Plus de six ans après la sortie d’HALion 6, Steinberg revient avec une nouvelle mouture de son sampler iconique bardée de nouveautés. De quoi faire trembler Falcon et Kontakt ?
Soufflant cette année sa vingt-deuxième bougie, HALion est le plus ancien des samplers logiciels encore en activité. Apparu à l’époque où GigaSampler venait de dézinguer le marché de l’échantillonneur hardware et l’hégémonie d’Akai grâce au streaming depuis le disque dur, le logiciel de Steinberg est en effet une vénérable institution qui, malgré la domination de Kontakt sorti un an plus tard, a su tracer sa propre voie pour rester au catalogue de l’éditeur. Nul doute que le rachat de ce dernier par Yamaha lui a énormément profité car, dans le sillage d’Hypersonic, HALion a pu bénéficier de certaines technologies qui ont permis à Steinberg d’affiner son positionnement : ne se contentant pas d’être une plateforme protéiforme comme peut l’être Kontakt, ce dernier a depuis sa version 5 affirmé son statut d’instrument à part entière : une formidable workstation faite pour jouer avec des sons, qu’ils soient synthétiques ou acoustiques, au gré de nombreux moteurs de synthèse et modules de traitement, le tout étant complété de quelques fonctions d’arrangements directement issues de la famille MOTIF… C’est donc un logiciel singulier qui nous attend et dont il s’agit de voir comment Steinberg l’a fait évoluer face à ses deux grands concurrents : Kontakt et Falcon…
Stairway to Seven
Rappelons-le : c’en est fini des dongles matériels chez Steinberg, l’autorisation du logiciel se faisant désormais via Internet. L’installation ne pose aucun problème via le logiciel dédié, sachant que si le logiciel HALion lui-même pèse moins d’un Go, sa banque pèse plus de 30 Go auxquels s’ajoutent les quelque 5 Go de la nouvelle guitare Tales… Une fois ce petit monde installé, nous voici prêts à lancer la bête pour voir ce qu’il en est des nouveautés de cette V7.
Les utilisateurs des produits Steinberg ne seront pas perdus en ouvrant le logiciel dans la mesure où l’on y retrouve les mêmes partis-pris artistiques et ergonomiques que dans les autres logiciels de l’éditeur allemand. Et on est également proche de ce qu’était la version 6, avec le bandeau des instruments chargés à gauche, le navigateur de presets à droit, le contrôle des macros en bas et la fenêtre d’édition disposée au centre, permettant de passer de l’interface de l’instrument à la table de mixage interne, à la gestion des assignations MIDI ou aux options. Même look que dans Cubase : des textes blancs, gris clair ou bleu sur des fonds noirs ou gris foncé, et dans des typos petites, mais somme toute lisibles.
La fenêtre est redimensionnable, mais cela n’aura aucun effet sur les textes ou les graphismes, juste sur la dimension des différents panneaux que l’on peut dupliquer, splitter, détacher ou docker à loisir… Cela ne remplacera pas un vrai redimensionnement, mais on apprécie malgré tout cette souplesse qui permet d’organiser son espace de travail. Et on l’apprécie d’autant plus que, comme beaucoup de logiciels Steinberg, HALion n’est pas avare en icônes, commandes, panneaux et sous panneaux.
Ce n’est pas là une critique car on voit mal comment il pourrait en être autrement, vu les fonctionnalités du logiciel tandis que l’éditeur s’est malgré tout débrouillé pour que l’organisation demeure rationnelle, ajouter un peu plus d’espace et de clarté par rapport à la V6 et proposer en outre des configurations d’interfaces prêtes à l’emploi pour différents usages… Parmi les évolutions notables en termes d’ergonomie, on notera la refonte de la Media Bay, plus efficace que jamais pour naviguer par tags ou mots clés dans la base d’instruments et de presets en raffinant à mesure sa sélection. Un bon point, même si l’on déplore l’absence d’une préécoute des presets avant des les charger, comme on peut le voir dans le logiciel Komplete Kontrol de Native Instruments…
Un mot au passage pour ceux qui parmi vous envisagerait de créer leurs instruments sous HALion : de nombreuses fonctions ont été pensées pour simplifier la vie des concepteurs, comme la possibilité de connecter les ressources graphiques BMP et SVG à des éditeurs externes, d’animer les SVG via des scripts LUA, etc.
