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Test de la Jens Ritter Instrument R8-Singlecut - Ritter, faster, stronger

Award Valeur sûre 2012
2012
Valeur sûre
Award

Je me baladais dans l'une des nombreuses allées du MusikMesse, avec les yeux brillants d'un enfant débarquant dans le plus grand magasin de jouets du monde.

Je venais de voir Animals as leaders sur scène et une belle démons­tra­tion de Jojo Mayer en solo, il faisait beau en plein mois de mars malgré un ciel teuton et partout autour de moi, évoluaient des hôtesses en tenues plus ou moins légères, avec du matos plein les bras et un sourire vendeur tatoué sur la figure. La bière coulait à flot par demi-litres et j’avais déjà sali une bonne dizaine de manches depuis mon débarque­ment au petit matin. En bref, chers amis lecteurs, j’étais comme un pois­son frayant dans ses eaux.

Jens Ritter Instrument R8-Singlecut

Après un arrêt sur le stand Human Base, dont les quelque cinq cordes du cata­logue n’au­ront pas échappé aux mains de votre servi­teur, je me prépa­rais à avaler un duo de saucisses lorsque mes pas me condui­sirent sur un stand lunaire. Il n’est pas diffi­cile de recon­naître les expo­si­tions de Jens Ritter : on pose ses yeux sur une autre planète, peuplée d’ins­tru­ments extra-terrestres surpre­nants par leurs formes et leurs fini­tions, pous­sant parfois l’au­dace jusqu’à la prise de risque commer­ciale. L’ar­ti­san reven­dique sa diffé­rence en toute simpli­cité, sur un stand drapé de noir il offre aux regards et aux doigts son œuvre inso­lite : une dizaine de modèles de basses et de guitares (seule­ment deux modèles) qui allument les mirettes et suscitent bien de la curio­sité. Les formes sont fraîches et on a forcé­ment envie de savoir comment elles sonnent.

Pour ma part, l’es­sai était inévi­table et il fallait me résoudre à faire sortir une de ces produc­tions des murs de Franc­fort, pour le rendre perti­nent. J’abor­dai donc l’homme à l’ori­gine de toutes ces jolies choses. Le sympa­thique arti­san me fit forte impres­sion par l’en­goue­ment qui tein­tait son discours. Nous échan­geâmes quelques poli­tesses dans une langue impro­bable et je ne tardai pas à lui propo­ser la review de l’une de ses créa­tions.

Je sais ce que certains d’entre vous vont penser à la lecture de ce début de test : oui, il s’agit bien d’un fabri­cant de haute voltige, dont les tarifs ne descendent pas en dessous de la barre des 3500 €. Eh oui, ça n’est pas à la portée de toutes les bourses. Mais il faut de tout pour faire un marché et une fois n’étant pas forcé­ment coutume, nous allons sortir un peu des sentiers battus par le milieu et l’en­trée de gamme. Lais­sez-moi vous faire décou­vrir le haut du pavé alle­mand, dont le pres­tige va jusqu’à s’ex­po­ser au Smith­so­nian Museum et vous parler un peu de la Jens Ritter R8 Single­cut.

À deux pas du Rhin poussent les basses

C’est dans une bour­gade du sud-ouest de l’Al­le­magne que l’on trouve l’ate­lier du maître. Deide­sheim est un village comp­tant moins de quatre mille âmes qui profite d’un micro­cli­mat propice au tourisme et à la produc­tion de vins déli­cats. On y cultive aussi un mode de vie détendu et depuis la fin des années 90, on y fabrique des basses. Jens Ritter (à pronon­cer Yens Rita) touche du bois depuis l’en­fance, son grand-père ancien char­pen­tier lui a donné la passion pour cette matière. On laisse donc l’en­fant gran­dir entre l’ate­lier fami­lial et la forêt avoi­si­nante, qui dressent quelque peu le cadre de sa future vie profes­sion­nelle.

