Pianiste touche à tout et avide d'expériences nouvelles, Laurent De Wilde est de ces musiciens qui font feu de tous bois pour emmener le jazz là où on l'attend pas. Rencontre du troisième type donc, avec le plus humain des extra-terrestres hexagonaux.
Laurent De Wilde est étiqueté pianiste de jazz. Et pas des moindres puisqu’il a joué avec des gens comme Eddi Henderson, Ira Coleman, Jack De Johnette, Lewis Nash, Billy Drummond, Barney Wilen, Aldo Romano, André Ceccarelli, que se soit en leader ou en accompagnateur. Son expérience ne s’arrête en outre pas au jazz puisqu’il a collaboré avec des gens comme Ernest Ranglin, Samia, Cosmik Connection ou Roudoudou, et qu’il accompagne actuellement Abd Al Malik en tournée.
Lauréat en 1993 du prix Django Reinhart (rejoignant ainsi Solal, Texier et Petrucciani) et d’une victoire de la musique en 1998, il a enfin reçu deux prix pour son livre sur Théolonius Monk traduit et publié à Londres, Tokyo, New York et Milan.
Tout ça pour dire que les termes de « pianiste » et « jazz » sont quelque peu limitatifs lorsqu’on évoque ce musicien et producteur à la palette aussi vaste. Laurent De Wilde se balade en effet aujourd’hui entre jazz instrumental « classique » et jazz électronique. Mais les choses ne s’arrêtent pas là et si la drum’n’bass est très présente, le dub n’est jamais très loin. Quant à son dernier album « PC Pieces » qui sort ces jours-ci sur le label Nocturne, il lorgne sérieusement vers le contemporain et l’expérimental.
Nous l’avons rencontré chez lui en juin dernier. Ses talents de musiciens n’étaient pas le seul objet de la rencontre : avec ses multiples casquettes de compositeur, de musicien de scène et de producteur électronique, Laurent De Wilde a affronté beaucoup de problématiques que connaissent bien ceux d’entre nous qui mélangent instruments « classiques » et électronique. Il les évoque avec simplicité et l’humilité des grands.
Jazz Assisté par Ordinateur
AF : Tu connais un peu Audiofanzine, donc nous allons surtout discuter matos et technique…
L2W : Absolument. J’aime le ton de la newletter, d’ailleurs. L’éditorial est bien pêchu et tout… sympa. [NDR : Los Teignos était aux anges !]
AF : Pourquoi le jazz ?
L2W : Ça ne s’explique pas. Personne n’écoutait de jazz ni jouait de musique chez moi et quand j’ai entendu un disque jazz la première fois, ça a été le coup de foudre. L’impression d’être appelé.
AF : Et l’électronique ?
L2W : Ça m’a fait un petit peu le même effet. Disons qu’en écoutant des gens comme Amon Tobin, j’ai vraiment pris une claque. C’est marrant parce que j’en ai causé avec lui. Il aime bien le jazz à cause de l’ambiance, le côté film noir, etc., mais ce n’est pas du tout un fan de jazz. Pourtant sa façon de traiter l’électronique est très jazz. Il va prendre un pattern et va tout de suite penser à l’inverser, à permuter… tout ce travail qui est une activité permanente chez le jazzman et qui consiste à changer les formes à l’intérieur des formes.
Et puis, à un certain âge, on a envie de s’attaquer à des choses qu’on ne connait pas et ça a été une espèce de vague déferlante avec l’arrivée de nouveaux instruments comme l’ordi et les sampleurs. À cela s’ajoute une approche d’ingénieur du son qui a été une découverte pour moi : que la musique existait comme une matière sonore et pas simplement comme des notes qu’il fallait enregistrer.
J’ai un Mac depuis 1983 ou 84, j’ai toujours aimé l’informatique dans la musique, mais c’est vrai qu’à l’époque du MIDI, il fallait beaucoup de matos et c’était rigide. Au tournant des années 2000, l’arrivée du G3, des ordinateurs et des logiciels beaucoup plus puissants donnaient au musicien la possibilité d’avoir l’équivalent numérique – un peu cheap, mais quand même ! – d’un studio d’enregistrement qui était auparavant hors de portée.
Je m’y suis jeté avec beaucoup d’enthousiasme : nouveaux instruments, nouvelle musique, il fallait se creuser le chou, se poser de nouvelles questions.
AF : Avant l’informatique musicale, il y a eu les machines, les sampleurs hardwares par exemple… Pour toi, c’est vraiment l’informatique qui a constitué le saut ? Ton approche de travail est essentiellement logicielle ?
