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Interview / Podcast

Interview de Laurent De Wilde

Interview : Laurent De Wilde

Pianiste touche à tout et avide d'expériences nouvelles, Laurent De Wilde est de ces musiciens qui font feu de tous bois pour emmener le jazz là où on l'attend pas. Rencontre du troisième type donc, avec le plus humain des extra-terrestres hexagonaux.

 

 

Laurent De Wilde

Laurent De Wilde est étiqueté pianiste de jazz. Et pas des moindres puisqu’il a joué avec des gens comme Eddi Hender­son, Ira Cole­man, Jack De Johnette, Lewis Nash, Billy Drum­mond, Barney Wilen, Aldo Romano, André Cecca­relli, que se soit en leader ou en accom­pa­gna­teur. Son expé­rience ne s’ar­rête en outre pas au jazz puisqu’il a colla­boré avec des gens comme Ernest Ranglin, Samia, Cosmik Connec­tion ou Roudou­dou, et qu’il accom­pagne actuel­le­ment Abd Al Malik en tour­née.

Lauréat en 1993 du prix Django Rein­hart (rejoi­gnant ainsi Solal, Texier et Petruc­ciani) et d’une victoire de la musique en 1998, il a enfin reçu deux prix pour son livre sur Théo­lo­nius Monk traduit et publié à Londres, Tokyo, New York et Milan.

Tout ça pour dire que les termes de « pianiste » et « jazz » sont quelque peu limi­ta­tifs lorsqu’on évoque ce musi­cien et produc­teur à la palette aussi vaste. Laurent De Wilde se balade en effet aujour­d’hui entre jazz instru­men­tal « clas­sique » et jazz élec­tro­nique. Mais les choses ne s’ar­rêtent pas là et si la drum’n’­bass est très présente, le dub n’est jamais très loin. Quant à son dernier album « PC Pieces » qui sort ces jours-ci sur le label Nocturne, il lorgne sérieu­se­ment vers le contem­po­rain et l’ex­pé­ri­men­tal.

Nous l’avons rencon­tré chez lui en juin dernier. Ses talents de musi­ciens n’étaient pas le seul objet de la rencontre : avec ses multiples casquettes de compo­si­teur, de musi­cien de scène et de produc­teur élec­tro­nique, Laurent De Wilde a affronté beau­coup de problé­ma­tiques que connaissent bien ceux d’entre nous qui mélangent instru­ments « clas­siques » et élec­tro­nique. Il les évoque avec simpli­cité et l’hu­mi­lité des grands.

 

 

Jazz Assisté par Ordi­na­teur

AF : Tu connais un peu Audio­fan­zine, donc nous allons surtout discu­ter matos et tech­nique…

L2W : Abso­lu­ment. J’aime le ton de la newlet­ter, d’ailleurs. L’édi­to­rial est bien pêchu et tout… sympa. [NDR : Los Teignos était aux anges !]

 

 

AF : Pourquoi le jazz ?

L2W : Ça ne s’ex­plique pas. Personne n’écou­tait de jazz ni jouait de musique chez moi et quand j’ai entendu un disque jazz la première fois, ça a été le coup de foudre. L’im­pres­sion d’être appelé.

 

 

AF : Et l’élec­tro­nique ?

L2W : Ça m’a fait un petit peu le même effet. Disons qu’en écou­tant des gens comme Amon Tobin, j’ai vrai­ment pris une claque. C’est marrant parce que j’en ai causé avec lui. Il aime bien le jazz à cause de l’am­biance, le côté film noir, etc., mais ce n’est pas du tout un fan de jazz. Pour­tant sa façon de trai­ter l’élec­tro­nique est très jazz. Il va prendre un pattern et va tout de suite penser à l’in­ver­ser, à permu­ter… tout ce travail qui est une acti­vité perma­nente chez le jazz­man et qui consiste à chan­ger les formes à l’in­té­rieur des formes.

Et puis, à un certain âge, on a envie de s’at­taquer à des choses qu’on ne connait pas et ça a été une espèce de vague défer­lante avec l’ar­ri­vée de nouveaux instru­ments comme l’ordi et les sampleurs. À cela s’ajoute une approche d’in­gé­nieur du son qui a été une décou­verte pour moi : que la musique exis­tait comme une matière sonore et pas simple­ment comme des notes qu’il fallait enre­gis­trer.

