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Sujet Musique electroacoustique.

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Sujet de la discussion Musique electroacoustique.
Y a t'il des gens qui en font?
Qui en écoutent?
Qui s'y intéressent?
:?:
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Hier soir (samedi 01.02.03)
J'ai été au zoobizarre,
(à BDX, pour ceux qui conaissent pas http://www.zoobizarre.org)
Et il y avait une soirée "electronica loves electroacoustique...
Multidiffusion 10 canaux JBL, un régal!

::>David Trescos "les Chevaux du Lac Ladoga". cette pièce est une merveille!

::>Jean Michel Rivet "Histoire d'Amour et de Romance"... Enorme! De l'humour dans l'électroacoustique!!! La pièce à été diffusée par le compositeur lui-même...

Un régal!
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Yeah Zoobizarre in da house ! :aime:

J'aime ce lieu, j'ai aimé y avoir joué aussi. Et j'y ai savouré de nombreuses soirées et concerts tres adorables ! :aime:
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Ah oui?
Et tu y a joué quand et sous quel nom (si c'est pas trop indiscret...)???
Peut-être t'ai-je vû en concert?

J'y ai moi-même joué quelque fois...
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Citation : François BAYLE à MagiSon
24 Mars 1998

Compositeur électro-acoustique et philosophe, François Bayle est un des grands noms de la musique contemporaine. Né en 1932, il n’a suivi aucune filière “typique”. Il reçoit l’enseignement de Stockhausen, travaille avec Messiaen, puis consacre toute son œuvre à la musique électro-acoustique, ou plutôt, pour reprendre son expression, “l’exploration du monde acousmatique”.
François Bayle a été longtemps à la tête du Groupe de Recherche Musicale de l’ORTF. Aujourd’hui remplacé par Daniel Terruggi, François a aménagé un véritable studio de production/diffusion 10 canaux dans la mezzanine de son duplex parisien. Articulé autour de Pro Tools, il lui permet de composer de nouvelles œuvres ou de revisiter les anciennes. Il possède par ailleurs son propre label, Magison, où ressortent ses œuvres les plus marquantes, de Tremblements de terre très doux à la dernière, La forme du temps est un cercle.

Vous êtes un des précurseurs de la musique électro-acoustique, juste après les pionniers Schaeffer/Henry, un peu plus âgés que vous...

Entre Pierre Henry et Pierre Schaeffer, c’était l’amour vache ! Schaeffer et Henry sont restés en froid, mais étaient quand même réconciliés, socialement parlant. Quand Schaeffer allait à un de ses concerts, ils se serraient la pince, ils se parlaient, ils se souriaient… Quand Schaeffer entendait du Pierre Henry, il retrouvait sa jeunesse, et il était complètement emballé. C’était très difficile à vivre pour nous, parce que nous, finalement, nous avions suivi Schaeffer sur sa deuxième période, lorsqu’il a « déconcrétisé » sa musique, nous avons été les fondateurs de cette deuxième étape. Il y a eu des compositeurs par centaines, alors que la musique concrète était le fruit du duo Henry/Schaeffer. Cette seconde étape a été très riche, il y a aussi des milliers d’œuvres enregistrées. Mais nous qui avions généralisé et apporté la preuve de la vitalité, de la richesse, Schaeffer nous a crachés dessus, tous ! Et finalement, celui qu’il préférait, c’est Pierre Henry. Je le comprends, qui ne le comprendrait pas ?… primo parce que c’était Pierre Henry, et secundo parce que c’était sa jeunesse, et on peut inverser ces deux raisons (ils avaient à peu près le même âge). On le comprend, mais c’était quand même dur à vivre pour nous : c’était quand même nous qui réalisions, au fond, l’idéal qu’il avait entrevu, et finalement cet idéal, ce n’était pas son véritable idéal, c’était ce qui s’était passé du temps d’Henry, dont il ne voulait pas à l’époque, puisqu’ils se sont fâchés ! Le même Schaeffer est assez ambigu pour avoir été celui qui n’a pas voulu d’un certain idéal, qui s’est mis à la recherche d’un autre, dans lequel il a entraîné beaucoup de monde, et une fois qu’il l’a eu, il n’en a pas voulu non plus, il a préféré le premier.

Peut-être parce qu’entre temps, les outils de fabrication sonore avaient évolué, et qu’il n’en était plus aussi maître que vous pouviez l’être ?

