Ça y est, votre album est dans la boite ! Des heures de boulot, d’hésitations, d’engueulades, d’euphorie, pour un résultat tout bonnement génial. Ce serait dommage d’en rester là, nous sommes bien d’accord. Reste à savoir comment vendre cette fameuse galette, et plus généralement, comment gagner de l’argent avec ses propres créations musicales ?
En évitant de nous enfoncer dans le « technicojuridique », nous allons présenter ici la place et la fonction des différents intervenants de la filière musicale. Schématiquement, l’artiste s’adresse à trois interlocuteurs qui vont (ou pas !) « faire sa carrière » : le label, le tourneur et l’éditeur. Ça ne vous rappelle pas le titre d’un bon vieux western ?
L’artiste
Définissons d’abord ce qu’il faut entendre par « artiste ». Oubliez vos cours de philo de terminale, ce n’est pas la vision platonicienne de l’artiste qui nous intéresse ici. D’un point de vue professionnel, l’artiste est la personne ou le groupe qui porte un projet musical et qui lui donne son nom. Il peut s’agir du compositeur, de l’auteur, du ou des interprètes (chanteurs et musiciens), de l’arrangeur, etc.
Le manager
Le manager est l’alter ego de l’artiste, en charge uniquement des questions « business » (en principe…). Il le représente donc face à tous les autres intervenants du métier que nous présentons dans ce dossier. Il est lié à l’artiste par un contrat stipulant notamment le pourcentage qu’il prélèvera sur les gains financiers dont il le fera bénéficier.
Le producteur
Le producteur est l’entreprise, la personne ou le groupe de personnes, qui a payé pour l’enregistrement d’une musique : séances de studio, salaires des musiciens, de l’ingénieur du son, etc. Il est donc le propriétaire des « bandes » (c’est le terme consacré même si aujourd’hui on devrait plutôt parler de « fichiers »…).
Le producteur et l’artiste sont liés par un contrat stipulant notamment quelle part de ses recettes le producteur reversera à l’artiste en cas d’exploitation des enregistrements. Ce pourcentage est souvent désigné sous le terme « points de production ».
Notons ici qu’il y a fréquemment confusion entre le producteur au sens français du terme, que nous venons d’expliquer, et le producteur au sens que les Anglo-saxons lui donnent notamment en hip-hop et R&B, qui désigne celui qui « fabrique » l’instrumental d’un morceau. Ce producteur-là, nous le traduirions en français par « compositeur-arrangeur-ingé son », mais ça fait un peu long…
Notez que si vous débutez, a priori vous êtes artiste-producteur-manager. C’est toujours bon à placer dans un dîner.
Le label
Le label (en français, maison de disques) est l’entreprise qui se charge de proposer à la vente les disques de l’artiste. Il « achète » donc au producteur le droit d’exploiter ses enregistrements, ce que l’on appelle un contrat de licence.
Concrètement, le label va payer le pressage des disques, les commercialiser puis reverser un pourcentage du chiffre d’affaires ainsi généré au producteur. En France, généralement ces « royalties » tournent autour de 15 à 20% du prix de gros HT, c’est à dire quelque chose entre 0.80€ et 1,20€ reversés au producteur par disque vendu.
Le label peut également être directement le producteur de la musique de ses artistes, on parle alors de « contrat d’artiste ». Dans ce cas, l’artiste s’engage à fournir sur une période donnée un ou plusieurs albums, percevant en échange un pourcentage sur les ventes.
Pour que ses disques se vendent, le label prend traditionnellement en charge plusieurs fonctions :
Le label trouve un distributeur
Un distributeur est un grossiste qui achète des disques par caisses entières, puis qui envoie ses commerciaux dans les magasins pour tenter de convaincre le chef de rayon de leur prendre quelques exemplaires de leurs albums en stock.
Inutile de préciser que le rôle du distributeur est crucial dans la mesure où ses représentants sont en contact direct avec ceux qui décident ou pas de mettre en avant un disque en magasin. Il y aurait beaucoup à dire sur les distributeurs, mais ce n’est pas l’objet de ce rapide panorama. Disons simplement que le distributeur est d’autant plus efficace que ses commerciaux ont du « biscuit » à vendre aux chefs de rayon, c’est à dire principalement des opérations marketing et des retours médias à mettre en avant.
Le label engage un (une) attaché(e) de presse
L’attaché de presse s’occupe d’expédier les nouveaux albums aux différents médias existants que sont la presse, le radio, la télé et internet. Il contacte ensuite les chroniqueurs et les programmateurs pour tenter de les convaincre de publier des articles positifs sur ces disques ou de les faire entrer dans leur programmation. Le métier repose donc sur une parfaite connaissance des personnes importantes à contacter et une grosse force de persuasion.