Jens Ritter Instrument R8-Singlecut

Dès l’âge de sept ans, Jens bricole avec une boîte de conserve, des câbles et un bout de bois un instru­ment rudi­men­taire qui s’ap­pa­rente à une mini contre­bas­sine. Son père encou­rage les talents pres­sen­tis chez son fils, en lui ache­tant sa première perceuse. Puis, l’en­fant reçoit, durant les années qui suivent, la plus belle trans­mis­sion de savoir qui existe : celle qui passe d’une géné­ra­tion à l’autre, le long d’une filia­tion. Il gran­dit, se met à jouer de la basse en amateur et finit en tant que tel par bouder l’offre du marché, jusqu’à se moti­ver à se fabriquer son propre instru­ment. Profi­tant d’un savoir-faire fami­lial et de l’en­vie de créer la diffé­rence, l’ar­ti­san construit une première basse, puis une seconde pour deve­nir tota­le­ment accro à cette acti­vité.

Jens étudie la construc­tion des Stra­di­va­rius, l’acous­tique physique, l’uti­li­sa­tion des oscil­la­teurs et prend le parti de construire des instru­ments haut de gamme, confor­tables et tota­le­ment abou­tis, autant du point de vue tech­no­lo­gique qu’ar­tis­tique. Son travail est vite remarqué par la presse instru­men­tale alle­mande qui fait vite sa publi­cité. Il monte alors son atelier de luthe­rie dans une bâtisse du XVIIe siècle (un ancien établis­se­ment vini­cole). Il en sort aujour­d’hui une soixan­taine d’ins­tru­ments, faits main, qui partent direc­te­ment chez leurs proprié­taires aux quatre coins de l’Eu­rope ou de l’autre côté de l’At­lan­tique. 

La fée verte

Jens Ritter Instrument R8-Singlecut

Pour ce qui est de l’au­dace, Jens Ritter ne manque de rien. Preuve en est : il aurait pu nous envoyer une basse de couleur natu­relle, blanche ou noire et jouer la carte de la sobriété. Mais c’est un message d’es­poir que nous délivre le construc­teur alle­mand en osant tout, même le vert. Oui, une basse verte mes amis ! Et pas qu’un peu puisqu’elle en est couverte de la tête au pied, sauf la touche qui reste en érable bava­rois, les cache-micros (en ébène) et bien sûr, l’ac­cas­tillage. La teinte bapti­sée « Harro­d’s Bitter­mint Trans­pa­rent High­gloss » se rapproche pour moi d’un vert caraïbe assez clair et légè­re­ment froid.

Avec le temps, on s’y fait, la teinte devien­drait presque fami­lière, voire atta­chante. Après tout, les murs de ma chambre sont tout aussi vert, ceux de mon salon sont rose fram­boise avec un sol couleur prune, alors pourquoi je ne joue­rais pas sur une basse verdoyante ? Le débat reste pour moi ouvert même après en avoir surpris quelques-uns en débal­lant cette quatre cordes de son étui, juste pour voir la tronche qu’ils tire­raient. Effet garanti : cette couleur vous scinde la rétine en quatre et se fraye un chemin vers votre cerveau en une frac­tion de seconde, pour y susci­ter l’éton­ne­ment. On adore ou on déteste, mais la teinte de cette R8 ne lais­sera personne indif­fé­rent. Ça, je peux vous l’as­su­rer.

Jens Ritter Instrument R8-Singlecut

Nouvelle au cata­logue, elle vient complé­ter un nuan­cier d’une quin­zaine de teintes et fini­tions diverses qui sont propo­sées au client. Pour sa forme, c’est une synthèse de lignes courbes auda­cieuses et presque orga­niques qui carac­té­rise la R8. Une belle décli­nai­son du concept single-cut, dont les contours épou­se­ront parfai­te­ment les formes du bassiste, tant que ce dernier ne se lais­sera pas trop pous­ser le ventre (adieu chopines et saucisses au curry). L’éclisse est parfai­te­ment profi­lée, sur l’échan­crure unique comme au dos de l’ins­tru­ment.