Oui, c’est vrai, il y a de ça, parce qu’effectivement dans cette énorme progression, il a été largué, il n’avait plus la capacité d’être attentif à tout ça, il n’intégrait plus, alors qu’il intégrait très bien les moyens pauvres, dans lesquels il se retrouvait ; comme un Pierre Henry, qui avait beaucoup sophistiqué sa musique, mais qui était quand même resté dans son langage sur une base beaucoup plus étroite. Il avait moins diversifié ses sources sonores, son vocabulaire musical que nous. Schaeffer était assez content de ce rétrécissement, dans lequel il se retrouvait davantage. Et il ne faut pas oublier le principal : Pierre Henry est un génie musical, que Schaeffer connaissait comme sa poche, alors que nous, il ne nous connaissait pas vraiment bien, il connaissait bien mieux son “vieil” ami. Il ne faut pas se faire d’illusion : on n’a qu’une vie, si on se trompe, il est difficile de revenir en arrière et recommencer. Restons ouverts, mais attention, on n’a pas trente-six cartes à jouer, autant jouer celles qu’on croit bonnes, et à fond. C’est ce qu’a fait Pierre Henry, et ça lui a bien réussi… Là où Schaeffer s’est aperçu qu’il faisait peut-être fausse route, il était trop tard.

La radio de l’époque obéissait à certaines normes, dans la réalisation, le ton, la mise en ondes… Schaeffer a essayé, au Club d’Essai ou au GRM, une radio inverse de celle-là, avec un son plus sale, des réalisations plus compliquées (“La coquille à planètes” et autres)… Et c’est là qu’on s’est aperçu que Schaeffer, qui passait un peu pour un iconoclaste, avait quand même des normes dans la tête. Tant qu’il était dans sa période d’innovation pure, Schaeffer n’était pas trop regardant : une fois qu’il a eu installé ses principes sonores, Pierre Henry s’y est plié très facilement, mais tous ceux qui essayaient d’autres choses, différemment, dans d’autres directions, Schaeffer ne leur parlait plus. Situation étonnante : des gens très proches, mais plein de polémiques internes qui pourrissaient la vie !

J’ai eu la chance de bien comprendre cette situation et de ne pas lui en vouloir. Je n’ai jamais vraiment pris au sérieux les reproches que Schaeffer pouvait me faire, alors que c’était un drame pour de nombreux compositeurs qui s’étaient investis dans la parole schaefférienne et qui se prenaient tout en pleine poire, très déçus. J’étais beaucoup plus protégé parce que j’avais bien compris le manège, que Schaeffer était coincé dans son système, qu’il disait blanc mais ça voulait dire “noir”, ou “blanc mais avec des nuances de noir” ou “noir avec des nuances de blanc”, bref il ne pouvait pas dire une chose sans que je ne puisse la retourner. Je voyais qu’il était piégé, qu’il disait ça par réaction par rapport à autre chose, bref je ne prenais pas ça comme un coup de poing ou une gifle…

Vous avez été un des premiers à venir vous «greffer» à eux…

J’ai succédé à ça, pratiquement. Lorsque Henry et Schaeffer se sont séparés, en 1956, Schaeffer a relancé le Groupe de Recherche Musicale, qui est né en 58, et ceux qui l’ont fait démarrer n’étaient pas des fidèles de Schaeffer : c’était François-Bernard Mâche, Iannis Xenakis ou Luc Ferrari, tous des gens très bien, mais j’ai envie de dire même trop bien pour Schaeffer : ils étaient tous très autonomes, ils n’avaient pas envie de travailler sous la houlette d’un chef, ils étaient déjà d’une certaine façon très « auteurs ». Ils ont fait démarrer le mouvement parce que c’était cette phase qui les intéressait, de lancer quelque chose, mais se sont vite enfuis pour mener leur propre carrière, sans devoir se plier aux principes de Schaeffer : lui voulait des choses très précises, mais eux répondaient « On veut faire notre musique ». Très rapidement, ils sont partis, et ce sont donc des gens beaucoup plus jeunes comme moi-même, qui suis arrivé en 60 ou Parmeggiani, qui se sont accrochés. Comme nous étions jeunes, nous pouvions avaler toutes les couleuvres, ça ne nous dérangeait pas.

Vous aviez une formation classique lors de votre arrivée ?

