Le mixage n'est pas seulement un art. C'est l'étape cruciale qui transforme une collection de pistes en un ensemble musical cohérent. Un bon mixage met en valeur toutes les qualités de votre musique : il accentue les éléments les plus importants, apporte un peu d'inattendu pour accrocher l'auditeur et sonne bien quel que soit le système d'écoute, qu'il s'agisse d'un transistor ou d'un ensemble audiophile.
En théorie, le mixage est très simple : il suffit de tourner des boutons jusqu’à ce que tout sonne bien. Mais on n’atteint pas ce résultat par hasard. En fait, mixer correctement est aussi difficile que maîtriser un instrument de musique. Examinons donc le processus de mixage.
Références
Commencez par analyser les mixages des meilleurs ingénieurs et producteurs, par exemple Bruce Swedien, Roger Nichols, Shelly Yakus, Steve Albini, Bob Clearmountain, etc. Ce faisant, ne vous focalisez pas sur la musique mais uniquement sur le son et le mixage. Vous remarquerez qu’on perçoit distinctement chaque instrument, même dans un mix très chargé, parce que chaque élément de la musique est à sa place dans l’espace sonore. Vous constaterez également que la réponse en fréquence semble équilibrée sur tout le spectre audio. En effet, un bon mixage possède suffisamment d’aigu pour que le son soit brillant mais pas criard, suffisamment de grave pour donner une assise satisfaisante sans baver et suffisamment de médium pour ajouter de la présence et de la définition.
L’un des meilleurs outils de mixage est un CD de référence vraiment bien mixé. Reliez votre lecteur CD à votre console et comparez régulièrement votre mixage au CD de référence. Si votre mix semble plus terne, plus strident ou moins intéressant, écoutez attentivement et essayez d’identifier d’où viennent les différences. Un CD de référence fournit également une ligne directrice quant aux niveaux relatifs de la batterie, des voix, etc.
Ajustez le niveau du CD de référence par rapport à celui de votre mixage en alignant les niveaux crêtes des deux signaux. Si votre mix sonne beaucoup moins fort à niveau crête identique, vous pouvez être sûr que le CD de référence a été fortement compressé ou limité pour réduire la dynamique du signal. La compression est un traitement que l’on pourra ajouter au moment du mastering, surtout si votre mixage est finalisé dans un bon studio de mastering qui offre des compresseurs de très haute qualité et un ingénieur du son sachant les utiliser parfaitement.
Niveaux d’écoute adéquats
À fort volume, les séances de mixage prolongées sont pénibles pour les oreilles. En mixant à faible volume, vous conserverez des oreilles « plus fraîches » et minimiserez la fatigue. Certes, il est plus excitant de mixer à fort volume mais cela ne facilite pas la perception des légères variations de niveau.
Étant donné que de nombreux home studios ne permettent pas de travailler à n’importe quel volume sonore, le mixage au casque peut sembler attrayant. Mais bien qu’ils soient d’excellents outils pour saisir des détails plus difficiles à percevoir avec des enceintes, les casques ne sont pas vraiment adaptés au mixage car ils exagèrent certains détails sonores de façon disproportionnée. L’idéal est d’utiliser les casques pour analyser des sources isolément.
L’arrangement
Examinez l’arrangement avant de commencer à mixer. Les arrangements des projets solo tendent au « désordre » parce que vous aurez tendance à « surjouer » au moment d’enregistrer les premières pistes afin de remplir l’espace sonore encore vide. Plus tard, au fur et à mesure de l’avancée de l’arrangement, vous constaterez qu’il ne reste plus beaucoup de place pour les overdubs. N’oubliez pas que plus les notes sont rares, plus leur impact est important. Comme l’a dit Sun Ra, tout est question d’espace.
Le mixage en 12 étapes
Bien qu’il n’existe pas de lois relatives à l’enregistrement ni au mixage, il est important d’établir des bases qui servent de point de départ à votre travail. Plus tard, vous pourrez développer votre propre « style » de mixage. Voici quelques conseils qui m’ont bien aidé.
Vous allez bâtir votre mixage peu à peu en apportant toute une série d’améliorations réparties en (au moins) 12 étapes principales. Ça semble simple mais ça ne l’est pas car ces étapes s’influencent mutuellement. Par exemple, en modifiant l’égalisation, vous modifiez aussi le niveau parce que vous amplifiez ou atténuez certaines portions du signal. En fait, considérez le mixage comme un cadenas à combinaison : lorsque tous les éléments forment la bonne combinaison, le mixage est réussi.