Au risque de briser les beaux rêves utopiques de certains d’entre vous, il faut préciser que la valeur artistique d’une œuvre n’est pas toujours le seul critère retenu par un chroniqueur au moment où il rédige sa critique. Outre les liens d’amitié qu’il a peut être noué au fil des ans avec l’attaché de presse qui lui a fait parvenir le disque, vous comprendrez bien que, par exemple, il est difficile pour un journaliste d’assassiner un album en provenance de la maison de disque qui achète tous les mois la quatrième de couverture du magazine qui l’emploie. Il faut être raisonnable…
Le label paye le marketing
On regroupe sous le terme « marketing » l’ensemble des actions (payantes) engagées pour accroître la notoriété d’un artiste. Et dans ce domaine, les seules limites sont celles de l’imagination et du porte-monnaie.
Petit tour d’horizon des moyens marketing connus à ce jour pour lancer un nouvel album (il en manque forcément) : les achats d’espaces dans les magazines, panneaux d’affichage, sites internet, radios, télés, etc. Les opérations en magasins (affichettes, casques d’écoute, prix promotionnels, showcases…). Le « street marketing » c’est-à-dire les flyers, étiquettes, affichages sauvages, etc. La dernière mode : les sociétés de « remplissage » de salles qui garantissent une salle comble, ça fait toujours bien lors du grand concert de lancement de l’album à Paris (si, si, ça existe vraiment).
Il faut également classer dans le marketing ce que l’on appelle le « tour support », c’est-à-dire les sommes que le label va éventuellement verser au tourneur de l’artiste afin qu’il puisse vendre moins cher son spectacle et donc multiplier les représentations. Les concerts, c’est bon pour l’image et ça fait vendre des disques (sans passer par un distributeur).
Le tourneur
Le tourneur (en anglais 'booker’) est celui qui va tenter de convaincre les programmateurs de salles ou de festivals d’acheter le spectacle (le concert) d’un artiste. Il prend donc en charge l’envoi des supports (CD, DVD, dossiers de presse) aux programmateurs ainsi que le travail de relance par téléphone (et ce n’est pas une mince affaire). Une fois le concert vendu, il organise le déplacement du groupe : planning, réservations des trains, avions, hôtels, restaurants, etc. Généralement, il embauche un régisseur qui accompagne le groupe et s’assure que l’organisateur du concert respecte ses engagements contractuels. Le tourneur, qui est donc l’employeur de l’artiste, de ses musiciens et de ses techniciens le temps d’un concert, a également la charge d’établir les fiches de paye.
L’artiste et le tourneur sont liés par contrat, ce dernier exigeant le plus souvent une clause d’exclusivité pendant un an ou deux, afin de protéger son investissement dans les frais de démarchage. Les cachets que l’artiste, les musiciens et les techniciens toucheront pour chaque représentation font également l’objet d’une négociation préalable.
Bien sûr, le tourneur idéal est celui qui dispose d’artistes de renom et qui profite d’être sollicité pour ces têtes d’affiche, pour placer des artistes « en devenir » qu’il a intégrés à son catalogue. Y’a plus qu’à le trouver et le convaincre de vous prendre dans son écurie. Attention, il y a un peu de concurrence.
Notons pour conclure sur les tourneurs que leur place dans la filière musicale est en passe de devenir prépondérante. Autrefois considérés par les maisons de disques comme de simples partenaires, la chute du marché du disque a complètement inversé le rapport de force. Dans la mesure où l’on ne peut pas pirater un concert, les tourneurs sont devenus les seuls acteurs du secteur assurés quant à l’avenir de leur source de revenus, et tout semble indiquer que c’est sur cette activité que vont se recentrer les labels et les majors.
L’éditeur
L’éditeur (musical) est la personne ou l’entreprise qui protège et gère les droits d’un auteur et/ou d’un compositeur. Il se rémunère en prélevant un pourcentage sur les droits que génère toute diffusion d’une œuvre, sous quelques formes et par quelques moyens que ce soit : disques, concerts, radio, télé, cinéma, internet, boîtes de nuits, partitions… Formulé autrement et plus concrètement, une fois que vous avez signé un contrat de cession et d’édition musicale, votre éditeur touche un « petit quelque chose » sur l’argent collecté par la SACEM pour la diffusion de vos oeuvres. Sa part de rémunération est fixée dans le contrat, souvent en distinguant les sources de revenus : par exemple 33% pour les droits générés lors des représentations et exécutions publiques (= concerts), 50% sur les droits de reproductions mécaniques (= ventes de disques), etc.
Il n’est pas nécessaire d’avoir un éditeur pour toucher ses droits d’auteur et de compositeur. Une fois inscrit à la SACEM, vous pouvez y déposer vos morceaux en « auto-édition », et vous toucherez ainsi 100% des droits générés. Quel est alors l’intérêt de céder une partie de ses gains à un éditeur ? D’autant que le plus souvent, on cède ses droits pour une œuvre à vie, et même au nom de ses héritiers ! Il s’agit de ne pas se gourer… Un éditeur à plusieurs rôles.
