Comment font les guitaristes impatients qui veulent tout de suite une guitare usée par les années, les concerts, les voyages et qui semble ainsi avoir sa propre histoire et personnalité ? Deux solutions : acheter une vieille pelle d’occasion ou un modèle «Relic» qui, à l’instar de certains jeans, est neuf, mais usé artificiellement. Comme ceux de la série Road Worn que nous testons aujourd’hui...
Des guitaristes tels que Rory Gallagher, Stevie Ray Vaughan ou Joe Strummer nous ont laissés en mémoire des images de guitares usées et maltraitées, du vernis en deuil à l’accastillage oxydé, en passant par les plots de micros rouillés. Du coup, pas mal de guitaristes ont établi nombre de fantasmes sur ces modèles, et avoir quelques pains et un vernis usé sur une stratocaster est devenu très « hype ». Objectivement pourtant, ce qui a guidé ces artistes dans l’utilisation de guitares à la cosmétique douteuse fut avant tout des raisons pécuniaires. Souvent achetées d’occasion dans des « pawnshops » (prêteurs sur gages) pour une poignée de dollars cause de leur état, elles étaient un choix de prédilection pour avoir « le son » à moindre coût.
C’est néanmoins ce phénomène qui à créé la mode. À l’instar du jean troué dans les années 90, il est devenu du dernier cri d’avoir une guitare portant les marques du passage du temps. Et si une stratocaster des années 60 rapiécée est devenue rare et inabordable, Fender propose via son custom shop des reissue « Relic », c’est à dire portant des marques d’utilisation intensive d’origine. Torturées dés la construction à coups de chaîne de vélo, boucles de ceintures et autres outrages par les luthiers du custom shop, les séries Relic permettent d’avoir une guitare neuve, de qualité custom shop, avec un look de baroudeuse. Si vous voulez en savoir plus sur la fabrication de ces modèles, je vous conseille de jeter un œil sur cette vidéo de la visite des usines Fender, qui aborde les techniques appliquées aux modèles « Relic ».
Avant d’essayer une de ces « relic » du custom shop Fender, j’étais moi même très sceptique sur l’intérêt d’avoir un tel instrument : Les pains sur la table, je les fais très bien tout seul, merci. Pourtant lorsqu’au hasard d’un studio j’ai pu mettre les doigts sur une Stratocaster 60’ Relic, force est de constater que ça le fait! C’est très subjectif bien sûr, et ce sera différent d’un guitariste à l’autre, mais j’ai trouvé que cette guitare avait un petit supplément d’âme, et procurait ce « feeling » particulier de jouer sur une guitare qui a vécu, même si dans ce cas ce « vécu » est factice. Le vieillissement est d’ailleurs à ce point réussi que je me suis demandé quelques minutes si c’était une reissue ou une originale, avant d’avoir confirmation du propriétaire qu’il s’agissait d’un modèle Custom Shop récent. Ces modèles Custom Shop ont toutefois un prix : on navigue allègrement dans les 2500 € / 3000 € pour de tels modèles, entièrement réalisés à la main par les luthiers du Custom Shop.
Fender a donc décidé de démocratiser l’accès au « relic » en lançant la série Road Worn. Le concept est simple : produits dans l’usine mexicaine de Fender, ces instruments passent par une phase « Relic », à la chaîne, mais toujours à la main, lors de leur construction, et le tout pour un prix aux alentours des 1000 euros s’il vous plaît. Alors le sentiment de jouer sur une pièce de musée est-il toujours aussi présent que sur les modèles custom shop ? Voyons cela et passons à la revue de détail !
La belle road
La série Road Worns se décline en plusieurs modèles :
- Stratocaster 50’s, touche érable, disponible en noir ou sunburst 2 tons
- Stratocaster 60’s, touche palissandre, disponible en blanc « olympic » et sunburst 3 tons
- Telecaster 50’s, touche érable et finition blonde ou sunburst 2 tons
Toutes guitares partagent, outre l’aspect relic les mêmes vernis nitrocellulose, et une électronique « Tex-Mex ».