Voyons donc quelles sont les 12 étapes du mixage (et notez bien qu’il s’agit de ma méthode personnelle et que vous développerez peut-être une approche totalement différente plus adaptée à votre façon de travailler).
Étape 1 : préparation mentale
Le mixage peut s’avérer fastidieux. Par conséquent, commencez par créer un environnement de travail adapté. Si vous n’avez pas de bon fauteuil de bureau avec renfort lombaire, je vous recommande de passer chez un fournisseur de matériel de bureau. Gardez du papier et un carnet à portée de main pour pouvoir prendre des notes. Tamisez légèrement l’éclairage pour donner la priorité à l’ouïe plutôt qu’à la vue et, de manière générale, préparez-vous psychologiquement à faire un long voyage.
Faites des pauses régulières (toutes les 45 à 60 minutes) pour reposer vos oreilles et rafraîchir votre jugement. Procédez ainsi même si vous louez un studio professionnel car quelques minutes de pause permettent de retrouver de l’objectivité et, paradoxalement, de terminer le mixage beaucoup plus rapidement.
Étape 2 : passez les pistes en revue
Écoutez à bas volume pour savoir ce que contiennent les pistes. Prenez des notes relatives aux pistes et utilisez des étiquettes repositionnables ou un marqueur effaçable pour indiquer l’assignation des instruments aux canaux de la console. Groupez les sons de façon logique : mettez par exemple toutes les pistes de batterie sur des canaux voisins.
Étape 3 : utilisez un casque pour supprimer les imperfections
L’élimination des imperfections est une activité qui concerne l’hémisphère gauche du cerveau. L’hémisphère droit régit quant à lui l’aspect créatif du mixage. Le fait de passer alternativement d’une activité à l’autre peut brider la créativité. C’est pourquoi il est conseillé de commencer par nettoyer entièrement les pistes (supprimer les imperfections, les fausses notes, etc.) avant de débuter le mixage en lui-même. Utilisez un casque pour percevoir chaque détail et écoutez chaque piste en solo.
Si votre arrangement comporte des pistes virtuelles, c’est le moment de réduire la quantité des ordres Controller, de faire la chasse aux notes doublées et d’éviter que des notes se chevauchent dans les lignes jouées note à note (la partition de la basse ou d’un cuivre).
Utilisez la réduction de bruit (sans exagérer) pour nettoyer certaines pistes. Ici, on atténue le bruit d’un fichier audio dans Sony Sound Forge 9 avant de le réimporter dans le projet multipiste.
Il peut être avantageux d’utiliser un éditeur audionumérique pour l’édition audio et la réduction du bruit, même si cela vous force à exporter la piste pour l’éditer puis à la réimporter dans le projet. Les artefacts à peine audibles peuvent sembler négligeables. Pourtant, multipliées par la vingtaine de pistes de l’arrangement, ils peuvent engendrer un son global assez confus.
Étape 4 : optimisez les générateurs de sons
Affinez la réponse des différents générateurs de sons assignés à des pistes MIDI. Par exemple, pour augmenter la brillance, essayez d’augmenter la fréquence de coupure du filtre passe-bas plutôt que d’utiliser l’égaliseur de la console.
Étape 5 : faites une mise à plat en ajustant le niveau relatif des pistes
N’ajouter aucun traitement. Concentrez-vous sur le son global des pistes sans vous laisser distraire par l’activité de l’hémisphère droit de votre cerveau qui se focalise sur les détails. Dans un bon mix, les pistes sonnent mieux lorsqu’elles sont mélangées les unes aux autres que lorsqu’elles sont écoutées isolément.
Commencez par régler les niveaux en mono : si les instruments sonnent distinctement en mono, ils « s’ouvriront » encore plus en stéréo. D’autre part, il est possible que vous ne puissiez pas identifier les parties qui se gênent mutuellement si vous travaillez directement en stéréo.
Étape 6 : l’égalisation
Les égaliseurs peuvent permettre d’accentuer les différences entre plusieurs instruments pour créer un son global plus équilibré. Commencez par égaliser les éléments les plus importants du morceau (voix, batterie et basse). Dès qu’ils fonctionnent bien ensemble, vous pouvez passer aux parties d’accompagnement.
Le spectre audio est un espace limité ; l’idéal est que chaque élément s’approprie une portion donnée du spectre audible de sorte que lorsque les instruments sont combinés, ils remplissent le spectre de fréquences de façon satisfaisante (certes, l’occupation du spectre audio relève de l’arrangement, mais on peut considérer que l’égalisation en fait aussi partie). On traite souvent la batterie au début du mixage parce que cet instrument couvre une grande partie du spectre audio, du très grave avec la grosse caisse au très aigu avec les cymbales. Ensuite, vous y verrez plus clair quant à la façon d’intégrer les autres instruments à l’arrangement.
