffusion ne sera pas bonne. Il y a aussi la protection auditive du musicien et du public. La logique de ce dire 'le petit môme au premier rang qui se prend des trucs…" Avec des amplis à toc, le gamin, il a entendu une guitare tout le concert, mais il a pas entendu le reste… Et puis c’est un travail d’équipe avec le sondier de façade. La guerre au volume, à un moment, ça ne peut pas durer. Avec Matmatah, on s’est fait flasher à La Cigale à 125 dB au niveau de la console de face avec uniquement les retours allumés ! Maintenant, on peut aller en Suisse travailler à 93 dB sans que ça pose problème pour personne. Cette approche in-ears permet de non seulement de protéger le public, mais aussi de donner des sources assez propres. Et du coup, on peut retourner les amplis, faire des choix différents de micros, utiliser des statiques, affiner les sources. Peut-être que c’est frustrant pour les gens qui nous accueillent parce qu’on est dans notre monde, dans notre bulle, mais le musicien n’a plus d’acouphène quand il sort de scène. Il ne prend plus de choc auditif. Et puis il y a un travail de finesse, des vrais mix en stéréo où le musicien peut entendre toutes les subtilités comme un petit coup de ride ou de crash. C’est aussi forcément mieux pour le public… L’ingé de face ouvre tranquillement avec des bonnes sources. Il n’a plus tous les phénomènes de feedback, etc. Donc ma philosophie va vers ça. Le musicien est content : il a la source, il a le spectre, il a l’image sonore.
Aujourd’hui, le produit est bon : les casques offrent une superbe restitution. Nous on travaille comme beaucoup avec du Variphone. On utilise des casques en deux voies qui te donnent une restitution de spectre assez incroyable. Les musiciens sont « dedans ». Et puis j’ai trop de souvenirs des retours à l’hôtel le soir avec des acouphènes à ne pas pouvoir dormir. Là, dès que j’ai enlevé mon casque, mes oreilles sont encore fraîches et celles des musiciens aussi. Ça change aussi le travail de technicien retours qui ne se limite plus à « mets-moi un peu de grosse claire, un peu de caisse claire, un peu de ma voix » : on ne fait jamais vraiment un mix complet dans un wedge, ou très peu et surtout pas avec une stéréo alors qu’en in-ears, on mixe vraiment. Je m’éclate avec des départs d’effets, avec tout ce qui va bien, de vraies stéréos, un vrai travail de mix, quoi. Du coup, ça enlève cette frustration qu’on peut avoir, nous techniciens retours, de ne jamais finir le mix. Désormais, les choix de micros sont faits par les techniciens retour avec des placements au millimètre. C’est une belle évolution du métier. Et puis la protection du public et de tout le monde. C’est important.
AF : Le fait d’avoir fait cette formation, de gérer ce poste sur un des plus gros festivals de France t’a amené à le faire ailleurs ?
J. S. : J’ai appris ce métier ici. J’ai fait des formations parce que ça implique des connaissances en BTP, électricité, plomberie… A la base, ma première formation était comptable. Pas grand chose à voir, comme tu vois. Sauf que ça aide pour les budgets. Pour ici, j’ai beaucoup appris avec les gens des services techniques de la ville de Carhaix qui sont des gens remarquables. Il faut le souligner parce que sans ces gens là, je pense qu’on n’ouvrirait pas les portes. En plus de cet apprentissage, j’ai fait des formations de technicien compétent en gradins, en chapiteaux, en accroche-élevage, en tribunes démontables, en échafaudages multidirectionnels, habilitations électriques… Et puis j’ai continué à travailler là-dedans bien sur. J’ai fait d’autres festivals. Là je vais faire Saint-Nolf… Mais c’est vrai que mon premier métier, c’est ingé son, c’est la tournée. C’est 8–9 mois de l’année. Mais j’aime beaucoup ce travail. C’est passionnant parce que ça touche à beaucoup de domaines. C’est de l’ouverture quoiqu’il arrive. Et puis c’est vrai que la tournée… Je n’en suis pas fatigué, bien au contraire, mais j’ai deux enfants et une femme que je ne vois pas souvent. Je n’ai pas beaucoup vu mes enfants grandir. Me retrouver ici à Carhaix avec un gros dossier à gérer me permet d’être aussi chez moi. Mais je sais que le naturel reviendra un moment ou un autre… ça commence déjà, d’ailleurs. Mais c’est vrai que monter des gros sites comme ça, c’est quelque chose qui me va bien, que j’aime beaucoup faire.
AF : il reste des espaces dégagés autour du site. Est-ce qu’ils restent comme ça parce que c’est compliqué de les occuper ? Ou pour des raisons de sécurité ?
J. S. : La zone entre le PC technique où nous sommes et le centre culturel est assez difficile à exploiter. D’abord, c’est pour des raisons de sécurité qu’on la laisse dégagée, parce qu’on voit venir. Et puis il y a la pente qui est assez forte et c’est un bassin versant. On ne peut pas mettre de structure là parce qu’il faudrait la mettre sur pilotis, il y a un risque de glissement de terrain en cas de fortes précipitations ou de fort vent. Du coup, on a un no man’s land qui permet notamment aux agents de sécurité de voir loin, de voir venir les éventuels resquilleurs. Maintenant, j’ai aussi pensé à faire de la déco ou quelque chose comme ça à cet endroit-là pour avoir un visuel, mais pas pour l’instant. Cette zone-là est dure à exploiter.
