Sortie discrètement cet été, la Cort Arona nous laisse l’occasion de passer pour la première fois la marque en banc d’essai.
Fruit de la collaboration de la maison allemande Sandberg et du fabricant Coréen, l’Arona se propose en boutique en dessous des huit cents euros : un design Européen pour un rapport qualité-prix Coréen. L’opportunité était trop belle pour être manquée et je suis certain que vous êtes quelques-uns à avoir déjà remarqué la belle en rayon. Je suis donc content de la tester pour ceux qui n’auraient même pas encore eu le temps de la poser sur leurs genoux.
Un million de guitares par an
Derrière la compagnie Coréenne, fondée en 1973 sous le nom Yoo-Ah (“You and I”) se cache une des éminences grises à l’origine du Boom de la guitare électrique ou du moins, de sa démocratisation : Jack Westheimer. En 1956, ce dernier est employé chez un grand fabricant de matériel sportif (la Worldwide Sporting Goods Company) qui, en pleine débâcle avec les syndicats nationaux, décide de faire fabriquer une partie de son catalogue de gants de baseball au Japon. Après un changement de direction au sein de la société, son ancien directeur Bill Barnett et Jack Westheimer se retrouvent sans emploi. Bill décide de creuser l’offre nippone pour y trouver des produits à importer aux USA, dans des domaines pluridisciplinaires. De là où le soleil se lève, il envoie régulièrement à Jack des échantillons, afin que ce dernier les teste sur le marché : du matériel de pêche aux produits électroniques en vogue, tout est bon pour tenter la demande américaine. Et c’est une paire de Bongos qui va lancer les deux associés dans le commerce des instruments de musique: sans trop y croire, Jack Westheimer prend la route avec cet échantillon et arrive à en vendre deux mille unités, entre Chicago et New York. Cette commande sera le ticket d’entrée des deux associés dans l’importation de percussions fabriquées au Japon (chez Pearl), commercialisées sous la marque Kingston.
Ce catalogue de bongos puis de batteries se vendant bien, ils ne tardent pas à diversifier les importations en commençant par une ligne de ukulélés fabriqués à Nagoya puis un catalogue de guitares sous la marque Cortez, dès 1960.
Durant les sixties, Cortez profite de l’énorme demande en guitares. Le phénomène commercial est tellement conséquent que même des géants tels que Fender ou Gibson ne peuvent combler le marché. Cette fenêtre profitant au low-cost japonais, cette période est faste pour Jack Westheimer et Bill Barnett. Mais ce dernier, atteint de troubles cardiaques, laisse son compère aux commandes de l’entreprise pour affronter une période sombre.
En 1969, le marché de la guitare se trouve saturé par une chute des ventes et en 1972 le président Nixon abandonne l’étalon or. Le taux de conversion du Yen se libère pour augmenter immédiatement, faisant monter en berne le prix des importations. Alors que la concurrence ferme rideau, les marques de l’écurie Westheimer tiennent le cap pour prendre de nouvelles directions. En 1970, une série limitée de guitares Kingston sont fabriquées en Corée du Sud par la Sodoo Piano Company. Quand cette société est disloquée en 1973, le fils de son patron, un certain Yung H. Park se rapproche à nouveau de Jack Westheimer pour fonder la Yoo-ah Company qui engendrera la marque CORT. D’une petite fabrique, la marque passera au statut de géant de la guitare en sous-traitant pour de nombreuses marques et en mettant sur le marché des instruments au rapport qualité-prix attractif. Profitant d’une hausse des tarifs japonais et d’une délocalisation de sa production qui s’étend en Chine et en Indonésie, la marque CORT s’empare du marché en produisant plus d’un million d’unités par an. Une performance commerciale certaine d’un point de vue financier. Sur le plan humain, la note est plus salée : de nombreux ouvriers coréens se trouvent lésés par cette suite logique et implacable du marché international.
