C’est un fait : après quarante ans de bons et loyaux services, la moustache de Jeff Berlin a été remerciée. On ne connait pas encore les raisons officielles de ce divorce capillaire, la communauté de la clé de Fa s’interrogeant encore sur ce point.
Reste que la plupart des bassistes interrogés sont encore sous le choc : Jeff Berlin sans la moustache, c’est tout un pan de l’histoire du Jazz Rock qui vacille sous nos yeux ébahis. On se consolera, peut-être, en testant cette nouvelle Cort Rithimic, qui hérite de la signature du maître.
Jeff Berlin a-t-il vendu ses bacchantes aux Coréens ? Réponse ci-dessous.
À vos souhaits !
Sous ce drôle de nom, se cache une quatre cordes aux allures de Jazz Bass (ou de GB, pour rester dans la marque), fabriquée en Indonésie. Un corps en aulne, un manche en érable avec une touche en palissandre ; dans le fond, cette basse est assez classique dans sa conception. Elle est cependant équipée de deux humbuckers Bartolini, conçus spécialement pour l’occasion. De véritables humbuckers, importés des États-Unis et pas une simple licence, comme nous en avions l’habitude sur les séries Artisan. L’autre pièce rapportée qui saute aux yeux est un magnifique chevalet Babicz, qui est en soi une joie à essayer, je développerai un peu plus bas le sujet.
Aïe, Ouille, j’ai mal aux… Yeux !
Je sais ce qui est visuel reste subjectif. Promis, je ne m’étendrai pas sur mes goûts en matière d’harmonie des couleurs. Sur ce point, il est évident que Jeff Berlin, les designers de chez Cort et moi-même n’avons pas du tout les mêmes tendances. Mais quand je vois cette basse dans mon salon, je pense à un pote d’enfance qui est daltonien et je l’envie…
Je sais, ce n’est pas bien de se moquer des gens qui voient bien, mais dessinent mal les instruments que l’on achète. Alors je vais plutôt me plaindre objectivement du travail effectué sur la table.
Comme vous pouvez le voir, à l’initiative du signataire de cette basse, les ouvriers de chez Cort ont reproduit ce que l’on pouvait déjà voir chez Dean, sur un modèle signature du même artiste (série Patchwork). Alors pour la Dean, je ne sais pas de quoi il en retourne, mais sur la Cort, je vous l’avoue sans détour, on est vraiment loin du travail d’ébéniste, avec ou sans moustache !
D’abord, cette table rapportée n’a rien d’une table : sa finesse tient plus de la feuille ostentatoire, au grammage particulièrement léger. Sur un corps en aulne, on a posé du padouk et de l’érable ayant subi une coloration fongique. Les anglophones appellent cette technique le spalted wood.
Ce procédé, qui est devenu assez courant, depuis son invention au début des années 80, revient à placer le bois dans des conditions d’humidité saturée (plus de 20 %) et de température moyenne (entre 20° et 30°) puis de laisser certains champignons attaquer sa surface. On utilise jusqu’à trois types de champignons de manière successive, tels que le trametes versicolor ou le xylaire polymorphe, des espèces que vous avez surement croisées en forêt. On laisse donc le bois moisir et au bout de quelques semaines, on le récupère. En principe, quand le timing est bon, il n’a pas perdu de sa résonance et se voit affublé de jolis motifs, il ne reste plus qu’à stabiliser sa moisissure résiduelle en le faisant sécher. Voilà pour la technique, qui fonctionne plutôt bien pour ceux qui aiment ce genre de motifs et qui permet de réaliser des corps originaux. Mais revenons à cet assemblage du padouk et de l’érable sur la Rithimic, qui me pique décidément les yeux. Premièrement, il est objectif de constater que la jonction entre ces deux bois est grossière.