De l’espace
AF : Par rapport à la fréquentation, la capacité du site laisse encore de la marge ou vous êtes plein ?
J. S. : Oh non ! On n’est pas au taquet. La capacité que nous avons fixée est de 55 000. On peut monter à 75 000 et on aurait encore de la place… Entre l’espace scène 3, l’espace Kerampuil, les espaces scène 1 et scène 2 plus La Garenne… Hier, [NDLR : le vendredi] il y avait 35 000 personnes et les espaces Garenne et scène 3 n’étaient pas ouverts. Alors quand je parle de 75 000… Je pense que les gens ne se marcheraient pas encore dessus. Mais c’est une volonté du festival de privilégier l’accueil du festivalier. De ne pas bourrer le champ pour bourrer le champ et donner des mauvaises conditions aux gens. L’idée, c’est qu’ils aient de l’air, qu’il y ait une circulation, une fluidité… Ce qui permet aussi de moins stresser les festivaliers, de leur donner un peu plus de zénitude. Ce qui nous a aussi un peu sauvé l’an dernier quand le ciel nous est tombé sur la tête ! [NDLR : des trombes d’eaux ayant arrosé le festival le jeudi, Carhaix avait des réminiscences de Woodstock]. Du coup, avec cette gestion de flux comme ça, ça permet aux gens de se dégager, de ne pas être tassés et donc d’éviter certains accidents qui peuvent arriver, comme le cas de Roskilde où ça avait été dramatique.
Au cours d’un concert de Pearl Jam le sol était mouillé, glissant, il y a eu un mouvement de foule qui a fait 6 morts d’écrasement, quand même. [NDRL : en fait, 9 personnes sont mortes étouffées ou des suites de leurs blessures et une quarantaine ont été blessées]. Là, on a de l’air partout, les gens ne se sentent pas parqués, stressés. C’est important. Le but, chez nous, la philosophie de base, c’est l’accueil du festivalier. Un festivalier heureux, plus un artiste bien accueilli, généralement, ça fait des grandes messes !
AF : Il suffit de se balader sur le site et de voir la tête des gens pour comprendre que ça marche !
J. S. : Oui. Après, l’accueil « artiste » fait un travail assez remarquable. Dans l’accueil de base, et après, dans le catering qui est très réputé (c’est un chef étoilé qui le supervise). Ce qui fait que les artistes se sentent aussi à l’aise que les festivaliers. Du coup, le point de rencontre, qui est le show, donne des choses assez remarquables. Ce sont tous ces ingrédients-là qui, mis bout à bout, font la force et la réussite du festival, je pense.
Des gens de caractère
AF : C’est peut-être cette qualité d’accueil des artistes qui a permis le développement de ce gros festival dans ce qui est au départ, désolé pour les Carhaisiens, un trou.
J. S. : Ah ben oui. Le truc a toujours été de se mettre en quatre pour faire venir les artistes. Je fais beaucoup de festivals dans l’année et il y en a beaucoup où le tour bus arrive, on se gare, on a deux sandwichs et une pauvre loge… Tu n’as pas forcément envie de revenir. Parce qu’il faut bien comprendre ce qu’est un artiste en tournée. Des fois, les gens ne comprennent pas ses demandes particulières de marque de ceci ou de cela, mais il faut bien se rendre compte que vivre à 18 dans un bus pendant 6 mois de l’année, c’est beaucoup. De ne pas être chez eux, de ne pas être dans le petit lit qui va bien… Donc il y a des demandes particulières et les Charrues ont toujours respecté ça. Jean-Jacques Toux, le programmateur, est venu en tournée avec Matmatah. Je l’ai emmené avec moi pour comprendre ce que vit un groupe en tournée. Et il a vu : la promiscuité, des fois 18 gars dans un tour bus, c’est pas simple tous les jours. Et on dort 3 heures…
AF : Et puis, c’est un métier où les gens ont plutôt du caractère en général.
Professionnel, mais cool
AF : On parlait de sécurité tout à l’heure. Il m’a toujours semblé que les gens qui font les entrées, les fouilles, sont des bénévoles.
J. S. : Non, ce sont des professionnels partout.
AF : Parce qu’il y a, notamment aux entrées, des attitudes, une convivialité qui laissait penser à des bénévoles. Souvent, dans les concerts et les festivals, les gens qui font la sécu se prennent pour des flics, il avec leurs grosses chaussures, leur crâne rasé et leur « c’est par ici monsieur ! »
J. S. : La consigne, c’est comme sur les autres postes, c’est la notion d’accueil. Alain Bennasar est notre régisseur sureté et a quand même 600 agents à gérer, ce qui doit représenter 8 sociétés différentes, je crois. Mais il y a un turn over dans les sociétés. Parce qu’on ne veut pas que les gens se sentent implantés et du coup en terrain conquis. Donc il y a bon accueil, oui. Bon, il y a toujours des dérapages, hein. Mais non, il n’y a pas de bénévoles. Enfin, cette année il doit y en avoir 7–8 qui sont aux entrées de loges ou des choses comme ça. Mais tout ce qui relève de la sécurité pure, on ne peut pas se permettre.