Créature des Marais
Notre Indonésienne (native de la région de Surabaya, si je ne m’abuse) s’inspire librement de la Sandberg Bullet. Elle est constituée d’un corps en frêne des marais et dispose pour cet essai de cinq cordes. S’offrant à moi dans une finition mate “open pore” d’une couleur allant du marron au rouge sombre, tirant presque vers le pourpre, ce modèle se propose aussi en noir High Gloss et avec une corde en moins. En fait on m’a proposé de la tester en version quatre cordes, mais comme j’avais le choix, je n’ai pas pu résister à l’appel obscur du Si grave.
À ceux qui la préféreraient en noir, je préfère vous prévenir de toute déconvenue : une fois vêtue de sa robe sombre, la belle verra son cœur changer en aulne. Ce qui pour des raisons de finition est tout à fait compréhensible : Pourquoi cacher les veines d’un frêne sous une couche de peinture unie ? Comme les Indonésiens sont prévenants ! Ou peut-être est-ce là un coup des Allemands… Avec ce genre de métissage, il est parfois difficile d’attribuer les lauriers à qui de droit. Par contre, comme je connais bien les productions de la marque teutonne (cf. test de la Sandberg California) et celles de chez CORT (que j’ai vendues par rayons entiers à l’époque où j’oeuvrais en boutique), je n’aurai aucun mal à révéler la paternité de l’Arona.
Même s’il est question d’une basse coréenne qui ne porte pas de coupe mulet, qui ne conduit pas de grosse berline à plus de cent soixante kilomètres/heure sur autoroute et qui ne voue aucun culte à David Hasseloff, il faut avouer que cette basse à presque tout d’une Allemande.
Je m’explique de haut en bas en commençant par le manche : aucun autre ne s’en approche chez CORT. ça n’est pas la matière qui fait sa singularité, puisqu’il se constitue d’érable et de palissandre, ce qui n’a en soi vraisemblablement rien d’exceptionnel. Mais c’est avant tout ses mensurations exceptionnelles qui font de lui le fruit d’une conception d’outre-Rhin.
Un radius exceptionnellement plat de quinze pouces et trois quarts, une largeur de manche dite « broadneck » (4,5 mm au sillet et 6,4mm à la douzième) qui permet de retrouver un espacement de quatre cordes sur un manche de cinq, une frette zéro (consolide l’assise des notes jouées en corde à vide), un profil en C avec un dos particulièrement plat pour asseoir le pouce. Il n’y a pas à pinailler, c’est vraiment un manche de Sandberg, auquel on a ajouté une tête de CORT Artisan. Les mécaniques à bain d’huile sont d’ailleurs estampillées du logo de la marque allemande.
Au sujet du corps à la carrure massive, mais à l’épaisseur raisonnable, on notera une parfaite tenue de l’inclinaison de l’instrument assis comme debout. Les chanfreins de table sont vraiment les bienvenus, que ce soit pour l’avant-bras droit ou même la main gauche qui accèdera parfaitement aux aigus grâce à un ingénieux prolongement du pan coupé inférieur. Les micros reprennent une configuration chère à Sandberg, employant un pavé Music Man renforcé par un micro Jazz Bass. Tous deux sont bardés de plots de 9,5 mm pour atomiser le son. La marque inconnue de ces derniers (Desonic by Delano), laisse deviner une licence parallèle des plots magnétiques, à l’image des MK2 by Bartolini qui équipe la gamme Artisan chez CORT. Enfin, l’électronique affiche un système actif-passif, équipé d’un volume général, d’une balance et de deux bandes passantes.
Se faire mordre les tympans
Une fois le jack connecté et les mains échaudées, on se rend vite compte du caractère trempé de l’Arona. Son grain est résolument moderne, entre le son de la MTD de Juan Nelson, le rugissement d’un fauve et la dynamique de la Thumb Bass de Ryan Martinie.