L2W : oui parce que les sampleurs, ça permet de produire du son, mais pas réellement de le traiter et l’arranger et de l’organiser. Le MIDI c’était bien pratique et ça l’est toujours, mais l’ordinateur proposait carrément une console d’enregistrement et des racks d’effets entiers et ça, ça n’existait pas en MIDI. Tout d’un coup, on passait vraiment à une autre dimension.
AF : Avec quoi travailles-tu ? Digital Performer ?
L2W : oui, je suis sponsorisé par Motu, mais je travaille aussi avec Cubase. J’ai travaillé sur Logic, un peu dégouté du prix du logiciel et des updates que je trouvais limites. Le dernier disque, on l’a fait dans Live… Tous les logiciels sont bien ou pas bien en fonction de ce qu’on veut faire.
AF : Et des instruments virtuels ?
L2W : Pas énormément. Les émulations de Moog, des trucs comme ça, mais pas énormément. Pour les claviers… si c’est du piano, j’enregistre mon piano, pour du Rhodes, j’enregistre mon Rhodes. Aussi bien qu’on arrive à les imiter.. « nothing like the real thing » [rien ne remplace la chose réelle]
Nothing like the real thing…
AF : À propos de matos, tu es du genre à en essayer beaucoup et à en garder plus ou moins ou est-ce que tu as un set qui te convient et dont tu ne bouges pas trop ?
L2W : Ni l’un ni l’autre. D’une façon générale, j’aime bien garder du matos, même si je m’en sers une fois par an. Et un équipement n’annule pas l’autre : il a quelque chose de plus, quelque chose de moins. Alors, je me renseigne, je parle avec les gens, je lis… puis j’achète et je garde.
Mais c’est jamais fini. Ici c’est un home-studio où je fais mes propres prods et aussi pour d’autres gens. Mon principe est que j’investis la moitié de l’argent que je gagne dans de l’équipement pour le rendre le plus polyvalent possible, tout en sachant que ce ne sera jamais un vrai studio d’enregistrement. D’ailleurs, je ne veux pas rentrer là-dedans parce que c’est une autre histoire. Et puis, je n’ai pas la patience, je ne suis pas assez technicien ni ingé son pour ça.
AF : Il faut du temps pour apprivoiser chaque nouveau matériel…
L2W : Oui. Je crois beaucoup plus au succès d’un petit setup. Peut importe le setup, ce qui compte, c’est d’être à l’aise, de pouvoir faire ce qu’on a envie de faire, de connaître le chemin et de pouvoir y arriver rapidement. Je crois que c’est vrai pour toutes les configs.
Au début de l’enregistrement du jazz, des gars comme Rudy Van Gelder faisaient ça dans leur salon et construisaient tout : leur console, leurs micros, leurs magnétos… Rudy Van Gelder savait quel type de micro il fallait pour son salon. Très rapidement, on rentre dans une spécificité de l’équipement.
Mais de nos jours, l’efficacité de l’informatique fait qu’on fait à peu près ce que l’on veut. Alors, on achète du matos fait pour une clientèle la plus large possible avec des tonnes de possibilités tout en sachant très bien que chaque acheteur va n’utiliser qu’une petite partie de ces possibilités. On croule sous les possibilités. C’est la hype dans lequel les constructeurs nous mettent pour nous faire acheter du matos. Bon, on leur en veut pas. Et on les remercie de nous faire du bon matos comme ça, mais on va pas TOUT acheter, quand même !
AF : Tu as aussi un DX7, un Nord Lead…
L2W : Et un D50, et un M1… des survivants des années 80 que j’utilisais essentiellement à New York pour composer et aussi quand je jouais dans des groupes de folk. C’étaient des synthés assez excitants. Mais c’est vrai que je n’ai jamais mis de DX7 dans ma musique parce qu’à l’époque, je faisais du jazz hardcore.
Le Nord Lead, je l’utilise un petit peu. J’ai aussi un Microwave XT que je mets sur les disques électro.
AF : Qu’est-ce qui te ramène essentiellement au piano ou au Rhodes ? Le feeling avec l’instrument ou le fait que ce soit un son tellement increvable que ce n’est pas la peine d’aller chercher ailleurs ?
L2W : Le fait que ce soit increvable à la limite, ça jouerait contre le Rhodes parce que ça veut dire que quand on le joue, l’instrument est daté et renvoie à un certain type de musique. Or c’est un peu à ça que je veux échapper.
AF : Peut-être que ce qui le rend increvable, c’est que le Rhodes prend une couleur différente selon le cadre dans lequel il est employé ?