On a des cavaliers dans les campings et même eux sont des professionnels. Enfin, c’est un centre équestre avant tout. Ce ne sont pas des professionnels de la sureté, mais ils sont rémunérés au même titre et ils font un travail assez remarquable d’ailleurs. Beaucoup de prévention, notamment incendie sur les campings et les parkings, ce qui pourrait être très dangereux. Le fait qu’ils soient à cheval a déjà un aspect dissuasif, ça calme et le cheval n’incite pas à devenir violent. Pour plusieurs raisons. Mais aux entrées, oui, il y a aussi des consignes. Parce qu’on n’a pas envie d’avoir ce cadre un peu militaire et martial. Bon, il en faut, évidemment. Mais pas là, aux entrées. Il faut que les gens se sentent bien. Surtout là où les gens arrivent dans un barriérage, avec des gens qui les accueillent un peu musclés… Bon, ce n’est pas terrible. Donc, il faut qu’il y ait de la convivialité aux entrées. C’est important.
Les prises Maréchal
Nous partons pour un tour complet du site du festival à bord de la voiture de Jacques. Il m’explique les choses au fur et à mesure que nous les voyons. Derrière la scène 2, Jacques me montre les armoires électriques maison équipées des Prises Maréchal. Explication :
Jacques Simon : La législation dit que, au dessus de 32 ampères, on ne doit pas pouvoir débrancher une prise sous tension pour éviter arc électrique et brulures. La P17 a 5 broches : 3 phases, terre et neutre plus une broche appelée pilote. Elle est plus courte et coupe donc l’alimentation avant que la prise ne soit débranchée lorsqu’on tire dessus. Mais ça veut dire que les câbles doivent être équipées de ce pilote. Or, nos câbles n’en sont pas équipés. La Maréchal est pourvue d’un bouton qui déconnecte la prise dès qu’on appuie dessus. On a donc adopté ce standard pour cette raison, mais aussi parce que c’est un procédé intelligent qui permet d’autres choses comme de brancher une 32 mono sur une 32 triphasée, etc. On fabrique aussi les mats électriques [pour l’éclairage]. Ils sont assez basiques. Ce sont des mats sur plots béton. J’ai récupéré ces mats et fait faire des cercles y pour accrocher des sodiums.
Nous visitons ensuite le « magasin » tenu par deux charmantes demoiselles. C’est l’endroit où est stocké tout le petit matériel, tous les consommables, fournitures de bureaux, piles, etc. Il est constitué d’une barnum d’environs 300 m² ! Encore bien encombré, bien que l’on m’affirme « qu’il ne reste plus grand-chose ».
J. S. : Pour la petite histoire, ce champ de 8500 m² a été acheté par les Vieilles Charrues. On va y construire le dépôt du festival, un dépôt de 2500 m² environ où on fera le stockage à l’année et la partie logistique. Et une autre partie qui était ce qu’on appelait auparavant la douane et qui est le service matériel. C’est-à-dire que tout ce qui rentrait dans le festival était filtré là. Ensuite, on arrive directement dans la déambulation festivalière, les entrées des campings. T’es allé voir un peu ?
les tenancières de la boutiques. Agréables et avec le sourire, comme tous les gens que je rencontrerai. |
La fourmilière
AF : Non, pas les campings
J. S. : C’est une vraie fourmilière ! On a 11 campings. On va aller jusqu’au bord parce qu’aller jusque dans les campings, même en quad, c’est compliqué ! Toutes les zones sont desservies par des routes. Nous allons sur l’axe rouge. Ici, c’est une route que nous avons fabriquée qui nous permet d’avoir un périmètre de sécurité pour tourner et accéder rapidement à n’importe quel point. Ici, c’est une zone déportée du nettoyage avec ce tracteur muni d’une cuve de vingt mille litres d’eau. Moi j’ai des cuves de mille litres sur palettes réparties sur tous les campings. Elles sont remplies tous les jours. Ce n’est pas de l’eau potable, mais ça permet de se rafraîchir. Les campings sont équipés essentiellement en toilettes sèches et un peu en chimique parce qu’on n’a pas la possibilité d’avoir assez de toilettes sèches. Il y a aussi 10 bungalows de 6 douches. Ça peut paraître peu, mais de toute façon, on ne peut pas en mettre plus. [NDLR : Pendant le festival, la piscine de Carhaix connaît une forte fréquentation. Elle permet aux festivaliers à la fois d’y prendre une douche chaude dans un endroit propre et de se détendre et rafraîchir pour affronter les quelques 12 heures de concerts disponibles quotidiennement]. Ici, on a un stand Décathlon où ils vendent du matériel de camping. Il y a aussi une petite supérette pour les premières nécessités. Tous les campings sont éclairés toute la nuit par un ou deux mats d’éclairage plus des éclairages dans les arbres. Ça représente 700 quarts de 500Watts.