L’égalisation appliquée à une piste est susceptible d’affecter d’autres pistes. Par exemple, en amplifiant le médium d’une partie de piano, vous influencerez les voix, les guitares et les autres instruments dans cette plage de fréquences. Parfois, accentuer une bande de fréquences d’un instrument implique d’atténuer cette même bande dans un autre instrument. Pour faire ressortir le chant, vous pouvez par exemple atténuer les fréquences de la voix dans d’autres instruments au lieu de les amplifier dans la piste de chant.
Cubase 4 offre un égaliseur 4 bandes dans chaque canal audio.
Considérez que le morceau correspond à l’ensemble du spectre audible et décidez de la place de chaque instrument dans cet espace. Pendant le mixage, j’utilise parfois un analyseur de spectre, non pas parce que mes oreilles ne permettent pas de jugement fiable, mais parce que cet outil exerce mes facultés auditives en m’indiquant précisément la place que chaque instrument occupe dans le spectre audio. L’analyseur de spectre indique également les accumulations de niveau anormales dans certaines bandes de fréquences.
Si vous voulez qu’un instrument ressorte réellement du mix, essayez d’amplifier légèrement ses fréquences entre 1 et 3 kHz. Mais ne faites pas ça avec tous les instruments : l’idée directrice reste de différencier les instruments les uns des autres en amplifiant/atténuant des fréquences données.
Pour mettre un instrument en retrait dans le mix, il suffit parfois d’utiliser un filtre coupe-haut plutôt que de se lancer dans une égalisation compliquée utilisant plusieurs filtres. De même, utilisez un filtre coupe-bas sur les instruments qui « débordent » sur le bas du spectre, par exemple une guitare ou un piano, pour atténuer leur grave et laisser ainsi plus d’espace à la basse et à la grosse caisse qui sont essentielles au groove.
Étape 7 : ajoutez tous les traitements importants
Il s’agit ici des traitements qui font partie intégrante de la musique (un écho qui tombe sur les battements et modifie ainsi les caractéristiques rythmiques, une distorsion qui transforme le timbre d’un instrument, un effet vocoder, etc.).
Étape 8 : définissez l’espace stéréo
À présent, placez les instruments dans le champ stéréo. Vous pouvez opter pour une approche classique, auquel cas il s’agira de récréer les sensations d’une performance live, ou pour une approche plus radicale. Évitez de placer les instruments mono à l’extrémité droite ou gauche de l’espace stéréo car leur son sera moins riche et moins plein que s’ils sont légèrement recentrés.
Comme la plupart des logiciels de MAO actuels, Sonar possède un mixeur virtuel qui permet de travailler comme avec une console physique classique dotée de panoramiques, d’égaliseurs et de faders.
Étant donné que le grave est moins directionnel que les hautes fréquences, placez la grosse caisse et la basse à peu près au centre de l’image sonore. Veillez à conserver un certain équilibre : par exemple, si vous avez positionné le charley sur la droite, mettez un tambourin, un shaker ou tout autre instrument possédant essentiellement des hautes fréquences sur la gauche. Cela est également valable pour les instruments dont le médium est dominant.
Certaines techniques permettent de créer une image stéréo à partir d’un signal mono. Une méthode consiste à utiliser un effet basé sur un retard temporel, par exemple un chorus stéréo ou un delay court. Par exemple, si un signal est placé sur la gauche, traitez-le avec un delay court dont la sortie alimente un canal positionné sur la droite du champ stéréo. Toutefois, il est primordial de vérifier la compatibilité mono de ce type de traitement car le mélange du signal source et du delay peut créer des déphasages qui engendrent des annulations de fréquences imperceptibles en stéréo.
La stéréo peut affecter fortement la façon dont nous percevons les sons. Imaginons une ligne de voix doublée pour laquelle le chanteur a enregistré la même partie deux fois de suite en s’efforçant d’être le plus précis possible. Placez les deux prises au centre du mix, puis essayez de les positionner de part et d’autre de l’image stéréo. La première solution produit un son assez homogène bien adapté aux chanteurs peu expérimentés. La seconde solution fournit quant à elle un son mieux défini et plus précis qui peut mettre un bon chanteur en valeur.
Étape 9 : apportez les modifications finales à l’arrangement
Minimisez le nombre de pistes qui se « concurrencent » mutuellement pour que l’auditeur se focalise sur la mélodie et évitez le désordre. Supprimez les traitements qui ne servent pas le morceau, même si vous êtes fier de certains effets que vous avez créés. Inversement, si vous trouvez qu’il manque quelque chose au morceau, c’est maintenant votre dernière chance d’ajouter un ou deux overdubs. Ne soyez pas complaisant envers votre travail tant qu’il n’est pas terminé afin de rester le plus objectif possible.