L2W : Oui. Il y a tant de façons de le jouer. Disons qu’en tant que pianiste, c’est très important pour moi de sentir le poids de la mécanique, le marteau qui va sur la corde… C’est vraiment quelque chose d’essentiel. J’utilise souvent de très grandes dynamiques, du pianissimo à la limite du claquage et le Rhodes est le seul autre clavier qui a une vraie mécanique avec un marteau qui tape des lamelles de métal. Je n’ai jamais entendu de sampleur qui restituait tout le champ dynamique du Rhodes. Or, taper très fort dessus, ça sonne monstrueux.
Un clavier numérique, moi, ça ne me fait pas triper du tout. J’ai l’impression d’avoir des gants en plastique. Par contre, le Nord Lead, j’adore. C’est un très bon synthé. Le DX des années 2000.
Du live en studio…
AF : À propos de son et de productions, tes albums Time4Change et Stories par exemple ont un son assez différent. Time4Change a un son brut, rude tandis Stories a un son qui fait riche, plus gros son, mais aussi plus lisse. C’étaient des choix ou ça s’est trouvé comme ça ?
L2W : ça s’est fait comme ça. Et puis comme je dis souvent, c’est en cherchant le sucre qu’on trouve le beurre ! Tu as une direction que tu te donnes et qui articule tout ton travail musical, esthétique et artistique, le choix du matos etc. Et malgré ça, ça sort d’une façon qui n’est pas du tout celle que tu attendais. D’ailleurs, tu ne t’attends à rien puisque devant toi c’est le vide. Je ne suis pas assez ingénieur du son pour avoir déjà une idée précise de comment sonnera un album, donc je suis toujours étonné de ce que je fais en électronique parce que le son m’étonne.
Le premier, je l’ai fait quasiment tout seul, alors il a plein d’erreurs de débutant, d’imperfections, etc. [NDR : bonjour le débutant !] Ce qui ne m’avait pas plu, c’est qu’il partait un peu dans tous les sens, passant d’un son à l’autre. Pour le suivant, je voulais plus un son d’album, clairement. Mais le son d’album, c’est quelque chose qu’on ne maîtrise pas forcément… et en écoutant le disque après, je m’étais dit « ouais… un peu lisse ». J’avais peut-être essayé trop fort !
Le troisième, Organics, était beaucoup plus brutal. J’avais envie de renverser la vapeur pour avoir quelque chose qui soit beaucoup plus « dans la face ». Ma méthode, c’est vraiment « trial and error ». J’essaye, je regarde les erreurs, j’essaye de les corriger et ce qui est bon, c’est fait et j’essaye d’inventer autre chose.
AF : Justement, tes albums électroniques sont-ils enregistrés live comme un album de jazz standard ou comportent-ils beaucoup de re-recording et beaucoup de travail en post-prod ? Quelle est l’approche ?
L2W : Elle est évolutive. Pour le premier disque, j’ai écrit la musique de façon assez « loose » [NDLR : relâchée], ouverte, libre. On est allés deux jours en studio et on a enregistré avec un click sur des boucles de base. Mon objectif était de ramasser le plus possible de data audio et de voir ce que ça allait devenir. Je tâtonnais, quoi. Il y a des morceaux que j’ai quasiment entièrement reconstruits ici.
AF : Presque une approche de DJ.
L2W : Exactement. Je me suis dit « c’est comme ça qu’ils font, je vais me faire ma propre banque de samples ». Au lieu d’aller acheter des banques de samples, je fais mon disque et puis je me sample. Ça semblait logique…
Ah !!! Ça m’a pris… mais un an ! Horrible ! (rires).
Donc le disque d’après, je me suis dit « je vais travailler des machines, ici, et puis je vais faire venir les musiciens un par un, les faire jouer sur le truc ». Du coup, la musique est un peu statique dans la mesure où elle est vraiment « machinique ».
Pour le troisième album [NDR d’électro] Organics qu’on a fait avec Gaël Horellou [NDLR Son saxophoniste], on est arrivés à l’évidence qu’il fallait composer un répertoire, y compris avec les machines, le jouer avec l’orchestre, le jouer plusieurs fois sur scène et quand ça tourne, aller en studio. Après, on rentre à la maison. On découpe, on trafique, etc., mais on garde l’espèce d’urgence du machin.
AF : Enregistrement live, donc ?
