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Interview / Podcast
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Interview de Greg Wells (Katy Perry, Adele, Timbaland, Deftones, Rufus Wainright) - Produire, pour l'amour de l'Art

Bien qu'il ait passé la plus grande partie de son enfance à étudier la musique et à en jouer, ce n'est qu'à l'âge de 18 ans que Greg Wells a attrapé le virus de l'enregistrement. “J'ai convaincu mes parents de co-emprunter avec moi et j'ai acheté un Mac Plus et un enregistreur à cassettes de 4 pistes Fostex,” se souvient-il. “J'ai acheté un Alesis Microverb, un très mauvais micro et un compresseur d'entrée de gamme, et je me suis pris de passion pour l'idée d'essayer d'enregistrer de la musique.”

Interview de Greg Wells (Katy Perry, Adele, Timbaland, Deftones, Rufus Wainright) : Produire, pour l'amour de l'Art

Depuis ces modestes débuts, Greg Wells s’est bâti une carrière comme produc­teur, ingé­nieur mixeur, multi-instru­men­tiste et auteur-compo­si­teur. Il a été nommé de nombreuses fois aux Grammy Awards, et sur son CV on trouve les noms de Katy Perry, Adele, Keith Urban, Twenty One Pilots, Timba­land, All Ameri­can Rejects, Deftones, et Rufus Wain­right, parmi tant d’autres.

Il a récem­ment travaillé avec Waves sur la gamme de plug-ins Greg Wells Signa­ture Series, élabo­rés pour être à la fois effi­caces et simples d’uti­li­sa­tion tout en incor­po­rant le type de trai­te­ments qu’il utilise chaque jour dans son studio.

Audio­fan­zine a eu l’op­por­tu­nité de s’en­tre­te­nir avec Wells à propos de son style de produc­tion, ses plug-ins, ses tech­niques de mixage et bien d’autres sujets.

Waves Greg Wells

Sur votre site web, vous dites ne pas vouloir impo­ser votre son aux artistes que vous produi­sez, mais essayer de tirer le meilleur de leurs capa­ci­tés.

Je m’in­té­resse vrai­ment aux histoires des gens. L’une des ques­tions que j’aime poser, c’est, « en fait, c’est quoi l’his­toire de votre vie ? D’où que vous veniez, qu’est-ce qui vous a amené à faire ce que vous faites main­te­nant ? ». Les réponses sont toutes diffé­rentes. De la même façon que chaque empreinte digi­tale est diffé­rente, la musique de chacun sonne diffé­rem­ment. On ne peut jamais vrai­ment sonner comme quelqu’un d’autre. Les gens avec qui j’aime le plus travailler, ce sont juste­ment ceux qui ne sonnent vrai­ment comme personne d’autre. Alors s’il y a bien une chose dont je n’ai aucune envie, c’est de faire quoi que ce soit qui homo­gé­néi­se­rait ou norma­li­se­rait le carac­tère unique de l’em­preinte créa­trice de quelqu’un. J’aime beau­coup aider des artistes ou des groupes à jouer à leur meilleur niveau pour eux-mêmes, en faisant leur propre musique. Parce que ce sont eux qui vont devoir partir en tour­née, ce sont eux qui vont inves­tir leur vie là-dedans. Donc plus ils se sentent inves­tis de façon unique dans la musique qu’ils font, le mieux c’est.

Est-ce qu’il arrive qu’un artiste vous demande de faire quelque chose en matière de produc­tion, du genre « est-ce que vous pouvez faire tel effet pour que ça ressemble à Untel ou Untel ? » Et est-ce que vous les pous­sez à ne pas cher­cher à copier le son d’autres artistes ?

Ouais. Il y a deux types de musique, ça m’a pris dix ans pour voir la fron­tière entre les deux. Il y a la musique de diver­tis­se­ment, et puis il y a l’art, et puis il y a toujours des gradua­tions entre les deux. Je crois que la combi­nai­son que je préfère, c’est l’art diver­tis­sant. C’est ce que j’aime vrai­ment. J’aime les gens qui font de la musique pour eux-mêmes. Il y a une très jolie cita­tion d’Os­car Wilde qui dit quelque chose du genre « Le véri­table artiste ne pense jamais à son public. » Ils font de l’art pour eux-mêmes. Et puis il y a un monde complè­te­ment diffé­rent où les gens copient les tubes qui passent à la radio, essaient de faire de l’ar­gent : ils essaient de faire du diver­tis­se­ment. Il y a long­temps, j’ai pris la ferme déci­sion que ce ne serait pas pour moi. Ce n’est pas pour ça que je me suis mis à la musique, ça n’a jamais été ma vision de ce qui était cool dans la musique, et je ne pense pas être vrai­ment bon pour ça. Je suis bien meilleur pour aider quelqu’un à trans­for­mer sa vision en réalité.

