Nouvelle mouture dans laquelle Cakewalk réunit et met à jour Rapture et Dimension Pro, Rapture Pro se veut offrir le meilleur des deux mondes, synthèse et lecture d’échantillons. Voyons ce que donne le résultat de cette hybridation.
Le Winter NAMM 2006 avait été l’occasion pour Cakewalk de présenter un nouveau synthé PC et Mac (ce qui avait donné lieu à quelques spéculations quant à une version Mac de Sonar, Dimension Pro ayant déjà bénéficié d’une version pour l’OS d’Apple…), Rapture. Utilisant la lecture de tables d’ondes, le synthé présentait une architecture assez musclée, avec six Elements stéréo (quasi des synthés complets, entièrement programmables), deux filtres multimodes par oscillateur (jusqu’à 45 oscillos…), une quarantaine de générateurs de forme dynamique (Enveloppes), LFO et générateurs de pas, une matrice de modulation très complète et autres joyeusetés. Comme la plupart des instruments virtuels sous la bannière Cakewalk (Pentagon, z3ta+, SFZ+Professional, etc.), les deux synthés ont été conçus par René Ceballos (créateur de rgc:audio, nom sous lequel a été réalisée la plupart des instruments, avant que Cakewalk ne rachète la société). Il semblerait qu’il ne travaille plus chez Cakewalk (pas moyen d’avoir confirmation/infirmation), et qu’incidemment la réalisation de Rapture Pro ne soit pas de son fait.
Mais peu importe, d’une certaine manière. L’idée de Cakewalk derrière cette réunion de deux produits (au prix de la disparition de l’un et de l’autre de leur page Produits, même si on trouve encore une page dédiée à Dimension Pro, petite incohérence) est de proposer une station de synthèse très complète, combinant synthèse soustractive (la lecture de tables d’ondes de Rapture diffère des classiques du genre au sens où elle est plus conçue pour produire des formes d’ondes à cycle unique) et lecture d’échantillons, spécialité de Dimension Pro (même si en dessous d’une certaine longueur, les échantillons sont gérés comme des formes d’ondes à cycle unique). Il n’est donc pas étonnant que Rapture Pro soit livré avec une banque d’échantillons/tables d’ondes de presque 10 Go (celle de Dimension Pro pesait sept Go).
Machine de test MacPro Xeon 3,2 GHz |
On le sait, l’union fait la force. Mais depuis quelque temps, l’offre en matière de synthèse a de quoi réjouir tout amateur de sound design, aussi bien du côté de produits répliquant des classiques que de celui de démarches plus créatives : si l’on prend les plugs récents (je mets de côté volontairement les synthés hardware et ne nomme que ceux qui ont été testés sur AF), les u-He Diva, Native Monark et la série incluse dans Komplete 10, Arturia Matrix-12 V, Xfer Serum, la version 2 d’Omnisphere promettent déjà des nuits de recherches. Il faudra aussi bientôt parler des offres sur iPad et tablettes Android, qui commencent à devenir assez étonnantes, notamment et évidemment en matière de gestes musicaux.
Où Rapture Pro se place-t-il donc dans cette offre que l’on qualifiera de pléthorique ?
Introducing Cakewalk Rapture Pro
Le logiciel est donc Mac et PC (Windows 7 et 8, Mac OS X à partir de 10.7.5), et livré sous forme de plug-ins compatibles VST2i, VST3i et Audio Unit ainsi que sous forme d’application autonome (Standalone, 32 et 64 bits), mais dans ce dernier cas uniquement sous Windows, tant pis pour les utilisateurs Apple. Dommage.
Acheté neuf il en coûtera 199 dollars (au moment de la rédaction de ce test, on peut le trouver chez divers revendeurs autour de 149 $), et une mise à jour pour les possesseurs d’au moins un instrument virtuel Cakewalk, leur permet de bénéficier d’un tarif préférentiel (79 $). Cakewalk a mis en place un système d’autorisation via un Cakewalk Command Center (CCC), qui gère tous les produits enregistrés et qui inclut cinq vidéos sur Rapture Pro que l’on peut regarder pendant le téléchargement. Il suffit de se connecter pour télécharger, activer, mettre à jour les logiciels possédés. Une tendance qui se généralise, avec des qualités (les ordis récents ont de plus en plus tendance à se débarrasser des lecteurs optiques), mais qui a ses défauts : pas d’internet, pas de solutions (plantage disque, etc.).
