Quand la plupart des enfants de dix ans jouent au foot ou à la marelle, Fritz Sennheiser, lui, construisait sa première radio avec quelques composants récupérés et bricolés dans la maison familiale. Cette curiosité précoce illustre déjà l’état d’esprit qui marquera ensuite l’entreprise. Peu d’acteurs du secteur peuvent revendiquer un héritage aussi ancien dans le monde de l’audio.
La réalisation de cet article a été rendue possible grâce au soutien de Sennheiser.
Depuis 1945, Sennheiser façonne le son de notre quotidien : sur scène, en studio, dans les avions, et même dans nos salons. En 2025, la marque allemande célèbre ses 80 ans, l’occasion de revenir sur huit décennies d’innovations techniques, de paris audacieux et d’une constante : une passion absolue pour le son.
Des débuts modestes à une ambition mondiale

Le DM 1 est suivi du DM 2, un second microphone dynamique dont l’intérêt, à l’époque, tient surtout à la capacité de Sennheiser à produire rapidement des modèles fiables et cohérents. On raconte d’ailleurs que les premiers exemplaires ont été adoptés par des techniciens de radio locaux simplement parce qu’ils étaient plus constants que beaucoup de micros d’après-guerre, ce qui suffisait déjà à les distinguer. Comme le DM 1, il reste un microphone dynamique assez simple, mais robuste, marquant les prémices de la philosophie Sennheiser : précision, fiabilité et contrôle qualité pointu. Ces premiers modèles affichent déjà une rigueur de conception remarquable : membranes calibrées à la main, composants triés sur mesure, et un contrôle qualité qui, pour l’époque, tient du luxe. L’entreprise prend vite le nom de Sennheiser electronic, et, à partir de là, tout s’enchaîne : microphones, casques, systèmes sans fil… L’histoire d’une marque indépendante guidée par la curiosité et un profond respect du son.
« Les ingénieurs ont besoin d’espace pour les idées folles », disait Fritz Sennheiser. Une devise qui résume parfaitement la culture de la maison.
Ann Vermont, Country Manager France et Communications Manager EMEA
Des décennies d’innovations
Sennheiser n’a pas seulement suivi l’évolution du secteur, elle y a régulièrement apporté sa pierre.

Puis, en 1957, Sennheiser développe, en collaboration avec une chaîne de radiodiffusion allemande, le premier système de microphone sans fil professionnel. Une véritable révolution à l’époque, et la base de toute une tradition d’innovation dans le domaine du sans-fil, qui se poursuit encore aujourd’hui avec la technologie Spectera, lancée en 2024 : le premier écosystème bidirectionnel numérique à large bande. Ce système combine une transmission en très haute résolution et un aller-retour d’informations entre micro et récepteur, ouvrant la voie à un contrôle en temps réel des signaux et à une synchronisation intelligente entre artistes et techniciens.
Au début des années 60, le MD 421 devient un incontournable du studio. Au-delà de sa polyvalence, il doit beaucoup de son succès à des choix techniques précis : sa capsule gère très bien l’effet de proximité, ce qui permet d’obtenir un grave généreux sans excès lorsqu’on le rapproche de la source. Son rejet hors axe est également remarquable pour un micro dynamique de cette génération, ce qui aide énormément en prise de son de batterie ou d’amplis dans des environnements serrés. Son large diaphragme et son atténuateur à cinq positions lui permettent de gérer aussi bien une guitare électrique qu’un saxophone ou une grosse caisse. Et c’est aussi à cette période que Sennheiser pose une autre pierre fondatrice de son histoire : le HD 414, premier casque ouvert au monde. Sorti en 1968, il révolutionne l’écoute domestique et professionnelle, offrant une sensation d’espace sonore inédite. Sennheiser en vendra plus de 50 000 exemplaires dès la première année, cent fois plus que prévu ! Son secret : une architecture acoustique sans coque fermée, permettant aux membranes de « respirer » et de créer une scène sonore d’une ampleur alors inconnue.
L’art d’être en avance sur son temps

