On l’espérait, c’est chose faite. Après sa série d’instruments virtuels consacrée aux cuivres et bois, voici que Sample Modeling s’attaque aux cordes. En commençant par l’alto solo, et ce sans apparemment plus un iota d’échantillonnage, uniquement à base de modélisation.
Parmi les instruments de l’orchestre, les cordes solo restent encore les éléments les plus compliqués à reproduire, tant les différentes versions jusque-là proposées par les différents éditeurs, si elles ont toutes des qualités indéniables, montrent aussi des manques qui se font parfois cruellement ressentir. Différentes approches ont pu ainsi être proposées, de l’échantillonnage pur et dur à la conception reposant sur des phrases pré-enregistrées, dont on modifiera le point de lecture, la hauteur, le rythme, etc. On trouvera sur Audiofanzine, dans l’ordre de publication les tests de Gypsy d’East West (pour le violon solo, un peu hors catégorie, certes…) ou le Solo Violin du même éditeur, et devrait arriver rapidement le Nocturne Violin d’Orchestral Tools. J’ai mis de côté volontairement les instruments inclus dans les banques d’orchestre complet, leur destination n’étant pas la même que celle d’un instrument dédié (pour trouver les tests des banques effectués par votre serviteur, destination cette page).
Concernant les autres produits non testés ou non répertoriés, on en trouve chez tous les éditeurs, de (liste non exhaustive) 8Dio avec ses Solo Violin et Cello Designers (phrases), à VSL, en passant par Kirk Hunter, Embertone (et ses Blackus Cello, Fischer Viola et Friedlander Violin au joli son), London Solo Strings de Big Fish Audio, les défunts Stradivari et Gofriller de Garritan (une partie de l’équipe ayant créé ces instruments est chez Sample Modeling), Serenade pour Reaktor (l’un des rares à employer la modélisation), Emotional Cello de Best Service, les produits à venir chez VirHarmonic, etc.
L’éditeur Sample Modeling, associé ou non à SWAM, a montré l’efficacité de son approche, mêlant échantillonnage et modélisation associés à leur technique maison d’alignement harmonique et à d’autres raffinements (voir quelques explications ici et là). Et voici qu’il se lance dans ce que l’on attendait avec une relative impatience, les instruments à cordes de l’orchestre, en commençant par l’alto. Autre surprise, vu le faible poids du logiciel, il semble que les quelques échantillons normalement présents dans les précédents produits de l’éditeur aient disparu pour ne laisser la place qu’à la modélisation…
Introducing Sample Modeling The Viola
Après l’achat sur le site de l’éditeur, on récupère le logiciel (toujours fourni en 32 bits et 64 bits pour Mac à partir d’OS 10.6 et Windows à partir de Windows 7, merci pour les possesseurs de « vieilles » bécanes). Le logiciel ne pèse quasiment rien (10 Mo et quelques), on peut donc l’installer très rapidement et l’autoriser tout aussi vite (via l’interface du plug). On dispose de deux numéros de série, permettant donc une utilisation sur deux ordinateurs différents ; l’activation/désactivation d’une bécane se fait en ligne, ce qui fait que si l’un de vos ordis fait défaut pour une raison ou une autre, il n’y aura aucun problème pour le désactiver et récupérer la licence, ce dont devraient s’inspirer tous les développeurs qui demandent encore de désactiver la licence à partir d’un ordinateur qui ne fonctionne plus (coucou iLok…).
Un petit souci est apparu sur nos systèmes, et il semble qu’il soit aussi constaté chez de très rares utilisateurs, en fait un seul en plus de moi à l’heure de l’installation (les configurations ne sont pas les mêmes, les logiciels non plus). Sur le MacBook Pro, impossible de faire monter le plug dans Logic (la STAN quitte alors que The Viola a bien passé la validation AU), tandis que sur le MacPro (même OS, mêmes versions des logiciels), il n’y a aucun problème. Bizarreries de l’informatique. Le développeur a trouvé très rapidement une solution, et le problème a disparu. À l’heure de la publication de ce test, la version de The Viola proposée au téléchargement ne devrait provoquer aucun problème.