J’ai beau chercher sur toutes les fiches techniques, je ne vois nulle part la mention d’un troisième bois qui sert de sous-couche à l’érable et au padouk. Ce bois, probablement de l’acajou ou du noyer, suit les contours de la table et c’est cette même essence qui vient séparer le padouk de l’érable. Et c’est cette ligne de séparation, irrégulière par bien des endroits, qui jure vraiment. Il en est de même près de l’éclisse, sous le chevalet, ou l’on peut voir que les feuilles de padouk et d’érable ne se prolongent pas jusqu’au bending. Il est d’ailleurs étonnant qu’un contrôle qualité rigoureux ait laissé passer un tel défaut. Je m’interroge donc sur les fondements d’une telle initiative. Si elle fut à but décoratif, c’est un échec dans le fond comme dans la forme. Vous me direz ce que vous en pensez, si les goûts et les couleurs ne se discutent pas, rien n’empêche de les communiquer !
On positive !
Voilà pour le gant de fer, je vais maintenant passer au velours, en relevant ce qui me plait dans cette basse. Première mention pour son manche, qui a le mérite d’être fin sur toute sa longueur. J’ai comparé avec un autre manche dont je connais bien la finesse et voilà un petit tableau comparatif des résultats :
|
Largeur du sillet |
Douzième frette |
Dernière frette |
Cort Rithimic |
3,8 cm |
5,35 cm |
6 cm |
66 Jazz Bass |
3,8 cm |
5,65 cm |
6,1 cm |
La Cort Rithimic a donc un manche très fin, une spécificité demandée par Jeff Berlin lui-même. Et il faut avouer que la chose est très facile à aborder quand on a des mains de taille moyenne, surtout si l’action de l’instrument est réglée assez bas. On se retrouve avec un instrument qui invite à la vitesse et aux démanchés de tous genres. Les micros quant à eux, sont comme je l’ai déjà écrit : des véritables Bartolinis (made in USA), deux gros pavés au son bien velouté qui sont couplés à une électronique passive. Étant particulièrement amateur des basses passives, j’apprécie le côté élémentaire de l’électronique embarquée : un volume, une balance et une tonalité.
Et enfin, le chevalet Babicz qui en soi est une merveille, arrivant à point pour remplacer l’introuvable Baddass de Leo Quan ! De cette pièce d’accastillage je ne dirai que du bien les amis !
Étrangement, une fois la basse déballée de son carton (pour la housse, on repassera…) je me suis rendu compte qu’elle était bien fausse et avait tendance à friser. J’ai donc pris le temps de la régler le manche puis de me pencher sur l’ajustement de la tonalité à l’octave. Et c’est en me farcissant tout un ajustement des harmoniques que j’ai pu découvrir le concept de ce chevalet, car il y en a bien un.
Pour commencer, ce chevalet est massif, certainement l’un des plus gros du marché. Et il est assez remarquable de constater qu’il ne comporte pas de vis de pontets, afin d’en ajuster la hauteur : la corde repose directement sur un axe rotatif serti dans chaque pontet, c’est cet axe qui permet d’ajuster la hauteur de chaque corde. Chaque pontet repose directement sur la structure, il est bien sûr possible de régler la course du pontet sur la corde pour ajuster la tonalité comme il est possible de bloquer tous les ajustements (hauteur et longueur) avec une simple clé Allen. Ce chevalet est prévu pour se monter directement sur l’emplacement des vis d’une Jazz Bass, ce qui en fait une excellente solution d’upgrade. Le concept d’accastillage dit « full-contact », s’affiche ici concrètement, il suffit de jouer l’instrument sans le brancher pour le sentir : le sustain ne ruine en rien l’attaque, on aurait presque envie de voir ce chevalet équiper en série toutes les Jazz Bass du marché ! La Rithimic est vendue avec des cordes DR DDT d’un tirant léger (40–100) et des mécaniques Hipshot Ultralights.
La basse ne fait pas le Jeff !
J’ai tout fait pour la faire sonner comme lui, j’ai usé de mes plus belles mélodies et dans un élan de désespoir, j’ai même failli me couper la barbe pour ne me laisser qu’une moustache. En vain les amis ! Parce qu’il suffit de le voir jouer le Jeff, seul avec sa basse tricolore reprenant Tears in Heaven dans une allée de foire à l’instrument, pour comprendre que c’est un artiste généreux, qui a toujours une note à vous revendre. Mais la basse n’est pas encore vendue avec les doigts du maitre, il faudra donc vous contenter de mes maigres services. Comme le Jeff aime bien jouer dans les aigus, je vous ai sorti quelques mélodies de mon cru pour donner le change. Ce sera donc un essai au-dessus de la douzième, avec tout de même une petite ligne de blues pour faire ronronner le micro grave. Je vous ai enregistré trois pistes pour le micro aigu, deux pour le grave et encore deux pour le mix des deux micros, la basse passe directement dans mon interface UR22.