Waves Greg Wells

Wells est un artiste multi-instru­men­tiste dont le premier instru­ment fut la batte­rie (photo par Mathilde Tennys­dot­ter)

Donc vous ne produi­sez pas d’ar­tistes qui cherchent juste à suivre une mode musi­cale pour faire de l’ar­gent ?

Je ne pour­rais jamais me sentir fier d’être payé pour ça. Je pense que c’est parce que j’ai trop étudié la musique, j’y ai investi trop de temps. Je voulais être pianiste concer­tiste. Mon premier instru­ment, c’était la batte­rie. J’ai étudié l’orgue, les percus­sions d’or­chestre, le marimba à quatre maillets, la guitare, la basse, la compo­si­tion, les arran­ge­ments pour big bands. Je suis vrai­ment à fond dedans. Si je devais me conten­ter de copier ce qu’a fait quelqu’un d’autre et qui a marché sur les radios (et il n’y a rien de plus incons­tant que la mode sur les radios), je me dirais « non mais qu’est-ce que je suis en train de faire là ? » Si je ne suis là que pour l’ar­gent, je ferais aussi bien d’ar­rê­ter la musique et de deve­nir un horrible avocat d’af­faires ou un vendeur d’armes.

Est-ce que vous avez pu adop­ter cette atti­tude assez tôt dans votre carrière, ou est-ce que vous avez dû attendre d’avoir rencon­tré un certain niveau de succès ?

Ouais, tout à fait, il a fallu que j’at­tende.

Je pense que votre descrip­tion à base de « l’art contre le diver­tis­se­ment » est une très bonne façon de comprendre ce qu’il se passe dans l’in­dus­trie musi­cale.

Je dois vrai­ment distin­guer les deux de cette manière. Par exemple, le dernier single de Rihanna amène des commen­taires du genre « Mais pourquoi chante-t-elle ça, c’est telle­ment nul ? », « cette chan­son est mauvaise, c’est telle­ment dommage, elle gâche son talent » etc. Mais moi je dis « Eh, les mecs, elle fait dans le diver­tis­se­ment ». Elle n’est pas David Bowie. Elle ne va pas faire quoi que ce soit qui va révo­lu­tion­ner la musique. Elle a une voix vrai­ment très sympa, et elle est belle dans ses clips, elle fait du diver­tis­se­ment, c’est une « enter­tai­neuse ». Comme Britt­ney Spears en est une. Comme Ariana Grande en est une. Il y a beau­coup d’ar­tistes, entre guille­mets, qui font dans le diver­tis­se­ment. Katy Perry, qui est l’une des personnes avec qui j’aime le plus travailler, sait faire les deux. J’ai fait un tube avec Keith Urban (Wasted Time), et je n’avais aucune idée de comment ça allait marcher. Tout ce qu’on a fait, c’est se réunir pour faire une musique qu’on aime. Par chance, cette chan­son marche bien sur les radios coun­try. C’est le plus grand succès radio de sa carrière.

Parlons maté­riel. J’ai été surpris de voir que les plug-ins Greg Wells de chez Waves sont dans l’es­prit « One-Knob ».

Dans tous les plug-ins de la série, Piano­Cen­tricVoice­Cen­tric et MixCen­tric, il y a énor­mé­ment d’op­tions. Il y a plein de trucs qui se passent. L’his­toire de ce projet et la raison derrière ce côté « one-knob », c’est que bien que n’ayant jamais été fan de la série One-Knob, je voulais que les plug-ins soient vrai­ment très, très simples d’uti­li­sa­tion, mais je voulais que chaque élément et que le résul­tat final sonnent aussi bien que les meilleurs plug-ins que l’on puisse trou­ver. C’est pourquoi je voulais que mes enfants soient capables de l’uti­li­ser. Je voulais que ce soit hyper simple. Celui pour la voix a été le premier, et le projet a commencé parce qu’on me propose tout le temps de la musique sur laquelle géné­ra­le­ment la voix ne sonne pas très bien. Les voix sont vrai­ment diffi­ciles à mixer. C’est un peu mysté­rieux, il faut beau­coup expé­ri­men­ter et ne pas avoir peur de se trom­per, c’est une ques­tion d’ex­pé­rience. Ça m’a pris du temps avant de comprendre comment s’y prendre. C’est quelque chose avec lequel je me bats chaque jour, en essayant d’ame­ner la voix à sonner comme je pense qu’elle le devrait.

