Comptant parmi les plus anciens et les plus réputés éditeurs de samples et d’instruments virtuels, EastWest modernise son modèle économique avec Composer Cloud : un système de location permettant d’accéder à l’intégralité de sa production. Bon plan ?
Doucement mais sûrement, le mode de consommation de notre société bascule du bien vers le service, à l’image de ce qui existe depuis longtemps déjà dans le secteur immobilier. Par désir, par commodité mais plus souvent encore par manque de moyens, quantité de gens ne sont pas propriétaires de leur habitation : il la loue. Il en va de même pour le secteur automobile où, notamment dans les grandes villes, de plus en plus de gens renoncent à l’acquisition d’un véhicule au profit des transports en commun et du recours anecdotique à la location, aux Autolibs, au covoiturage ou encore aux taxis (et autres activités de taxis déguisées). L’équation n’est pas dure à comprendre : dès qu’un produit est cher, l’industrie qui le produit trouve le moyen de le mettre à portée de ceux qui ne peuvent pas y accéder. Ça peut passer par la création d’un ersatz de moindre qualité (c’est le modèle du Discount), par le déploiement de facilité de paiement (c’est le modèle du crédit) ou encore par la location. Très présent dans le monde de l’entreprise où, de la fontaine à eau potable au distributeur de café en passant par le photocopieur, on recourt depuis longtemps déjà aux services de location, le modèle pointe de plus en plus son nez sur le marché des particuliers, déjà coutumiers des abonnements à certains services (téléphonie, Internet, télévision, presse, etc.) et où Internet a sensiblement accéléré les choses. C’est ainsi qu’une portion de plus en plus nombreuse de consommateurs n’achètent plus d’album ou de films, mais préfèrent souscrire à Spotify, Deezer, Netflix ou Canalplay. Un disque dur externe qu’il faut trimballer et qui tombera en panne ? Pour quoi faire quand on dispose d’1 To sur Dropbox pour 10 balles par mois ?
Le petit monde du logiciel n’échappe pas à cette évolution. Depuis pas mal d’années, les gros progiciels coûteux se louent aux entreprises (Salesforce, SAP, etc.), assortis d’un éventail de services (customisation, support, formation, etc.) tandis que plus récemment les progiciels populaires comme Microsoft Office ou la Creative Suite d’Adobe sont passés, eux aussi, sur un système d’abonnement. Et concernant l’audio, me demanderez-vous ? Disons qu’on est en pleine mutation. Si Magix était pionnier avec ses offres concernant Samplitude et Sequoïa, on peut désormais louer les célèbres Pro Tools et Sonar, tout comme on peut le faire pour les plug-ins Slate Audio, Flux, Exponential Audio, Waves, Audionamix, Syncro Arts, Audiogaming et… EastWest !
Sans renoncer à la vente traditionnelle de ses produits, le célèbre éditeur américain propose en effet d’accéder à l’intégralité de son catalogue sur un système d’abonnement : une offre nommée Composer Cloud.
One cloud to rule them all !
L’idée est simple : en fonction de la formule d’abonnement que vous aurez choisie (de 27 à 44 € par mois), vous accédez à toute ou partie des instruments et effets virtuels développés par EastWest et qui sont, pour la plupart, de sérieuses références. On parle quand même là de 1,844 GB de données pour 53 produits contenant 12 569 instruments !
Commençons par évacuer les questions techniques. Après avoir souscrit à l’offre qui vous convient, un logiciel vous permet de rapatrier les banques de son sur votre ordinateur depuis les serveurs d’EastWest (c’est le fameux Cloud). Du peu que j’en ai essayé, les serveurs étaient rapides, mais j’ai pour ma part eu à tester l’offre Composer Cloud Plus qui peut, contre un surcoût, vous être livrée sur disque dur USB 2.
Flanqué du logo EastWest, ce dernier se présente sous la forme d’un boîtier noir qu’il faudra brancher sur le secteur pour l’alimenter (pas super portable donc). Son ventilateur est silencieux et le disque ne m’a posé aucun problème pour charger mes banques même si, avouons-le, un disque SSD aurait permis des chargements autrement plus rapides. N’en tenons pas rigueur à EastWest toutefois, vu que le prix des SSD de 2To dépasse les 700 euros à l’heure où ces lignes sont écrites.
