J’attends ce moment depuis le 18 mai 2010, ma date d’anniversaire AFienne. J’avais trente ans : j’étais encore frais, plus tout à fait con et les portes d’une nouvelle rédaction s’ouvraient à moi : j’allais écrire pour internet, après quatre ans de rédac sur papier. J’en avais tapé du test, mais là, c’était une première pour moi. Je me souviens encore de la question posée par Red Led, mon nouveau rédacteur en chef : « Et sinon, tu voudrais tester quoi ? ».
Il y avait bien des choses à répondre à ça, n’importe quel scribouillard du milieu aurait pu hésiter des heures, avant de fournir un avis éclairé sur la question. Et pourtant, je savais exactement ce qu’il fallait pour animer le lecteur : il nous fallait une marque dédiée à la basse, mais suffisamment reconnue du grand public. Je voulais tester quelque chose de beau et de bien fait, mais qui reste accessible sur ses tarifs et puis surtout, autre chose que le standard américain ou le moyen de gamme asiatique. Il nous fallait donc une Warwick… Eh bien, vous savez combien de temps j’ai dû attendre pour enfin en toucher une ? Après en avoir fait la requête tous les ans à mon vieux pot-rouge de rédac en chef (parce que Red Led sonne vraiment comme un nom de vieil indien troglodyte) et après l’avoir mandaté à droite et à gauche pour m’en fournir une.
Vous n’imaginez pas ce qu’il a dû faire pour obtenir un instrument pourtant importé depuis vingt ans sur notre territoire. Le pauvre a même été jusqu’à demander un prêt à Hans Peter Wilfer lui-même, durant un Musikmesse, alors qu’il le croisait aux gogues ! Vous imaginez le tableau ? Un français presque roux qui demande un manche à un allemand tout à fait chauve, dans des toilettes… C’est dire si on a lutté : on n’a reculé devant rien et pourtant, on a attendu toutes ces années ! Jusqu’à mettre notre patience au placard. Et puis un beau jour, il y a fraîchement quelques semaines, chef Red Led m’a dit que je pouvais enfin en tester une, que j’avais même le choix du modèle et que le changement c’était vraiment maintenant. Il y avait de l’émotion dans sa voix, c’était touchant ! Voici l’inespéré test de la Warwick Streamer LX Pro Serie Teambuilt, livré enfin pour vous.
Une dernière histoire…
Nous sommes en 1985, Stuart Spector, se balade dans une des allées du Musikmesse à Francfort. Neuf ans avant de se retrouver en Allemagne, ce luthier avait ouvert un petit atelier dans Brooklyn pour y vendre ses guitares électriques. Dès ses débuts, Stuart a la bonne idée de faire appel à un jeune designer de meubles pour dessiner sa première ligne de basses électriques. On pourrait penser que du design d’armoires à la quatre-cordes, il y a plusieurs mondes. Et pourtant, Ned Steinberger, qui ne joue pas de musique et encore moins de basse, identifie vite les besoins d’un instrument souffrant de sérieux problèmes de confort. Ned se penche alors sur l’ergonomie de la basse électrique, qui a certes connu quelques variations de formes allant dans ce sens, sans vraiment voir son marché bousculé par une évolution significative. Et son premier design d’instrument sera un succès incontestable : nous sommes en 1977 et la Spector NS-1 est née. Commercialisée comme la première basse à épouser les formes du musicien, la NS se décline d’année en année et la demande se fait vite internationale. Ned Steinberger, profitant de ce succès tout neuf dans la facture d’instruments électriques et de nouvelles idées révolutionnaires bien à lui, montera sa propre société en 1979 pour inventer la Steinberger XL : l’instrument emblématique des Eighties !
Mais revenons à Stuart Spector se baladant dans les allées du Musikmesse, en cette bonne année 1985 (qui vit sortir le premier album solo de Sting). Imaginez un instant cet homme dont la renommée repose sur le succès de la NS, marcher tranquillement entre deux stands et tomber nez à nez sur sa championne estampillée d’un W et soigneusement copiée en Allemagne !