Waves Greg Wells

Voice­Cen­tric est l’un des plug-ins de la collec­tion Greg Wells Signa­ture Series de Waves

Du coup, que se passe-t-il à l’in­té­rieur des plug-ins ?

Commençons avec celui pour les voix. Il y a une sorte de chaîne que j’ai mis en place au cours des années en travaillant avec énor­mé­ment de supers ingés son, en les écou­tant et en les regar­dant travailler. D’une certaine façon, ça a démarré quand j’ai acheté mon premier compres­seur 1176 dans le milieu des années 90. Il venait d’une église à Saint-Louis. Il y a encore marqué « gale­rie centrale » au dos. A l’ori­gine, les 1176 ne coûtaient pas cher. Ils coûtaient dans les 200 dollars, je crois. Quelqu’un a trouvé ce compres­seur avec ses sono­ri­tés magiques, et je l’uti­lise encore, plus de 20 ans plus tard, sur chaque voix que j’en­re­gistre. Le simple fait de me tritu­rer l’es­prit en me deman­dant comment utili­ser ce truc et pourquoi il est telle­ment génial pour enre­gis­trer a beau­coup contri­bué à mon appren­tis­sage et à forger mes influences. J’aime l’uti­li­ser tout le temps. Il sonne vrai­ment de façon incroyable.

Est-ce qu’une part de ce qui fait qu’il sonne si bien est liée au fait qu’il n’a pas de contrôle de seuil, mais qu’à la place il réagit au niveau d’en­trée ?

Beau­coup de vieux compres­seurs étaient conçus comme ça. Le niveau d’en­trée sert de seuil. Donc ouais, plus on envoie fort dedans et plus il compresse. C’est vrai­ment basique. Et puis, vous ne croi­riez pas le nombre d’in­gés son qui ignorent cela mais les réglages d’at­taque et de relâ­che­ment sont inver­sés par rapport à la majo­rité des compres­seurs. Ce que vous prenez pour un réglage rapide est en fait lent sur le 1176. Beau­coup d’in­gés son règlent mal le 1176.

Donc pour rendre l’at­taque ou le relâ­che­ment plus rapides il faut tour­ner les boutons dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, pas dans le sens horaire ?

Je crois bien. Donc je règle un relâ­che­ment très rapide, le plus rapide que je puisse sur le 1176. Avec le temps d’at­taque le plus lent, ou très légè­re­ment en retrait par rapport au réglage le plus lent : c’est mon réglage préféré. Et puis j’ai décou­vert la magie qu’il y a à mettre un autre compres­seur après le 1176, du genre un compres­seur optique plus lent comme un LA-2A, ou un RCA BA-6A, ou un Gates Stay Level, ou un Retro Instru­ments 176, ou un Shadow Hills Opto­graph. Quelque chose de plus doux, qui se déverse, pas un truc dopé à la caféine comme le 1176, et ça donne ce résul­tat mira­cu­leux, ça arron­dit le tout un peu plus, et ça met la voix exac­te­ment à sa place. On doit faire avec des micros et des moni­teurs, qui sont les trucs les moins natu­rels qui soient. Il faut enca­drer ce signal pour qu’en sortant des haut-parleurs il sonne aussi natu­rel, aussi plein d’émo­tions et d’im­pact que si c’était en train d’être joué en live pour vous dans la pièce. Mais c’est un moyen de diffu­sion du son très diffé­rent. En live, on a la partie visuelle, et on sent l’éner­gie émise par le chan­teur ou le musi­cien. Il y a tous ces trucs que les mots peinent à décrire qui se passent en live, et qui ne font pas partie de l’équa­tion dans le cas d’une musique enre­gis­trée, où tout ce qu’on a c’est le son sortant de vos haut-parleurs, ou de votre casque.

