Loin des sentiers battus esquissés par une industrie musicale soumise à des directions artistiques (pardon, commerciales) qu’elle a elle-même fini par uniformiser, il demeure encore dans notre beau pays des contrées où l’on peut voir flotter l’étendard de «la véritable» exception culturelle et artistique française.
Pour ce second épisode de « Made In France », nous sommes partis à la rencontre d’une structure de production musicale au fonctionnement singulier, siégeant sur le vieux port de La Rochelle et déléguant les réalisations sonores à son studio de Rochefort. Voilà maintenant 15 ans que Cristal Records – label vraiment indépendant – et son fidèle partenaire, le Studio Alhambra-Colbert, officient main dans la main pour générer, promouvoir et fédérer des projets artistiques originaux et uniques.
Derrière ces deux entités se trouvent deux hommes animés par une passion et une foi inébranlables : Eric Debègue, fondateur du label et François Gaucher, ingénieur du son résident, dont la rencontre donna naissance à une véritable entreprise, commerciale, mais aussi et surtout humaine.
Avec un nombre impressionnant de disques à leur actif et des artistes récompensés de toutes parts (Django d’Or, Victoires de la Musique Jazz, coups de coeur presse et radio), il était indispensable pour nous de vous faire partager leur vision unique qui s’est bâtie une solide réputation dans le milieu du jazz et qui s’étend aujourd’hui à bien d’autres genres musicaux.
Entretien avec des humains passionnés.
Bootz : J’aimerais revenir un peu sur la genèse de Cristal et, de fait, du Studio Alhambra-Colbert. Comment l’aventure a -t-elle commencé pour vous deux ?
Eric Debègue : À la base, il y a beaucoup de choses qui ne sont pas réfléchies… Au départ, j’avais une compagnie de danse qui tournait très bien. En parallèle, je donnais des cours de théâtre. Puis j’ai fait quelques films. Comme toute personne qui s’essaie au métier de comédien, j’ai commencé par faire de la figuration, puis j’ai eu des petits rôles et, bon an mal an, en cumulant mes deux activités artistiques, j’avais mon statut d’intermittent du spectacle. J’ai donc commencé ma carrière du côté artistique, tout comme François d’ailleurs, qui était au départ clavier dans un groupe.
Dans le développement de ma carrière, j’ai été confronté à un certain nombre de problématiques, notamment quand j’avais besoin de m’acheter des costumes, de trouver des salles pour répéter, d’organiser les répétitions… Je n’avais pas de structure pour « porter » mon projet, faire des demandes de subventions. À cette époque, toujours dans mon cursus artistique, j’ai rencontré d’autres artistes – principalement des musiciens – qui rencontraient les mêmes problèmes que moi. Avec deux amis, on a décidé de créer une association qui pourrait porter nos projets à tous les 3 et c’est en 1992 qu’est née l’association Cristal Production – qui existe toujours aujourd’hui et dont je suis le président bénévole – qui a été rejoint par de plus en plus de groupes. Au fur et à mesure, je me suis penché sur des problématiques territoriales en me demandant pourquoi tant de groupes venaient nous rejoindre, s’il se passait vraiment quelque chose dans la région.
Il y a une vraie dimension sociale et humaine dans tout ce qu’on fait. |
Donc tu as commencé à t’intéresser au développement artistique local ?
