On connaissait la marque SPL pour ses préamplis, ses channel strips, ses de-essers, ses égaliseurs, ses compresseurs, ses contrôleurs de monitoring, ses amplis casques... Mais les Allemands s’étaient jusqu’alors abstenus du côté des interfaces audionumériques.
L’annonce fit donc grand bruit lors du Musikmesse 2013 (oui, il y a plus d’un an) : SPL sortait deux interfaces audio, la Madison avec ses 32 canaux MADI et la Crimson intégrant deux préamplis et un contrôleur de monitoring dans un format desktop. Nous avons reçu cette dernière il y a quelques jours et après plus d’un an d’attente, il était temps de poser nos mains sur cette interface cramoisie.
La première surprise de l’annonce fut très certainement le prix pour du « Made in Germany » : la Crimson peut se trouver facilement à moins de 500 € en magasin, ce qui la place légèrement en dessous de la Babyface de RME, de l’iD22 d’Audient et de la Duet d’Apogee, mais au-dessus de la Forte de Focusrite qui a baissé de prix depuis sa sortie. La deuxième surprise intervient lorsque l’on se retrouve nez à nez avec l’interface : elle est grande, très grande ! Avec ses dimensions de 60 × 330 × 207 mm et son poids de 2,7 kg, SPL tire clairement un trait sur l’aspect nomade. D’ailleurs la Crimson ne peut s’acquitter de son transformateur pour fonctionner… Même si elle reste compatible avec l’iPad (Class 2 compliance).
Évidemment, son poids et sa taille lui donnent quelques avantages non négligeables : les boutons et potards sont nombreux, gros, bien espacés et elle tient parfaitement en place une fois posée sur le bureau. Les home-studistes sédentaires apprécieront. De même la connectique est assez bien fournie : il y a de la place, pourquoi ne pas en profiter ? Les deux entrées instrument et les deux sorties casques sont placées sur la tranche avant, et ça on aime, car ce n’est pas le genre de truc qu’on laisse branché 24/24.
Sur la tranche arrière, il y a du monde : les deux entrées micros au format XLR, les 4 entrées ligne en Jack TRS, les entrées « sources » (pour connecter un lecteur CD, un iPod ou autre) aux formats RCA, Jack TRS ou mini-jack, les sorties XLR pour les moniteurs principaux, les sorties pour les moniteurs « B » au format Jack TRS avec un trim afin d’aligner les niveaux par rapport aux enceintes principales, l’entrée/sortie MIDI au format DIN 5 broches, l’entrée/sortie S/PDIF en coaxial, la prise USB et le connecteur pour l’adapteur secteur. Il n’y a pas de switch de mise sous tension, il faut donc débrancher le câble secteur pour l’éteindre complètement, dommage.
Il n’y a pas non plus de câble USB fourni, SPL prétextant que c’est du gâchis de tuer des câbles USB pour rien, vu qu’on en a déjà plein dans nos maisons… Soit, mais quand ils nous disent qu’il faut quand même faire attention à la qualité du câble que l’on va utiliser avec la Crimson car c’est important pour la stabilité, on se dit qu’il aurait été quand même plus simple pour tout le monde d’avoir un câble USB « approuvé » par SPL dans la boîte… Le SAV va surement passer une bonne partie de son temps à dire à ses clients de changer de câble USB, car celui qu’ils ont choisi n’est pas de bonne qualité. Au final, du temps perdu pour SPL et le client.
King Crimson
La partie nous faisant face comporte un certain nombre de potards et switchs. Si ces premiers sont gros, glissent bien et inspirent confiance, nous sommes plus réservés sur les switchs qui ont parfois tendance à ne pas s’enclencher et à bouger un peu trop. Rien de dramatique, mais nous espérons qu’ils résisteront dans le temps. Nous avons en revanche aimé le fait qu’ils soient rétro-éclairés. La partie gauche regroupe les gains de deux entrées micro (ainsi que le coupe-bas à 75 Hz et l’alimentation fantôme 48 V) et des deux entrées instrument. Les gains sont donc différents suivant le type d’entrée, ce qui est plutôt pas mal. Il est à noter que les entrées ligne n’ont pas d’ajustement de niveau.