Mon cursus est classique, mais quand on se lance dans ce type de musique, c’est qu’on n’a justement pas été satisfait de la formation classique, qu’on voulait autre chose, de l’ailleurs. C’était une marmite en ébullition, où il y avait des tas de choses à faire, avec des tas de résultats potentiels, et de nouveaux outils qui arrivaient. Si Henry est un enfant de la mono, je suis un enfant de la stéréo, ce sont deux approches très différentes. Mono : son plein, son très instrumental, plein le HP, intense, rugueux ; la musique concrète en elle-même, le mot concret signifie plein : con, avec et cret, croissance (crescendo). Un conglomérat de croissances : une forêt , par exemple, des choses en croissance et enchevêtrées. Un enchevêtrement de fréquences superposées, un agglomérat. Concrete, pour les Anglo-Saxons, signifie béton : une dégradation du sens, où on perd l’idée de croissance, de mouvement : c’est mort, c’est du béton, un gros pudding. Concret, en français, est valorisant, alors qu’en anglais, c’est épais, lourd, moche, ça vaut pas la pierre, le bois, l’arbre. C’est décevant. Peut-être la musique concrète n’a-t-elle pas fonctionné hors de nos frontières (Allemagne, Angleterre) à cause de ce mot, mal compris chez eux.
En France, qui est le pays de naissance de la musique concrète, on ne peut pas faire 100 km sans tomber sur un studio, avec des jeunes compositeurs, des concours comme celui de Bourges... Bref, la vraie musique concrète, c’est nous, comme le parfum, le fromage, les vins, les femmes… tout ce qui est qualitatif !

On parle beaucoup du multicanal, aujourd’hui : un domaine dans lequel la musique électro-acoustique a été un pionnier absolu, lors des concerts où les sons étaient diffusés sur des murs d’enceintes répartis un peu partout dans la salle...

La stéréo est progrès par rapport à une mono plus “opaque”, même si on trichait. Le relief sonore est apparu avec la stéréo : on fabrique un être sonore invisible qui se tient entre les deux haut-parleurs. On a alors inventé le son dans l’espace, et moi, je suis un enfant du son dans l’espace.
On peut faire une analogie haut-parleurs/projecteurs de lumière : en mono, le son est défini par des projecteurs, au bénéfice d’un contour qui est propre à lui-même, qui est provoqué par la membrane du haut-parleur. En stéréo, comme on se trouve entre les deux HP, ce contour n’est pas sur quelque chose, mais entre quelque chose, il est incertain, il bouge, un peu comme la flamme d’une bougie, il est animé. Ce caractère spatial, vibratile du son, a été une grande révélation pour moi. J’ai fait cette musique pour inventer un son dans l’espace : c’est pour ça que j’ai conçu l’Acousmonium, pour projeter le son dans l’espace, en faire un spectacle en temps réel.

En temps réel, mais “en conserve” !

C’est un autre aspect important de cette musique : on entend souvent ses détracteurs prétendre que comme elle est fixée sur un support, bande magnétique ou autre, elle est invalide par rapport aux musiques qu’on interprète devant un public, qu’on fait devant les gens. Erreur profonde ! Effectivement, ses sons sont préparés à l’avance sur des supports, mais on continue à la faire en la faisant écouter, en la prenant à bras le corps pour la diffuser de la façon la plus vivante possible, en distribuant le son sur des projecteurs/haut-parleurs : ce faisant, on impulse une énergie, du relief, on fait réagir le public, et ça revient à une pratique en temps réel, comme si c’était une musique de piano ou d’orchestre : simplement, les modes sont différents. Dans un orchestre, tout n’est pas en temps réel : les musiciens jouent des notes qui ont été écrites avant, sur des instruments qui ont été fabriqués avant, et ce qu’on entend, c’est leur jeu, mais il y a de nombreux préparatifs, dans le sens de “aspects déjà fixés au préalable” : à commencer par la partition, les notes, les trous, les touches, les années d’étude, plein de choses… Ce qu’on entend, c’est un jeu en temps réel à partir de choses fixées. Nous, électro-acousticiens, c’est exactement la même chose : nous avons des choses fixées, et ce qu’on entend, c’est notre jeu à partir des choses fixées, mais dans un autre cadre technologique. Cela dit, il existe beaucoup de différences : cette notion d’espace sonore, cette possibilité de rupture franche, rendue possible par le montage de la bande magnétique ; passer d’un monde sonore à un autre d’un seul coup, sans transition, franchir des espaces et aussi des qualités temporelles, des espèces de temps, de manière vertigineuse, un peu comme avec le téléphone ou l’avion. Autrefois, les gens marchaient, montaient à cheval, se disaient des choses de bouche à oreille : aujourd’hui, on se déplace en avion, on prend l’avion, et ce facteur d’espace et de vitesse, il faut en faire quelque chose ! Nous sommes là, sur la Terre, pour transformer en objet d’art les particularités de notre époque, et c’est vraiment indispensable et important parce que si on ne le fait pas, on est écrabouillé par la puissance fantastique de ces capacités techniques, dont on est la victime totale. Le seul espoir de ne pas en être complètement victime est d’être dans la voiture, pas à la position de l’écrasé, et de bien conduire la voiture. Pas de déraper et de se retrouver soi-même comme écrasé. Donc de rentrer dans le système, pour le maîtriser, parce que sinon, on est en-dehors du système, et lui ne vous fera pas de cadeau. Il y deux places possibles : la mauvaise et la bonne, pourquoi prendre la mauvaise ? Il faut prendre la bonne, et la bonne nécessite effectivement de bien comprendre le système, de rentrer dedans, de le maîtriser. Moi, si je me voyais par exemple à l’aube d’un péril atomique, j’arrêterais immédiatement ce que je fais, je potasserais des bouquins, je me mettrais immédiatement dans le milieu atomique, dans l’idée d’entrer le plus urgemment possible dans les équipes, d’aller dans l’appareil et d’être celui qui décrocherait, casserait le bouton fatidique, pour empêcher le général d’appuyer sur ledit bouton.