C’est vrai, c’est clai­re­ment une expé­rience diffé­rente.

Donc, enca­drer tout ça, c’est le rôle de la compres­sion et de l’éga­li­sa­tion, et il y a encore plus bizarre. On commence à ajou­ter de la distor­sion et de la satu­ra­tion à l’en­semble du mix ou à une voix, ou une batte­rie, ou une basse ou un violon, ou n’im­porte quoi, et souvent ça va mieux sonner via les haut-parleurs. Je ne saurais pas vrai­ment vous expliquer pourquoi. Par contre, je sais que quand on trouve le bon réglage sur ce genre de trucs et qu’en­suite on l’en­lève, tout le monde dans la pièce fait une drôle de tête, genre « Que se passe-t-il ? » Il y a diffé­rents types de distor­sion, beau­coup sonnent horri­ble­ment mal. Mais les distor­sions des lampes, du fait des sortes d’im­per­fec­tions et des limites tech­niques des lampes (les tubes à vide en parti­cu­lier), sonnent vrai­ment bien quand elles partent en distor­sion, parce que le son se débar­rasse de tous ces horribles harmo­niques. Les tubes à vide n’amènent que le premier harmo­nique de la série d’har­mo­niques, qui est la note d’ori­gine portée à l’oc­tave, donc rien de disso­nant n’est apporté.

Inté­res­sant…

C’est vrai­ment fasci­nant. Et ensuite, si on fait distordre le signal via un appa­reil à tran­sis­tors, ou un autre type de lampes qui ne soient pas des tubes à vide (mais c’est encore plus vrai quand il n’y a pas de lampe, quand c’est du « tout tran­sis­tor », rien que des puces élec­tro­niques), la distor­sion sonne de façon très diffé­rente, et souvent assez moche à cause de tous les harmo­niques qui sont amenés. Quand on regarde tous les harmo­niques d’une série (et tout le monde devrait savoir ça, chaque note contient plein d’autres notes à très faible volume) et qu’on pousse quelque chose à la distor­sion, ça fait ressor­tir ces harmo­niques supé­rieurs. L’oc­tave, ça va parce que c’est la même note. La suivante c’est une quarte, une octave au-dessus de la première octave. Et puis ensuite on a une tierce majeure, puis une quarte augmen­tée, puis une sixte majeure. Quand vous en arri­vez là, vous jouez un accord de jazz complexe sur chaque note indi­vi­duelle.

Ça doit chan­ger plein de choses sur le plan sonore.

Si vous avez un groupe qui joue des accords avec un chan­teur et des chœurs, et que tout ça arrive dans le mix, ça rend la musique plus moche. Ça donne l’im­pres­sion que tout est désac­cordé d’une façon déplai­sante. Donc il faut le bon type de distor­sion, enfin je parle plus d’une satu­ra­tion que d’une vraie grosse distor­sion façon fuzz. C’est celle qu’on trouve sur les disques des Beatles, et c’était dû au maté­riel utilisé lui-même, qui était composé de beau­coup de lampes, en plus des bandes qui amènent aussi leur propre distor­sion. Il y a de super plug-ins qui permettent d’ob­te­nir ça, et du très bon maté­riel aussi. La raison pour laquelle j’en parle, c’est que tout ça est dans chacun de mes plug-ins. Il y a des trucs qui amènent de la distor­sion harmo­nique, mais pas d’une façon qui va vous faire vous dire « on dirait que quelqu’un a allumé une pédale de fuzz », pas ce genre de truc. Mais ça ne se contente pas de fermer les tran­si­toires, ça ajoute de l’épais­seur au son et ça amène ce type de sono­ri­tés qui fait que pour moi ça sonne mieux à travers les haut-parleurs. Ça rend le résul­tat plus direct, comme si l’ins­tru­ment sortait du haut-parleur, et ça donne un son plus vivant. C’est dingue.

Donc tous les plug-ins de la série à votre nom contiennent de la distor­sion ?