Oui, au niveau régional, c’est là que j’ai commencé à me pencher sur la question. L’association était là pour soutenir et faire émerger les projets de chaque groupe régional qui la composait. Un jour, Pascal Ducourtioux – l’un des deux musiciens avec qui j’ai fondé l’association – qui jouait dans le groupe de jazz Café Noir, vient me voir et me dit : « Ce serait bien qu’on fasse un disque, pour développer ma carrière… » À l’époque, j’avais 23 ans et je ne savais pas du tout comment on faisait un disque ! Et il m’a parlé d’un type qui « habitait dans un squat, qui faisait un peu de son »… Je me suis rendu là-bas, c’était un vieux château en ruines, squatté par tout un tas de musiciens et ce mec-là, au milieu de nulle part…! (Rires) Franchement, quand j’y suis allé la première fois, je flippais un peu ; j’avais l’impression de rentrer dans un château hanté ! (Rires) Et c’est là que j’ai vu François Gaucher ! Il avait été mis là par la mairie pour éviter que le lieu soit squatté ; du coup, il avait fait venir tous ses amis musiciens et en a fait un lieu de vie pour musiciens. Et lui avait fait son petit studio là-dedans. François a donc enregistré le groupe de Pascal et c’est comme ça qu’on a commencé à travailler ensemble.
Une fois le disque terminé, le groupe vient me voir en me disant : « C’est super, on a un bon disque, mais ce serait bien de pouvoir le vendre ! ». Mais ça sortait un peu de l’esprit « collectif » de l’association, car on se retrouvait à s’occuper d’un groupe plus qu’un autre. J’ai donc commencé à m’intéresser de plus près à tous les maillons de la chaîne de production, le label, l’éditeur, le distributeur… et de me mettre à fond dans cette voie-là. Je me suis dit : « OK, il faut un label maintenant, je vais mettre de l’argent sur la table et recruter une personne compétente ». Et c’est comme ça que j’ai décidé de monter la société Cristal Records, en 1996, que j’ai inscrite aussi en tant qu’éditeur.
Si je comprends bien, le label est né après avoir franchi tout un tas d’étapes et s’est professionnalisé au fil du temps, de manière assez naturelle…?
Oui, en séparant les choses quand même, car l’association existe toujours aujourd’hui. Au fil des années, elle s’est étoffée, elle s’est structurée, avec des objets et missions bien précis. Au départ, la mission était de suivre 4 ou 5 groupes et au fil du temps, on est devenu centre de ressources ; on a fait des études sur le territoire pour comprendre un peu les problématiques des intermittents. L’association, qui compte aujourd’hui 650 membres et qui continue de porter leurs projets, a évolué dans ses missions et est devenue ce qu’on appelle un bureau de production – l’un des plus anciens de France, car le plus vieux, basé à Paris, a 21 ans – et Cristal en a 20 ! On était donc pratiquement des précurseurs. La moyenne d’activité des bureaux de production est de 300 000 euros ; Cristal génère 1,2 million d’euros d’activités, soit 4 fois plus que la moyenne. On est devenu le plus gros bureau de production de France. Ces bureaux de production sont à l’initiative d’un particulier, souvent d’un artiste, qui défendent les projets. Et pour Cristal, notre mission, c’est le développement de l’emploi culturel. On travaille main dans la main avec des structures comme la Maison de l’Emploi, mais aussi Pôle Emploi pour justement favoriser l’emploi dans le domaine culturel, créer des dynamiques, en s’adressant principalement aux picto-charentais.
C’est très complexe parce qu’on reste des artistes et que, bien souvent, même si un projet n’est pas viable économiquement, mais qu’artistiquement, il doit exister, on va se battre pour le faire exister. |
Ce qui veut dire qu’il y a donc plusieurs entités chez Cristal?
Oui, il y a l’association d’un côté et la société Cristal qui gère 3 activités : le label, les éditions et le studio. J’assure donc la présidence générale de l’association, qui a sa propre équipe, et qui détermine chaque année les grandes lignes directrices par rapport à nos actions à destination de l’emploi, ce qu’on peut mettre en place en sa faveur, etc. Face à cela, cette année, on a par exemple mis en place un salon professionnel des métiers du spectacle, Festif’Pro, qui s’adresse principalement à des organisateurs occasionnels et des organisateurs de Troisième Cercle. La raison pour laquelle on s’adresse à eux est qu’il n’existe pas de salon professionnel pour ce genre de clientèle alors qu’en France, en moyenne, 67% des cachets d’un intermittent du spectacle « émergeant » – c’est-à-dire « inconnu » – sont générés par ces mêmes organisateurs occasionnels. C’est pourquoi on a décidé de monter ce salon, qui est source d’informations, on met en place des tables rondes, des rencontres entre artistes et organisateurs… C’est une des actions que l’on mène pour répondre à notre objectif de l’emploi culturel.