AF : comment ça se passe pour cette alimentation électrique ? Ce sont des branchements spéciaux EDF, c’est tout centralisé ou dispatché ?
J. S. : On a 11 tarifs bleus (en dessous de 36 kVa), 7 tarifs jaunes (au dessus de 36 kVa) et ensuite des groupes électrogènes. On n’en a pas beaucoup. L’année dernière, il y en avait 20. Cette année on en a 9 parce qu’on a refondu un peu toute la puissance électrique.
AF : Il me semblait que l’année dernière, il y avait un camion électrogène à côté de la scène Kerouac.
J. S. : PowerShop, oui. Il fait de l’énergie pour la scène, seulement. Comme tu vois, ce camping est activement surveillé par la gendarmerie. Il y a aussi un bus de bio équitable et une consigne. On a donc 11 campings comme ça.
AF : Ce sont des terrains communaux ?
J. S. : Celui-ci, c’est la commune. Il a des terrains qu’on loue aux agriculteurs.
AF : Sans trop de difficulté ?
J. S. : Non. On paye !
AF : Enfin même en payant…
J. S. : Il n’y a pas beaucoup de dégradations. Et puis c’est nettoyé tous les jours et à la fin du festival, il y a une équipe de nettoyeurs qui ramassent à la main papier par papier. Donc on rend l’endroit propre.
Des gobelets
AF : Et vous arrivez à gérer y compris pour les mégots ?
J. S. : pareil, c’est ramassé. Le but est de rester en bonne entente avec les gens qui nous prêtent et nous louent les terrains. Ça se passe vraiment tranquillement. On n’a pas de problème majeur dans les campings.
AF : Sur le site du festival, j’ai remarqué qu’il n’y a pas de points poubelle au milieu de la foule.
J. S. : Si, il y en a La Garenne.
AF : Ah oui, en effet. C’est parce qu’il y a beaucoup d’alimentation là ?
J: Oui. Les alimentaires sont avant tout là et puis, sur le site proprement dit, c’est assez compliqué d’en mettre. Il y a toujours des obstacles… On a des points gobelets et des points déchets.
AF : Avec le système qu’on trouve assez couramment : si les gens ramènent x gobelets, ils ont une consommation ?
J. S. : Oui. Hier, on était à 250 000 gobelets récupérés par les points gobelets. Ce qui facilite aussi la tâche du nettoyage. On travaille beaucoup là-dessus puisqu’on est dans le cadre du développement durable et de l’agenda 21. C’est aussi pour ça qu’on a enlevé des groupes électrogènes, qu’on a fait le maximum pour limiter les rejets de CO2 et la consommation de fuel. Ici, on a ce qu’on appelle les drop-zones pour les hélicos. C’est ici qu’ils atterrissent : les urgences, les gendarmes… On a quatre hélicos : un de la protection civile, un de la gendarmerie, un des pompiers et un de la douane. On est classé en très grand rassemblement. D’un point de vue sécurité et légal, c’est la préfecture qui décide. On a de d’ailleurs de très bons rapports avec elles. De toute façon, on joue le jeu.
AF : À part le malheureux et terrible incident qu’il y a eu en 2001 ou 2002, on n’entend pas parler de gros problèmes aux Vieilles Charrues. [NDLR : un homme dormait sur le sol. Un camion de campeur qui reculait ne l’a pas vu et l’a écrasé. Tout véhicule y compris camping-car est interdit dans les campings].
J: En 2006, on a eu un décès avec une personne qui s’est suicidée dans un camping. Mais le coup du gars qui s’est fait écraser, ça a été terrible. Ce n’est pas compliqué : le festival s’était super bien passé, l’organisation était en train de boire le champagne et on est venu leur annoncer qu’il valait mieux reboucher les bouteilles. ça a été… oui, très dur.
Des personnes concentrées
le festival a une station service pour alimenter les véhicules de levage |
AF : J’imagine. Cela dit, par rapport à la concentration de personnes…
J. S. : Oui, c’est vrai. Quand tu vois une ville de 60 000 habitants, il y a 5 décès par jour. La signalétique qu’on utilise cette année, c’est une signalétique routière. Ça nous a fluidifié nos axes. Je suis super content parce que c’était un peu la galère. Il y avait des gens « ah tiens ! Je m’arrête là, j’en ai pour 5 minutes » et puis une heure après le véhicule était toujours là. Ça engendrait des blocages. Là, on a une tractopelle toujours prête à dégainer et quatre semi-remorques de cailloux.
[NDLR : Nous passons à côté de la zone de stockage fioul, celui-ci servant aux groupes électrogènes et à la station-service puisque le festival en a une pour alimenter les véhicules de levage.]
Le PC
[Nous accédons aux bungalows qui surplombent la zone d’entrée et constituent le PC sûreté du festival.]
Thierry Lescoat et Dom Briand, les responsables propreté du festival. |
AF : Tu n’as pas d’inquiétude sur le fait que vous ayez fermé la billetterie ?