Ouais, c’est vrai­ment impor­tant pour moi. J’en utilise tout le temps. En fait, j’uti­lise mes plug-ins tous les jours. Je suis toujours surpris que ça surprenne les gens. Mais que je fasse de la musique ou quoi que ce soit d’autre, il faut que je me fasse plai­sir. Je dois avoir la sensa­tion que les choses sont exac­te­ment comme je veux qu’elles soient. Et là, je sais que je trou­ve­rai bien un public. Ça pourra être 500 personnes, ou ça pourra être beau­coup plus que ça. Mais si moi je ne le sens pas, ça ne trou­vera jamais le moindre public.

Quels plug-ins d’autres déve­lop­peurs aimez-vous utili­ser ?

Je les utilise tous. J’adore les réverbes Valhalla. Ça fait des années que je suis un grand fan de la Metric Halo Chan­nel Strip. Univer­sal Audio fait des modé­li­sa­tions extra­or­di­naires. Je suis à fond dans ces trucs-là. Il n’y a proba­ble­ment que peu de plug-ins que je ne possède pas. Mais ce que j’ai toujours aimé chez Waves, et je me souviens le leur avoir dit lors de l’une des premières conver­sa­tions que j’ai eues avec eux, c’est qu’ils n’ont pas peur de faire des trucs qui n’ont jamais été faits aupa­ra­vant. Ils font aussi des modé­li­sa­tions, et leur modé­li­sa­tions font partie de mes plug-ins préfé­rés. Mais ils font aussi des trucs qu’on n’a jamais enten­dus aupa­ra­vant.

Parlons mixage. J’ai compris de certaines de vos vidéos que pour mixer vous vous foca­li­sez d’abord sur les voix et la batte­rie, et qu’en­suite tous les autres éléments trouvent leur place.

Je ne coupe jamais tous les autres éléments pour n’écou­ter que les voix et la batte­rie. Certains ingé­nieurs font comme ça.

Mais vous vous concen­trez d’abord sur le rendu de ces éléments-là ?

Waves Greg Wells

Quand il mixe, Wells aime se concen­trer en prio­rité sur la batte­rie et la voix

Tout à fait. De mon expé­rience, je trouve qu’une fois que les voix sonnent bien, et une fois que la batte­rie sonne bien avec la voix, alors le reste du mix est plus facile à construire à partir de ça. Ce sont les deux éléments dont on se sert comme fonda­tion. Ensuite il est assez facile de faire en sorte que chaque élément trouve sa place autour d’eux. Main­te­nant, je suis aussi batteur, c’était mon tout premier instru­ment. Donc j’aime bien les batte­ries qui sonnent fort, et on m’a accusé de mettre la batte­rie trop fort dans certains mixes, mais de mon point de vue ce n’est jamais le cas. Il faut que vous le sachiez, je suis « batte­rie-centrique », je le suis vrai­ment. Ça vient sûre­ment de ces années passées assis derrière les fûts. Donc mes mixes mettront toujours la batte­rie en avant.

Un gros son de batte­rie donne plus d’éner­gie au mix.

Ouais, je suis d’ac­cord. Je trouve que ça pousse l’en­semble, quand la batte­rie est bonne. Elle ne doit pas vrai­ment être trop fort, mais à un niveau raison­nable. En quelque sorte, c’est ça qui donne la cadre à ce que sera le reste du mix : la profon­deur et les graves de la grosse caisse, ou l’éner­gie qu’il doit déga­ger. Quel genre de chan­teur a-t-on ? Un chant calme ou un chant très agres­sif ? Fort ou non ? Voix mascu­line, fémi­nine ? Tous ces trucs-là. Je veux toujours avoir l’im­pres­sion de regar­der un live. Je ne suis pas le genre d’in­gé­nieur du son à mettre le tom droit à fond à droite et le tom gauche à fond à gauche ou l’in­verse, quelle que soit la pers­pec­tive adop­tée. J’aime bien avoir la sensa­tion de regar­der la musique en train d’être jouée, là, sur scène.

Donc vous faites votre pano­ra­mi­sa­tion comme ça ?

Ouais, comme je disais, avec les fûts de la batte­rie je ne vais jamais les pano­ra­mi­ser à fond d’un côté ou de l’autre parce que ce n’est pas comme ça que je les enten­drais si le son venait d’une scène en face de moi. Je fais ce qui marche pour moi, en enle­vant tout ce qui enlève du natu­rel à l’en­re­gis­tre­ment. J’aime avoir la sensa­tion d’avoir un groupe en face de moi. Ou quoi que ce soit d’autre. Je vais loin pour essayer d’en appor­ter l’éner­gie, pour donner l’im­pres­sion d’un concert sur scène. La façon de travailler en studio a souvent quelque chose qui tue un peu cette éner­gie typique du live qui donne du goût à l’en­semble. Je m’op­pose vigou­reu­se­ment à ça.