L2W : Voilà. Et je pense à ce jour que pour ce genre de musique orchestrale avec machines et instruments acoustiques, c’est la meilleure façon de faire. Et là par contre on a travaillé très vite. On a fait ça en deux mois. Même si on n’a pas pu s’empêcher de tricher, qu’on a redécoupé des lignes de basse, qu’on les a midifiées… Et du coup le bassiste, le pauvre Philippe Bussonet (rires) : « Vous voulez que je joue ÇA les gars ? Mais c’est pas possible ! – Ouais, ouais, on sait… mais tu vas y arriver ! » (rires)
Mais c’est un peu le principe de la drum’n’bass qu’on a entendue parce que c’étaient des machines qui jouaient et puis maintenant il y a toute une génération de batteurs qui joue ces patterns alors que ça aurait été absolument inimaginable de jouer ça si les machines ne l’avaient pas fait avant.
AF : Ce n’est pas toujours simple, en live, quand on est instrumentiste, de piloter à la fois son instrument et les machines. Comment est-ce tu gères d’être chef d’orchestre, de penser au déclenchement des patterns et la concentration nécessaire au beau solo de jazz ?
L2W : Ça aussi ça a été évolutif. Sur le premier groupe, c’était moi qui jouais les machines, mais c’était un peu pauvre parce que comme je jouais aussi du clavier, j’étais obligé de laisser tourner des boucles qui tournaient de façon un peu statique. Ça m’a frustré. Alors dans le groupe d’après, j’ai pris un DJ qui gérait les séquences sur l’ordi, la MPC etc. Je conservais des échantillons, mais c’était lui qui s’occupait de tout le traitement. Et pour le troisième groupe, j’ai laissé quasiment toute l’ingénierie à Gaël mon saxophoniste. Ce qui faisait que je pouvais faire tout l’accompagnement de façon beaucoup plus relax.
Donc progressivement, j’ai délégué l’électronique précisément pour ces raisons : c’est trop dur dans le genre de musique que je fais de tout gérer en même temps.
Du Jazz à l’electro
AF : En parlant de musiciens, est-ce qu’il a été compliqué de trouver d’autres bons jazzmens « électrocompatibles » ?
L2W : Ce n’est pas facile… Surtout au niveau de la section rythmique. Ce n’est effectivement pas facile de trouver des musiciens qui aiment jouer avec des machines. Il y a beaucoup de batteurs qui n’aiment pas ça. Ou qui préfèrent jouer avec un clic plutôt qu’avec des machines.
Pour les solistes, les soufflants, etc., c’est plus facile. Ils ont l’habitude de poser un peu n’importe où. Après, il faut comprendre les exigences de cette musique, où elle peut aller, où elle ne peut pas, éviter les écueils des lieux communs du jazz. Mais c’est moins difficile de trouver un soliste convaincant qu’une section rythmique convaincante.
AF : Que ce soit en live ou sur les albums, comment ça se passe au niveau des effets pour les solistes ? Est-ce que ça vient d’eux ou de toi ?
L2W : Ça dépend des formations et des musiciens. Ça dépend aussi de la musique et de la place qu’ils ont dans cette musique. C’est aussi un apprentissage que j’ai fait d’un groupe sur l’autre. Le principe est de tout mettre en commun, en fait. L’idéal, c’est qu’on soit tous à boire autour du même puits. Il ne faut pas que l’ordi soit un chef. Il faut que ce soit un instrument comme un autre qui a son son, sa puissance, ses exigences comme tous les autres instruments. Et il faut que tout le monde puisse contribuer. Ça ne veut pas dire qu’il faut que tout le monde ait un ordi, mais il faut que chacun ait conscience de sa place dans l’ensemble. Être au coeur de la musique, prendre les choses en mains pendant une seconde, repartir, et être toujours en relation avec les autres dans ce contexte musical.
Pour les effets sur album, d’une façon générale, je préfère les mettre à l’enregistrement, sur une piste séparée évidemment. On garde le dry pour pouvoir retravailler l’effet, mais il faut que l’instrumentiste puisse entendre où va la musique.
AF : Dans la musique électronique, est-ce que le son de l’instrument garde la même importance ou est-ce qu’on confie un peu la définition du grain sonore au post traitement et aux effets ?
L2W : L’un n’empêche pas l’autre. Une note jouée au saxo avec âme et qui sonne bien acoustiquement, si on la traite ensuite, même quand les effets se superposent, elle va garder son âme.
AF : Sachant les contraintes de temps et financières en studio, est-ce que le soin apporté à la prise de son elle-même reste le même qu’en acoustique ?
L2W : Comme l’enregistrement est vraiment un stade intermédiaire, qu’il va y avoir beaucoup de post prod derrière, la règle de survie de base est d’avoir la captation la plus fidèle possible. Si le groupe a très bien répété avec un répertoire bien au point, alors on peut se permettre de faire pencher le son à l’enregistrement dans un sens ou dans un autre, mais personnellement je ne suis jamais arrivé à ce stade pour pouvoir me poser cette question à ce stade de la prod. On cherche à capter le plus fidèlement possible, quitte à avoir trois micros sur la caisse claire pour avoir une captation transparente.