Car chez les Germains et depuis deux générations (Framus le faisait bien avant Warwick), on développe encore et surtout les idées des autres, particulièrement celles des Américains. On ne jettera pas la pierre sur Warwick : le copycat était une pratique alors internationale. Et sur un marché qu’ils ont inventé, les fabricants d’outre-Atlantique restent les plus copiés, d’Europe jusqu’en Asie. Les années 80 voient l’émergence de productions japonaises calquées sur les standards de Fender. À cette époque, les Japonaises présentent un rapport qualité-prix imbattable et supplantent même les originales, elles inondent dont le marché pour presque le noyer. Et c’est parce que les Japonais copiaient déjà Fender en masse, qu’Hans Wilfer cherche, au début des Eighties, d’autres références américaines à reproduire pour épaissir son catalogue. Et il faut croire qu’alors, le travail de Ned Steinberger lui a bien tapé dans l’œil, car rétrospectivement, la première Warwick (la Nobby Meidel Bass) est une reproduction boisée de la Steinberger XL2. Et le premier succès commercial de la marque allemande, la matriarcale Streamer Stage One, était une copie parfaite de la Spector NS-1 ! On imagine donc assez bien Ned Steinberger et Stuart Spector débouler sur le stand d’Hans Peter Wilfer, pour en découdre. Sauf qu’au pays des affaires, les duels se règlent par procuration : les businessmen ont donc laissé leur avocats respectifs se confronter sur les rives du Maine pour trouver un accord… Et Warwick paya une licence à Stuart Spector pour exploiter les formes de la NS. Mais ce dédommagement tournera court, car Stuart Spector vend son nom et sa société à Kramer en 1985. Aujourd’hui, la marque allemande est totalement affranchie de toute rétribution en royalties, la Streamer ayant connu des modifications faisant légalement d’elle un design original… Il reste qu’un œil contemporain, non avisé, ferait encore facilement le rapprochement entre une MTD NS2 et une Streamer Stage One. Ce qui confirme qu’en matière d’instrument de musique, la justice est aussi aveugle qu’on peut l’espérer !
Cet épisode transatlantique encouragera une nouvelle politique de la marque à créer des modèles originaux, considérés comme des succès tout à fait légitimes : la Thumb Bass et la Corvette en sont un bon exemple.
À l’Est rien de nouveau ?
On constaterait même un retour certain aux origines, car la marque revient sur une politique de délocalisation en produisant à nouveau ses standards en Allemagne. Exit donc les proséries coréennes et vive la deutsche qualität ! Si on peut se réjouir de ce retour au pays natal, on serait en droit d’attendre quelques nouveautés chez cette Allemande, brune comme le Danube.
Et les choses démarrent dans ce sens au déballage, car la housse qui protège cet instrument et qui me semble vendue avec est juste au top : sorte d’étui semi-rigide, compensé où il faut et équipé d’un collier de protection pour le manche, un rangement pour une sangle et des jacks, des compartiments pratiques et de l’espace pour glisser un ordinateur de 13 pouces, une petite interface audio et un bon casque. Je peux l’écrire, car j’ai moi-même chargé la mule avec tous les effets précédemment cités. Tout y tient sans surcharger ni appuyer fâcheusement contre la basse. D’ailleurs, le prix public de cet écrin s’élève presque à 150 €. Je me souviens qu’en des temps crépusculaires, qui virent s’épanouir mes vingt ans, les Warwick étaient vendues dans des Rockbag à 60 €. Là, on passe largement une gamme au-dessus. Je vais juste émettre une petite critique sur la fabrication dudit étui : les languettes prévues pour protéger les épaules des ferronneries des sangles ont tendance à se barrer sur les côtés. Et lorsque vous marchez avec tout ce contenu dans le contenant et que vous sentez des boucles en métal vous raboter les clavicules à chacun de vos pas, il y a comme une envie de jurer en allemand qui pousse naturellement en vous. Heureusement pour mes lecteurs, je ne suis pas germanophone et une fois que l’on prend le temps de bien fixer les coussinets, tout se passe pour le mieux.
Commençons par le poids de cette Streamer LX, qui affiche, à cent grammes près, une pesée de 3,9 kilos. Ce qui est, vous en conviendrez, plutôt léger. Le bois mis en œuvre pour le corps reste de même essence que sur les versions coréennes, à savoir du cerisier américain. De souvenir, il me semble que les corps des Streamer LX étaient déjà passés du frêne au pin de Caroline, parfois agrémenté d’une table. C’est donc une nouvelle essence pour les fabrications allemandes.