J’ai un Mac depuis 1983 ou 84, j’ai toujours aimé l’in­for­ma­tique dans la musique, mais c’est vrai qu’à l’époque du MIDI, il fallait beau­coup de matos et c’était rigide. Au tour­nant des années 2000, l’ar­ri­vée du G3, des ordi­na­teurs et des logi­ciels beau­coup plus puis­sants donnaient au musi­cien la possi­bi­lité d’avoir l’équi­valent numé­rique – un peu cheap, mais quand même ! – d’un studio d’en­re­gis­tre­ment qui était aupa­ra­vant hors de portée.
Je m’y suis jeté avec beau­coup d’en­thou­siasme : nouveaux instru­ments, nouvelle musique, il fallait se creu­ser le chou, se poser de nouvelles ques­tions.

Laurent De Wilde

AF : Avant l’in­for­ma­tique musi­cale, il y a eu les machines, les sampleurs hard­wares par exem­ple… Pour toi, c’est vrai­ment l’in­for­ma­tique qui a consti­tué le saut ? Ton approche de travail est essen­tiel­le­ment logi­cielle ?

L2W : oui parce que les sampleurs, ça permet de produire du son, mais pas réel­le­ment de le trai­ter et l’ar­ran­ger et de l’or­ga­ni­ser. Le MIDI c’était bien pratique et ça l’est toujours, mais l’or­di­na­teur propo­sait carré­ment une console d’en­re­gis­tre­ment et des racks d’ef­fets entiers et ça, ça n’exis­tait pas en MIDI. Tout d’un coup, on passait vrai­ment à une autre dimen­sion.

 

AF : Avec quoi travailles-tu ? Digi­tal Perfor­mer ?

L2W : oui, je suis spon­so­risé par Motu, mais je travaille aussi avec Cubase. J’ai travaillé sur Logic, un peu dégouté du prix du logi­ciel et des updates que je trou­vais limites. Le dernier disque, on l’a fait dans Live… Tous les logi­ciels sont bien ou pas bien en fonc­tion de ce qu’on veut faire.

 

AF : Et des instru­ments virtuels ?

L2W : Pas énor­mé­ment. Les émula­tions de Moog, des trucs comme ça, mais pas énor­mé­ment. Pour les claviers… si c’est du piano, j’en­re­gistre mon piano, pour du Rhodes, j’en­re­gistre mon Rhodes. Aussi bien qu’on arrive à les imiter.. « nothing like the real thing » [rien ne remplace la chose réelle]

 

 

Nothing like the real thing…

AF : À propos de matos, tu es du genre à en essayer beau­coup et à en garder plus ou moins ou est-ce que tu as un set qui te convient et dont tu ne bouges pas trop ?

L2W : Ni l’un ni l’autre. D’une façon géné­rale, j’aime bien garder du matos, même si je m’en sers une fois par an. Et un équi­pe­ment n’an­nule pas l’autre : il a quelque chose de plus, quelque chose de moins. Alors, je me renseigne, je parle avec les gens, je lis… puis j’achète et je garde.

Mais c’est jamais fini. Ici c’est un home-studio où je fais mes propres prods et aussi pour d’autres gens. Mon prin­cipe est que j’in­ves­tis la moitié de l’ar­gent que je gagne dans de l’équi­pe­ment pour le rendre le plus poly­va­lent possible, tout en sachant que ce ne sera jamais un vrai studio d’en­re­gis­tre­ment. D’ailleurs, je ne veux pas rentrer là-dedans parce que c’est une autre histoire. Et puis, je n’ai pas la patience, je ne suis pas assez tech­ni­cien ni ingé son pour ça.

 

AF : Il faut du temps pour appri­voi­ser chaque nouveau maté­riel…

L2W : Oui. Je crois beau­coup plus au succès d’un petit setup. Peut importe le setup, ce qui compte, c’est d’être à l’aise, de pouvoir faire ce qu’on a envie de faire, de connaître le chemin et de pouvoir y arri­ver rapi­de­ment. Je crois que c’est vrai pour toutes les configs.

Au début de l’en­re­gis­tre­ment du jazz, des gars comme Rudy Van Gelder faisaient ça dans leur salon et construi­saient tout : leur console, leurs micros, leurs magné­tos… Rudy Van Gelder savait quel type de micro il fallait pour son salon. Très rapi­de­ment, on rentre dans une spéci­fi­cité de l’équi­pe­ment.