Le manche épouse élégam­ment le corps de la R8, s’il n’est pas conduc­teur, mais sévè­re­ment atta­ché par dix vis de fixa­tion, c’est par choix déli­béré de son concep­teur : le son profite d’un gros sustain sans qu’on y perde en attaque et en harmo­niques. Ce qui au premier regard paraît exces­sif s’avè­rera à l’es­sai tout à fait légi­time.

Jens Ritter Instrument R8-Singlecut

L’ac­cès aux aigus est idéal et le talon du manche qui se prolonge jusqu’au pan pour offrir une belle surface plane au pouce de la main gauche est une initia­tive louable. En fait, si l’on consi­dère les grandes courbes comme les petits détails bien commodes, tout a réso­lu­ment été pensé pour le confort de l’uti­li­sa­teur. Par exemple, l’at­tache cour­roie (un stra­plock Jim Dunlop) est posé au dos de l’ins­tru­ment et non sur son éclisse, idem pour l’en­trée Jack qui suit le même chemin, en se fixant direc­te­ment sur la plaque qui recouvre l’élec­tro­nique embarquée. Voici un outil de travail (ou de plai­sir) ergo­no­mique­ment idéal. Je l’ai moi-même essayé dans toutes les posi­tions et il faut avouer que le poids plume de la belle (3,6 kilos), malgré un corps en aulne améri­cain, évitera aux dos les plus menus de crier misère. Cette basse paraît telle­ment légère qu’on en vien­drait à se deman­der si elle peut sonner.

Autre détail ergo­no­mique : le diapa­son de la R8 en version quatre cordes est légè­re­ment rabaissé à 33,3 pouces au lieu des 34 tradi­tion­nels. Ceci afin de faci­li­ter le jeu dans les graves, sans perdre en attaque ni en sustain. Le confort a donc une place prépon­dé­rante sur le cahier des charges du construc­teur. Le contact du vernis est très doux, cette fini­tion impec­cable rend le jeu très sensuel et invite à flat­ter les rondeurs de cette fée verte.

Dessus, dessous

Jens Ritter Instrument R8-Singlecut

L’ac­cas­tillage est soigné : des méca­niques custo­mi­sées de marque Gotoh, au cheva­let maison dont les pontets sont indé­pen­dants. Le manche comporte un renfort interne en alumi­nium et l’élec­tro­nique en 18 volts propose ce qui se fait de plus moderne sur le marché : un mode actif avec trois bandes et un mode passif qui permet un contrôle sur la tona­lité. L’uti­li­sa­teur peut régu­ler le niveau de préam­pli­fi­ca­tion en tour­nant un mini potard acces­sible sous le capot du compar­ti­ment de l’élec­tro­nique. Pratique pour tous ceux qui dési­raient pous­ser le signal en actif. L’ac­cès à la tona­lité passive se situe sur un des potards doubles. On bypasse le préam­pli en tirant sur le potard de volume géné­ral. Les micros sont des doubles de forme simple (stacked humbu­ckers), leur parti­cu­la­rité réside dans la nature des aimants qu’ils emploient, puisque ces derniers sont des terres rares (j’ai envie d’écrire néodymes, mais comme je n’ai pas eu confir­ma­tion, je reste prudent). Réputé aussi puis­sant que linéaire dans leur trans­duc­tion, ce type d’ai­mant se retrouve dans toutes les confi­gu­ra­tions de micros de la marque. Allez, hop on écoute ça de suite.