- 1 Micro Aigu Mid tone 00:50
- 2 Micro Aigu full tone.aif 00:29
- 3 Micro Aigu 1:3 00:20
- 4 Micro grave Full tone 00:14
- 5 Micro grave Mid tone 00:29
- 6 Micro X2 Mid tone 00:40
- 7 Micro X2 Slap 00:14
Même après réglage, il y a une chose qui m’a bien gêné pendant cet essai : le tirant léger des cordes qui équipent cette basse. Comme le manche de la Rithimic est fin, on a tendance à le tenir fermement et moi qui ai la main vive, j’ai eu tous les mots du monde à ne pas bender les cordes, simplement en les jouant. Vous me direz, un bend dans certains registres ne choquerait personne. Mais là, il est même difficile pour moi de rester juste, tant ces cordes sont souples ! Loin de moi l’idée de parler de la chose comme si elle fut défaut (un jeu de cordes se change facilement), mais autant prévenir : si vous avez tendance à jouer sur du tirant standard, n’oubliez pas d’acheter un jeu de cordes avec cette basse !
Concernant le grain, je dirais que les micros et le chevalet qui l’équipent remplissent, avec brio, leur office. Irai-je jusqu’à dire qu’ils font tout le travail ? Non, pas tout à fait. Mais il faut avouer que dans le fond, cette Rithimic est une simple GB, avec une décoration bizarre certes, mais équipée d’un accastillage et de capteurs de luxe. Est-ce que cela s’entend ? Eh bien je dirais oui, car une électronique passive n’a pas les moyens de faire semblant : si elle est desservie par de mauvais micros, une basse passive ne pourra pas sonner. Et malgré sa lutherie rudimentaire, cette basse conserve bien des charmes sonores.
Je ne suis pas vraiment emballé par une configuration avec deux micros doubles identiques au nord comme au sud. Le micro aigu est un peu trop étoffé à mon goût, car il garde toujours ce côté feutré même quand on laisse la tonalité bien ouverte. Mais je suis certain que ce trait de caractère va plaire à beaucoup de monde ici. Le micro grave a quant à lui des atouts de premier de la classe : puissant et punchy, rond, mais défini. Pour un peu, on ne jouerait presque que sur ce dernier. Le mix des deux micros est intéressant, sans forcément pousser le gain bien loin, il apporte un peu plus de dureté au signal. On a une basse passive qui répond bien dans les graves et les médiums (autant dans leurs fréquences basses que hautes), pour les aigus et la brillance c’est bien une autre histoire. Les humbuckers ont leur limite sur ce terrain, surtout en passif et je dois avouer que je n’ai pas été charmé par les percussions sur cet instrument. Reste que la plupart des bassistes ne cherchent pas forcément la brillance, c’est un fait et cela rassurera probablement mes lecteurs.
(un) Peuchère !
Ça n’est pas du tout pour suggérer que le travail de nos amis indonésiens doive être soldé. Mais pour vendre cette basse à presque mille euros, Jeff Berlin va devoir en faire des cliniques !
Alors oui, elle a bien des qualités, elle sonne plutôt bien et se joue facilement. Mais cela ne suffira pas pour en faire un succès commercial, surtout avec son physique difficile. Je suggérerais pour ma part, une version élémentaire de la Rithimic : un corps en aulne sans fioritures, le même micro dans les graves et un simple côté chevalet. Même accastillage bien sûr et proposée en deux touches : palissandre ou érable pour ceux qui voudraient plus d’aigus. À l’avenir, on espère tout de même voir plus de nouveautés chez cette marque, qui campe un peu trop sur ses anciennes séries, pour limiter sa créativité à la commercialisation de signatures en one-shot.