J. S. : Non, on a communiqué… Les gens attendront peut-être demain. Voici Alain Bennasar, responsable de la sécurité du festival. Thierry Lescoat et Dom Briand qui sont les deux responsables de la propreté de ce superbe champ.
Thierry Lescoat : On sait que le festival a des difficultés financières, alors…
J. S. : Le problème, c’est qu’on achète moins de gants, mais on paye plus de personnel. Voilà. C’est ici que ce fait toute la gestion de la sécurité du festival, ce qui n’est pas une mince affaire.
AF : Le festival a l’air d’être un succès.
Alain Bennasar : On a dans les 70 000 personnes sur le site aujourd’hui. On va arriver à 200 à 210 000 personnes sur les 4 jours.
J. S. : 170 000 payants surs, en tout cas.
Alain Bennasar : ça y est ? On est à 170 000 payants ?
J. S. : Oui, on y sera. Tout confondu. Facilement. C’est une belle édition. On reprend la main. On reprend la tête [NDRL premier festival de France]. Et je pense que ce soir, sur le champ, ça va être Noël !
Après nous avoir longuement raconté son rôle dans l’organisation des Vieilles Charrues, évoquant au passage son travail d’ingénieur du son retours, Jacques Simon nous a emmenés faire un tour complet du site du festival et de ses annexes. Nous sommes encore dans le PC sécurité près de l’entrée et nous évoquons la sécurité près de la grande scène…
Jacques Simon : À jardin, on a 21 mètres de dégagement et à court, il y en a 28, avec un crénelage où les IS rentrent. Quand tu ouvres, le public est accueilli dans un goulet et tu as des crashs-barrières à toutes les issues de secours. Après, si tu en as 150 000 qui poussent en même temps, on ne peut rien faire. Mais la sécurité de cet endroit est surdimensionnée. Enfin, c’est surdimensionné par rapport à la législation, mais je trouve ça normal. Il y a une zone neutralisée avec du rue-balise. Il n’y a personne dedans ce qui fait que si on doit dégager, le public arrive dans un endroit où il n’y a pas d’écrasement. Et puis on en parlait hier : Alain fait tourner les boîtes de sécu assez régulièrement pour qu’il n’y ait pas cette notion de « je m’installe, je suis chez moi » avec les débordements que ça peut engendrer.
les systèmes de rafraîchissement inspirés des… poulaillers ! |
Alain Bennasar : Le chalenge est de trouver des bonnes boîtes de sécu qui ont beaucoup de personnel, qui percutent vite quand on leur transmet des infos… C’est vrai que ce n’est pas évident. Les gens de la sécu viennent d’un peu partout.
J.S. : Il y a un tri qui est fait par Alain. Ce n’est pas tartempion et compagnie qui viennent.
A.B. : Il y a 477 agents de sécu actifs. Sur le 24/24, ça représente à peu près 660 agents de sécurité.
J.S. : Cette année, une grande nouveauté, c’est que aucun festivalier ne rentre avec un contenant. [NDLR : Pas tout à fait exact de ce qu’on a pu voir…] Tu n’as pas la bouteille avec la nitroglycérine dedans où tu bois trois gorgées et t’es out.
Tu vois la zone d’entrée avec des brumisateurs. Ils permettent de rafraîchir les festivaliers. Pour la petite histoire, cette brume rafraîchissante, c’est un système pour les poulaillers. C’est ce qui sert à ce que les poulets ne crèvent pas en cas de grosse chaleur. Les festivaliers arrivent ensuite sur une zone de repos, de détente avant de partir vers les scènes. On a de la place, de toute façon. La volonté de la prod de s’arrêter à 55 000 personnes, c’est aussi pour le confort et les dégagements, avoir de l’oxygène dans le site. Ce qui permet aux festivaliers de ne pas être dans une cohue génératrice d’énervement.
A.B. : Le fait qu’ils soient bien accueillis par la sécu, aussi…
Mur de lumière
AF : Tout à fait. C’est ce que j’ai toujours remarqué en venant comme festivalier. L’année dernière, quand je suis entré, c’était blindé de monde dans les barrières. Tout le monde était en train de se marrer, ça se chambrait à droite à gauche… Et quand on arrivait aux gens de la sécu, ils faisaient leur taff, mais on plaisantait aussi avec eux et tout et l’ambiance était vraiment sympa.
J.S. : Ça fait vraiment plaisir à entendre, ça.
A.B. : C’est ce qu’on cherche : la qualité de l’accueil.
J.S. : Je rêve un jour de faire une passerelle ici, au dessus des entrées. J’ai toujours le plan. Ne serait-ce que pour accrocher des projos, pour décorer un peu l’entrée, faire un truc un peu plus sympa.
A.B. : Un éclairage en douche sur la zone de palpation.
J.S. : oui, faire un mur de lumière. De façon à ce que les gens à la fouille voient vraiment. Et puis du projo qui part plus diffus, en déco. La passerelle permettrait aussi aux agents de pouvoir venir au-dessus, voir et conseiller, parfois. Quelques fois, tu vois des conneries. Alors, faut descendre, sortir, faire le tour pour aller voir ce qui se passe. Là, on aurait un accès direct.