Mais de nos jours, l’ef­fi­ca­cité de l’in­for­ma­tique fait qu’on fait à peu près ce que l’on veut. Alors, on achète du matos fait pour une clien­tèle la plus large possible avec des tonnes de possi­bi­li­tés tout en sachant très bien que chaque ache­teur va n’uti­li­ser qu’une petite partie de ces possi­bi­li­tés. On croule sous les possi­bi­li­tés. C’est la hype dans lequel les construc­teurs nous mettent pour nous faire ache­ter du matos. Bon, on leur en veut pas. Et on les remer­cie de nous faire du bon matos comme ça, mais on va pas TOUT ache­ter, quand même !

 

AF : Tu as aussi un DX7, un Nord Lead…

L2W : Et un D50, et un M1… des survi­vants des années 80 que j’uti­li­sais essen­tiel­le­ment à New York pour compo­ser et aussi quand je jouais dans des groupes de folk. C’étaient des synthés assez exci­tants. Mais c’est vrai que je n’ai jamais mis de DX7 dans ma musique parce qu’à l’époque, je faisais du jazz hard­core.
Le Nord Lead, je l’uti­lise un petit peu. J’ai aussi un Micro­wave XT que je mets sur les disques élec­tro.

 

AF : Qu’est-ce qui te ramène essen­tiel­le­ment au piano ou au Rhodes ? Le feeling avec l’ins­tru­ment ou le fait que ce soit un son telle­ment incre­vable que ce n’est pas la peine d’al­ler cher­cher ailleurs ?

L2W : Le fait que ce soit incre­vable à la limite, ça joue­rait contre le Rhodes parce que ça veut dire que quand on le joue, l’ins­tru­ment est daté et renvoie à un certain type de musique. Or c’est un peu à ça que je veux échap­per.

 

Laurent De Wilde

AF : Peut-être que ce qui le rend incre­vable, c’est que le Rhodes prend une couleur diffé­rente selon le cadre dans lequel il est employé ?

L2W : Oui. Il y a tant de façons de le jouer. Disons qu’en tant que pianiste, c’est très impor­tant pour moi de sentir le poids de la méca­nique, le marteau qui va sur la corde… C’est vrai­ment quelque chose d’es­sen­tiel. J’uti­lise souvent de très grandes dyna­miques, du pianis­simo à la limite du claquage et le Rhodes est le seul autre clavier qui a une vraie méca­nique avec un marteau qui tape des lamelles de métal. Je n’ai jamais entendu de sampleur qui resti­tuait tout le champ dyna­mique du Rhodes. Or, taper très fort dessus, ça sonne mons­trueux.
Un clavier numé­rique, moi, ça ne me fait pas triper du tout. J’ai l’im­pres­sion d’avoir des gants en plas­tique. Par contre, le Nord Lead, j’adore. C’est un très bon synthé. Le DX des années 2000.

 

 

Du live en studio…

Laurent De Wilde

AF : À propos de son et de produc­tions, tes albums Time4­Change et Stories par exemple ont un son assez diffé­rent. Time4­Change a un son brut, rude tandis Stories a un son qui fait riche, plus gros son, mais aussi plus lisse. C’étaient des choix ou ça s’est trouvé comme ça ?

L2W : ça s’est fait comme ça. Et puis comme je dis souvent, c’est en cher­chant le sucre qu’on trouve le beurre ! Tu as une direc­tion que tu te donnes et qui arti­cule tout ton travail musi­cal, esthé­tique et artis­tique, le choix du matos etc. Et malgré ça, ça sort d’une façon qui n’est pas du tout celle que tu atten­dais. D’ailleurs, tu ne t’at­tends à rien puisque devant toi c’est le vide. Je ne suis pas assez ingé­nieur du son pour avoir déjà une idée précise de comment sonnera un album, donc je suis toujours étonné de ce que je fais en élec­tro­nique parce que le son m’étonne.

Le premier, je l’ai fait quasi­ment tout seul, alors il a plein d’er­reurs de débu­tant, d’im­per­fec­tions, etc. [NDR : bonjour le débu­tant !] Ce qui ne m’avait pas plu, c’est qu’il partait un peu dans tous les sens, passant d’un son à l’autre. Pour le suivant, je voulais plus un son d’al­bum, clai­re­ment. Mais le son d’al­bum, c’est quelque chose qu’on ne maîtrise pas forcé­ment… et en écou­tant le disque après, je m’étais dit « ouais… un peu lisse ». J’avais peut-être essayé trop fort !