Musicien du monde
AF : Tu as beaucoup travaillé aux États-Unis. Une remarque sur la différence entre les studios français et les studios US ?
L2W : Je peux te répondre en ce qui concerne le jazz. Là-bas, il doit s’enregistrer un disque de jazz toutes les six heures. Ce qui fait qu’il y a des studios qui sont spécialisés, qui ne tournent que là-dessus. C’est ce qui fait qu’on peut faire un disque en six heures à New York : les gars savent comment ça marche, comment ça se fait. Ils en ont fait 500, ils en referont 500, donc il n’y a aucune perte de temps et d’énergie.
Et puis il y a énormément de gars qui travaillent en direct 2 pistes. Tu rentres le matin dans le studio et tu ressors le soir avec ton disque. Tout ça donne une ergonomie très fluide. C’est pour ça qu’on va enregistrer à New York. Ce n’est pas pour… enfin, c’est la frime aussi, mais c’est aussi de l’argent gagné.
AF : Et la Jamaïque ?
L2W : Ah… La plupart du temps, c’est dans une espèce de cabine. Il y a certaines bandes qui sont prêtes, il y a une pauvre table… on enregistre et puis ça part en prod à Kingston ou à Londres et puis ça revient. La musique jamaïcaine d’aujourd’hui est devenue quelque chose de très produit. Et je ne dis pas ça d’un point de vue péjoratif. Elle passe dans beaucoup de mains et l’ingé son a beaucoup d’input. On enregistre ici, on mixe là-bas, on masterise ailleurs. C’est une musique qui voyage. Mais les gars, quand ils la jouent, c’est pour de vrai ! Monstrueux !
AF : Peux-tu nous parler de ton prochain album ?
L2W : PC Pieces est un dual disk : une face CD, une face DVD. C’est un duo piano-ordinateur : je produis des sons avec le piano et mon collègue Ottisto 13 les enregistre en direct dans Live, les boucle, les traite… et on accumule comme ça les boucles en partant du principe qu’au départ il n’y a rien dans l’ordi.
AF : Et en concert, il ne travaille que sur ton enregistrement en direct ou est-ce vous utilisez des éléments pré-enregistrés ? Ou un mélange de tout ça ?
L2W : Théoriquement, c’est du 100% direct. Cependant, en live, bien capter le son, avoir le micro exactement au bon endroit n’est pas toujours évident : il manque parfois du volume, ou ça sonne trop différemment. Alors, il est arrivé à Ottisto de commettre le péché de faillir à la règle et de balancer quelques éléments qu’il a gardés sous le coude. Mais la règle qu’on se fixe est d’arriver sur un tableau vierge. C’est quand même ça la beauté du truc. Le spectacle comprend aussi un gars qui filme de façon très explicite la façon dont on est en train de fabriquer la musique. Et je trouve que c’est très important parce qu’un des problèmes avec l’ordinateur maintenant, c’est qu’un gars arrive avec son ordinateur, il branche, il appuie sur play et alors… quel est le live ? Les gens sont là « ouais, facile, c’est un ordi ».
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AF : C’est toujours le problème des lives électroniques de savoir ce qui est vraiment du live ou pas.
L2W : Exactement ! C’est un vrai problème. Ottisto utilise des contrôleurs, mais ça ne suffit pas visuellement. Et puis, quand je balance des petits objets dans le piano ou que je joue avec le poing sur la table d’harmonie pour faire une grosse caisse, le public ne peut pas le voir sauf si c’est dans un amphithéâtre, ce qui est rare. Donc, le fait de l’associer visuellement à la façon dont la musique est fabriquée lui permet de comprendre que l’ordinateur est un vrai instrument de musique qui se manipule, avec ses erreurs, ses fausses notes…
AF : Actuellement, tu accompagnes également Abd Al Malik en tournée. Qu’apprécies-tu dans le fait d’être sideman ?
L2W : C’est agréable, aussi, d’être sideman. Tu n’as pas à te soucier des interviews, des billets de train, des musiciens en retard, ou qui râlent parce qu’ils ne sont pas assez payés… Vraiment, c’est très confortable parce que tu n’es responsable de rien.
Et je ne suis pas un forcené du haut de l’affiche. Travailler avec des gens que j’aime sur un projet intéressant qui rencontre son public, faire de la bonne musique, c’est vraiment un plaisir.
Merci à Laurent De Wilde de son accueil aimable et chaleureux.
Propos recueillis par Will Zégal
Photos de Jean-Noël Kulichenski
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