A.B.: Là, on a 22 couloirs d’entrée. Je calcule ça par rapport au temps de fouille, au nombre de gens à passer… S’il y a un malaise au milieu, on prévient les gens qui se baissent. On a des planches qu’on pose sur les barrières, ce qui nous permet de passer par dessus la foule pour aller chercher la personne.
J.S. : c’est vrai que pour évacuer au milieu, ce n’est pas simple. On n’est jamais à l’abri d’un malaise. La brume aide, justement. Mais par temps de fortes chaleurs, c’est pas forcément suffisant quand la foule est compacte. On a de grosses difficultés à trouver des mats d’éclairage. Là, on en quand même qui viennent de Belgique. Les loueurs n’en achètent plus : ils se les font piquer. Surtout pour les générateurs. Du coup, l’année prochaine, je vais monter des tours layer dans les parkings. De 4 à 10 mètres avec un groupe dessus, double barriérage avec une occultation pour ne pas se faire piquer le générateur. Et on fera un éclairage 360 degrés dans les parkings. Ça permettra de dégager un certain nombre de mats pour les campings.
Hors festival
début d’après-midi, le site se remplit. Dans quelques heures, il ressemblera à… |
AF : Mais tu as des gens en sécu sur place ? Tu n’as pas peur que des gens s’amusent à monter dessus ?
J.S. : Justement, l’idée est de faire un barriérage normal, plus un double barriérage avec, je ne sais pas… du bois ou quelque chose comme ça.
A.B.: Un truc où tu ne peux pas t’accrocher, quoi.
J.S. : Voilà. Un contreplaqué qui monte à 3 mètres 50…
[Nous quittons le PC sécurité. À son pied, quelques agents de sécurité reprennent des forces dans un minimum de calme.]
Ça ! (scène 1 avec le pool de photographes qui quitte la fosse) |
AF : Hors festival, le champ est utilisé ?
J.S. : Non… Enfin, c’est une plateforme évènementielle. Il y a des comices agricoles, il y a eu le Championnat de France de cross-country des sapeurs pompiers, le Championnat de France de cross-country tout court. C’est un site qui est super viabilisé, alors il est facile pour travailler sur autre chose. On a beaucoup travaillé pour viabiliser l’endroit. Ce sont des coproductions qu’on fait avec la ville : eux ils creusent, moi je paie la came. Du coup on est au top, vraiment au top je pense en terme d’eaux usées, eau potable, etc. Tiens, tu vois les mats d’éclairage dont je te parlais, là ? Je récupère des poteaux, j’achète des plots… D’ailleurs, je ne suis pas très content d’en voir ici. J’ai acheté 6 plots et il y en a 3 qui ne sont pas utilisés… On verra ça plus tard. C’est bien que tu ai dit à Alain le truc sur la qualité de l’accueil. Parce qu’ils s’en prennent tellement plein la gueule ! Alain fait la sureté dans beaucoup de festivals. Il est dans pratiquement tous les grands festivals, en fait. C’est un gars d’ici. Il habite à 20 bornes… Alain fait les transmusicales, il fait Bobital… enfin, il faisait puisque c’est plus d’actualité.
La Garenne
AF : ça coule Bobital ?
J.S. : Oui, ils ont déposé le bilan, ça y est. Mais Bobital a eu cette année la volonté de ne pas s’entourer du tout de professionnels. Aucun. Ils se sont retrouvés avec des choses pas envisagées, des dépassements de budgets… Enfin, ils ont explosé…
Voilà, ici c’est ce qu’on appelle La Garenne. On retrouve toujours un peu la même ergonomie sur toutes les parties du site. Tout ce matériel de cuisine que tu vois appartient au festival. Ces grands barbecues, c’est Jean-Pierre, le plombier, qui les a fabriqués. C’est mon beau-frère, en plus !
AF : C’est tellement énorme que si tu ne gagnes pas un peu sur tous les postes où c’est possible…
J.S. : Oui, et surtout ça crée un lien entre les gens, ça les pousse à réfléchir à des choses… Et ce sont des gens assez proches.
AF : Oui, on sent ça, cette convivialité qu’il y a dans les équipes.
J.S. : Voilà. On va dans les loges du cabaret breton où ils ont un concept particulier, tu vas voir. C’est les manouches ! [On arrive au milieu d’un village de caravanes décorées] Tu vois, ça c’est l’équipe… ils ont tous la moustache, comme les manouches ! [On est dans une ambiance très conviviale, détendue et déconne, arrosée comme il se doit] Un membre de l’équipe (d’un air réjoui) : On a le concours d’air biniou ce soir.
toujours devant la scène 2… entre deux concerts, de la place pour souffler |
Air Biniou
AF : Un concours d’air biniou ?
MDl’E : De 22h30 à 23h00 ! Six groupes en compétition !