Pendant toute une époque, les compositeurs électro-acoustiques développaient eux-mêmes les outils dont ils avaient besoin : parallèlement, au début des années 70 sont apparus les synthés commerciaux, Moog et autres ARP, utilisés en musique commerciale, mais peu par les « électro-acousticiens », jusqu’à récemment, où vous vous êtes appropriés les samplers, les multipistes…

Je parlerais plutôt d’échanges… C’est vrai, nous n’utilisons pas trop le multipiste, par exemple, mais j’ai un Pro Tools dans mon studio personnel. Au départ des choses, il y a des spécialités. Avec l’évolution, au fur et à mesure qu’elles s’enrichissent, ces spécialités se déspécialisent et deviennent interchangeables. Les débuts de la musique concrète et électro-acoustique, on a beaucoup trituré les sons avec du travail de bandes. Un des premiers moments d’interchangeabilité est arrivé avec, je pense, le phénomène de la première pop music : les Beatles, les Doors, Pink Floyd : ce sont des gens qui ont entendu nos concerts, nos triturations de bandes, nos accrochages acoustiques ; pas forcément les musiciens eux-mêmes, d’ailleurs, mais leurs collaborateurs techniques, leurs ingénieurs du son. Number 9, des Beatles, en constitue un bon exemple. C’est souvent comme ça que ça se passe : les musiciens, Schaeffer en disait « Ils n’ont pas d’oreille ». Il voulait dire par là que les musiciens ont une oreille très spécialisée, ils sont très très peu ouverts, assez sourds à la musique des autres. C’est un peu comme les oiseaux : un oiseau d’une certaine espèce chante, un oiseau d’une autre espèce chante aussi, et ils ne s’influencent pas entre eux. Ils influencent les gens qui les écoutent, mais entre eux, ils restent dans leurs habitudes, dans leur domaine. Quels sont les « passeurs » ? Ce sont les collaborateurs techniques. Ils ont un sens de la rivalité, mais ils ne sont pas coincés dans l’acte de création, je veux dire par là aussi engagés que les compositeurs. Ils sont très créatifs, mais dans un domaine de transition. Ils préparent un outil dont le compositeur va se servir… Le mois d’après ou l’année suivante, ils vont travailler avec quelqu’un d’autre : ils transportent ainsi avec eux leur savoir-faire de l’un à l’autre, ils montrent des trucs, que l’autre s’approprie, utilise différemment, d’une nouvelle manière, et il naît des choses de ces suggestions. Les collaborateurs techniques vont ensuite voir les constructeurs, ou se font engager comme eux, et suggèrent des idées concernant le matériel lui-même. Ils essaient parfois d’obtenir des résultats par des moyens détournés : autant avoir une machine qui fait ça proprement, dès le départ ! Moyennant quoi cette nouvelle machine sera elle aussi détournée, on lui fera explorer ses limites, parce qu’on cherche quelque chose de différent. Je crois que c’est comme ça que ça se passe !
Il y a eu des étapes, comme ça, où on a essayé, par exemple dans les studios et les radios, d’inventer de nouvelles catégories de sons. Mais les gens de la variété, ou plutôt leurs collaborateurs techniques, ont entendu ce truc-là et l’ont employé dans un autre cadre, une autre grille musicale, avec un aspect mélodique et surtout beaucoup de rythme. Finalement, les gens très imaginatifs, comme nous avons pu l’être, le sont parce qu’ils ne sont pas coincés.

On raconte, pour les Pink Floyd par exemple, que beaucoup d’aspects considérés comme les plus géniaux ou novateurs, dans leurs disques sont issus en fait d’accidents, et ne résultent pas du tout d’une démarche consciente, volontariste… Par exemple, le son d’ouverture d’Echoes, résultant du cumul de différents défaits.