On en profite pour saluer ici la qualité globale du logiciel maison, SWAM, développé quand l’éditeur a choisi de quitter la plateforme Kontakt, et qui a toujours été d’une stabilité exemplaire. Et son évolution en SWAM Engine S, celui à l’œuvre ici, dans le but de créer des instruments à cordes (S pour Strings ?). Sont installés un plug-in Audio Unit et, de façon plus rare dans le monde logiciel (la plupart du temps, c’est plutôt dans l’autre sens que ça se passe, de façon plus ou moins cachée, d’ailleurs), un alias VST dans le dossier VST qui renvoie au plug… Audio Unit. Rassurez-vous, cela fonctionne (sauf dans le PatchWork de Blue Cat Audio, par exemple).
En action
On retrouve l’interface bien connue du logiciel, d’abord la page principale, et l’on commencera par charger l’un des trois présets de commande : chacun d’eux permet de définir comment piloter The Viola, directement depuis un clavier de commande MIDI, ou avec l’aide supplémentaire d’un contrôleur à souffle (comme le Yamaha BC3, la clé USB TEControl ou le USB MIDI Breath and Bite Controller de TE Control ou encore le très onéreux hb1 MIDI Breath Station de Hornberg Research), ou depuis un contrôleur à vent MIDI (Akai EWI, Yamaha WX5, etc.).
Une fois le type de contrôleur choisi (et donc le CC MIDI qui contrôlera la dynamique, CC7 ou 11 pour les pédales, ou CC2 pour les contrôleurs à vent/souffle), on choisira l’un des 20 instruments modélisés (A de 1 à 3, B de 1 à 2, chacun en version stéréo et mono), et le type de jeu, que l’on peut aussi choisir via KeySwitch (le logiciel en fait grand usage, nous y reviendrons) : Bow, à l’archet, Pizzicato ou Col Legno (avec le bois de l’archet). Cette dernière articulation pourra être utilisée _battuto_ (en frappant la corde) ou _tratto_ (en effectuant le mouvement naturel de l’archet). Voici quelques exemples de ces trois articulations :
On définit ensuite la façon dont l’archet sera « utilisé » (changement automatique du sens de l’archet, dit poussé-tiré) pour le type de jeu Bow, en fonction du CC choisi pour l’expression, selon trois modes, Expression, Bipolar et Bowing. Le premier mode réagit en accord avec le réglage Minimum Value de la page de mapping MIDI, Bipolar fixe la valeur de base à 63, et le sens changera en fonction de la valeur inférieure ou supérieure, tandis que Bowing réagit à la vitesse même du mouvement du contrôleur MIDI (pédale, molette, ruban, pad X-Y, fader, etc.). Dans les autres contrôles, on trouve BowPressure, du plus doux aux effets appuyés de crin sur la corde, Bow/Pizz Pos, qui détermine la distance de jeu par rapport au chevalet et PizzicatoTone qui permet de varier le son du pincement. Un bouton Con Sordino permet d’activer la modélisation de l’effet.
On entendra dans l’exemple suivant quelques variations de ces derniers contrôles :
On passe ensuite aux huit boutons nommés Multi-State par l’éditeur, qui sont aussi mappés sur les KeySwitches (la disposition et l’action de ceux-ci sont détaillées dans la charte fournie en fin de manuel), et qui permettent, comme leur nom l’indique, de sélectionner plusieurs variations d’une même fonction ou modification du comportement sonore. Parmi les huit fonctions, on notera, à mon avis, les plus importants que sont les réglages de la polyphonie (avec plusieurs comportement mono, la possibilité de choisir une duophonie avec choix des cordes et un mode Auto qui gère les attributions de notes, toujours deux… automatiquement). On peut les modifier à la volée grâce à diverses combinaisons de KeySwitches. Ou encore le Tremolo proposé selon deux vitesses (réglables dans la page Options), le Portamento réagissant à la vélocité ou à un contrôleur MIDI, la production d’harmoniques (Off, premier, second harmoniques). Les autres possibilités concernent la position de la main gauche sur le manche, la position de l’archet lors de l’arrêt de la note, la sélection du poussé ou du tiré pour le jeu staccato, etc.