L’installation de Play et de la réverb maison n’a posé aucun problème sur mon Mac, tout comme l’autorisation via le système iLok qui peut se faire avec une clé physique ou via le système logiciel, sachant qu’une seule machine peut être autorisée seulement, ce qui me semble bien radin à l’heure où la plupart des musiciens disposent d’un portable en plus de leur ordinateur desktop.
Précisons-le enfin : il n’y a pas besoin d’être continuellement en ligne pour utiliser les banques. Vous connecter une fois par mois suffit si vous avez souscrit au plan mensuel, tandis que les plans annuels ne réclameront qu’une connexion dans l’année. Cool !
Bref, tout cela est très bien foutu d’un point de vue logistique et technique et à part la traduction du site web d’EastWest en français, et notamment de sa FAQ, je ne vois vraiment pas ce qu’il y aurait à reprocher à ce niveau au Composer Cloud. Voyons à présent le détail de l’offre.
Une formule du jour ! Une !
Voici donc le détail des formules :
Composer Cloud | Composer Cloud X | Composer Cloud Plus | |
Prix | 26,99 euros pour un mois | 26,99 euros par mois avec engagement sur un an | 43,99 euros par mois avec engagement sur un an |
Instruments | 10 012 | 10 012 | 12 569 |
Positions de micro | 1 | 2 | Toutes |
Échantillonnage | 16 bits | 16 bits | 24 bits |
Taille | 758 GB | 1 001 GB | 1 844 GB |
Livraison | Téléchargement | Téléchargement | Disque dur |
À noter qu’il existe également des offres pour étudiants à 14 euros pour un mois ou 140 euros pour l’année et se restreignant à l’accès de 7 produits.
Contrairement à ce que EastWest proposait auparavant comme tarification, il ne s’agit plus de faire uniquement des différences sur le nombre de produits mais sur les aspects qui toucheront les plus pros (le nombre de positions de micros disponibles, la profondeur d’échnatillonnage, soit des aspects qui ne sont intéressant que dans l’optique du mixage et ne gênent en rien la composition) ce qui rend malgré tout l’offre de base très attractive. L’offre est donc plutôt bien pensée.
Je vous joins la liste des instruments proposés : The Dark Side, Fab Four, Ghostwriter, Goliath, Gypsy, Hollywood Strings Gold, Hollywood Brass Gold, Hollywood Orchestral Woodwinds Gold, Hollywood Orchestral Percussion Gold, Hollywood Harp Gold, Hollywood Solo Cello Gold, Hollywood Solo Violin Gold, Ministry Of Rock 1, Ministry Of Rock 2, Silk, Symphonic Choirs Gold, Symphonic Orchestra Gold Strings, Symphonic Orchestra Gold Brass, Symphonic Orchestra Gold Woodwinds, Symphonic Orchestra Gold Percussion, Pianos Gold Bechstein D-280, Pianos Gold Bosendorfer 290, Pianos Gold Steinway D, Pianos Gold Yamaha C7, ProDrummer Spike Stent/Doug Rogers, ProDrummer Joe Chiccarelli/Doug Rogers, Quantum Leap Solo Violin, Ra, Spaces, Stormdrum 2 Pro, Stormdrum 3, Voices of Passion, 56’ Stratocaster, Adrenaline, BT Breakz, BT Twisted Textures, Drum n Bass, Electronica, Funky Ass Loops, Guitar & Bass, Hypnotica, Ill Jointz, Aerosmith’s Joey Kramer Drums, Percussion adventures 1, Percussion adventures 2, Phat & Phunky, Public Enemy, Scoring Tools, Smoov Grooves, Steve Stevens Guitar, Stormdrum 1 Loops, Stormdrum 1 MuItiSamples, Symphonic Adventures.