Il y a donc une vraie dimension « sociale » – ou devrais-je plutôt dire « citoyenne » – à votre entité où l’on voit plusieurs personnes « mutualiser » leurs compétences et leurs efforts…?
Oui, c’est tout à fait ça, il y a une vraie dimension sociale et humaine dans tout ce qu’on fait. Après, toute la difficulté que l’on doit gérer, François et moi, c’est cet équilibre entre la dimension « sociale » de l’association et réussir notre sélection de projets en respectant la problématique économique de la société. Et c’est très complexe parce qu’on reste des artistes, on fonctionne au coup de coeur et que, bien souvent, même si un projet n’est pas viable économiquement, mais qu’artistiquement, il doit exister, alors on va se battre pour le faire exister. On ne recherche pas le profit absolu ; notre objectif n’est pas d’avoir un yacht dans le port de La Rochelle ! (Rires) Simplement, notre but est de pouvoir vivre de ce que l’on fait, d’être payé par rapport au travail que l’on fournit et de pouvoir payer correctement notre personnel. Alors on lutte avec nous-mêmes, car on reste au fond de nous des artistes malgré tout.
On est dans l’action et c’est aussi ça qui me motive. |
Mais alors comment faire dans un contexte économique de « double crise » : crise du disque et crise « générale »?
Je pars du principe qu’il n’y a pas de problèmes, il n’y a que des solutions. Je suis quelqu’un d’extrêmement optimiste et je me dis aussi que, quand on veut, on peut. Alors après, je suis désolé, ce genre de phrases fait un peu « cliché » mais c’est aussi mon leitmotiv. J’entends partout : « le disque est mort. » Pour moi, non, le disque n’est pas mort ! Imaginez-vous aujourd’hui une journée sans musique : vous allumez la télé, il y a de la musique, vous regardez un film, il y a la musique derrière, vous allumez la radio, même si vous écoutez France Info, il y a un moment donné un jingle et le jingle c’est de la musique donc, quoi que vous fassiez, il y a de la musique. La musique aujourd’hui est omniprésente. Quand on sait ça, je pense que la problématique aujourd’hui de toutes ces maisons de disques, de tous ces labels, d’une part c’est qu’il ont pris les gens pour des cons ; là ils prennent un peu le retour de bâton… Et la deuxième chose, c’est que personne ne remet jamais rien en question ! Le monde bouge, le monde évolue et à un moment donné, il faut savoir bouger avec le monde. Quand on regarde le modèle économique de ces entreprises, de toutes ces majors qui existent, et quand aujourd’hui on regarde comment elles travaillent, comment elles travaillaient il y a 20 ans, elles n’ont pas bougé, j’ai même envie de dire qu’elles ont régressé par rapport à il y a 20 ans !