À droite, on retrouve le gros potard de volume pour les sorties enceintes A et B, qui va de moins l’infini à + 7 dB, les deux volumes pour les deux casques, celui avec le retour DAW 1/2 et celui avec le mix artist, et le potard pour ce mix artist, permettant de doser le mélange entre les entrées et le retour DAW ou les entrées « sources » et numériques.
SPL ayant fait appel à la société Ploytec (usb-audio.de) pour son driver (la Crimson est compatible Mac, Windows et iOS) qui est réduit à sa plus simple expression (pas de table de mixage virtuelle, juste de quoi régler la taille de la mémoire tampon et donc la latence, la fréquence d’échantillonnage et la résolution), au milieu de la Crimson gît un palanquée de switchs pour choisir les sources que l’on entendra dans le casque ou les enceintes. On retrouve ceux permettant d’entendre les entrées 1/2 et/ou 3/4, avec un petit switch utile dénommé « mono » et permettant de mettre l’entrée 1 ou 2 au centre. Si vous enregistrez une voix sur l’entrée 1, par exemple, vous l’entendrez au centre, ce qui est bien pensé. De même, sachez que si vous branchez quelque chose sur l’entrée ligne 3 et laissez l’entrée 4 libre, ce qui rentre dans l’entrée 3 se positionnera automatiquement au centre. Mais alors, me direz-vous, comment fait-on pour choisir entre les deux entrées ligne, micro et instrument ? Pour les entrées 1 et 2, les entrées ligne ont le dessus sur les entrées micros, ce qui veut dire que si vous voulez enregistrer un micro, il faudra s’assurer au préalable qu’il n’y ait aucun Jack branché sur l’entrée ligne au cul de l’interface. De même, pour les entrées 3/4, les entrées instrument ont le dessus sur les entrées ligne, il faudra donc débrancher tout instrument si vous voulez enregistrer un niveau ligne en 3/4. Pas super pratique tout ça, on aurait préféré avoir des switchs, en plus, ce n’est pas la place qui manque…
Des switchs permettent aussi d’entendre ou non les retours 1/2 et 3/4 du DAW, l’entrée numérique ou encore les entrées « sources ». Enfin, un bouton permettra de passer d’une paire d’enceintes à une autre, et autre de diminuer le volume de 20 dB. Un dernier switch permet de passer en mode « artist ». Dans ce mode, le but est de laisser au « producteur » la sortie casque 1 et la paire d’enceintes A pour entendre le retour DAW 1/2, et d’utiliser la sortie casque 2 et/ou la sortie enceinte B (vous pouvez y brancher un ampli casque) pour le musicien qui est en train d’être enregistré et qui a besoin d’un mélange de ce qui rentre dans l’interface et le retour du DAW.
En mode Artist, vous pourrez aussi utiliser une des entrées « sources » pour le talkback et l’activer facilement via le bouton « talk » idoine disponible sur l’interface. C’est bien, sauf qu’il faut envoyer un signal au niveau ligne et donc avoir un préampli micro externe spécialement pour le micro talkback… Pas très pratique tout ça. Ou alors, on peut aussi utiliser l’entrée micro 2 de la Crimson mais le musicien vous entendra tout le temps, à moins de couper totalement le gain, le bouton « talk » n’ayant aucun effet : pas très pratique non plus. Un peu décevant finalement ce talkback, on aurait aimé avoir un petit micro intégré directement sur l’interface, même pourri, ça nous allait. Quant aux 4 séries de 3 LEDs, elles ne vous permettront pas de faire convenablement le niveau, mais elles ont le mérite d’exister.
SPL a donc fait le choix de gérer le routing directement sur l’interface et non via un bout de logiciel proposant une console virtuelle, comme on le voit sur la majorité des interfaces audio du marché. Du coup, la Crimson reste assez simple à utiliser, il suffit de pousser quelques boutons pour faire ce que l’on veut et quelques bonnes idées facilitent la vie du home-studiste (le coup de mettre l’entrée 1 automatiquement au centre du panoramique quand il n’y a rien sur l’entrée 2, par exemple). En revanche, vous pouvez tirer une croix sur les traitements internes (point d’EQ ou de réverbe ici). SPL nous propose donc une bonne ergonomie générale, même si certains choix restent discutables (le talkback, le fait de devoir débrancher les entrées ligne pour enregistrer un micro).