Mais vous vous en doutez, ce n’est pas sur l’interface du logiciel qu’on découvre les choses les plus intéressantes de cette nouvelle version. Laissons donc là le tableau de bord, les appuie-têtes et la couleur des jantes pour soulever le capot et voir ce qu’il y a de neuf du côté du moteur…
La FM pour les nuls ?
La plus grande nouveauté mise en avant par Steinberg concerne l’intégration de la synthèse FM à son logiciel, laquelle passera par une nouvelle FM Zone. Dans cette dernière, vous pourrez combiner jusqu’à 8 opérateurs, pour les utiliser comme porteuse ou les envoyer dans des boucles de feedback, sachant que Steinberg a pris soin de ne pas vous laisser seul avec une synthèse dont la programmation est réputée difficile : un Algorithm Finder est en effet de la partie pour vous permettre d’utiliser des configurations d’opérateurs prêtes à l’emploi, sachant que vous pourrez tweaker ces dernières et créer vos sons sans trop vous faire trop de nœuds au cerveau.
Applaudissons cette délicate attention même si, en dépit des efforts de l’éditeur, avouons-le, la FM demeure autrement plus complexe à utiliser que toutes les autres formes de synthèse… Précisons-le enfin : la FM Zone s’avère compatible avec les fichiers SYX du DX7 comme du TX81Z. De l’avantage de coder un synthé FM quand on appartient à Yamaha himself…
Tirant parti de cette FM Zone, le nouveau synthé FM Lab illustre parfaitement toute la puissance et la polyvalence de la synthèse FM : on y retrouve bien évidemment des sons iconiques de cette dernière (basses, pianos, chimes, etc. fleurant bon les eighties), mais aussi des choses nettement plus contemporaines et susceptibles d’être utilisées dans n’importe quel genre de musique électronique… À n’en pas douter, les formidables capacités d’HALion en termes de traitements comme de modulation sont ici mises à contribution…
Voyez ce que ça donne :
- FM100:10
- FM200:10
- FM300:10
- FM400:10
- FM500:10
- FM600:10
- FM700:10
Cette seule nouveauté, avec ce qu’elle offre en termes de diversité sonore, aurait bien pu justifier à elle seule la mise à jour en V7, mais Steinberg ne s’est pas arrêté là… Loin de là même !
Un tigre dans l’HALion
Dans un domaine proche de la synthé granulaire et de la resynthèse, grâce notamment à l’apparition de nouveaux algos de Pitch Shifting et de Time Stretching maison, on saluera ainsi l’apparition d’un nouvel oscillateur spectral qui permet de ralentir à l’extrême un signal audio et de générer ainsi de nouveaux sons à la faveur de différents traitements jouant sur le filtrage ou la transposition des formants, des harmoniques, etc.
Apparue dans HALion en V6, la synthèse à tables d’ondes profite aussi de l’occasion pour faire un grand bon en avant, vous permettant de créer vos propres tables en utilisant jusqu’à 1024 ondes, avec possibilité de charger des sons multicanaux et de disposer d’un nouveau filtre spectral pour chaque onde tandis qu’un algo d’interpolation assure une transition la plus douce possible entre chaque onde…
Nombre d’outils ont en outre été ajoutés pour rendre vos tables plus dynamiques, avec la possibilité de jouer sur l’accélération de la lecture, ou de préciser une vitesse ciblée, sachant que tout cela est modulable, ou encore la nouvelle fonction Hold permettant de geler le spectre…
Poursuivons ce tour d’horizon en évoquant une nouvelle possibilité enthousiasmante pour le sampling : vous pouvez désormais, comme dans les Physion d’Eventide, décomposer n’importe quel signal avec d’un côté le bruit et de l’autre le contenu harmonique !
Voyez ce qu’une bête boucle de guitare donne ralentie, éditée spectralement et décomposée :
- boucle00:06
- spectraldecompose(2)00:06
Bref, vous voyez que Steinberg n’a pas passé les six dernières années à se tourner les pouces. Or, il reste encore pas mal de chose à voir du côté des traitements et des modulations.