En dehors de la pano­ra­mi­sa­tion, quels sont quelques-uns des autres trucs que vous faites pour appor­ter cette dimen­sion live à un mix ?

La compres­sion, pour diverses raisons, lorsque c’est le bon type de compres­sion, peut vrai­ment éner­gi­ser un mix. J’ai appris ça de façon écla­tante avec Chris Lord-Alge. Ça donne une sorte d’en­thou­siasme à la voix, comme un senti­ment d’ur­gence qui n’était peut-être même pas là dans l’en­re­gis­tre­ment d’ori­gine. Une fois que vous commen­cez à faire ça aux voix alors d’une certaine façon ça influence aussi votre approche de tout le reste. Parfois trop de basses fréquences peuvent nuire à une piste en termes d’éner­gie.

Vous utili­sez l’éga­li­sa­tion pour appor­ter de l’éner­gie ? Un peu de boost dans les hauts médiums peut-être ?

Ouais. Encore une fois, avec l’éga­li­sa­tion on fait appel à des centres d’éner­gies diffé­rents dans la musique. L’éga­li­sa­tion signi­fie juste que vous mani­pu­lez les harmo­niques des notes. Il y a telle­ment d’in­for­ma­tions dans une voix, sur le plan sonore. Telle­ment de choses qui s’y passent, spéci­fique­ment au moment où elle arrive au micro et traverse tout un tas de matos. Parfois on peut vrai­ment faire sonner une voix beau­coup plus gros en lui enle­vant beau­coup de fréquences. On ne sait jamais où ça peut nous mener. Les chan­teurs, bons, mauvais, extra­or­di­naires ou manquant complè­te­ment d’ex­pé­rience, sonnent tous diffé­rem­ment face au micro, même avec le même micro. Il réagira de façons complè­te­ment diffé­rentes selon les voix des gens. Impos­sible de dire ce qui va se passer avant qu’ils aient effec­ti­ve­ment utilisé le micro, parce qu’on ne peut tirer aucune conclu­sion en les ayant seule­ment entendu chan­ter dans une pièce. Tout comme certaines personnes sont très photo­gé­niques et sont superbes devant un appa­reil photo, certains chan­teurs sont comme ça : le micro adore leur voix, et les deux vont vrai­ment bien ensemble.

C’est une analo­gie inté­res­sante.

Et puis il y a plein de très, très bons chan­teurs, des chan­teurs incroyables, de grands artistes, qui ne sonnent pas si bien à travers le micro. La voix peut sonner dure dans les hauts médiums. Certains chan­teurs produisent des « s » qui vont déca­pi­ter tout le monde dans la pièce. Ça dépend de la façon dont ça arrive au micro, parce que les micros sont bizarres. Ils ne sont pas natu­rels, et ils ne savent pas vrai­ment comment gérer les « s », et beau­coup d’autres consonnes non plus, mais les « s » en parti­cu­lier. Le choix du micro lui-même est prépon­dé­rant, de même que le posi­tion­ne­ment du chan­teur face à lui.

Donc vous n’al­lez pas forcé­ment dire au chan­teur de se mettre au plus près pour avoir l’ef­fet de proxi­mité ?

En géné­ral, je les encou­rage à se mettre à envi­ron 3 ou 5 cm du micro que j’uti­lise, parce qu’en géné­ral pour la musique que je fais c’est comme ça que ça sonne le mieux. Mais j’y prête une atten­tion constante. Je leur demande par exemple « et là, à quelle distance du micro es-tu ? » Parfois, s’éloi­gner de quelques centi­mètres peut résoudre bien des problèmes. Ça peut enle­ver un excès de réso­nance des graves et ajou­ter quelque chose de natu­rel qu’on n’ob­tien­drait pas autre­ment. Mais parfois, les chan­teurs sonnent mieux quand ils sont collés dessus, presque à en avaler le micro, et parfois ils sonnent mieux quand ils sont à trente centi­mètres du micro. C’est diffé­rent à chaque fois.

Donc, il faut expé­ri­men­ter ?

Constam­ment.


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