C’est arrivé à tout le monde ! La révélation de la musique concrète est arrivée à Pierre Schaeffer par un sillon fermé, qui était au départ un accident. Là où d’autres auraient dit « Ça, c’est un défaut, vite on jette ! », lui a eu assez de curiosité pour se dire « Mais ça change, ce truc, c’est formidable, ça fait quelque chose de tout à fait étonnant, inouï, il faut utiliser, provoquer, travailler avec cette espèce d’être mystérieux qui surgit là et qui nous fait rêver complètement. Ça, les trouvailles de hasard, elles sont très nombreuses dans notre métier.
L’art est le résultat à la fois d’essais, de pratique, et de cette merveilleuse chance que nous avons, de devoir dormir et de pouvoir réécouter le lendemain ce que nous avons fait. Ça veut dire qu’on s’excite comme des bêtes certains jours sur un truc, on sue sang et eau dessus, au bout de dix-huit heures de travail on s’écroule. On se réveille le lendemain matin, on va au studio en se disant « Chic, je vais pouvoir réécouter les trucs formidables que j’ai faits hier… ». Et puis catastrophe ! L’oreille fraîche, après quelques heures de sommeil qui ont fait un Reset dans la tête, on repart à zéro, et on s’aperçoit que tout ce sur quoi on a bossé pendant des heures, des heures et des heures, ça vaut pas tripette, c’est pas intéressant du tout du tout parce qu’on était crevé, on essayait d’imiter quelque chose, mais c’est très moche, alors on est découragé. Mais il y avait un certain nombre de choses à côté, qu’on n’avait même pas vu venir, qui s’étaient faites par hasard, et c’est là qu’on découvre, par contre, des éléments fascinants : ce machin, d’où ça vient, qu’est-ce qui s’est passé ?
La plupart des choses proviennent ainsi d’une surexcitation, qui nous fait fonctionner avec des choses très très complexes, et qui produit deux sortes de résultats : un résultat banal, parce qu’on est braqué sur un modèle ancien qu’on veut absolument imiter et qui nous aveugle, et aussi un certain nombre de productions originales, si originales que généralement, au moment où on le fait, on ne s’aperçoit justement pas de cette originalité. L’intérêt de la musique enregistrée c’est que, comme ces choses sont fixées, elles nous permettent de travailler sur des registres différés de la conscience. Et nous pouvons profiter de nos propres progrès, parce qu’une semaine, un mois, six mois plus tard, on a beaucoup progressé comme n’importe qui travaillant un aspect précis ; athlète ou autre ; et ce progrès fait qu’on s’aperçoit qu’il y a beaucoup de banalités dont on peut se débarrasser, et par contre qu’il y a en même temps des tas de phénomènes originaux qu’on peut travailler pour produire quelque chose de vraiment nouveau : les trouvailles, les choses de hasard, les accidents, accrochages, le sillon fermé… Des incidents qui ont été pris en charge par la conscience attentive comme potentiel de nouvelles choses, à condition de les travailler en elles-mêmes, de les développer, de les intégrer… Ces accidents pas intégrés, il faut avoir l’oreille très ouverte pour les choper. Et cette ouverture d’oreille implique une déception sur des aspects plus ordinaires.
C’est cette dialectique entre des choses dont on a ras le bol d’un côté, et de l’autre des éclairs soudains d’espérance qui surviennent et qui font que d’un coup, on n’hésite plus : « Wouh, c’est par là qu’il faut chercher, pas par là… ». C’est pour ça que c’est très intéressant de travailler avec la technique, parce qu’elle nous offre les deux : le maintien (on a changé et on peut profiter du changement) qui assure que si quelque chose qui nous plaisait ne nous plaît plus, c’est que c’est nous qui avons changé, puisque la chose est la même, elle est maintenue. Nous devenons capables de ne plus nous intéresser à des trucs banals, imités, pour aller choisir des choses originales qui sont neuves. Je trouve que c’est passionnant, c’est ça l’intérêt de la musique expérimentale. Il y a des tas de gens que ça a énervés, qui n’ont pas supporté cette chose-là parce qu’ils la trouvaient trop irrationnelle. Ça demande des remises en cause personnelles, ça demande d’avoir la simplicité de pouvoir se dire « Oh non, ça ça va pas, c’est pas bien », de ne pas être content, et de miser par contre tout son espoir sur une petite chose bizarre bien cachée. C’est du sport !

C’est parce que les outils « grand public » étaient trop fermés, trop destinés à une certaine utilisation ou attiraient trop vers cette utilisation restreinte que vous avez utilisé des instruments plus « perso » ?

