40 ans de carrière, ça se fête ! C’est probablement ce que ce s’est dit Fender lorsqu’a émergé l’idée de produire des instruments à la gloire du guitariste de U2, The Edge. Il faut dire qu’il y a encore quelques mois, l’animal n’avait encore jamais eu le droit à un modèle signature. Mais tout cela est à présent de l’histoire ancienne, puisque le fabricant américain propose dorénavant une guitare et un ampli marqués du sceau de l’artiste. Nous avons mis la main sur la Stratocaster The Edge, et voici ce que nous en avons pensé.
David Howell Evans aura patienté longtemps avant de connaître la consécration. Certes, sa petite carrière professionnelle est plutôt une réussite (plus de 170 millions d’albums vendus), mais l’homme qu’on appelle The Edge ne pouvait réellement prétendre au titre de guitariste légendaire sans bénéficier de la reconnaissance de l’ultime machine à fantasmes, j’ai nommé l’industrie de la guitare. David peut à présent dormir tranquillement, et sourire béatement en imaginant les milliers de guitaristes qui joueront avec son instrument (et son compte en banque bien rempli) : la The Edge Strat est une réalité. Oui oui, Strat comme Stratocaster ! Je vous entends déjà : « Attends, tu voulais dire Gibson Explorer non ? ». Que nenni, l’iconique guitariste prônant ouvertement l’amour libre, c’est finalement chez Fender qu’il a posé ses valises.
Don’t push me ‘cause I’m close to The Edge
Le modèle The Edge Strat est fabriqué aux États-Unis. Cette Stratocaster s’inscrit dans la lignée des modèles American Standard récents, notamment avec son corps en aulne, son manche au profil en C moderne avec finition satinée à l’arrière, son radius de 9.5", son sillet en os synthétique de 1.685", et son diapason classique Fender de 25.5".
Mais celle-ci se démarque également par certaines spécifications moins communes. Ainsi, l’érable composant le manche est issu d‘une découpe en quartier, un gage de qualité en lutherie. Notons également la présence d’une tête Jumbo façon années 70 assez large, de micros non étagés, de mécaniques bloquantes, d’un vibrato Deluxe deux points synchronisé avec tige Pop-In, ou encore d’un talon raboté pour offrir un meilleur confort. Enfin, ajoutons que les micros, les potards et le sélecteur 3 positions sont un peu jaunis pour offrir un sentiment vintage. Si les finitions dites “relic” peuvent diviser l’opinion, la Strat The Edge reste dans la sobriété et le vieillissement artificiel ne saute pas aux yeux.
La guitare est livrée dans un flightcase vintage en tweed gris du plus bel effet. Une sangle et un cable jack accompagnent le tout, sans évidemment oublier la paperasse et des petites clefs pour régler l’instrument.
Globalement, ce dernier est une réussite visuelle sans pour autant révolutionner le monde de la Stratocaster. Les finitions sont parfaites, et la plaque de protection Mint Green offre un peu d’originalité (bien que les modèles noirs American Elite embarquent également cette plaque). Le talon asymétrique fait son effet, puisque la prise en main du manche s’avère plus agréable dans les aigus. Ce manche est d’ailleurs l’un des principaux atouts de la guitare. Il n’est ni trop épais, ni trop fin. Les doigts parcourent aisément les 21 et non pas 22 frettes Medium Jumbo. La touche est assez plate, et personnellement j’adore ça. Si l’on cumule le profil à la finesse relative du manche, et à la finition satinée à l’arrière, le confort est tout simplement excellent.
À l’image de la guitare dans son entièreté, les micros allient grands classiques et une pointe d’innovation. L’on trouve ainsi deux micros Custom Shop Fat » 50s en position manche et intermédiaire. À l’inverse des modèles classiques de Fat “50s, ceux-ci sont non étagés ! Tous les plots sont donc à la même hauteur, ce qui est parfaitement cohérent vu le radius et l’aspect moderne du manche. Pour la position chevalet, c’est un DiMarzio FS1 qui a été sélectionné. Ce choix est intéressant sans être original, puisque de nombreux guitaristes ont déjà ajouté ce micro à leur Stratocaster. Mais trêve de bavardage, et écoutons ce que cela donne !
On monte à bord
Bord, edge, bonne blague, KAMOULOX ! Débutons avec les sons clairs. Pour l’ensemble des enregistrements, j’ai utilisé la guitare directement branchée dans un Kemper Profiler, lui-même relié en stéréo à une carte son Line 6 POD Studio UX2. Pour les sons clairs, le preset sélectionné dans le Kemper est « Simply Clean » (simulation d’un Rockerverb 50), comme pour tous les tests de guitares que j’effectue avec cette machine (vous pouvez notamment comparer avec l’Epiphone Gary Clark Jr). Je débute avec le micro grave puis je change les positions. Car je ne pouvais pas passer à côté du delay, j’utilise cet effet avec chacun des micros dans le dernier extrait.
- 1 Clair Micro manche 00:52
- 2 Clair Micros manche + intermédiaire 01:04
- 3 Clair Micro intermédiaire 01:16
- 4 Clair Micros chevalet + intermédiaire 01:13
- 5 Clair Micro chevalet 01:07
- 6 Clair Delay 00:55
Le son des Fat ‘50s est plein et assez équilibré. Il garde le claquant typique des Stratocaster mais sans outre mesure. C’est avant tout le jeu du guitariste qui guidera le type de sonorité. C’est un vrai bonheur de jouer avec ces micros, car l’on ressent tout de suite l’incidence de son jeu. Je me suis parfois retrouvé à sortir des sonorités inattendues que j’ai petit à petit essayé de dompter. Le DiMarzio FS1 apporte un peu plus de puissance tout en restant cohérent avec les deux autres micros. Les aigus sont un peu moins présents et agressifs que sur un micro chevalet standard de Strat, ce qui n’est pas pour me déplaire. Écoutons à présent une série d’extraits en sons saturés. J’ai utilisé le preset « AC Normal Drive » (simulation d’un AC30).