Pour répondre à ta question, moi aujourd’hui j’ai encore fait 4% de plus de chiffre d’affaires sur mon activité, sur mon bilan de cette année ; l’année où tout le monde a fait –50%, j’ai fait + 24%, et l’année dernière j’ai fait +10%. Et jusqu’à présent depuis que Cristal existe, on n’a quasiment jamais fait moins et quand on a fait moins, c’était –2 ou –3%. Dans un marché à –50 !! Ça reste relativement positif ! Après, je n’ai pas fait Bac+10, j’essaie juste d’observer le monde et d’évoluer avec lui. Alors il y a des choses que je comprends, des choses que je maîtrise et puis d’autres pas… Et puis je m’entoure ! Je m’entoure de gens qui ont des compétences que je n’ai pas, mais je pense qu’il y a vraiment des choses à faire. Et je pense qu’il faut arrêter de se plaindre, il faut agir. Ces maisons de disques passent leur temps à se plaindre, à dire qu’on veut leur piquer leurs droits, elles passent leur temps à dire que les artistes se barrent alors qu’elles ont tout fait pour eux… Mais pourquoi ils se barrent ??! Chez nous, on ne fait pas de contrat et on a seulement eu 2 artistes qui sont partis en 14 ans ! Si on les « sert » bien, si on sait vraiment faire un travail de collaboration et faire vraiment notre métier… Moi ce qui me fait lever tous les matins et qui me fait dire que quelque part je dois bien faire mon métier, c’est que justement je n’ai aucun contrat qui me verrouille mes artistes et qui fait qu’ils sont prisonniers chez moi. Au final, s’ils sont là, c’est parce qu’ils sont contents d’être là et moi je dois travailler, correctement, pour qu’ils restent là. Tous les matins, j’ai une épée de Damoclès au-dessus de la tête et c’est à moi de bien faire mon boulot ! Il faut arrêter de penser que les artistes sont scellés à la maison de disque et qu’ils ne peuvent pas partir. Aujourd’hui il faut juste travailler autrement.
Soyons clairs, aujourd’hui, les majors n’ont pas su remettre en question leur modèle économique. |
Les choses ont bien évolué…
Oui, et il y a également un autre problème. Il faut arrêter de travailler sur le même modèle économique. Il y a 6/7 ans, la Fnac représentait 75/80% de notre chiffre d’affaires. Aujourd’hui, elle n’en représente plus que 30%. Et on continue à faire plus de chiffre d’affaires. Ces gens-là ne veulent plus faire leur travail correctement donc nous il faut qu’on fasse notre travail autrement. Mais aujourd’hui, il ne faut pas me dire que le disque ne se vend pas. Ça n’est pas vrai, le disque se vend, c’est simplement qu’aujourd’hui, il y a des gens qui ne savent plus vendre ! Je peux vous montrer un mail d’un directeur de rayon dans une Fnac qui pleure, qui ne sait plus quoi faire : ça fait 10 fois qu’il commande à sa direction un disque – parce qu’ils n’ont même plus le droit de commander en direct aux distributeurs ou aux maisons de disque – d’une artiste qu’on a sorti, qui s’appelle Kika pour ne pas la citer. Il en a commandé 30, ça fait 2 mois et demi et il n’arrive pas à être livré ! Il a réussi à être livré 'en loucedé', par le distributeur directement, de 4 CD et il les a vendus dans la journée ! Et après la Fnac dit : « les disques ne se vendent plus ! »?? Ça fait 2 mois et demi qu’il a fait la commande !! Le magasin n’arrive pas à être livré ! Donc qui fait que ça ne marche pas ?! On sait très bien que le disque reste un achat d’impulsion et que, pour qu’il se vende, il se doit d’être en adéquation avec la promo. La Fnac ne recrute pas des gens sans qualification ; s’ils ont vu ça, c’est qu’ils le font sciemment. Si la Fnac faisait bien son travail, il y aurait une recrudescence des ventes de disque ; mais simplement, aujourd’hui, ils ne veulent plus. Il y a une espèce de « tricherie » révoltante dont il faut parler. Je ne fais pas partie de ces gens-là, je n’ai jamais eu peur de l’ouvrir et de dire ce que je pense.
Ce qui ne vous empêche pas, en tant que structure, d’être impliqués au niveau régional et d’être écoutés, de continuer à exister.