La finition Relic touche 4 aspects des instruments. Tout d’abord le plus visible : l’usure du vernis. Très fin d’origine, le vernis cellulosique est connu pour être fragile, marquer au moindre coup, et s’user facilement. Fender a donc joué sur ces points pour imiter l’usure caractéristique des modèles vintage :
Pains marqués sur l’ensemble du corps, trace de boucle de ceinture sur le dos, usure du vernis jusqu’au bois sur la tranche, là où le bras frotte sur le corps. Le manche lui aussi bénéficie – si l’on peut dire – d’un traitement d’usure du vernis, comme si on avait sué sang et eau durant de nombreuses années. Le bois de la touche est usé et le vernis disparaît derrière le manche de manière plus marquée près de la tête.
Côté accastillage, le chevalet (ou vibrato) est piqué, et rouillé, et les mécaniques et autres pièces métalliques ont perdu l’éclat du neuf. Les plastiques des micros et boutons ont eux aussi été traités pour présenter un aspect patiné.
Côté finition donc, rien ne peut laisser vraiment deviner que la guitare est récente. J’ai trouvé pour ma part le traitement « relic » moins fin que celui des modèles custom shop, notamment au niveau de l’usure du manche, mais le résultat est tout de même très bon notamment en regard de la différence de prix !
Nous avons pu utiliser pour ce test un Telecaster 50 blonde et deux Stratocaster (une 50’s et une 60’s), et une chose a sauté aux yeux : La similitude des traitements sur les deux Stratocaster. Les marques d’usure du corps notamment sont très similaires sur les deux modèles testés. Là encore s’explique le faible coût de ces modèles : L’industrialisation du processus « Relic ». Pourtant, après prise d’information chez Fender, ce processus est réalisé à la main par les ouvriers de Fender. La standardisation de la méthode est tout de même flagrante.
Cela n’est pas forcément un point négatif, et rien n’empêche de jouer un peu du papier de verre pour customiser son instrument, voire même soyons fous, à laisser le temps faire réellement son œuvre pour avoir un instrument original…
Chose importante pour clore ce chapitre, sous les pains, la lutherie est de qualité. On a affaire à un instrument de bonne facture qui pour moi n’a pas grand-chose à envier à des modèles plus huppés.
Et le son dans tout ça ?
Là, on est dans le classique et l’efficace, sans surprise. Les micros tex-mex ont un grain plaisant, puissant pour le blues rock sans tomber dans l’excès. Les stratocaster sonnent comme des stratocasters, c’est à dire l’idéal aussi bien pour les cocottes funky comme pour le bon gros rock, la Tele sonne comme une Tele, avec le twang caractéristique et une prédisposition évidente pour les riffs ravageurs.
Le mieux est encore de les écouter, avec les exemples suivants :
- Stratocaster Rosewood en son clair / crunch
- Stratocaster Rosewood avec les 5 positions à la suite
- Telecaster micro chevalet en son clair / son saturé
- Telecaster micro manche en son clair / son saturé
- Telecaster position intermédiaire en son clair / saturé
Conclusion
Pour ne rien vous cacher, je suis partagé. Les Road Worn sont un peu plus onéreuses que les modèles mexicains similaires ayant une finition standard (série classic ou classic player). La finition « relic » se paye donc quelques centaines d’euros supplémentaires, ce qui est logique puisqu’elle demande un surcroît de travail. Toutefois, ce traitement est esthétique et n’a d’influence que sur le look et pas vraiment sur le son, où il n’y a en tout cas, rien à redire, puisqu’on est dans du grand classique sauce « Tex-Mex ». Reste le look et le feeling.
Cette finition est vraiment d’excellente qualité et faite dans le souci du détail. Rien n’est laissé au hasard, que ce soit au niveau du vernis, de l’accastillage et des plastiques, on a bien l’impression de jouer sur une bête de caf’conc de 30 ans d’âge ! D’ailleurs, un atout de ces guitares est que la finition défraîchie induit un comportement différent de celui qu’on peut avoir avec une guitare neuve. Même si l’instrument est, de fait, neuf, on n’a pas peur de lui rentrer dedans, de la brusquer un peu, bref on se comporte comme avec un instrument possédé de longue date.
Pour ceux qui n’ont jamais eu entre les mains ces guitares artificiellement vieillies, je vous conseille d’aller faire un petit test en magasin, de les essayer, et de laisser vos a priori à la porte, vous pourriez être surpris !