Auxquels d’ajoutent pour la version Plus : Hollywood Strings Diamond, Hollywood Brass Diamond, Hollywood Orchestral Woodwinds Diamond, Hollywood Orchestral Percussion Diamond, Hollywood Harp Diamond, Hollywood Solo Cello Diamond, Hollywood Solo Violin Diamond, Symphonic Choirs Platinum, Symphonic Orchestra Platinum, Pianos Platinum. Soit des version améliorées (plus d’articulations et de micros) des instruments symphoniques présents dans les autres bundles.
Quant au tarif, en dehors de la formule Composer Cloud de base qui est sans engagement, les plans annuels de Composer Cloud X et Composer Cloud Plus portent respectivement les dépenses à 324 euros ou 528 euros par an. Si l’on considère que l’une et l’autre vous donneront accès à des logiciels pour des montants respectifs de 11 750 € ou 13 500 €, un rapide calcul nous permet de voir qu’il est plus économique de louer le bundle Composer Cloud X pendant 35 ans que d’acheter les produits, tandis que cette durée se porte à 25 ans dans le cas du Composer Cloud Plus. Évidemment, le calcul est un brin malhonnête de ma part, puisqu’il se base sur la valeur additionnée de tous les produits hors promo. Mais même en divisant les prix par deux, on se retrouve avec une location qui, au minimum, restera plus intéressante sur des durées de 12 à 17 ans. À quoi ressembleront la MAO et votre config à ce moment-là, bien malin qui peut le savoir. Mais il y a fort à parier que le logiciel que vous avez préféré acheter plutôt que louer sera dépassé en tous points, pour peu qu’il tourne encore sous Windows 25 ou MacOS 19… Alors qu’en le louant, vous bénéficiez des mises à jour continuelles de l’éditeur ET des nouveaux instruments à venir, ce qui change pas mal la donne. Bref, la location, de ce point de vue, ne présente que des avantages sur l’achat.
En prenant un peu de recul sur l’offre nous apparaît toutefois la seule vraie faiblesse de cet argumentaire et qui se résume à une question : a-t-on besoin de l’intégralité de la production EastWest ? Chacun verra, sur ce point, midi à sa porte, encore qu’il y ait des choses à dire sur le contenu global du bundle pour éclairer la réflexion.
Playtime
Ne comptez évidemment pas sur moi pour vous faire le test complet de tous les instruments qui me prendrait des semaines à écrire et qui vous prendrait des jours à lire. J’aime autant vous renvoyer aux nombreux tests que nous avons consacrés aux produits EastWest par le passé ainsi qu’aux avis des utilisateurs sur ceux que nous n’aurions pas chroniqués. Mon propos sera plus global donc.
À n’en pas douter, EastWest a eu à coeur de proposer une offre complète : sans parler des instruments orchestraux qui sont la spécialité de l’éditeur, on dispose grâce à des banques thématiques telles que Râ, Silk, FabFour, Ministry of Rock, Gypsy ou via la généraliste Goliath de quantité d’instruments pour aborder bien des types de musique. Mieux vaut le savoir toutefois, les musiciens électroniques ne sont vraiment pas la cible ici, en l’absence d’un instrument qui soit vraiment dédié aux synthétiseurs et aux boîtes à rythmes. Ce genre de sons seront présents dans certaines vieilles collections EastWest labellisées 25th Anniversary, mais il faudra vraiment partir à la pêche pour les trouver, quitte à tomber sur des boucles dans bien des cas.
Passant outre ce détail, on se retrouve cependant face à l’argument massue d’EastWest : ces types savent poser des micros ! Même si tout n’est pas irréprochable, les sons sont en effet pour la plupart magnifiques, amples et parfaitement équilibrés, avec ce qu’il faut de caractère pour qu’à la fin, on y croie. Une fois la Composer Cloud installée, on passe ainsi des heures à fouiller les banques et à s’extasier sur certains sons, et même dans les 25th Anniversary, on déniche comme dans une brocante des beats réellement inspirants, au point qu’on en vient vite à vouloir faire une compo avec et qu’on découvre la face obscure du bundle : Play.