Utilisés de manière isolée ou en collaboration, chaque micro remplit sa fonction géographique tout en imprimant au profil sonore de l’instrument, une sacrée touche de tueuse aux crêtes acérées. Attention, ne vous méprenez pas chers lecteurs de mon cœur, je ne suis pas en train d’écrire que l’Arona sonne comme une basse de death métal, loin de là. Mais elle a assez de mordant pour transformer la concurrence en troupeau de ruminants à poil doux, en plus d’avoir un grain résolument contemporain. Ce qui ne l’empêchera pas de passer partout et surtout à travers le mix, car l’instrument reste une solution polyvalente tant que l’on ne cherche pas un grain placide. Pour illustrer la chose, j’ai enregistré une petite ligne de Blues toute bête en prenant l’Arona à contre-emploi. Il aurait été plus conventionnel de la jouer Funk ou Rock, mais j’étais curieux de l’entendre sur une ligne pépère. Je vous conseille de faire de même lors de l’essai d’un instrument : pour éprouver la polyvalence d’une basse, jouez là où on ne l’attend pas.
- 1 Micro Grave00:23
- 2 Micro Aigu00:23
- 3 Deux Micros00:21
- 4 Mediator00:19
- 5 Slap00:20
Le rendu ne mettra pas forcément tout le monde d’accord, mais personnellement, j’aime beaucoup. La tenue du Si grave est tout simplement exceptionnelle pour un instrument de ce prix. Je joue sur cinq cordes depuis maintenant plus de dix ans et je suis très difficile sur ce point. Selon moi, une basse qui embarque une corde supplémentaire, si cette dernière n’est pas pertinente, donnera immédiatement envie d’user d’une pince coupante. Et sur le marché, je trouve qu’il y a trop de déclinaisons en cinq cordes superflues : on essaye à tout prix d’adapter un modèle à la demande en Si grave, sans prendre le temps de lui donner une assise optimale. La plupart du temps, on se retrouve avec une corde molle, un grain qui perce, mais sans volume, ou son contraire (du volume certes, mais un grain brouillon). Là pour moins de 700 €, je pense, sans trop m’avancer, que c’est le meilleur Si du marché.
Alors qu’est-ce qui fâche me demanderez-vous ? Je n’ai pas grand-chose à redire : l’Arona est très facile à jouer, son large manche permet de s’exprimer à l’aise, avec un vrai écartement entre les cordes (ce qui change de la donne habituelle chez CORT), elle est légère, son grain est fort plaisant, elle a une bonne petite gueule et ne coûte pas bien cher au regard de ce qu’elle a à proposer. J’ai pourtant une remontrance principale et tout de même importante : contraint de la régler avant d’enregistrer et après y avoir passé quelques temps, je n’ai pas pu atténuer certaines frises du manche et j’ai trouvé l’action du trucs rod plutôt moyenne (je ne suis pas très fan non plus de la pose des frettes). Tout acheteur potentiel devra s’affranchir de la chose, en laissant son acquisition quelques temps dans l’atelier de son magasin préféré pour un bon réglage. Pourtant, je suis du genre à penser que les meilleures basses frisent toujours un peu. Mais là, il faudra quand même faire quelque chose, à moins de vouloir mettre une touche de cithare dans ses lignes de basse.
Et l’award du rapport qualité-prix revient à…
Je n’ai pas l’habitude de remettre des prix, en plus le jury ici se limite à ma petite personne, il va donc me falloir assumer. Mais je dois affirmer que la CORT Arona 5, malgré le défaut cité dans les lignes précédentes, se pose comme une cinq-cordes d’exception sur le marché du milieu de gamme. Pour moins de 700 € vous repartirez avec un bon gros Si grave, qui ne vous laissera jamais tomber quand vous en aurez besoin. Équipée d’un jeu de cordes standard de marque d’Addario, je vous conseille de passer sur un tirant un poil supérieur avec un bon 135, voire du 140 en Si. Avec ça et un bon réglage du manche, vous allez pouvoir jouir d’une excellente basse pour un prix fort raisonnable. Donc un Award pour bien commencer l’année et tous mes vœux de bonheur à l’ensemble du lectorat d’Audiofanzine pour les mois à venir.