C’est aussi dans ces années que naît le premier système sans fil multicanal, ouvrant la voie à l’utilisation des micros HF sur scène, dans les émissions de télévision ou les tournées mondiales. La miniaturisation des capsules et la fiabilité des liaisons radio feront de Sennheiser un partenaire incontournable du monde du spectacle.
En 1982, Fritz passe le relais à son fils, Jörg Sennheiser, qui poursuit cette quête d’excellence. Sous sa direction, la marque devient une référence mondiale et ouvre de nombreuses filiales à l’international, dont la première en France.
Quelques années plus tard, en 1988, un casque entre dans la légende : le HD 25. Conçu à l’origine pour le Concorde, il devient rapidement incontournable dans les radios où sa légèreté et son isolation en faisaient un allié idéal pour les reporters de terrain. Il s’impose ensuite massivement chez les DJs pour deux raisons simples : il reste bien en place sur la tête et isole parfaitement, même quand l’environnement est très bruyant. Son arceau scindé permet un monitoring à une oreille, et il supporte sans broncher des niveaux sonores très élevés. On l’apercevra aussi dans plusieurs films et documentaires musicaux, toujours vissé sur la tête de techniciens ou d’artistes. Aujourd’hui, malgré l’arrivée de nombreux concurrents, il reste une valeur sûre pour celles et ceux qui ont besoin d’un casque fiable, réparable et efficace.
Un acteur majeur de l’histoire du son
Les années 90 marquent un tournant. Sennheiser rachète Neumann, autre nom mythique de la prise de son studio, et intègre la fabrication de ses microphones à Wedemark. Dans le même temps, la marque se lance dans la série Evolution, qui popularise ses micros dynamiques et HF sur les scènes du monde entier. Le e 835, par exemple, combine une directivité cardioïde efficace et une résistance exemplaire aux Larsen, devenant un favori des chanteurs live.
En 1991, Sennheiser dévoile un produit hors norme : l’Orpheus, casque électrostatique haut de gamme conçu sans la moindre concession technique. Il devient instantanément une référence audiophile. En 2015, son successeur, le HE 1, repousse encore les limites du réalisme sonore. Prix : 69 000 €. Un objet de prestige, mais aussi une vitrine du savoir-faire accumulé depuis des décennies. Chaque HE 1 est assemblé à la main : amplificateur à lampes monté sur un socle en marbre de Carrare, circuits discrets à très faible bruit, et diaphragmes en vaporisation de platine. La distorsion mesurée est inférieure à 0,01 %.

Après plus de trente ans à la tête de l’entreprise, Jörg transmettra à son tour la direction à ses deux fils, Andreas et Daniel, qui deviendront co-dirigeants à partir de 2013 (et dont l’interview en vidéo est disponible ici, en plus d’un récapitulatif de l’histoire de la marque). Quelques années plus tard, la marque développe aussi les produits AMBEO (2016) et les micros de conférence TeamConnect Ceiling, puis intègre Dear Reality en 2019, spécialisée dans l’audio 3D. Le système AMBEO Soundbar Plus utilise des algorithmes de virtualisation propriétaires pour projeter du multicanal 7.1.4 à partir d’une seule barre de son, tandis que les plug-ins DearVR Pro et DearVR Monitor permettent aux ingénieurs de mixer en 3D directement depuis leurs casques. À chaque étape, la même philosophie : explorer, innover, réinventer.
Ann Vermont
L’insatisfaction créative, moteur de l’innovation
Chez Sennheiser, la recherche et le développement ne sont pas qu’un département, mais une manière de travailler. Une part importante du chiffre d’affaires est consacrée au développement de nouvelles technologies, avec l’idée que l’expérimentation doit rester au centre du processus. Les ingénieurs disposent ainsi d’une grande liberté pour tester des idées, parfois trop ambitieuses ou trop en avance, mais qui finissent souvent par nourrir des produits futurs.

En regardant ces huit décennies de création, une chose apparaît clairement : l’histoire de Sennheiser ne se résume ni à une succession de produits iconiques, ni à une simple saga familiale. C’est un mélange rare de continuité, de curiosité et de prise de risque qui a permis à la marque de rester pertinente dans un secteur où tout évolue vite.
Trois générations d’ingénieurs ont façonné cette identité, en misant sur l’indépendance, la recherche appliquée, et la conviction que le son peut être à la fois un outil, une émotion et un terrain d’innovation. De la fabrication artisanale des premiers micros aux technologies immersives actuelles, la trajectoire est cohérente : toujours pousser plus loin ce qu’il est possible de faire entendre.
Aujourd’hui, Sennheiser utilise ce passé comme un levier plutôt qu’un héritage figé. Les nouveaux protocoles sans fil, l’audio 3D, l’immersion domestique ou professionnelle et l’intégration croissante entre DSP, logiciels et matériel témoignent d’une entreprise qui ajuste sa recherche aux usages concrets du terrain.
Ce qui se dessine, c’est un futur où la fiabilité, la spatialisation et la performance radio joueront un rôle aussi central que la qualité de capsule ou la réponse en fréquence.
Ann Vermont