Le CCC télécharge d’abord les installeurs (plug et 12 bibliothèques de samples), ce qui permet de les archiver, puis décompresse le tout et le répartit dans les emplacements prévus. On se retrouve ainsi à la tête d’une bibliothèque de sons, présets, formes d’ondes de LFO et échantillons de presque 14 Go.
Principes à l’œuvre
Rapture Pro est composé de six Elements, chacun d’eux pouvant être vus comme un synthé complet (en effet constitué d’un oscillateur à table d’onde, de filtres, d’ampli, de modulateurs continus, one shot ou par pas), que l’on utilisera donc pour construire des sons constitués de plusieurs layers, ou au contraire comme un synthé multicanal (jusqu’à six, donc), ou comme un mélange des deux, toutes les combinaisons étant possibles. Seule restriction, et différence avec un synthé modulaire, presque aucune interaction n’est possible d’un Element à l’autre : on ne peut en effet qu’utiliser la fonction Chain To Next Element, qui rend communs les effets et EQ des éléments, ou Ring Modulate Previous Elements, qui permet de créer une modulation en anneau.
Un Program sera donc constitué de plusieurs Elements, sachant que Rapture Pro peut charger les siens propres, mais aussi ceux de Rapture et Rapture LE ainsi que ceux de Dimension Pro et LE. Polyvalence encore plus grande en ce qui concerne les formats audio, puisque l’instrument reconnaît les .SFZ, .WAV, .AIF, .FLAC et les différents formats Recycle !
On accèdera à ces Programs via le Browser, présentant les banques (sont installées d’origine celles de Rapture Pro, de Dimension Pro et de Rapture Classic, et l’on peut acquérir des extensions), les Types (par instrument, famille sonore) et Program (l’instrument proprement dit) avec une quatrième colonne Info (qui donne même le nombre de fois où un Program a été chargé…). Les deux grandes pages de programmation et modifications seront celle de l’Element et celle du Mixer.
Commençons par la première.
Les six Elements
Même si l’interface inclut beaucoup d’éléments (de modules), on s’y retrouve quand même via une organisation en quatre rangées (en plus de la barre d’outils, de sélection des Elements et de menus en haut du logiciel). La première rangée offre un oscillateur (OSC/SMP) pouvant héberger aussi bien du multisample qu’une forme d’onde à cycle unique ou une table d’onde à proprement parler. On choisira la « forme d’onde » parmi les très nombreux choix proposés par l’éditeur, dont on pourra ajuster la phase. On détermine ensuite la qualité de rendu, notamment quand des mouvements de hauteur sont attendus, évitant en haute résolution des problèmes d’aliasing, ainsi que le nombre de voix jusqu’à neuf, avec possibilité de Detune. Detune qui servira à régler le niveau de modulation en anneau si l’on active l’option (l’oscillo est alors dédoublé). On trouve ensuite différents réglages de transposition et de suivi de clavier, de volume et de pan. Fonctions intéressantes : certains sons incluent des fichiers MIDI, que l’on peut exporter depuis la section MIDI Input et l’on peut importer des fichiers Scala (pour les micro-accordages et autres tempéraments particuliers).
Plutôt que d’implémenter un classique système de filtrage, l’éditeur a opté pour une configuration faisant appel à trois DSP, deux filtres et un EQ. De plus, il offre plusieurs routing, ce qui permet de créer un ensemble de sculpture du son très souple. Les filtres sont évidemment multimode et multipente, de type Pass (Hi, Lo, Band, avec ou sans résonance, All), Peak, Comb, à variable d’état et Rejection (non résonant). Les DSP sont majoritairement des outils de saturation, d’overdrive et de réduction de bits et de fréquence d’échantillonnage. On termine enfin cette partie avec un EQ trois bandes pouvant être configurées en paramétrique, low et high shelf, avec sélection de la fréquence, gain bipolaire et facteur Q.