La traite du son
Cette V7 nous propose en effet de nombreuses nouveautés de ce côté, avec des refontes ergonomiques comme de nouvelles possibilités. Un clic suffit désormais pour assigner une modulation, comme un clic suffit pour voir sa source ou sa destination, sachant que les sources peuvent être assignées par simple cliqué-glissé, le tout avec une visualisation extrêmement claire de quoi fait quoi…
Cela s’accompagne d’un nouveau X-LFO permettant de moduler deux paramètres en même temps et de nouveaux outils pour créer ses propres enveloppes, une brosse, un crayon et une gomme qui vous permettront d’éditer de nombreuses enveloppes prêtes à l’emploi ou de créer les vôtres from scratch, avec possibilité de bouclage et de synchronisation au tempo : à vous les LFO complètements barrés donc…
Il se passe également bien des choses du côté des effets avec l’arrivée de dix petits nouveaux (VST Bass Amp, Studio EQ 24, Bass Tape Ducking Delay, DI Driver, Bass Overdrive, Bass Octaver, Bass Chorus, Bass Envelope Filter, Bass Phaser et Clipper), mais aussi et surtout la possibilité d’importer vos propres réponses à impulsion dans REVerence, le processeur à convolution intégré. Gageons qu’avec 70 effets désormais, vous ne devriez pas vous sentir limité…
Ne nous reste qu’à évoquer ce qui est peut-être l’ajout le plus anecdotique de cette septième version : la guitare Tales…
Entre guitio et pianare ?
Au nombre des nouveautés proposées avec cette version 7, Tales est un hybride entre une guitare pour le son et un clavecin pour son échantillonnage : chacune des notes de l’instrument n’a en effet pas été enregistrée en frettant le manche de la guitare, mais en désaccordant autant de fois que nécessaire la corde concernée, de sorte que tous les sons proviennent de cordes à vide, avec quatre articulations possible : jeu soft qu’on devine au-dessus de la rosace, jeu ‘hard’ sur le chevalet, jeu étouffé et harmoniques.
Le parti-pris n’est pas inintéressant, mais frustrera ceux qui espéraient disposer d’une guitare virtuelle : pas de hammer/pull-off, pas de glissando ou de bend, pas de résonances sympathiques ou de bruits de frets, et pas de scripts de strumming qui permettent de recréer le jeu d’un guitariste. Si l’on voit le verre à moitié plein, on dira qu’il s’agit d’un piano original qui sera utile pour donner une « couleur guitare » que Steinberg s’est chargé d’hybrider au travers de nombreux presets avec des sons synthétiques…
- TALE100:15
- TALE200:15
- TALE300:15
- TALE400:15
- TALE500:15
- TALE600:15
- TALE700:09
Si l’on voit le verre à moitié vide, en revanche, on ne pourra s’empêcher de penser que, sous couvert d’un concept un peu fumeux, l’éditeur a refusé l’obstacle de créer une vraie guitare virtuelle pour faire le choix de la simplicité sur le plan technique, et c’est bien dommage car Acoustic Samples a prouvé avec sa MGuitar qu’il était possible de faire des choses autrement plus sophistiquées avec le moteur d’HALion… En l’occurrence ici, malgré les 5 Go de sons, les multis et les effets, la guitare qu’on nous propose, à défaut de scripts, fait penser aux guitares dépassées qui équipent les workstations hardware.
Bref, sans bouder cette banque qui amène un peu plus de couleurs acoustiques à HALion, on conviendra que Tales n’est certainement pas le Game Changer qui vous fera acheter cette V7, même si elle ne manque pourtant pas d’arguments pour vous faire craquer…
Un mot là-dessus s’impose d’ailleurs, histoire de détailler la pertinence de la grosse Bertha de Steinberg en fonction des profils…
HALion pour qui ? Pour quoi ?
Précisons-le d’abord, le logiciel est décliné en trois moutures : HALion Sonic 7 qui est gratuite et permet de charger les banques de Steinberg ou de tierce partie que vous pourrez acheter sur le site de l’éditeur (l’équivalent du Kontakt Player ou de l’UVI Workstation en somme), HALion Sonic 7 Collection vendue 250 euros, une version ROMpler aux possibilités d’édition et de création bridées, mais qui contient tous les sons d’HALion, et enfin l’HALion 7 que nous venons de tester et qui est vendu quant à lui à 350 euros.