Le troi­sième, Orga­nics, était beau­coup plus brutal. J’avais envie de renver­ser la vapeur pour avoir quelque chose qui soit beau­coup plus « dans la face ». Ma méthode, c’est vrai­ment « trial and error ». J’es­saye, je regarde les erreurs, j’es­saye de les corri­ger et ce qui est bon, c’est fait et j’es­saye d’in­ven­ter autre chose.

 

AF : Juste­ment, tes albums élec­tro­niques sont-ils enre­gis­trés live comme un album de jazz stan­dard ou comportent-ils beau­coup de re-recor­ding et beau­coup de travail en post-prod ? Quelle est l’ap­proche ?

L2W : Elle est évolu­tive. Pour le premier disque, j’ai écrit la musique de façon assez « loose » [NDLR : relâ­chée], ouverte, libre. On est allés deux jours en studio et on a enre­gis­tré avec un click sur des boucles de base. Mon objec­tif était de ramas­ser le plus possible de data audio et de voir ce que ça allait deve­nir. Je tâton­nais, quoi. Il y a des morceaux que j’ai quasi­ment entiè­re­ment recons­truits ici.

 

AF : Presque une approche de DJ.

L2W : Exac­te­ment. Je me suis dit « c’est comme ça qu’ils font, je vais me faire ma propre banque de samples ». Au lieu d’al­ler ache­ter des banques de samples, je fais mon disque et puis je me sample. Ça semblait logique…
Ah !!! Ça m’a pris… mais un an ! Horrible ! (rires).

Donc le disque d’après, je me suis dit « je vais travailler des machines, ici, et puis je vais faire venir les musi­ciens un par un, les faire jouer sur le truc ». Du coup, la musique est un peu statique dans la mesure où elle est vrai­ment « machi­nique ».
Pour le troi­sième album [NDR d’élec­tro] Orga­nics qu’on a fait avec Gaël Horel­lou [NDLR Son saxo­pho­niste], on est arri­vés à l’évi­dence qu’il fallait compo­ser un réper­toire, y compris avec les machines, le jouer avec l’or­chestre, le jouer plusieurs fois sur scène et quand ça tourne, aller en studio. Après, on rentre à la maison. On découpe, on trafique, etc., mais on garde l’es­pèce d’ur­gence du machin.

 

Laurent De Wilde

AF : Enre­gis­tre­ment live, donc ?

L2W : Voilà. Et je pense à ce jour que pour ce genre de musique orches­trale avec machines et instru­ments acous­tiques, c’est la meilleure façon de faire. Et là par contre on a travaillé très vite. On a fait ça en deux mois. Même si on n’a pas pu s’em­pê­cher de tricher, qu’on a redé­coupé des lignes de basse, qu’on les a midi­fiées… Et du coup le bassiste, le pauvre Philippe Busso­net (rires) : « Vous voulez que je joue ÇA les gars ? Mais c’est pas possible ! – Ouais, ouais, on sait… mais tu vas y arri­ver ! » (rires)

Mais c’est un peu le prin­cipe de la drum’n’­bass qu’on a enten­due parce que c’étaient des machines qui jouaient et puis main­te­nant il y a toute une géné­ra­tion de batteurs qui joue ces patterns alors que ça aurait été abso­lu­ment inima­gi­nable de jouer ça si les machines ne l’avaient pas fait avant.

 

AF : Ce n’est pas toujours simple, en live, quand on est instru­men­tiste, de pilo­ter à la fois son instru­ment et les machines. Comment est-ce tu gères d’être chef d’or­chestre, de penser au déclen­che­ment des patterns et la concen­tra­tion néces­saire au beau solo de jazz ?

L2W : Ça aussi ça a été évolu­tif. Sur le premier groupe, c’était moi qui jouais les machines, mais c’était un peu pauvre parce que comme je jouais aussi du clavier, j’étais obligé de lais­ser tour­ner des boucles qui tour­naient de façon un peu statique. Ça m’a frus­tré. Alors dans le groupe d’après, j’ai pris un DJ qui gérait les séquences sur l’ordi, la MPC etc. Je conser­vais des échan­tillons, mais c’était lui qui s’oc­cu­pait de tout le trai­te­ment. Et pour le troi­sième groupe, j’ai laissé quasi­ment toute l’in­gé­nie­rie à Gaël mon saxo­pho­niste. Ce qui faisait que je pouvais faire tout l’ac­com­pa­gne­ment de façon beau­coup plus relax.