Benchmark et Sophie
Pour mieux comprendre les résultats des benchmarks, n’hésitez pas à lire cet article.
Afin de tester cette Crimson, nous avons fait des benchmarks avec notre APX-515 d’Audio Precision, et nous l’avons comparé avec notre ULN-8 de Metric Halo et l’Apollo Twin de Universal Audio.
Commençons avec le niveau ligne.
Réponse en fréquences ligne Crimson
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Réponse en fréquences ligne ULN-8
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Concernant la réponse en fréquences, elle doit être le plus linéaire possible, et donc la déviation, qui est l’écart entre le niveau le bas et le plus haut, doit être la plus basse possible. L’Apollo Twin gagne avec une déviation de ±0,023 dB, tandis que l’ULN-8 arrive 2e avec ±0,06 dB et la Crimson est juste derrière avec ±0,073 dB. Le score de la Crimson, même s’il est moins bon que les deux autres, reste très bon. N’oublions pas que nous parlons ici de centièmes de décibel, ce qui reste très minime : un écart de 1 dB correspond au plus faible intervalle entre deux niveaux sonores que l’oreille humaine sache détecter.
THD Ratio ligne Crimson
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THD Ratio ligne ULN-8
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Concernant la distorsion, le ratio THD de la Crimson est meilleur que celui des interfaces Apollo Twin et ULN-8, c’est donc un très bon résultat. La Crimson tient bien ses promesses concernant ses entrées et sorties ligne. Le reste du rapport est disponible ici :
pdf rapport benchmark ligne Crimson et ULN-8
Passons maintenant aux entrées micro.
Réponse en fréquences micro Crimson
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Réponse en fréquences micro ULN-8
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Avec un gain de 34 dB, le rapport signal sur bruit de la Crimson est meilleur que celui de l’ULN-8 : 101,64 dB contre 99,83 dB. Nous avons donc des préamplis silencieux. La déviation est aussi la meilleure avec ±0,046 dB contre ±0,073 dB pour l’Apollo Twin et ±0,156 dB pour l’ULN-8. Le ratio THD est en revanche un peu moins bon.
THD Ratio micro Crimson
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THD Ratio micro ULN-8
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Les préamplis sont donc aussi de très bonne qualité, et leur réserve de gain de 60 dB devrait suffire à la majorité des situations. Le reste du rapport est disponible ici :
pdf rapport benchmark micro Crimson et ULN-8
La latence minimum disponible avec l’interface est de 4,20 ms (185 samples) en entrée et 5,80 ms (256 samples) en sortie, ce qui reste légèrement moins bon que notre ULN-8 (3,36 ms en entrée et 2,97 ms en sortie).
Pour finir, nous avons chargé une session de Studio One 2 et nous avons pu lire jusqu’à 25 pistes audio contenant chacune une instance d’un préset d’Ozone 5 d’iZotope avant d’avoir des craquements audio (avec la mémoire tampon au minimum). La charge du processeur de notre ordinateur dans le gestionnaire des tâches était aux alentours de 80 %, Studio One indiquait 100 %. Les drivers ont donc l’air stable, même avec une latence très faible.
Conclusion
Pour un premier pas dans le monde des interfaces audionumériques, SPL assure et délivre un modèle au son irréprochable, au prix parfaitement calibré, simple et pratique à utiliser, robuste et doté d’une connectique complète. Les utilisateurs désirant acquérir une interface facilement transportable se tourneront néanmoins vers la concurrence, car la Crimson est imposante et lourde. On regrette juste quelques détails, comme le fait de devoir débrancher les entrées ligne 1/2 pour utiliser un micro, les boutons qui n’inspirent pas confiance, l’absence de traitements internes, et le talkback qui reste perfectible (pourquoi ne pas intégrer un micro ou assigner le bouton « talk » au préampli intégré ?). Mis à part cela, la Crimson reste une valeur sûre au très bon rapport qualité/prix.