La marque française Focal, hyperactive en ce moment puisque c’est la troisième paire de leurs enceintes qu’on teste cette année, lance une nouvelle Twin6. On a écouté, on a mesuré, pesé, et c’est du lourd !
Pour remettre ce produit dans son contexte, les Twin6 font partie de la série ST6, qui fait suite à la série SM6. Trois modèles appelés Solo, Twin et Sub, qui avaient été commercialisés il y a une quinzaine d’années dans leurs premières versions, ont été retravaillés et améliorés pour cette toute nouvelle sortie.
Une belle allure
La première impression, quand on sort les enceintes du carton, c’est qu’elles sont massives ! D’emblée, on voit que c’est du solide, mais alors qu’est-ce qu’elles sont lourdes (14 kg l’unité pour des dimensions de 250 mm x 500 mm x 340 mm)… On ne va pas avoir envie de les déplacer souvent. Et encore, on ne vous parle pas du Sub 12 qui va avec, encore plus lourd (58 kg !) et encombrant (600 × 487 × 568 mm) qu’on ne l’avait envisagé. Une fois posées à l’horizontale, les Twin6 ont une sacrée classe, c’est indéniable : des panneaux rouge sombre en haut et en bas, un évent de chaque côté, deux haut-parleurs mid-range disposés de manière symétrique, et le tweeter entre les deux en haut. Avant de rentrer plus en détail dans la description, il faut quand même préciser que la grande spécificité de ces Twin6, qui leur donne d’ailleurs ce nom, c’est évidemment d’avoir deux woofers. Pas si fréquent dans le monde des moniteurs de studio ! Un sélecteur à l’arrière permet de choisir comment utiliser ces deux haut-parleurs identiques et la marque recommande des configurations en fonction du positionnement des enceintes. Focal conseille en effet de les disposer à l’horizontale, mais indique qu’elles peuvent également être utilisées en colonne, et même à l’envers pour basculer le tweeter en bas. Pour revenir à la description, deux voyants lumineux (le power et le mode focus), une petite grille pour protéger le tweeter à dôme inversé en Beryllium, et les logos Focal complètent le panneau avant. Le verso de l’enceinte nous donne accès à quelques réglages fort intéressants. Les Twin6 peuvent avoir, si on le souhaite, une mise en veille automatique, et un premier switch permet de l’enclencher. En dessous, on trouve l’entrée XLR (pas d’entrée Jack sur ce modèle, c’est à noter) puis un autre switch pour choisir la sensibilité de l’entrée, entre +4 dBu et –10dBV (c’est-à-dire plus sensible donc plus fort), ce qui est un choix un peu réduit, puis le switch de sélection du haut-parleur médium, sur lequel on reviendra juste après.
Focus sur les filtres
Vient ensuite une des bottes secrètes des Twin6 et Solo6, le mode Focus : deux fiches jack permettent de brancher un footswitch puis un câble pour faire le lien avec l’autre enceinte, pour activer ou désactiver ce mode en un petit coup de pied. Le mode Focus change l’utilisation de l’enceinte pour un seul haut-parleur (celui qu’on aura préalablement sélectionné pour les médiums) en full-range, avec également un filtre en passe-haut qui s’applique. L’idée est de remplacer une paire de moniteurs alternatifs type Cubes Auratone, ou une autre écoute plus limitées que les moniteurs très haute-fidélité utilisés pour mixer. Une fonctionnalité qui séduira une bonne partie des mixeurs et producteurs, nous sommes nombreux à utiliser une écoute un peu plus « cheap » pour vérifier notre niveau de voix par exemple… Et enfin, à gauche de ces switchs et connecteurs, la section des filtres : deux plateaux, en bas et en haut, permettent d’augmenter ou atténuer de 1, 2, ou 3 dB ; le seuil est fixé à 250 Hz pour les graves et 4,5 kHz pour les aigus, au-delà de ces fréquences la correction s’accentue légèrement, d’un demi-décibel environ. Deuxième possibilité très intéressante, Focal nous propose de filtrer en cloche autour de 160 Hz, ici encore de plus ou moins 1, 2 ou 3 dB. Comme on le verra ensuite avec nos écoutes et mesures, ces enceintes sont très généreuses en bas, donc c’est clairement un atout d’avoir ce filtre en plus de celui en plateau pour affiner le réglage en fonction de la pièce et du support sur lequel reposent les moniteurs… Enfin, on trouve également un filtre pour couper le grave à partir de –6 dB pour 45 Hz, 60 Hz ou 90 Hz.