Vous pouvez aussi utiliser le mixage pour modifier l’arrangement en laissant certaines pistes de côté ou en ajoutant de nouvelles pistes. Ce type de mixage est à la base de nombreux morceaux dance utilisant des boucles qui tournent en continu. Dans ce cas, le mixage influence fortement l’arrangement (certaines parties sont « mutées » et les niveaux sont fortement modifiés).
Étape 10 : architecture audio
Maintenant que les pistes sont réparties dans le champ stéréo, il est temps de les placer dans un espace acoustique. Commencez par ajouter de la reverb et du delay pour donner de la profondeur au mixage.
Généralement, on utilise une reverb principale pour recréer un espace donné (club, salle de concert, auditorium, etc.) plus une seconde reverb pour les effets (un algorithme « gated reverb » sur les toms par exemple). Méfiez-vous des pistes qu’il faut noyer dans de la reverb pour qu’elles sonnent bien. Si une prise est contestable au point de nécessiter beaucoup de reverb, refaites-la !
Étape 11 : peaufinez encore et toujours
Maintenant que le mix est bien avancé, il est temps d’entrer dans le détail. Si vous utilisez une automation pour mixer, commencez à programmer ses mouvements tout en gardant à l’esprit que toutes les étapes énumérées ci-dessus s’influencent mutuellement. Par conséquent, retouchez régulièrement aux égaliseurs, aux niveaux, à la position dans le champ stéréo et aux effets. Soyez le plus critique possible : si vous ne réglez pas les détails gênants maintenant, ils vous tourmenteront à chaque fois que vous écouterez votre mix.
Certes, il est important de travailler sur le mix jusqu’à obtention d’un résultat satisfaisant, mais il faut également veiller à ne pas « surmixer ». Quincy Jones a dit un jour que travailler avec des synthétiseurs et des séquences, c’est comme « peindre un Boeing 747 avec des cotons-tiges ». Le mixage est comme une performance artistique : il ne faut pas « surjouer » sous peine de perdre la spontanéité qui peut rendre votre travail captivant. Vous risquez également de diluer l’atmosphère du morceau si vous vous perdez dans les méandres de l’automation. Un mixage imparfait qui retranscrit le caractère passionnel de la musique sera toujours plus intéressant à écouter qu’un travail tellement léché qu’il en devient stérile. Pour éviter cet écueil, conservez de vieilles versions de votre mixage : en les réécoutant le lendemain, vous constaterez peut-être que l’une des premières était la meilleure.
En fait, il se peut que vous n’entendiez pas de grandes différences entre vos différents mixages. Un producteur expérimenté m’a dit une fois qu’il avait fait plusieurs dizaines de versions d’un même mixage parce qu’il entendait chaque fois de légères améliorations qui lui semblaient réellement importantes sur le coup. Quelques semaines plus tard, il a réécouté les différentes versions et n’entendait plus aucune différence entre la plupart d’entre elles. Par conséquent, ne perdez pas votre temps à apporter des modifications que personne (vous y compris) ne remarquera.
Étape 12 : vérifiez votre mixage avec différents systèmes de diffusion
Avant de considérer qu’un mix est terminé, écoutez-le en stéréo et en mono à différents volumes sonores et avec différents systèmes de diffusion, y compris des casques. La réponse en fréquence de l’oreille humaine change en fonction du volume d’écoute : à faible volume, nous entendons moins le grave et l’aigu. Par conséquent, si vous écoutez uniquement à faible volume, votre mix sera peut-être trop chargé en basses ou trop brillant à volume normal. Optez pour une solution moyenne qui sonne bien avec tous les systèmes de diffusion.
Si vous avez un home studio, vous pouvez vous permettre de laisser votre mix de côté, de l’écouter sur différents systèmes de diffusion, puis d’y revenir quelques jours plus tard avec des oreilles fraîches pour y apporter une touche finale.
Une pratique répandue consiste à écouter le mix ainsi que des CD de référence en voiture pour voir comment ils sonnent. Le bruit du véhicule masque certaines subtilités et permet d’identifier les éléments qui ressortent du mix. Je vous recommande également de louer un studio professionnel pour écouter et vérifier vos mixages. Si votre mix sonne bien dans toutes ces situations, vous avez accompli votre mission avec succès.
Originellement écrit en anglais par Craig Anderton et publié sur Harmony Central.
Traduit en français avec leur aimable autorisation.