Les instruments, il faut qu’ils soient les plus ouverts possible. S’ils sont trop fermés, il faut les casser. Le piano, d’une certaine façon, il faut le casser, ça fait de la musique de piano et c’est tout. Il faut « ouvrir » la musique de piano, et pour ça ne pas avoir peur de le casser. Ce sont des instruments qui se construits à travers les siècles, et si il y a eu cette évolution, c’est parce qu’il y a eu des œuvres qui ont obligé à les modifier, à les faire progresser. Les œuvres dépassent toujours les instruments, au bout d’un certain temps. Beethoven, quand il écrivait ses sonates, n’avait pas de bon piano à sa disposition, mais ses sonates sont des œuvres extraordinaires, qui nécessitaient qu’on construise des pianos à la hauteur de leur exécution. Comme quoi les facteurs de pianos ont dû écouter les remarques des pianistes qui désiraient d’autres couleurs d’accords, faire mieux. « Vous n’entendez pas cette musique qui est là-dedans, là, faites-moi l’instrument qui la supporte, qui la fasse sortir ! Exemple : la Hammerklavier. Alors, les instruments sont devenus de plus en plus adéquats avec la musique, jusqu’au jour où ils deviennent parfaits. Hélas…et c’est de plus en plus difficile d’écrire aujourd’hui une pièce pour le piano ou pour le violon : comment encore faire évoluer l’instrument, alors qu’on en est arrivé au bout, comme au bout de la Tour Eiffel ? On ne peut pas lui rajouter dix mètres, à la Tour Eiffel ! Il faudrait la reconstruire depuis le bas, si on veut qu’elle soit plus haute, il y a forcément un jour où on arrive au bout du bout. C’est terminé, tout ce qu’on peut c’est faire autre chose.
C’est ce qui s’est passé dans les musiques de studio. On transportait ses demandes sur d’autres secteurs de la musique. Par exemple, la musique de variétés a été très contente de trouver ces nouvelles sonorités, mais en même temps elle reste contrainte à séduire un vaste public, avec des normes de fabrication très spécifiques, avec une grille rythmique bien précise, un gabarit pas trop long, une alternance mélodique couplet/refrain, sinon il est paumé, il ne comprend pas très bien de quoi il s’agit. Les gens de la variété ont récupéré un certain savoir-faire, qui a enrichi leur musique. Du coup, les constructeurs ont fabriqué certains synthés pour mieux servir ce marché de la variété, ces novations ont été intégrées à leur cadre, qui, profitant de ces innovations, s’est légèrement déformé pour donner des œuvres un peu différentes.
Et puis nous, on continue notre récupération ! Ils ont récupéré notre procédure, alors nous on leur a récupéré leurs instruments, pour les utiliser d’une façon pas orthodoxe, en mélangeant leurs sons à d’autres éléments, en demandant à nos techniciens de les « casser » pour leur intégrer quelques autres modules ou débrider ceux déjà intégrés à la machine, qui peuvent faire bien davantage que ce qui était prévu. Nous avons travaillé sur des ARP ou des Moog, mais nous les avons aussi personnalisés, pour les faire aller plus loin alors qu’ils n’étaient parfois exploités qu’à 10 ou 20% de leurs possibilités. Moyennant quoi c’est too much pour la variété, quand les gars entendent ça, ils sont décoiffés, ils ont peur… Et ils réintègrent ça à l’intérieur de leurs besoins musicaux ! C’est un mouvement de balancier extrêmement naturel, riche et intéressant, que ces mutuels échanges. Il y a toujours eu ça, partout : les musiciens classiques, Mozart en tête, ont fait des menuets en s’inspirant des musiques populaires, des valses que jouait le violoneux au coin de la rue… La musique populaire a toujours enrichi la musique classique et inversement, la musique classique a toujours créé un espace pour que d’autres auditeurs ou d’autres musiciens puissent récupérer ces trouvailles à l’intérieur de leur cadre. Regardons un type qui avait travaillé chez nous, Jean Michel Jarre, qui a fait le cursus intégral du GRM, très motivé, partisan et tout. Il a très bien fait son boulot, et puis après il a commencé à dire du mal de nous, « Oui, les gens du GRM, ils sont très abstraits, ils sont froids, moi je fais de la musique chaude, qui touche les gens… », il a fait la musique qu’on connaît, et puis après, il a eu davantage de recul pour dire « Ah ben quand même, tout ce que je fais, je le dois au GRM, c’est là que j’ai appris pas mal de choses, ce sont des gens très bien, finalement »… Mais il a eu ces deux phases : dans un premier temps, il était complètement comme nous, dans un deuxième temps, il a trouvé qu’on était emmerdants parce qu’on avait des pensées trop abstraites pour lui, parce qu’il se mettait dans un autre domaine musical. Et une fois qu’il a bien su faire ça, qu’il a eu plus de recul, il est très content de faire ce qu’il fait et d’en avoir appris les recettes dans un certain endroit qui n’est pas du tout banal. Je crois que ça, c’est une histoire qui se reproduit toujours…