Première remarque : comme pour Kontakt et la Komplete, le prix du logiciel en version complète a vite fait de nous faire considérer l’achat du bundle Absolute qui, à 500 euros, inclut non seulement HALion, mais aussi quantité d’instruments de bonne facture, dont Groove Agent, Electric Bass, Model C, Brass, des pianos et une foule de synthés que les utilisateurs de Cubase connaissent bien pour certains…
Envisageons à présent la pertinence d’HALion face à sa concurrence directe. À n’en pas douter, si vous êtes déjà possesseur et amateur d’HALion, nous ne saurions que trop vous conseiller de faire la mise à jour tant Steinberg a bien travaillé avec cette V7 qui propose quantité de nouvelles fonctionnalités et de possibilités. Rien à dire : le pari est réussi…
Quant à savoir si c’est la solution qui vous convient si vous hésitez face à Kontakt et Falcon, je dirais qu’en termes d’écosystème (la disponibilité de banques de tierce partie), HALion est très loin de rivaliser avec Kontakt, à plus forte raison si vous cherchez avant tout des instruments virtuels acoustiques ou électroacoustiques rares ou au sampling très détaillé. Même si Steinberg tâche, au gré de partenariat avec des éditeurs, de proposer toujours plus de choses, il n’y a pas sous HALion de banques de son qui fassent référence comme on en trouve sous Kontakt. En revanche, il est clairement plus indiqué pour ceux qui cherchent un synthé de recherche : on peut passer des heures dans ses différents modules à triturer des sons improbable. Sur ce point, il n’y a pas à dire, on est clairement plus à l’aise pour faire tout cela que dans Kontakt…
Plus proche de Falcon dans ce contexte, et sans doute plus complet encore, il est donc une formidable usine à sons synthétiques, avec un feeling très « workstation hardware » qui ravira les fans de MOTIF, Fantom ou Kronos par exemple, désireux de retrouver ce genre d’énorme playground pour faire du sound design… Son excellente optimisation en termes de consommation de mémoire comme de processeur en fait en outre un bon choix pour ceux qui chercheraient un outil utile sur scène comme en studio…
Bref, une belle bête, comme on dit, avec des partis-pris forts auxquels on sera ou non sensible. Voyez l’exemple tiré de la vidéo, avec sa fin cette fois-ci qui doit tout à l’oscillateur spectral :
Conclusion
Héritier d’une certaine tradition, HALion 7 donne ce sentiment d’être face à un fantastique clavier comme peuvent l’être les MOTIF, Fantom ou Kronos, soit un énorme synthétiseur bardé de fonctions, d’effets et de moteurs de synthèse qui se chargeront d’animer une banque de sons propre et relativement complète. Si vous cherchez à retrouver ce feeling d’une workstation hardware avec quantité de possibilités de sound design et de traitements, d’arrangement même via la technologie FLEX, vous devriez l’adorer. Et ce d’autant plus que Steinberg a considérablement amélioré son ergonomie et que des myriades de sons sont à votre portée dans un soft si bien optimisé sur le plan de la consommation RAM/CPU qu’on l’imagine bon compagnon, en studio comme sur scène…
Reste que si vous cherchez des instruments acoustiques ultra-réalistes avec des scripts simplifiant la programmation, sachez qu’à l’image de la guitare Tales qui nous est ici proposée, ce n’est pas sur ce terrain précis que Steinberg a porté ses efforts sur cette v7. On trouve bien sûr des choses intéressantes sur ce point dans les banques de tierce partie réalisées par Acoustic Samples, Cinematique Instruments, Sonuscore ou encore Soundiron, mais il faudra mettre la main au porte-monnaie et avouons-le, le catalogue est loin, très loin, d’être aussi riche que celui de Kontakt.
De fait, on sent que cet HALion est plus certainement un concurrent du Falcon d’UVI ou peut-être même de l’Omnisphere de Spectrasonics, dont il partage globalement les mêmes partis-pris : on est face à un énorme moteur qui ravira les aficionados et les aficionadas de la synthèse, mais qui laissera indifférents ceux que la synthèse n’intéresse guère. Enfin, comme pour Kontakt, on soulignera à quel point son prix, bien que juste en regard de ce qui nous est proposé, pousse à considérer le bundle Absolute, certes plus cher, mais proposant tellement plus de choses et donc, tellement plus polyvalent…