Non, ça ne nous a jamais empêchés parce qu’on n’est pas seulement dans le : « je te dis que » mais plutôt dans le « je te prouve que ». On est dans l’action et c’est aussi ça qui me motive. De démontrer les solutions. De démontrer que mes convictions, là où elles se trouvent, ne sont pas des utopies. De démontrer que c’est possible, que c’est réaliste. Et pour revenir au studio – parce qu’on a un peu bifurqué ! (Rires) – et même à Cristal, je pense que c’est une famille. C’est peut-être con à dire, mais c’est comme ça que les artistes le perçoivent. C’est comme ça que moi que je les traite ; au studio, les artistes se sentent comme chez eux ! Le fait qu’il soit résidentiel, c’est une chose, mais je connais d’autres studios qui proposent l’hébergement, mais il y a le studio d’un côté et les artistes de l’autre. Chez nous, ça vit, c’est un lieu qui vit ! Tu rentres dedans, tu as une âme, tu t’y sens bien.
C’est vrai que le lieu est assez unique, étonnant et qu’il est très accueillant ! Votre structure – dans sa globalité – me fait vraiment penser aux studios qui, à la « glorieuse époque du disque », appartenaient aux labels…
Oui, à la différence près que l’on raisonne à partir de l’oeuvre. Le disque n’est pas une fin en soi, c’est un moyen de faire véhiculer l’oeuvre, au même titre que la radio, la télé, la scène, etc. Et en fait, le studio est un outil au service de l’oeuvre, au même titre que le label quelque part. C’est pourquoi on peut dire que le studio – comme le label – appartient à l’édition. Mais ce que je te dis là est le fruit de réflexions, de remises en question permanentes et d’une évolution de l’entreprise ; on ne fonctionnait pas comme ça avant.
Tu vois, il y a des choses qui me révoltent dans le paysage culturel. Quand aujourd’hui on parle des majors qui sont censées avoir des contrats à 360° avec leurs artistes… Mais elles n’ont le 360° de rien du tout ! (Rires) Elles ne communiquent pas entre elles, l’éditeur peut par exemple signer un artiste qui va sortir sur le label concurrent… Je ne comprends pas ce fonctionnement. Et après elles te font la promo de leur 360° ! Mais quel 360° ??!! Soyons clairs, aujourd’hui, les majors n’ont pas su remettre en question leur modèle économique. Pour Cristal, c’est différent, on est pratiquement en perpétuelle évolution.
Avant, il y avait 3 activités distinctes : le label, le studio, le publishing. Chaque activité avait sa vie, son fonctionnement, son projet, son DA… Aujourd’hui, il y a l’édition et après, des outils à son service. Je ne dis pas que le modèle qu’on adopte est LE modèle à adopter, mais si on regarde notre modèle économique de nos débuts et celui d’aujourd’hui, ce n’est plus la même chose. On essaie juste de s’adapter au marché de la musique d’aujourd’hui, car il faut repenser toute la chaîne du disque, de sa conception à la vente.
On raisonne à partir de l’oeuvre. Le disque n’est pas une fin en soi, c’est un moyen de faire véhiculer l’oeuvre. |
Votre label possède un certain « style » musical, orienté jazz et chanson. C’est un choix, une envie personnelle…?