Play, c’est le logiciel propriétaire d’EastWest qui permet d’accéder à tous les instruments, qui s’avère plutôt bien foutu en termes d’interface et s’est avéré stable lors de mon test. Que lui reprocher alors ? Un retard technologique certain. Je ne m’attarderai même pas sur le navigateur de presets qui ne permet pas de faire des recherches globales par mot clé ou par tag (pour fouiller dans 12959 patches, c’eût été pourtant bien pratique), car ce n’est pas le plus gênant. La quasi-absence de scripting en revanche est très regrettable, car si complexe que soit l’instrument proposé, tout ce que Play a à vous proposer de manière générale, ce sont des Keyswitches rendant la programmation extrêmement laborieuse. Il y a 10 ans de cela, ce genre de détail n’aurait pas posé problème. Sauf qu’entre temps, des softs comme Kontakt ou Falcon ont montré à quel point le scripting était la voie à suivre dans le sampling, en la conjuguant avec des possibilités de synthèse. Et en face de cela, la rusticité de Play fait tache. On ne s’en rend pas compte sur un instrument « simple » comme le piano, mais sur des guitares comme des vents ou des cordes frottées, c’est nettement plus gênant, surtout lorsqu’on a déjà posé les doigts sur les créations d’Efimov, AcousticSamples, Vir2, Impact Soundworks, ProjectSAM, Embertone, Sample Modeling ou encore AudioBro pour n’en citer que quelques un. Désireux de programmer un compas gitan avec Gypsy, j’ai dû vite renoncer face au peu d’aide que pouvait me proposer l’instrument pour y parvenir. Nous parlions des boucles plus haut et, là aussi, on regrettera le minimalisme de Play quand on songe que beaucoup de ces collections étaient à une époque livrée avec Intakt, le sampler orienté slicing de Native Instruments, qui offrait autrement plus de possibilités que le logiciel d’EastWest. Même réflexion sur la batterie virtuelle récemment publiée par l’éditeur : la qualité audio est au-delà de tout reproche, mais on est loin fonctionnellement de ce que proposent Addictive Drums et EZdrummer, sortis il y a quelques années déjà…
Il n’y a rien de rédhibitoire là-dedans comme le prouvent les nombreux projets professionnels où sont utilisées les banques EastWest, mais j’aime autant vous prévenir si vous venez de l’univers Kontakt ou Falcon, vous risquez de trouver tout cela bien rustique.
Composer Cloud pour qui ?
En dépit des réserves exprimées ci-dessus et qui, en fonction de l’évolution de Play, pourraient être remises en question, force est d’admettre que l’offre Composer Cloud demeure enthousiasmante et qu’elle ravira plus d’un compositeur : ceux qui travaillent déjà avec des produits EastWest pourront agrandir leur terrain de jeu tandis que les autres accèderont à certaines des meilleures banques du marché.
On appréciera surtout le fait de pouvoir utiliser cela ponctuellement, juste lorsqu’on en a besoin et les musiciens qui bossent avec des petits moyens apprécieront le plan à sa juste valeur : quand il faut faire bénévolement la musique d’un court métrage ou celle d’un jeu vidéo pour à peine plus cher, devoir débourser 27 euros par mois pour accéder à ce genre de sons est plutôt une aubaine. J’imagine encore que ceux qui bricolent de la musique symphonique dans leur coin avec des petits produits comme le Garritan Pocket Orchestra ou les Miroslav Vitous d’IK pourraient être tenté de se payer un rendu plus luxueux au prix de quelques euros et d’un peu d’huile de coude. L’offre pourra même intéresser les pros qui ne sont pas encore pourvus en instruments EastWest sachant que la layering de banques de différentes provenances est souvent très intéressant.
Un très bon plan donc, d’autant que cette formule ne remplace en rien la vente plus traditionnelle. Je suis pour ma part si convaincu par le modèle que j’espère qu’EastWest diversifiera son offre avec plus de formules (ne pouvoir louer que le Ghostwriter pour 5 euros par mois par exemple) et que ses concurrents s’y mettront également.