- 7 Saturation Micro manche 02:01
- 8 Saturation Micros manche + intermédiaire 01:15
- 9 Saturation Micro intermédiaire 01:10
- 10 Saturation Micros chevalet + intermédiaire 01:37
- 11 Saturation Micro chevalet 02:13
- 12 Saturation Delay 01:37
Malgré la saturation, les Custom Shop Fat » 50s offrent un son très défini. J’aime beaucoup la position manche et la position manche+intermédiaire. On retrouve les sonorités des grands artistes blues et rock amateurs de Stratocaster. Quant au DiMarzio FS1, il prend une autre ampleur avec la saturation. Sa puissance se ressent, et l’on note une présence importante des médiums. Pour autant, il s’intègre parfaitement dans le set de micros, notamment en série avec le micro mid.
La touche érable, les Fat ’50s et le FS1 apportent un équilibre très intéressant entre claquant et puissance, sans mettre de côté certaines rondeurs. J’aime beaucoup cette guitare. À peine l’ai-je branchée que je n’ai plus pu m’arrêter. L’inspiration est immédiatement venue et j’ai enregistré ces extraits à la volée.
Avant de livrer mon verdict final, découvrons encore un peu plus la palette sonore de cet instrument. Dans les deux exemples ci-dessous, j’utilise les boutons de tonalité. Je débute avec le micro manche, puis je passe au micro chevalet dans le deuxième son.
- 13 Tonalité micro manche 00:34
- 14 Tonalité micro chevalet 00:48
Les deux potards de tonalité réagissent très bien et augmentent les possibilités sonores. Malheureusement, je ne peux pas en dire autant du bouton de volume qui n’est absolument pas progressif. À peine tourné, le volume baisse radicalement et ne sert quasiment plus à rien sur le reste de la course. Ce n’est pas un problème rédhibitoire, mais c’est étonnant de trouver cela sur un instrument plutôt soigné.
Enfin, toujours dans l’optique de découvrir l’étendue des registres de la The Edge Strat, j’ai sélectionné dans le Kemper un preset plus saturé, le « Till’s recto modern 3 ». Je joue avec le micro chevalet, et j’en profite pour triturer le vibrato.
Cette Stratocaster ne pourra clairement pas officier pour du métal, mais du rock un peu burné me paraît accessible. Il existe de toute façon des configurations HSS beaucoup plus appropriées. Quant au vibrato, les modèles pour Stratocaster sont historiquement dotés de 6 points d’attache. Mais depuis de nombreuses années, Fender propose un vibrato 2 points flottant plus « moderne ». Si certains ne jurent que par le premier cité, j’ai beaucoup aimé le vibrato du modèle The Edge. Sa maniabilité et sa précision permettent un jeu très subtil. Il peut même parfois s’aventurer dans les contrées du dive bombe et autres acrobaties guitaristiques. Il ne s’agit néanmoins pas d’un vibrato de type Floyd Rose, et il faudra le solliciter avec raison garder sous peine de finir légèrement désaccordé.
Where the Strat have no name
Au fil du test, j’ai pu faire part de mon enthousiasme quant à cette guitare. Très agréable à jouer, polyvalente avec sa combinaison de micros, dotée d’un joli look à la fois vintage et moderne, la The Edge Strat a de nombreux atouts. Son tarif est aussi étonnamment doux pour un modèle Fender signature : 1 729 € (on la trouve moins chère en magasin). Mais il reste un questionnement clef, quelles sont les différences avec les autres modèles US ? J’ai donc résumé dans le tableau ci-dessous les spécifications des modèles American Standard, American Elite, et The Edge. Les cases colorées en rouge indiquent une caractéristique propre au modèle signature, et les cases en vert marquent des caractéristiques communes entre deux modèles.
En observant le tableau, on constate que la The Edge Strat se distingue par quatre caractéristiques qui lui sont propres. Quatre éléments sont communs au modèle American Standard, et quatre autres sont communs au modèle American Elite. Si l’on prend donc en considération l’offre de Fender et les tarifs en vigueur, c’est une excellente guitare dont le positionnement tarifaire est très intéressant, pile entre la Standard et l’Elite (on pourrait critiquer la politique globale de Fender en termes de prix, mais ce serait alors un autre débat). Il pourrait même s’avérer plus intéressant de se tourner vers le modèle The Edge que vers le modèle Standard, puisque seulement 70 € les séparent. Le récent modèle American Elite offre lui une approche différente, notamment grâce à ses micros, son profil de manche, et son radius hybride. Il s’agira donc plus d’une question de goût et de sensations.
Les instruments signature sont souvent l’occasion pour les grandes firmes du monde de la guitare de proposer des produits à des tarifs prohibitifs. Alors certes, le nom de The Edge ne fait pas forcément rêver tous les guitaristes, mais c’est une excellente surprise de découvrir un modèle aussi bien pensé à ce prix là. En prenant en compte cet élément et les multiples qualités de cette six cordes, la The Edge Strat décroche la note de 4,5 sur 5. Il ne nous reste plus qu’à espérer que Fender réitère l’expérience.