Le manche reste en ovankgol et la touche en wengé. J’aurai du mal à comparer cette version au souvenir des précédentes. Reste que pour moi, la Streamer demeure la basse confortable de chez Warwick, autant par son poids que son ergonomie. Son corps creusé et sa courbure naturelle font toujours merveille, sur un large panel de morphologies (la mienne a quelque peu changé en 20 ans !). Le détail révélant le génie de Ned Steinberger réside dans cette courbe magique qui va de la corne supérieure à son coté opposé sur l’éclisse, le tout créant une sorte d’axe magique s’adaptant aussi bien à une position haute, qu’à une basse ; au jeu debout, qu’assis.
L’équilibre général est proche d’un standard américain : la basse ne pique pas du nez, elle pointe naturellement vers le plafond avec un angle pratique. Contrairement à la Corvette, la Streamer ne vous plombera pas les épaules et son équilibre reste beaucoup plus appréciable que sur une Thumb (qui est surtout faite pour jouer haut). Le manche est fin (36 mm au sillet, 51 mm à la douzième frette et 60 mm à la dernière) et il se prolonge jusqu’à deux octaves. J’ai l’impression que l’alliage des frettes a été modifié sur cette série : exit le zinc, pour lui préférer un mélange plus classique tendant plus vers le nickel. Il en résulte un côté moins brillant et sec, je dirais même plus rond et moins froid.
L’accastillage reste inchangé : du chevalet cordier en deux parties (inspiré du sillet équipant les Alembics) au sillet réglable en composite. À noter que j’ai reçu un instrument parfaitement réglé, ce qui change des habitudes de ce métier. Les cordes sont très basses, ce qui facilite grandement le jeu, voire même un peu trop, vu que l’action de mes basses est sensiblement plus haute. Par habitude de mes manches, je ferai donc friser quelques notes dans les extraits qui vont suivre et je m’en excuse par avance.
On bouclera naturellement ce paragraphe par les finitions, qui se proposent en trois classes : satinée, high gloss et huilée. Bizarrement, la basse que j’ai entre les mains est censée être huilée, mais elle tend plutôt vers le satin. Je trouve la couleur sympathique (il s’agit du « Nirvana Black », qui en fait tend vers le brun), sobre et élégante, laissant subtilement voir les veinures du cerisier et épargnant l’utilisateur d’avoir à cirer régulièrement son instrument. J’aurais été curieux de comparer cette finition avec le Natural Satin, proposé aussi en catalogue. En tout, cette Streamer se décline en sept tons différents. Le numéro de série est gravé profondément au dos de la tête de manche avec une sérigraphie : un détail discret, mais qui affiche tout le sérieux de cette production.
En plus de l’étui semi-rigide sont fournis une paire de strap-locks, un jeu de clés et un chiffon doux estampillé de la marque.
Pour qui sonne les cloches ?
Pour être franc, comparée aux anciennes versions allemandes, cette Streamer LX ne présente pas vraiment de nouveauté sonore. Il me semble que le préampli est toujours le même, que les micros MEC n’ont pas bougé et que l’association des bois, de l’électronique et de l’accastillage, endémiques de la marque, tendent vers les mêmes résultats qu’il y a 15 ans.
Une Streamer ne sonne pas comme une Corvette et encore moins comme une Thumb. J’estime que son caractère est vraiment plus souple que celui de la première et que son signal, de manière générale, campe bien moins dans les bas médiums que la dernière. De là à dire que c’est la moins Warwick des Warwick, il n’y aurait qu’un pas. Et je le franchirai sans vergogne : La Streamer brille par une certaine neutralité qui, à mes yeux, fait tout son charme ! Car pour vous l’avouer, je ne suis pas forcément fan du caractère hyperdynamique et un peu rigide des basses Warwick. La seule qui m’ait véritablement fait fondre fut la Star Bass, modèle à contre-courant du genre. Il y a bien des points communs avec les autres modèles du catalogue : les deux bandes d’égalisation poussent et coupent rigoureusement les fréquences concernées et il y a une résonance naturelle dans le grain, qui peut même s’apprécier quand on joue l’instrument non branché. Vous savez, ce petit côté caverneux que l’on retrouve sur pas mal de basse de lutherie, ou chez certaines vieilles pelles équipées de caches-micro métalliques. L’origine de ce petit « son de cloche », s’il ne réside plus dans l’alliage des frettes, provient probablement du chevalet-cordier en deux parties (peut-être aussi du diapason de l’instrument et du bois de la touche). C’est fou comme ce galbe me rappelle une Alembic que j’ai eue il y a longtemps.