De la même façon, est apparu voici quelques années le phénomène techno. C’est un peu le même échange : je ne suis pas du métier, mais je peux dire que depuis des dizaines d’années, je n’ai fait que de la techno ! Sons, vitesse, lumière, qui est une composition de 1983, rééditée en 1998, je trouve que c’est très techno, avec ces processus sonores qui filent dans des horizons… Quand j’écoute Toupie dans le ciel, une pièce encore un peu antérieure, genre 78/79, c’est aussi une musique complètement techno ! Alors bien sûr, il faut préciser ce qu’on appelle musique techno. Il y en a deux sortes, les morceaux se découpent souvent en deux parties : il y a d’une part le prélude, les débuts, et ces jeunes gars dont je ne connais pas les noms, je les admire complètement, parce qu’ils ont sorti des trucs qui, s’ils avaient été signés Stockhausen, Henry, Parmeggiani ou Bayle, auraient été tout pareils. Je suis très jaloux de certaines de leurs introductions, j’aurais vraiment voulu les faire. Très très bien. Et puis, ensuite, il y a le morceau proprement dit. Et là, vient ce pon, pon, pon, parce qu’il faut que les DJ contentent le public, qu’il faut que le corps puisse s’accrocher à des rythmes pour gesticuler, gigoter… Évidemment, nous ne destinons pas à la même fonction la musique que nous faisons. Notre musique sert à faire décoller l’oreille… La techno est une musique en pleine mutation, qui a parfaitement intégré cette notion de « décollage », je l’observe avec beaucoup d’attention et de respect… même si je trouve qu’après avoir très bien décollé, elles atterrissent un peu trop vite à mon goût ! Mais il y a derrière cela un aspect fonctionnel, un raisonnement économique : elle intéresse beaucoup de monde, alors il y a beaucoup d’argent à la clé. Ça fait un cercle qui tourne bien. Mais je n’ai rien contre cette dimension économique : moi aussi, j’ai constitué des groupes pendant trente ans, je sais bien que l’aspect économique, on le rencontre forcément à un moment ou à un autre et il faut le résoudre. Nous ne sommes pas des ectoplasmes, nous sommes des êtres qui vivons tous dans une dimension économique, et cette musique-là, elle s’exprime surtout par sa fonction, qui est de s’adresser à la plante des pieds, aux épaules, de susciter le mouvement, une kinesthésie, le corps accompagne le son, et cette influence des sons sur les muscles et des muscles sur l’écoute du son est intéressante. Il y a là derrière toute une musicalité, je suis africain de naissance, j’ai passé toute mon enfance à Madagascar, et tous les soirs, dès la nuit tombée, la musique commençait. La nuit angoisse un peu les Africains, il faut qu’ils fassent quelque chose contre les maléfices et tout ça. Donc ils ont trouvé la solution de la musique. La danse est une raison d’être très puissante de la musique, mais ce n’est pas la seule. Et nous autres de la musique électro-acoustique, nous avons avec les gens de la techno un point commun, qui est d’aimer faire décoller le son, le faire entrer dans l’espace et fabriquer cette espèce de magie d’écoute, qui conduit à un phénomène d’aspiration, d’un seul coup on se met à partir, comme ça. En techno, ça fonctionne extrêmement bien, et ils le font comme nous le faisons, avec les mêmes moyens, la même ouverture d’oreille, la même inspiration. Ce n’est qu’après que nos chemins diffèrent
Parmi les auditeurs et les pratiquants de cette musique, il doit y avoir aussi deux catégories : l’une, représentant sans doute le plus grand nombre, qui est satisfaite de cette musique telle quelle, et puis un certain nombre de gens qui, désormais habitués à la musique techno, désirent peut-être prendre plus de liberté, de se dégager du cloisonnement rythmique pour conquérir une certaine autonomie. Nous, nous recherchons plutôt une autonomie d’écoute, là où les musiques de rythmes recherchent davantage une communion d’écoute ; on écoute tous ensemble. Nous, nous privilégions une écoute individuelle ! Dans la vie, c’est comme ça aussi : des fois on a envie d’être ensemble, des fois on a envie d’être quelqu’un. Donc, tout est nécessaire, il n’y a pas à jouer l’un contre l’autre, puisqu’ils correspondent à des temps différents de la vie, ce sont finalement des moyens de survivre, d’avoir de la résistance personnelle. C’est passer de l’un à l’autre qui est intéressant : être tout l’un ou tout l’autre, c’est finalement un peu dommage.