Donc progres­si­ve­ment, j’ai délé­gué l’élec­tro­nique préci­sé­ment pour ces raisons : c’est trop dur dans le genre de musique que je fais de tout gérer en même temps.

Du Jazz à l’elec­tro

AF : En parlant de musi­ciens, est-ce qu’il a été compliqué de trou­ver d’autres bons jazz­mens « élec­tro­com­pa­tibles » ?

L2W : Ce n’est pas faci­le… Surtout au niveau de la section ryth­mique. Ce n’est effec­ti­ve­ment pas facile de trou­ver des musi­ciens qui aiment jouer avec des machines. Il y a beau­coup de batteurs qui n’aiment pas ça. Ou qui préfèrent jouer avec un clic plutôt qu’avec des machines.

Pour les solistes, les souf­flants, etc., c’est plus facile. Ils ont l’ha­bi­tude de poser un peu n’im­porte où. Après, il faut comprendre les exigences de cette musique, où elle peut aller, où elle ne peut pas, éviter les écueils des lieux communs du jazz. Mais c’est moins diffi­cile de trou­ver un soliste convain­cant qu’une section ryth­mique convain­cante.

 

Laurent De Wilde

AF : Que ce soit en live ou sur les albums, comment ça se passe au niveau des effets pour les solistes ? Est-ce que ça vient d’eux ou de toi ?

L2W : Ça dépend des forma­tions et des musi­ciens. Ça dépend aussi de la musique et de la place qu’ils ont dans cette musique. C’est aussi un appren­tis­sage que j’ai fait d’un groupe sur l’autre. Le prin­cipe est de tout mettre en commun, en fait. L’idéal, c’est qu’on soit tous à boire autour du même puits. Il ne faut pas que l’ordi soit un chef. Il faut que ce soit un instru­ment comme un autre qui a son son, sa puis­sance, ses exigences comme tous les autres instru­ments. Et il faut que tout le monde puisse contri­buer. Ça ne veut pas dire qu’il faut que tout le monde ait un ordi, mais il faut que chacun ait conscience de sa place dans l’en­semble. Être au coeur de la musique, prendre les choses en mains pendant une seconde, repar­tir, et être toujours en rela­tion avec les autres dans ce contexte musi­cal.

Pour les effets sur album, d’une façon géné­rale, je préfère les mettre à l’en­re­gis­tre­ment, sur une piste sépa­rée évidem­ment. On garde le dry pour pouvoir retra­vailler l’ef­fet, mais il faut que l’ins­tru­men­tiste puisse entendre où va la musique.

 

AF : Dans la musique élec­tro­nique, est-ce que le son de l’ins­tru­ment garde la même impor­tance ou est-ce qu’on confie un peu la défi­ni­tion du grain sonore au post trai­te­ment et aux effets ?

L2W : L’un n’em­pêche pas l’autre. Une note jouée au saxo avec âme et qui sonne bien acous­tique­ment, si on la traite ensuite, même quand les effets se super­posent, elle va garder son âme.

 

AF : Sachant les contraintes de temps et finan­cières en studio, est-ce que le soin apporté à la prise de son elle-même reste le même qu’en acous­tique ?

L2W : Comme l’en­re­gis­tre­ment est vrai­ment un stade inter­mé­diaire, qu’il va y avoir beau­coup de post prod derrière, la règle de survie de base est d’avoir la capta­tion la plus fidèle possible. Si le groupe a très bien répété avec un réper­toire bien au point, alors on peut se permettre de faire pencher le son à l’en­re­gis­tre­ment dans un sens ou dans un autre, mais person­nel­le­ment je ne suis jamais arrivé à ce stade pour pouvoir me poser cette ques­tion à ce stade de la prod. On cherche à capter le plus fidè­le­ment possible, quitte à avoir trois micros sur la caisse claire pour avoir une capta­tion trans­pa­rente.

Musi­cien du monde

AF : Tu as beau­coup travaillé aux États-Unis. Une remarque sur la diffé­rence entre les studios français et les studios US ?

L2W : Je peux te répondre en ce qui concerne le jazz. Là-bas, il doit s’en­re­gis­trer un disque de jazz toutes les six heures. Ce qui fait qu’il y a des studios qui sont spécia­li­sés, qui ne tournent que là-dessus. C’est ce qui fait qu’on peut faire un disque en six heures à New York : les gars savent comment ça marche, comment ça se fait. Ils en ont fait 500, ils en refe­ront 500, donc il n’y a aucune perte de temps et d’éner­gie.