L’éditeur fait office de conseiller juridique
Même si ce n’est pas très compliqué, l’éditeur prend en charge les formalités de dépôts des œuvres à la SACEM. Il s’assure ensuite que tous les droits collectés au nom de ces œuvres font bien l’objet d’un règlement à l’artiste (et à lui même) de la part de la SACEM. En effet, on ne s’en doute pas avant d’en avoir eu un entre les mains, mais pour comprendre et vérifier les avis de répartitions envoyés par la SACEM, l’appui d’un professionnel peut s’avérer très utile ! L’éditeur est également à même de négocier les droits avec ses homologues pour les reprises de morceaux existants, les adaptations, les samples, les remix, etc.
L’éditeur investit
L’éditeur a un intérêt évident à ce que la notoriété de ses auteurs et compositeurs grandisse, et à ce que leurs œuvres connaissent la plus grande diffusion possible. Dans ce but, il peut apporter un soutien financier à leurs projets artistiques. Il peut s’agir de sommes consacrées à l’enregistrement, la promotion, le tour support…
L’éditeur fait profiter de son carnet d’adresses
Un éditeur bien établi dans le milieu travaille nécessairement avec des labels, des producteurs, des tourneurs, etc. Il est donc en bonne position pour « placer » ses artistes chez un partenaire. Par exemple si vous signez chez Sony Publishing (en français, Sony Éditions), il y a de fortes chances que vous puissiez obtenir quelques rendez-vous avec les directeurs artistiques des labels du groupe… Egalement, le bon éditeur dispose de contacts dans les sociétés de productions audiovisuels (cinéma, télé) et les agences publicitaires, et leur propose les musiques de son catalogue pour l’illustration sonore, ce que l’on appelle dans le métier 'la synchro’ (souvent très rémunérateur).
Notons pour conclure qu’une bonne raison de signer avec un éditeur est que parfois, on ne vous laisse pas le choix ! En effet, le label qui a investi dans le lancement d’un artiste cherche à récupérer son argent par tous les moyens. Il se peut alors qu’il conditionne la signature du contrat de licence ou du contrat d’artiste par la signature d’un contrat d’édition.
Qu’est ce que la chute du marché du disque va changer dans la filière musicale ?
Vous avez pu constater à la lecture de cette petite synthèse que le seul acteur du business que la chute des ventes de disques met réellement en danger de mort, c’est le label. Cependant, celui-ci assure un travail de promotion dont on voit mal comment les artistes et les autres intervenants du marché pourraient se passer.
Il est donc vraisemblable que les labels fusionnent peu à peu avec des éditeurs ou des tourneurs, devenant une sorte de département marketing au sein de ces sociétés. La sortie d’un album ne sera alors que l’occasion d’une bonne promotion pour un artiste, le gros du business se faisant sur les ventes de concerts, les droits de diffusions et le téléchargement.
Le marché de la musique s’organisera ainsi sur un modèle un peu comparable à celui de la mode, où les défilés de haute couture servent d’outil de promotion et de prestige pour les créateurs, mais où l’essentiel du bénéfice se fait sur le prêt-à-porter et les produits dérivés (parfums, sac à main, etc.).
Artistiquement, on peut s’inquiéter de cette évolution. Si le fruit du travail en studio devient un simple support de promotion, les moyens qui lui seront consacrés seront nécessairement plus limités qu’aujourd’hui. Les artistes pourraient alors être incités à revoir leurs ambitions à la baisse en ce qui concerne leurs œuvres enregistrées et ce n’est sûrement pas avec un tel état d’esprit qu’un « Sergent Pepper » ou un « The Wall » auraient pu voir le jour.
Fort heureusement, en contrepoids à cette crainte réelle, chacun peut constater (surtout sur Audiofanzine !) que réaliser sa propre musique avec un son de haute qualité devient de plus en plus accessible : ordinateurs toujours plus puissants et de moins en moins chers, matériels d’enregistrement à prix cassés en provenance des pays émergents, etc.. C’est très probablement en s’appropriant les outils de l’enregistrement de leurs propres créations que les auteurs et les compositeurs seront le mieux armés pour trouver leur compte, artistiquement et financièrement, dans la nouvelle organisation du business de la musique qui se dessine en ce moment.
Conclusion
Il est primordial de comprendre que les rôles de chaque intervenant du business de la musique sont hautement complémentaires, voire totalement imbriqués. Par exemple, le très bon article obtenu par l’attachée de presse du label permet au tourneur de trouver quelques dates importantes, ce qui convainc l’éditeur d’investir dans la promo, ce qui facilite le travail de l’attachée de presse du label qui va obtenir d’autres articles, etc.
C’est à vous ou à votre manageur de faire en sorte que tous ces petits rouages s’enclenchent correctement et fassent avancer la machine, sous peine d’être très rapidement balayé par la nouvelle « actualité » qui arrive derrière vous. Le « sur place » et le ralenti n’existent pas dans ce secteur…