Voilà où on en est : on a trouvé une musique très particulière, qui a été pendant longtemps assimilée à la musique contemporaine, et pour cause, puisque c’était plutôt des gens de l’école contemporaine qui l’ont faite. Stockhausen est mon maître, avec l’aspect cosmique de la musique, plus que Schaeffer ou Henry, dont j’ai pourtant été très proche. Si on compare Stockhausen et Messiaen, on peut dire que les deux ont en commun de s’intéresser à une espèce de phénomène très planétaire, très cosmique, une espèce de musique des étoiles, de très très grandes dimensions sur le plan de la portée des sons. C’est ça que j’ai appris, et c’est pour ça qu’on les a assimilés à la musique contemporaine. Mais eux, ne nous reconnaissent pas : nous sommes un peu des faux frères pour eux, nous sommes plutôt des gens de la techno ! Et les gens de la techno, ils aiment bien ce qu’on fait, mais ils voient bien quand même qu’on n’est pas assis du même côté de la table… On a des points communs, certes, mais l’essentiel de nos personnalités diffère. Ce qui fait que nous sommes tous dans des secteurs séparés : le GRM et l’IRCAM, église de la musique contemporaine, où on fait des trucs très sérieux, se sont toujours regardés un peu de travers. À cause de ça : les gens de la musique contemporaine ont toujours trouvé que la musique concrète et la musique plastique, électro-acoustique, ça ne va pas, ce n’est pas assez intello pour eux. Ce n’est pas assez structuré, c’est trop corporel, cosmique, je ne sais pas, mais il y a là-dedans quelque chose qui ne leur va pas du tout. Et la bizarrerie, c’est qu’on reste quand même proches, et qu’on échange même nos directeurs techniques ! Quand le GRM a mis au point Syter, l’IRCAM n’a rien trouvé de plus urgent que de nous piquer l’ingénieur qui l’avait conçu, Jean-François Risse, qui a trouvé ça très amusant d’ailleurs. Une fois le premier moment de fâcherie passé, j’ai trouvé ça très bien aussi, parce que d’une part, ça cautionnait la validité de certaines de nos recherches, ils étaient obligés de nous prendre en considération ; même si, en nous prenant le meilleur, ils pouvaient ensuite mieux nous mépriser, parce qu’il y avait aussi un peu de ça… Je n’en étais pas dupe.
En même temps, le gars qui était chez nous, en arrivant là-bas, va les « contaminer », d’une certaine façon… Il va porter notre message, qu’il le veuille ou non. C’est comme un cheval de Troie, notre vieille philosophie que nous évoquions tout à l’heure, il rentre dans le système pour le changer ! Le Directeur Technique suivant est aussi passé à l’IRCAM, mais ça ne change pas le fond des choses. Il y a comme ça des places qui ont leur autonomie, leur identité, et des passerelles, qui vont de l’une à l’autre. Il ne faut surtout pas qu’il n’y ait qu’une seule chose, une espèce de pastaga où on mettrait tout le monde ensemble, ça n’irait pas du tout !

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Fretza > sous le nom de Jacobscale il me semble... :clin:

Ptain ton quote fleuve la il donne pas envie de le lire... Un lien aurait suffit ? :D:
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Non, c'est tellement jouissif, la lecture de cet interview...
Je n'ai pas hésité une seconde!
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Et elle sert à quoi, l'échelle de Jacob?
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Elle sert plus a rien justement, je l'ai laissée dans le grenier de mon bocal mental. :clin:
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En fait Inusable a bouffé Jacob et maintenant c'est sans merci... :bravo:
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Musiques commerciales comme la musique "house" ou "techno"[b]:8O:
il y en a des fois qui savent pas de quoi il parlent

[oui, mais puisque le son, de toute manière ce sont des électrons en mouvement, toute musique est électronique]

c'est faut senor, le son (onde sonore) n'a rien a voir avec les electrons, disons que ça viens de la compression de l'air (ou un truc comme ça)
c'est pour ça que t'as besoin d'enceinte pour covertir les flux d'electrons en onde sonore

ceci dit c'est cool ce post parce que je cherchais des noms de ce type de musique

savez pas ou on peut en ecouter sur le net par hasard?