La Wagné­rienne

Jens Ritter Instrument R8-Singlecut

Il est surpre­nant d’en­tendre le son ampli­fié de cette petite quatre cordes toute menue. Le résul­tat obtenu est mons­trueux de puis­sance et d’équi­libre. De prime abord, on aurait envie de quali­fier le grain natu­rel de cette basse de réso­lu­ment moderne, mais cette première impres­sion s’ouvre sur de plus larges hori­zons au fur et à mesure qu’on apprend à maîtri­ser ses réglages. La tona­lité des micros se rapproche du grain de simple bobi­nage, en légè­re­ment plus galbé. Il est possible de passer à un son neutre, à des choses plus typées, le temps de quelques rota­tions des potards qui offrent de très larges correc­tions.

Jens Ritter Instrument R8-Singlecut

La R8 serait-elle une basse à tout faire ? Selon moi oui, sans l’ombre d’un doute. Si l’on reproche parfois aux luthiers de faire des instru­ments trop typés, il est diffi­cile de trou­ver dans quel style ce petit gaba­rit ne pour­rait pas sonner. Du confort, du gros son quand il faut et surtout où il faut, un signal qui perce dans n’im­porte quel genre, de l’at­taque, du sustain, de belles harmo­niques. Mais que pour­rait bien deman­der le peuple ? Voici quelques extraits qui, s’ils sont gauches dans leur inter­pré­ta­tion (j’ai impro­visé quelques covers pour vous montrer la poly­va­lence de la bête), ont tout de même le mérite de donner le change dans les styles. La basse est direc­te­ment rentrée dans mon inter­face Nova­tion, j’uti­lise les deux micros pour ces enre­gis­tre­ments (sauf pour le reggae, la reprise des Beatles et la prise de son en passif).

slap passif
00:0000:14
  • slap passif00:14
  • slap actif00:14
  • groove00:47
  • passif00:54
  • rat race00:30
  • Zouk­ma­chine00:52
  • cagwolle00:14
  • Beatles00:34
  • the clash00:16

Ich liebe dich

Pour avoir tâté quelques produits de l’ar­ti­sa­nat sans forcé­ment y trou­ver mon compte, je dois m’avouer emballé par les quali­tés de cette Single­cut origi­nale. Elle est tout bonne­ment renver­sante. Alors vous me direz qu’à ce prix là (la R8 coûte 4080 € en version stan­dard et 5660 € dans cette version), ça serait tout de même justi­fié. À cela je répon­drai que cette basse vaut large­ment son pesant d’or et qu’elle n’a rien à envier à la luthe­rie améri­caine qui se vend bien plus cher, sans forcé­ment s’en justi­fier. Rien n’est laissé de côté dans l’œuvre de Jens Ritter : le souci du détail accordé aux fini­tions, la qualité de son travail sur les bois, ses choix ergo­no­miques, la bonne facture des pièces rappor­tées (et pour­tant critiques) comme les micros et l’ac­cas­tillage qu’il emploie, ce petit grain de folie propre à ses desi­gns quelque peu extra­ter­res­tres… Ce luthier impose réel­le­ment sa diffé­rence sur un marché diffi­cile et concur­ren­tiel. La quasi-perfec­tion à juste un prix… Si l’on peut se sentir un poil frus­tré de ne pas dispo­ser d’un tel budget, cela ne peut en aucun cas empê­cher d’ai­mer. Pour ma part et malgré un compte bancaire à la diète depuis presque dix ans, j’adore et n’ai aucun mal, ni scru­pule à attri­buer un bel Award pour saluer toutes les quali­tés de cette déto­nante quatre cordes. Et j’irai même plus loin en affir­mant la chose suivante : la R8 Single­cut devrait être rembour­sée par la sécu, pour les grands malades que nous sommes !

Award Valeur sûre 2012
2012
Valeur sûre
Award
  • Originale
  • Gros son qui passe partout
  • Jouabilité
  • Légèreté (3,6 kilos)
  • Électronique complète (avec la tonalité en mode passif)
  • On peut se la commander en gaucher
  • Vendue en étui et garantie à vie
  • Finition
  • Sustain et équilibre sur tout le manche (aucun dead spot)
  • Je ne dispose pas de ce budget et suis déjà trop vieux pour revendre un de mes reins.

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