Et puis il y a énor­mé­ment de gars qui travaillent en direct 2 pistes. Tu rentres le matin dans le studio et tu ressors le soir avec ton disque. Tout ça donne une ergo­no­mie très fluide. C’est pour ça qu’on va enre­gis­trer à New York. Ce n’est pas pour… enfin, c’est la frime aussi, mais c’est aussi de l’ar­gent gagné.

 

AF : Et la Jamaïque ?

L2W : Ah… La plupart du temps, c’est dans une espèce de cabine. Il y a certaines bandes qui sont prêtes, il y a une pauvre table… on enre­gistre et puis ça part en prod à King­ston ou à Londres et puis ça revient. La musique jamaï­caine d’aujour­d’hui est deve­nue quelque chose de très produit. Et je ne dis pas ça d’un point de vue péjo­ra­tif. Elle passe dans beau­coup de mains et l’ingé son a beau­coup d’in­put. On enre­gistre ici, on mixe là-bas, on maste­rise ailleurs. C’est une musique qui voyage. Mais les gars, quand ils la jouent, c’est pour de vrai ! Mons­trueux !

 

AF : Peux-tu nous parler de ton prochain album ?

L2W : PC Pieces est un dual disk : une face CD, une face DVD. C’est un duo piano-ordi­na­teur : je produis des sons avec le piano et mon collègue Ottisto 13 les enre­gistre en direct dans Live, les boucle, les trai­te… et on accu­mule comme ça les boucles en partant du prin­cipe qu’au départ il n’y a rien dans l’ordi.

 

Laurent De Wilde

AF : Et en concert, il ne travaille que sur ton enre­gis­tre­ment en direct ou est-ce vous utili­sez des éléments pré-enre­gis­trés ? Ou un mélange de tout ça ?

L2W : Théo­rique­ment, c’est du 100% direct. Cepen­dant, en live, bien capter le son, avoir le micro exac­te­ment au bon endroit n’est pas toujours évident : il manque parfois du volume, ou ça sonne trop diffé­rem­ment. Alors, il est arrivé à Ottisto de commettre le péché de faillir à la règle et de balan­cer quelques éléments qu’il a gardés sous le coude. Mais la règle qu’on se fixe est d’ar­ri­ver sur un tableau vierge. C’est quand même ça la beauté du truc. Le spec­tacle comprend aussi un gars qui filme de façon très expli­cite la façon dont on est en train de fabriquer la musique. Et je trouve que c’est très impor­tant parce qu’un des problèmes avec l’or­di­na­teur main­te­nant, c’est qu’un gars arrive avec son ordi­na­teur, il branche, il appuie sur play et alors… quel est le live ? Les gens sont là « ouais, facile, c’est un ordi ».

 

Retrou­vez l’in­té­gra­lité de l’in­ter­view en audio !

Durée : 1 h 15

 

AF : C’est toujours le problème des lives élec­tro­niques de savoir ce qui est vrai­ment du live ou pas.

L2W : Exac­te­ment ! C’est un vrai problème. Ottisto utilise des contrô­leurs, mais ça ne suffit pas visuel­le­ment. Et puis, quand je balance des petits objets dans le piano ou que je joue avec le poing sur la table d’har­mo­nie pour faire une grosse caisse, le public ne peut pas le voir sauf si c’est dans un amphi­théâtre, ce qui est rare. Donc, le fait de l’as­so­cier visuel­le­ment à la façon dont la musique est fabriquée lui permet de comprendre que l’or­di­na­teur est un vrai instru­ment de musique qui se mani­pule, avec ses erreurs, ses fausses notes…

 

AF : Actuel­le­ment, tu accom­pagnes égale­ment Abd Al Malik en tour­née. Qu’ap­pré­cies-tu dans le fait d’être side­man ?

L2W : C’est agréable, aussi, d’être side­man. Tu n’as pas à te soucier des inter­views, des billets de train, des musi­ciens en retard, ou qui râlent parce qu’ils ne sont pas assez payés… Vrai­ment, c’est très confor­table parce que tu n’es respon­sable de rien.
Et je ne suis pas un forcené du haut de l’af­fiche. Travailler avec des gens que j’aime sur un projet inté­res­sant qui rencontre son public, faire de la bonne musique, c’est vrai­ment un plai­sir.

 

 

Merci à Laurent De Wilde de son accueil aimable et chaleu­reux.

Propos recueillis par Will Zégal
Photos de Jean-Noël Kuli­chenski

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