Sujet Claude Nougaro est mort

Citation : Nougaro cède sa place à Obispo

Citation : Année 1976

Je travaille au centre Bellevue à Saint-Barthélemy (Marseille) et nous décidons avec des copains de l’équipe d’organiser une sortie avec les résidents intéressés, une dizaine, tous handicapés en fauteuil :

Une soirée au théâtre du Pharo avec sur scène Teca et Ricardo, Baden Powel (le guitariste) et CLAUDE NOUGARO !

Arrivés devant les grilles, l’affluence est telle qu’on refuse de nous laisser passer et on nous demande d’attendre que tous les « valides » soient entrés. Nous protestons mais rien n’y fait. On entend dans l’air les premières mesures de « Coco Verde », cette magnifique chanson de Teca et Ricardo, et nous toujours à attendre sur le trottoir avec nos dix fauteuils. Puis tout se calme et ne reste plus que quelques personnes n’ayant pas trouvé de billets (alors que nous avons réservé depuis plus d’un mois !) et là, l’un des sbires gardant la grille nous annonce tout de go que, vu l’affluence dans le théâtre, il est impossible pour des raisons de sécurité de nous laisser entrer pour de bon. Alors là la colère s’installe et, devant leur mauvaise volonté et leur agressivité (c’était une époque où il était courant, lorsque nous amenions des handicapés au cinéma, d’entendre quelqu’un dire : « Ca devrait être interdit de sortir dans la rue des gens comme ça ! »), nous décidons de bloquer avec les fauteuils la grille du Pharo, tout ça sous les encouragements et un slogan lancé sur l’air des lampions : « Laissez-les entrer ! »

Arrive une voiture et, devant notre refus de dégager l’entrée, le conducteur nous demande des explications. Nous lui expliquons l’affaire et cet homme nous dit texto : « Je suis l’imprésario de Baden Powel , je suis moi-même handicapé (en effet cet homme n’a pas de jambes et conduit une voiture automatisée ! ! !),laissez-moi passer, je m’occupe de votre affaire. » Sous les applaudissements, nous le laissons passer la grille qui se referme aussitôt. Il règne une émotion extraordinaire à ce moment-là car nous nous sentons forts de notre bon droit et renforcés par l’arrivée de cet « ange » du ciel et une joie extraordinaire se partage entre nous, les accompagnateurs-pousseurs de fauteuils, les handicapés à la merci des « valides » et les pauvres qui n’ont pas eu de billets ; tout ça sous le regard fermé et dur des « gardiens de la sécurité ».

Passent dix bonnes minutes et nous voyons descendre un petit homme vêtu de noir et écharpe blanche au cou, c’est NOUGARO. Il se plante devant les cerbères et, à voix haute, déclare textuellement ceci : « Soit vous laissez entrer ces personnes, soit j’annule mon concert ! »

Cris de joie de la foule, talkies-walkies des gardiens, Nougaro qui nous serre la main et plaisante avec nous au travers de la grille… Moment inoubliable… et puis une énorme bagnole descend la pente à fond la caisse, un homme bien sapé en sort (le directeur du Pharo, je crois), quelques mots assez vifs avec les trois adjudants et la grille s’ouvre ! Nous fonçons

comme des malades vers le théâtre, suivis au pas de course par une dizaine de resquilleurs

( veinards !) et on nous installe dans la fosse devant les premiers fauteuils à un mètre de la scène !

Là nous aurons le bonheur de voir Baden et Claude interpréter leur succès du moment,
« Brésilien mon frère d’armes, sur le parcours du cœur battant, toi qui ris avec tes larmes, oh toi qui pleures avec tes dents… » et puis, deux heures durant, ce petit homme noir à écharpe blanche qui après chaque chanson nous faisait un clin d’œil, et nous émus, ravis, touchés jusqu’au fond de l’âme.

Que dans son immense bonté et sur la foi de mon témoignage, le Père d’Amour veuille bien accueillir dans sa jolie maison ce petit chanteur, immense poète, ce cathare d’âme, ce « Bonhomme », un vrai.

Ecrit dans une grande tristesse et une grande joie.

Jeudi 4 mars 2004.

Philippe Forcioli

Citation : Claude Nougaro est mort