« simplicité...voire simplisme? »

Grand amateur du son Roland fin 70/début 80, un Juno-60 et son kit Tubbutec à prix humain était à vendre tout près de chez moi: ni une, ni deux, je file l'acheter pour compléter mon tableau de chasse et voir un peu de quoi il retourne.

De la famille Juno, je connaissais surtout le Juno-106 que je trouve très bon. La présence d'un kit Tubbutec a pesé lourd dans ma décision, il n'était même pas mentionné dans l'annonce. On reviendra plus tard dessus, car c'est un ajout considérable au concept de base. Trouvant le Juno-60 bien trop cher habituellement en occasion, je cherchais plutôt un Juno-6 bien plus abordable, et dont l'absence de mémoire ne me gênait pas outre-mesure, compte tenu de la simplicité du synthé.

Comme tous les synthés un peu trop hypés du moment (SH101, Juno-106...), je m'attendais à être forcément un peu amusé par le décalage entre cette hype et ce que la machine offre. Et, effectivement, c'est le cas (comme sur le Juno-106). Je retrouve ce qui caractérise les Juno 6-60-106: ça fait pas des masses de trucs mais ça sonne bien en toutes circonstances. On a bien droit au son Roland de l'époque, chaleureux, une très jolie PWM, des enveloppes efficaces, le même filtre que le Jupiter 8 (que j'ai aussi mais qui auto-oscille nettement moins sur le JP8 et en 24dB uniquement). Niveau couleur sonore, on est bien davantage dans les 80's, clairement. Le son couvre un spectre assez large, bien équilibré. Le filtre 24dB referme assez vite le spectre des oscillateurs, on a moins de richesse qu'un Jupiter 8 avec ses VCO et un mode 12/24dB. Mais on retrouve le son synthpop large et majestueux, dépouillé mais efficace, avec ce qui est pour moi LE point fort des Juno: ça sonne vite et toujours très bien.

Passés ces moments où on retrouve avec plaisir le "son de l'époque", on essaie d'aller un peu plus loin en se retroussant les manches...qu'on n'a pas. Voilà: ça s'arrête là. Ce qu'on a entrevu est très plaisant mais on s'aperçoit qu'on a fait le tour de la machine en 20 minutes grand max. L'unique DCO par voix (avec onde cumulable mais pas dosable à part le Sub), le filtre 24dB uniquement, l'unique LFO sans mode random et l'unique enveloppe (inversable, tout de même), et les 6 voix nous ramènent au même point de départ. Le Juno-60, c'est un peu comme un film dont les 3 ou 4 meilleurs moments sont dans la bande-annonce. Mais alors, quels chouettes moments!

Le parcours des sons d'usine nous confirment cela, en n'offrant aucune fantaisie, mais en donnant à voir toujours des valeurs sûres.

Le Chorus, le fameux: c'est clairement une valeur ajoutée considérable sur la profondeur et la chaleur du son, mais le mien souffle vraiment beaucoup (à se demander s'il a pas un coup dans le nez). Disons que pour les sons avec filtres ouverts, ça passe sans problème, mais sur le sons dark, c'est Ouessant.

Même l'arpégiateur est simpliste: pas de mode random, et le motif est identique quelque soit l'ordre dans lequel on joue les notes, et ce contrairement à celui du JP8 qui joue en mode "order" avant les motifs up/down/up+down/random.

Ce qui est nettement plus discutable, ce sont les limitations du type enveloppe unique, filtre HPF statique sur seulement 4 positions, pas de portamento, de mode Chord, d'unison... Et malheureusement, l'unique LFO n'est pas synchronisable à l'arpégiateur comme sur un SH101 (ce qui n'est pas très souple, mais tout de même utile). Je ne comprends pas non plus pourquoi le VCA sature aussi rapidement (et pas joliment), on est rarement au dessus de 50% de ce fait.

Si l'on s'arrête-là (et c'est ce dont je tiens compte dans ma note), l'addition est salée pour les possibilités, mais c'est aussi ce qui est recherché: les Juno sont les synthés (claviers, plutôt?) de ceux qui veulent du beau son rapidement, des mémoires et qui s'en foutent royalement de la synthèse. Ce qui le prédispose incontestablement à la scène plutôt qu'au studio, et on comprend alors mieux pourquoi autant de musiciens synthwave/synthpop l'emportent en live avec eux. Si on ajoute à cela qu'il est robuste, pas trop lourd avec un bon toucher synthé, que ses DCO l'affranchissent de toute instabilité ou temps de chauffe, ma foi, on comprend mieux l'intérêt de la chose.

Du coup, on en veut un peu à Roland de n'en pas avoir fait une vraie ré-édition analogique: avec si peu de spécifications, il n'aurait pas été difficile d'en faire une ré-édition comme Moog avec son Model D 2022! (c'est peut-être le Chorus qui les a fait reculer?)

Heureusement, mon Juno-60 est équipé du kit Tubbutec appelé "Juno-66": voir mon autre avis sur celui-ci, car il comble énormément de lacunes du Juno-60 d'origine, en vrac: une enveloppe additionnelle bouclable, un LFO additionnel triangle et random, un mode unison detunable, un décalage de tuning des voix, MIDI In/Out avec synchro, un séquenceur/arpégiateur complexe (avec notes liées et silences), un portamento paramétrable, tout cela étant contrôlables en MIDI CC. Avec ce kit, les possibilités du Juno sont augmentées d'au-moins 50%.

Voici donc mon verdict:

j'aime:
- LE son Roland des 80's, large et élégant, reconnaissable entre 1000.
- le filtre du Jupiter 8, en plus auto-oscillant (avec présence dans le bas plus prononcée)
- la jolie PWM
- les ondes cumulables et riches en harmoniques
- l'enveloppe efficace pour un poly analog
- la largeur du chorus avec ses 3 réglages
- arpégiateur synchronisable
- des mémoires en nombre suffisant
- costaud, clavier et commande de qualité et...il a de l'allure (bien proportionné)
- pas trop lourd ni encombrant
- la possibilité de lui adjoindre des kits MIDI (dont le super Tubbutec)
- il ne chauffe pas du tout
- stabilité du tuning et de tous les réglages
- il est taillé pour la scène!

j'aime moins:
- les spécifications limitées, voire limitatives: on a vite fait le tour!
- des fonctionnalités essentielles manquantes: Unison, 2ème enveloppe/LFO, portamento, mode 12dB sur le filtre...manque tous à l'appel.
- ce sera pas une surprise car Juno = 1 osc/voix, mais aucune interaction entre oscillos. ça fait beaucoup moins de chose qu'un Jupiter 6/8!
- le chorus qui souffle beaucoup sur le mien.
- les prix franchement abusés désormais.