J.S. : Je vous présente Will qui fait un reportage sur les conneries du festival, alors que je vous plaçais en tête… [Rires] Tu vois, ça change des loges avec les tapis rouges et des choses comme ça. Ici, c’est plutôt cuivres et poules !
MDl’E : T’as regardé dans la caravane ? Même les pauvres ont des tapis rouges dans la caravane ! ça fait un peu hôtel du coup ! C’est dur de virer les mecs. [rires]
J.S. : C’est bien ce que vous vouliez au départ. Quelqu’un qui est heureux n’a pas forcément envie de se barrer comme ça. Enfin ce soir, l’air-biniou, je te le conseille ! Moi je ne sais pas si j’aurais le temps… C’est à quelle heure ?
Bénévole : 22h30.
J.S. : C’est mort, je ferai Matmatah.
MDl’E : On mettra super fort pour que vous puissiez entendre ! Eh, vous allez être déçus : il n’y aura personne devant Matmatah : tout le monde sera là !
J.S. : T’inquiète : je crois qu’il y en aura pour tout le monde ce soir.
AF : Matmatah c’est après, non ? Toi tu seras en prépa.
J.S. : oui, je serai en train de faire ma console. Je suis sur la même que Gad Elmaleh, mais ça va. Comme lui il est tout seul, je vais pouvoir préparer ça tranquillou.
Tanguy : Je te propose pas de boire un coup ?
J.S. : non, on vient d’en boire un à la sécu et si on fait le tour, je vais être plié !
Tanguy : Moi ils vont me plier, ici !
J.S. : De toute façon, tu es off, là, non ? Tu t’en fous. Tanguy, c’est mon assistant. C’est les oreilles ! Nous on tourne sur le site et Tanguy est au bureau. Il faut l’accueil, la gestion des équipes polyvalentes, le dispatching des gens, la gestion des tâches, des plannings, les tenues de mains courantes, j’en passe et des meilleures.
Tanguy : Ils m’ont donné une journée cette année.
J.S. : C’est notre souffre-douleur. Au lieu de prendre un jeune stressé… ça fait deux ans qu’il est là et c’est cool.
Tanguy : Je bosse un mois ici.
J.S. : Des vacances, quoi !
Tanguy : Exactement. Je prends mes vacances ici !
J.S. : Justement, je trouve que ce serait bien que tu aies une autre attitude que ça [rires]
Tanguy : En même temps c’est les vacances, hein !
Les fameux barbecues et friteuses
[Nous quittons les loges de La Garenne et repartons en voiture]
J.S. : Fallait qu’on passe par ici, quand même. C’est l’antitechnique ! C’est une sacrée bande de lascars, ici. Bon esprit. Des gens du coin, surtout. Tanguy habite à 20 bornes d’ici. JD qui est le responsable d’ici, c’est son cousin… Il y a vraiment cet aspect là, mais avec de la compétence. Ce n’est pas « t’es mon pote, t’es mon cousin, viens bosser ». Tanguy par, exemple, mon assistant, il est coordinateur technique aux transmusicales à l’année. Ça, c’est Nico Massé, un autre moustachu. Nico, c’est le compagnon de Florence qui s’occupe de tout le social sur le festival. Qui a été mon assistant pendant longtemps quand j’étais au service matériel.
[On s’arrête près d’une jeune fille]
Lola, ma fille… Salut minette !
Lola : tu fais le son des Mat’, ce soir ?
J.S. : oui. T’as vu ta mère ? Ah ben, elle est là, tiens… Elle tient le merchandising artistes.
Tu vois ces fameux barbecues, ces fameuses friteuses… Et on a un service de maintenance. Tanguy s’occupe de collecter les appels qui émanent des différents restaux, stands, etc. « j’ai plus de lumière, j’ai plus de cela ». Il redispatche tout de suite sur les équipes de plombiers, d’électriciens, des clôtures, de ce qu’il faut. Beaucoup de réactivité, d’intelligence, de pragmatisme. Les gens que tu vois avec les baudriers verts, ce sont des nettoyeurs qui tournent en permanence sur le site. Tout le temps. Tu vois ces toilettes-là qui ressemblent à des chimiques ? Ils sont reliés au tout à l’égout. Ca c’est le dernier réseau qu’on a fait.
Gradins VIP
[Nous arrivons dans la zone de la scène 1]
Là, tu as le catering artistes. C’est une nouvelle cuisine que j’ai mise en oeuvre. Ce sont des containers en fait, qui se collent. Ils sont déjà prééquipés… Ça, c’est le passage de câbles de toute la téloche. Et on a toute la zone télés, médias, etc. Toute la zone médias et partenaires. Le bar VIP où je suppose que tu as déjà dû aller… Et puis la zone dont je te parlais avec les crashs…
Le gradin VIP qu’on a augmenté cette année de 200 places. Victimes du succès. C’est vrai que les places VIP, c’est difficile de s’en passer. Tu vois le gradin handicapés avec une accessibilité en truck-way, en bande de roulage.
AF : Il est bien placé pour voir les concerts.