Et les Jumeaux, ils s’entendent bien ?
On va s’attarder un peu sur cette caractéristique « Twin » si particulière. Focal définit sur son site web les Twin6 comme des enceintes « 2,5 voies actives », et on comprend donc que les deux haut-parleurs jumeaux génèrent une voie et demie. Précisons tout de même que les trois haut-parleurs ont chacun leur amplificateur dédié. Le sélecteur sur le panneau arrière de l’enceinte nous permet de choisir lequel des deux haut-parleurs de graves prendra en charge les médiums, tandis que les graves seront générés par les deux. Dans le cas où les enceintes sont positionnées à l’horizontale, il est recommandé de sélectionner les haut-parleurs à l’extérieur pour les moyennes fréquences, et dans le cas où elles sont verticales, on choisira les haut-parleurs du haut. Quand on écoute, en comparaison avec des deux voies classiques de la même catégorie, par exemple les Solo6 qui sont presque identiques, l’image stéréo se trouve naturellement élargie et précisée. C’est un vrai bonus, et la paire de moniteurs est d’autant plus agréable pour mixer ou tout simplement écouter de la musique. Pendant qu’on avait les enceintes au studio pour faire ce test, on a eu une journée de prises de guitare nylon et piano, puis des podcasts à mixer. On a donc vécu quelques jours avec ces moniteurs, et c’était très confortable. Il faut également préciser que les haut-parleurs de graves sont constitués d’une membrane dite « W », et utilisent la technologie Tuned Mass Damper spécifique à la marque française, qui agit sur la suspension de la membrane de manière à réduire conséquemment la distorsion harmonique : un « amortisseur harmonique » pour reprendre les mots du fabricant.
En avant la musique
On procède à notre petit test comparatif habituel, dans la salle de contrôle du studio : on place la paire de Twin6 aux côtés de nos deux paires de Genelec, des 1030A deux voies et des 1037C trois voies. On va écouter quelques morceaux en passant d’une paire aux autres, et effectuer quelques mesures pour mieux cerner la restitution des fréquences.
Radiohead – Everything in its right place
La première impression sur ce mix qui exploite la stéréo à outrance est extrêmement séduisante : le son est chaleureux, confortable, et néanmoins très précis. On perçoit une richesse et une densité dans le médium et les graves, à laquelle on n’est pas vraiment habitués avec nos enceintes Genelec. L’image stéréo est très belle, on perçoit tous les détails et déplacements, sans que les sons soient excessivement dissociés les uns des autres. On en aurait peut-être apprécié légèrement plus de dissociation justement ; c’est bien le seul bémol pour ce premier aperçu. En comparant un peu avec les 1030A dont on a particulièrement l’habitude, on se dit que le kick descend plus bas sur les Focal, qui génèrent clairement plus de grave. Dans les aigus, c’est plus doux que nos Genelec, les sifflantes et les ouvertures de filtres sont un peu atténuées. La voix de Thom Yorke semble avoir plus d’assise, de substance, elle tire moins vers le haut. En effectuant des mesures sur la première minute de la chanson, on a confirmation que le grave, entre 50 et 80 Hz, est plus présent chez les Focal, alors que les Genelec paraissent générer plus de bas médium, sauf autour de 500 Hz où les Focal reprennent le dessus. Dans le haut du spectre, la courbe est plus régulière chez les Twin6, qui n’ont pas les pics entre 4 kHz et 6 kHz détectés avec nos 1030A. De manière générale, la courbe est moins accidentée sur la mesure effectuée pour les Focal, ce qui inspire plutôt confiance !