Viennent ensuite des modifications propres aux caractéristiques physiques de l’instrument, comme StringRes (résonance de la corde), BowNoise (bruit de l’archet sur la corde), FreeStrings (résonance sympathique des cordes à vide) et Stickiness (la proportion de colophane…). Voici quelques exemples de différentes valeurs de ces réglages dans l’ordre :
Options Galore
La page Options offre de trop nombreux réglages pour être tous détaillés ici. Mais on peut intervenir sur quasiment tout ce qui fera la production du son, et ce jusqu’au MicroTuning de chaque note afin de créer ses propres modes et/ou gammes, par centièmes de ton. Cette dernière procédure est astucieusement simplifiée, soit en dessinant le désaccordage sur l’interface à la souris pour chaque note, soit en utilisant une fonction nommée Select Note Mode (SNM), en combinant le jeu des notes qui doivent être modifiées avec l’action de la pédale de sustain (qui ne sera donc plus utilisée pour le Sustain/BowChange), la valeur appliquée étant alors celle réglée avec les faders de la section MicroTuning disponibles dans cette page Options.
Au menu des autres possibilités, sans trop détailler, on pourra agir sur la courbe de réponse des contrôleurs, l’attaque, l’ajout d’un accent au relâchement de la note, la vitesse ainsi que le seuil de passage de portamento en legato, la vitesse du vibrato, son côté pseudo-aléatoire, la même chose pour le placement du doigt (donc la justesse) et celle de l’archet, la vitesse et les modes de trémolo (avec synchro ou non, et accent possible tous les trois ou quatre coups d’archet), les différents modes des KeySwitches, les modes de détection pour la polyphonie, etc.
Comme si cela ne suffisait (le nombre de ressources à disposition pour paramétrer son et expression globale et en détail est assez impressionnant…), on dispose enfin d’un page MIDI Mapping, qui permet d’assigner 28 sources à autant de destinations via MIDI Learn, et pour la moitié d’entre elles avec bornage de la plage d’action du contrôleur MIDI (voir la capture d’écran). Il est possible d’assigner le même contrôleur à plusieurs destinations, permettant par exemple d’augmenter le taux de vibrato en fonction de l’expression, etc. C’est très, très complet…
Pour finir, une petite relecture d’un bon vieux standard :
Bilan
The Viola est encore un exemple de confirmation, s’il en est besoin, de tout l’intérêt de la modélisation physique pour la création d’instruments expressifs et réalistes (même si l’on n’est pas sûr qu’il n’y ait pas une pointe d’échantillons quelque part, sans aucune garantie cependant). Les vibratos, trémolos non figés dans l’échantillon, les dynamiques continues, sans aucun à-coup, toutes les petites subtilités sonores qui peuvent intervenir à n’importe quel moment dans la production du son, alors que l’échantillon par définition est enregistré une bonne fois pour toutes, sont quelques-uns des énormes avantages de l’utilisation de cette technique. Sans parler de l’utilisation de différentes versions en superposition, qui ne crée pas l’habituel problème de phase de l’échantillonnage. Et nul doute que l’instrument gagnera à être utilisé avec un des nouveaux « contrôleurs » tels que le Continuum Fingerboard d’Haken Audio ou le Seaboard Rise de Roli. La modélisation physique a aussi son corollaire, c’est l’impression de manque, on dirait en creux, de la véracité sonore, là où l’échantillonnage, dans sa précision « audio-photographique » (désolé), donne un réalisme (pas une réalité…) parfois plus convaincant.
The Viola, malgré sa manifeste réussite, montre encore quelques défauts sur ce dernier point, mais l’on doit bien reconnaître que l’on est là face à un instrument très plaisant à utiliser, aux très nombreuses possibilités expressives qu’aucune autre émulation à base d’échantillons ne peut égaler, et si son utilisation en instrument soliste (i.e. seul ou dans un cadre instrumental restreint, dépouillé) peut révéler la source d’origine (un logiciel plutôt qu’un instrumentiste), son utilisation en contexte plus fourni, par exemple pour doubler la voix supérieure d’un pupitre d’altos (attention au respect de la masse sonore) dans un arrangement orchestral ajoutera un supplément indéniable. Voire dans un contexte plus pop ou jazz rock avec des traitements sonores (réverbe, délai, chorus, etc.), où, si l’on respecte le phrasé (ce qui est toujours le plus difficile à faire…), l’instrument fera ce qu’on lui demande de faire. C’est-à-dire en aucun cas remplacer un véritable instrumentiste (pour le moment ?), mais en proposer une version virtuelle convaincante.
On peut en tout cas lui décerner un Award Innovation, tant le travail fourni par les équipes de SWAM et Sample Modeling est impressionnant en termes d’interface, de richesse de commandes et modifications. Nul doute que la voie est ouverte, et l’on attend les améliorations et déclinaisons dans la famille du quatuor à cordes.
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