On retrouve bien cette épaisseur double dans le signal, caractéristique des productions de la marque. Et pour un bassiste comme moi, qui a pris l’habitude du chant élémentaire d’un simple bobinage passif, la chose peut perturber. Ce qu’il y a de marrant dans tout ça, c’est que l’effet est presque obsédant quand on joue l’instrument, mais que ça passe tout seul quand on écoute des prises enregistrées. Pour vous résumer la chose tout en forçant le trait : je n’aime pas m’entendre jouer sur cette basse in situ et pourtant une fois qu’il est enregistré et que je l’écoute avec du recul, j’aime son signal. En voilà un joli dilemme… Je vous laisse apprécier ces quelques exemples sonores, donnant le change entre les micros et les réglages de l’égaliseur intégré. Pour le faire, j’ai rentré directement la basse dans mon UR22 et n’ai absolument pas traité la chose. C’est du brut. Vous noterez que je n’ai pas pu faire dans le bourrin, car cette basse est tellement bien réglée pour les doigts qu’elle frise trop pour du growl sauvage.
- Micro aigu 00:43
- Micro Grave 00:34
- Mix micros + Cut aigus 00:47
- Micro Grave + Micro Aigu = Doigts 01:02
- Micro grave + Micro aigu = SLAP 00:16
J’aurais un vrai regret à énoncer à propos de cette nouvelle série Teambuilt (trouvable à environ 1500€ en magasin) qui ne présente aucune nouveauté sur son tableau de bord. On a toujours un volume, une balance et deux bandes, pour un seul volume et une balance en passif. L’ingrat que je suis aurait apprécié un peu de neuf là-dedans, pas nécessairement un préampli plus puissant, mais pourquoi pas une tonalité passive (les concurrents nationaux s’y sont bien mis) ou une bande pour les médiums qui ne serait pas de trop sur ce modèle. Électroniquement parlant, on nage totalement dans le déjà-vu. Alors qu’une petite prise de risques se serait certainement révélée payante.
Il reste que la Streamer est un instrument vraiment bien conçu et fabriqué avec tout la rigueur typique et un poil rageante de nos voisins d’outre-Rhin. Je pense qu’elle ne décevra aucun des fans de la marque et rassura les amateurs de ce modèle revenant à ses sources. Le prix moyen de la gamme standard de Warwick a quand même augmenté. Mais si on y réfléchit un peu : qu’est-ce qui n’a pas augmenté depuis quinze ans ? J’accorde une bonne note générale à cette version et ça sera ma dernière…
La der des der
C’est avec une belle émotion que je dois rendre mon badge de rédacteur et mon M88 (c’est un peu notre flingue à nous) : une page de dix ans se tourne aujourd’hui et je me lance dans une nouvelle aventure, de l’autre côté du miroir. Amis lecteurs, je vous salue tous bien bas : vous m’avez fait grandir tout au long de ces cinq années et ce fut un véritable plaisir d’être lu par une communauté telle que la nôtre. Je dis la nôtre, car même si je ne suis plus rédacteur, je resterai parmi vous au sein du forum. J’espère que la rubrique basse trouvera un remplaçant digne de votre lecture assidue et éclairée. Je remercie la rédaction, avec une pensée toute particulière pour Red Led et Los Teignos, une belle affection pour toute l’équipe et une mention très spéciale pour Floringa, la maman d’AF et surtout, une chouette amie.
Je vous embrasse avec ces derniers mots : que la vie continue en musique, qu’elle sonne toujours dans vos cœurs et surtout avec ce bel esprit qui est le vôtre.
Longue vie à notre instrument, vive AF et MERCI à tous !
Téléchargez les extraits sonores (format FLAC)