J.S. : Oui, c’est important, je trouve. Ici, on a un truck-way. On est obligés de créer un axe rouge pour désenclaver la zone ici. On a donc une bande de roulage qu’on fait poser, ce qui fait que le site est vraiment bouclé de A à Z. On peut en faire le tour complet avec des véhicules. Et voilà, on arrive dans les zones techniques. C’est chez moi ! On le stocks électriques, signalétique, plomberie. C’est le nº 1 des parcs matériels. On a un autre parc en montage, qui est dans la zone des entrées. Une fois qu’on a dispatché, le reste du matériel est ici. Il ne reste plus grand-chose. De quoi être prêt à dégainer en cas de besoin. On arrive à des sommes astronomiques de matériel. C’est assez impressionnant.
[On s’arrête pour saluer un moustachu en tenue de cuisinier]
Salut Guéna. Je vais venir manger chez toi ce soir puisque je suis avec un orchestre.
Guéna : Marcel et son orchestre ?
J.S. : Perdu ! Essaye encore
Guéna : Jacques et son orchestre ?
J.S. : Je vais venir honorer votre table.
Guéna : La maison est bonne, normalement
J.S. : Je n’ai pas entendu le contraire en tout cas.
Guéna : ZZ Top nous a fait des éloges hier.
J.S. : Ils avaient un cuistot pourtant, eux, non ?
Guéna : mais on leur a fait à manger. Ils nous ont dit « catering de dingue. On a jamais vu ça ! » Remerciements et tout !
J.S. : C’est cool.
Guéna : On ne travaille qu’avec des produits frais. Pour faire un jus de veau, on prend des os que l’on fait suer, tu vois. Pour faire un fumet de poisson, on prend des poissons et des langoustines. Ouais !
J.S. : Tu vois, c’est ce que je te disais hier : la philosophie première du festival, c’est de bien accueillir les gens, de bien accueillir les artistes pour que la grand-messe soit complète. Un public satisfait et des artistes heureux, ça donne des grands-messes, quoi.
Guéna : Hier on a encore vécu un sacré moment !
J.S. : Ce soir, ça va être énorme, je pense.
Guéna : Matmatah ?
J.S. : Oui, et puis il y a 65 000 personnes dans le champ ! Tu sais à quelle heure on mange, ce soir, les Matmatah ?
Guéna : Ah non, je n’en sais rien.
J.S. : Parce qu’il y a un truc que j’ai quand même envie de faire, c’est d’aller manger au catering artistes ! ça… Ah ouais, attend ! Tous les ans, même si je ne suis pas avec un groupe, j’essaye d’y passer une fois.
Pour finir
[Au même moment, alors que nous arrivons à la fin de la boucle aux bureaux de Jacques à proximité de la scène 2, on entend en provenance de celle-ci une artiste terminant son show remercier chaleureusement le public et les gens qui les ont accueillis sur le festival.]
AF : très belle organisation, en tout cas. Je suis impressionné.
J.S. : C’est chiadé à mettre en oeuvre… Beaucoup de travail, beaucoup de compétences à tous les niveaux. Parce qu’il faut en parler aussi, de tous les gens qui travaillent là-dessus. Je n’ai même pas grand-chose à redire sur les équipes parce qu’ils font un travail de folie. Les électriciens par exemple, c’est des bêtes de somme ! Cette année on a des conditions météo qui sont meilleures. On a changé aussi des équipes du festival, on a un peu de sang neuf. [Me montrant un chapiteau de cirque] Tu vois, ça c’est un deuxième VIP que j’ai monté en urgence parce que le premier qui est là-haut, à l’étage, [NDLR : du centre culturel] a été submergé de demandes qu’on pouvait difficilement refuser au prix de la soirée VIP. Et puis on ne peut pas non plus heurter les partenaires, tout ça… Du coup, on a monté un autre VIP à moitié à l’arrache. On a essayé de faire un ersatz de l’autre. Et en fait, les gens préfèrent celui-là. Ils préfèrent être dans la bâche.
AF : C’est plus dans l’ambiance ?
J.S. : Oui, c’est ça.
C’est là-dessus que se termine la visite du site. L’impression est claire : une énorme machine bien rodée où règne une ambiance joyeuse, fraternelle et détendue. Et ça respire la compétence et le dévouement à tous les niveaux. Dévouement tendu vers un objectif : que la fête soit belle. C’est sans doute ce qui explique cette ambiance si particulière que connaissent bien ceux qui fréquentent ce festival. Et ce qui explique que quelques bonnes volontés aient su, au fur et à mesure des années, faire de ce festival dans un coin perdu du centre Bretagne un des tout premiers festivals français.
Merci à Jacques pour le long temps qu’il nous a consacré en plein festival et pour le tour complet du site. Sylvain et moi-même tenons également à remercier très chaleureusement les équipes du festival pour leur accueil. Responsables techniques, roadies et techniciens des différentes scènes, équipe des relations presse et tout le personnel et les bénévoles du festival à qui nous avons eu affaire nous ont largement accueillis dans une ambiance mélangeant professionnalisme, dévouement, humour et chaleur humaine. Merci à tous pour ce grand moment.
Photos : Will Zégal et Sylvain Ferrand
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