C’est une histoire de rencontres. Franchement, je ne suis pas celui qui a la meilleure culture musicale, loin de là ! (Rires) Ma culture musicale – pour tout te dire – c’est plutôt Barbara, Brel, Sanson… Pour tout le côté français. Après, j’aime toute la mouvance américaine, Mickael Jackson, Janet Jackson, Diana Ross Earth Wind And Fire… Tout la mouvance soul/funk. Ça, c’est vraiment ma culture musicale. Tu vois, je suis extrêmement loin de ce qu’on fait chez Cristal ! (Rires) Tout ce que je fais ne correspond pas du tout à ma culture musicale. Mais oui, c’est le fruit de rencontres et après j’ai appris, à découvrir le jazz notamment. La première fois que j’ai rencontré Pascal Ducourtioux – avec qui j’ai monté l’association – c’était en 1991 ; il a commencé à me parler de jazz et je ne savais pas qui était Miles Davis ! (Rires) Franchement, je n’ai pas honte de le dire ! C’est la vérité, mais à un moment donné, on peut apprendre les choses ! Oui, évidemment, je voyais qui c’était, mais j’étais incapable de dire ce qu’il avait fait. Ce n’était pas du tout ma culture. Je connais certainement des artistes dont d’autres n’ont jamais entendu parler. Il faut savoir qu’il y a 10 000 disques qui sortent par an, on ne peut malheureusement pas tout connaître… Donc le jazz, c’est vraiment les rencontres, ça s’est fait comme ça. La chanson pour enfants, je voulais en faire moi, personnellement, parce que j’ai gardé mon âme d’enfant et aussi parce que je voulais un peu « dépoussiérer » tout ce qui s’était fait jusqu’alors… Alors après, tu développes ton réseau, tu essaies d’apporter quelque chose de nouveau à la création. Aujourd’hui, on est demandé par les plus grosses boîtes pour faire des produits enfants : de Gaumont à Casterman, en passant par Père Castor… les plus grosses boîtes nous sollicitent aujourd’hui pour faire du produit enfants. Même TF1 ! Parce qu’on a su peut-être faire des choses un peu novatrices… Là on est en train de préparer un super projet avec Anthony Kavannagh sur Oggy et les Cafards. On fait des choses un peu novatrices parce qu’on a envie que les enfants puissent s’éclater ! On fait aussi du ludo-éducatif, histoire de lier l’utile à l’agréable.
On a une autre manière de regarder les gens. |
Comment vois-tu alors le futur du studio – le vôtre en tout cas – dans tout ça ?
Je peux déjà te parler du présent ! Là où on est assez unique par rapport aux autres studios – hormis le fait d’être à Rochefort, ce qui est un vrai combat ! (Rires) – c’est qu’on propose aujourd’hui des solutions complètes par rapport à la musique de films. On a mis en place un orchestre – l’Orchestre de l’Alhambra – qui, pour les compositeurs et les producteurs audiovisuels, devient un véritable outil au service de la musique à l’image. Avec, bien sûr, les compétences d’adaptation nécessaires : on peut aller d’un quatuor à un orchestre d’une soixantaine de musiciens. Ce qui est assez unique en France, car on reste un des rares lieux avec cette capacité d’accueil, à proposer ce genre de prestation globale.
Finalement, vous revenez un peu vers un modèle qui se faisait dans le passé…?
Quand on est dans un marché où il y a plus de demandes que d’offres, on est toujours le roi du pétrole et on peut se permettre de dire non. Mais aujourd’hui on n’est plus dans un marché comme ça. Encore une fois, il faut que les gens se remettent en question. Et ils ne le font pas ; ils sont restés scotchés à la période des « bonnes années », quand ça marchait bien. Les studios, c’est pareil. Je fais travailler mes confrères aussi, mais quand je vois leur fonctionnement… Je n’ai pas l’impression qu’ils se soient adaptés. Et en plus, ils se plaignent. Le monde a changé. Le studio travaille pour l’édition, mais reste « ouvert » pour les autres productions. Je suis quelqu’un qui va beaucoup sur le terrain et ce qu’on me « reproche » un peu, c’est d’être de tous les côtés de la barrière : je monte souvent à Paris, je vais voir les clients, les artistes, je passe du temps avec eux… Parfois, je reçois des emails d’artistes me disant : « Même si c’est non, merci de m’avoir répondu ». Je ne sais pas, pour moi c’est normal, ça s’appelle le respect ! Ce n’est pas parce que tu ne signes pas un disque ou que tu ne vends pas un produit que tu ne réponds pas à la personne. Ça doit venir de mon côté « artiste » qui ressort. Tout ça contribue au fait que Cristal soit devenu une grande famille : on a une autre manière de regarder les gens. Mais ça, pour le coup, je pense que ça n’est pas une stratégie, c’est juste lié à nous. Parce qu’on est autodidacte, parce qu’on est artiste à la base et que c’est, peut-être, ce qui fait un peu la différence.
En supplément, voici la visite du studio Alhambra Colbert avec François Gaucher :