Kendrick Lamar – Alright
On descend dans les profondeurs avec les kicks et basses de cette très belle production, et les Twin6 plongent plutôt bien, elles sont très à l’aise sur ce terrain-là. Les aigus plutôt doux nous préservent un peu de l’agressivité des caisses claires, ce qui est très appréciable à l’écoute, mais il faudra y être attentif quand on mixe. Ici encore, l’image stéréo est vraiment très belle, et la voix au centre du tableau est pleine et ample. On prête attention pour la première fois à la longue réverbe sur la voix de Kendrick Lamar pendant les couplets. Les mesures effectuées viennent confirmer nos impressions : le grave est restitué de manière impressionnante par les Twin6, dès 40 Hz et jusqu’à 100 Hz, on constate une belle bosse. Au-dessus, c’est à nouveau nettement plus homogène qu’avec nos Genelec, on constate moins de pics sur des bandes de fréquences étroites, mais la courbe descend plus nettement entre 2 kHz et 6 kHz.
Moderat – A New Error
Et sur de la musique purement électronique, qu’est-ce que ça donne ? Une différence encore plus flagrante par rapport à nos écoutes habituelles ! Tout ce qu’on avait identifié sur les écoutes précédentes se trouve confirmé et même amplifié. Le grave est puissant, il descend très bas : à 40 Hz c’est déjà vraiment fort. Mais au-delà de 2 kHz, cela descend à nouveau de manière assez nette et on manque un peu de définition par rapport à notre système d’écoute habituel.
The Strokes – You only live once
On se dit qu’on aimerait écouter un titre rock bien saillant avec des Telecaster qui tranchent, à l’instinct ce doit être très agréable sur cette paire de moniteurs plutôt généreuse et douce dans le haut du spectre. Sur cette écoute des Strokes, on n’est pas déçus, c’est plus confortable à écouter qu’avec nos 1030A qui sont tout de même assez agressives.
Lou Reed – Walk on the wild side
Une dernière chanson pour la route, pour écouter un enregistrement plus ancien et surtout plus acoustique. La voix est pleine, prend une très grande place dans le spectre, très généreuse en bas. La contrebasse est sublime, très équilibrée. Ces deux éléments prennent vraiment le dessus, mais l’image stéréo permet aux autres éléments d’exister dans la largeur. Étonnamment, on entend encore plus clairement l’émergence des chœurs féminins depuis la réverbe, comme si la profondeur de champ était rendue plus évidente, plus perceptible, par ces Twin6.
Le Sub
La paire de Twin6 peut être utilisée seule, mais aussi avec le Sub12 (c’est son nom) qui lui est associé. Focal nous a convaincu de faire le test avec le sub, pour essayer l’ensemble du panel proposé, on va donc en dire quelques mots, même si notre expérience du trio Twin-Twin-Sub est assez limitée. Le Sub12 est énorme, et très lourd ; pour nous, c’est une limite. Il n’était même pas question de lui trouver une place dans notre salle de contrôle, et même si on avait réussi, on n’est pas persuadés que l’écoute en aurait bénéficié, dans notre pièce de 15 m2. On l’a en conséquence testé dans la salle de prise, sans comparaison possible avec un autre système de monitoring équivalent. Les Twin6 sont déjà des enceintes très puissantes, et descendent très bas. Une utilisation avec le Sub aura du sens dans un contexte de régie bien plus grande que la nôtre, on n’en doute pas, mais pour nous ce n’était pas nécessaire. En même temps, il faut préciser, puisqu’on n’en a pas encore parlé, que ces produits s’adressent par leur prix à des professionnels ayant un budget conséquent à investir dans leur monitoring : il faut compter près de 4000 euros pour la paire de Twin6, et autour de 6500 euros en ajoutant le Sub12.
Conclusion
Ce test des Twin6, vous l’aurez compris, est très probant. Ce sont des moniteurs de très grande qualité, agréables et fiables pour de longues journées de mix. Il faudra bien intégrer la douceur de leurs aigus, mais la restitution des graves est vraiment admirable. Le mode focus, les « 2,5 voies », la proposition très complète de filtres, sont autant d’arguments supplémentaires pour nous séduire.