L’ensemble constitue une section très puissante, véritable outil de sound design. On continue avec un effet d’insert, à choisir entre toutes sortes de délais, de réverbes, de modulations (chorus, phaser, etc.) et des distorsions, et évidemment tous les réglages nécessaires pour les paramétrer, ainsi qu’un Dry/Wet. Seul regret, alors que quasiment toutes les sections voire modules d’une section disposent d’un bouton d’activation/désactivation, l’effet d’insert n’en est pas pourvu.
On termine par l’étage de modulation, lui aussi très correctement doté : un Step Generator (jusqu’à 128 pas, avec toutes les options de synchro possibles, profondeur et lissage), un générateur de forme dynamique extrêmement puissant (avec points et segments virtuellement illimités, forme, suivi de clavier, suivi de vélocité indépendants pour chaque segment, points de bouclages, zoom, etc.) et un LFO/Suivi de clavier qui ne l’est pas moins (en dehors des réglages habituels, l’éditeur offre plus de 80 formes d’ondes). Tous ces modulateurs peuvent être utilisés séparément et simultanément sur sept destinations ; la hauteur, le pan, le volume, ainsi que les fréquences de coupure et les résonances des deux filtres.
Prenons un seul Element, chargé d’une simple Sinus et d’un délai. En manipulant l’étage Filter et celui de modulation, on arrive très rapidement à ce type de résultats en perpétuelle évolution (j’ai relâché la note à un moment, sinon le son continuait d’évoluer) :
Mélangeons tout ça
Une fois la programmation effectuée pour tous les Elements désirés, il faudra les mélanger. À cet effet, Cakewalk a inclus une page dédiée, Mixer. On y retrouve l’équivalent de six tranches, avec boutons d’activation, de chaînage (à partir de la deuxième), fader de volume, pan et deux départs d’effets. En revanche pas de Solo (le bouton d’activation faisant office, lui, de Mute). Un bouton à gauche permet de configurer les deux effets Master en parallèle (appelé Send…) ou en Series. Ces deux effets proposent les mêmes traitements que les effets que l’on trouve dans les Elements, sont implémentés exactement de la même façon et sont communs à tous les Elements, comme les modules qui suivent.
On passe ensuite à une partie dédiée à la modulation (mais aussi proposant un Master EQ trois bandes), avec un Step Generator identique à celui des parties individuelles, à la différence près qu’il n’est actif que sur le volume, mais que l’on peut traiter différemment sur les canaux gauche et droit ! Une excellente idée, de quoi produire des modulations extrêmement sophistiquées, tout en délicatesse. Modulations que l’on complètera idéalement par la Mod Matrix, offrant 24 rangs avec sélection de la source, de la destination, du taux et d’un lissage. Les sources sont toutes les commandes MIDI CC, le pitch, des données pseudo-aléatoires, les huit boutons Macro et les deux pads X/Y (qui disposent d’un effet d’accélération…) disponibles dans la fenêtre Instrument, etc. J’arrête là, car sources et destinations occupent sept pages du manuel (quadrilingue, dont français, ce qui devient une rareté…). Dommage, le Vector Mixer, qui permet de passer d’un Element à l’autre, n’est pas inclus dans les Sources. Et, de fait, de très nombreux présets utilisent les différents contrôleurs. Il serait d’ailleurs peut-être temps d’entendre les sons que propose ce synthé à l’architecture si puissante sur le papier.
Le logiciel offre de nombreuses imitations de sons réalistes, basés sur du multisample : pianos acoustiques et électriques, basses, guitares, batteries et percussions, sons d’orchestre, etc. Bien évidemment, Rapture Pro ne se présente pas comme un échantillonneur capable de rivaliser avec les ténors du genre. D’où le côté parfois désuet des sons, mais pas plus que ceux que l’on trouve sur de grosses workstations matérielles et/ou logicielles, répondant ainsi plus ou moins au même concept qui préside à la réalisation de ces dernières.
Allons donc plutôt faire un tour du côté des sons synthétiques (en modifiant assez significativement la plupart des présets), en commençant par les basses.
On arrive à obtenir des sons assez compacts, mais il faut rentrer pas mal dans les présets. Et l’on constate aussi que les volumes sont par trop erratiques, avec les surprises inhérentes sur le système d’écoute du studio…
Passons aux leads.
Là encore, beaucoup de différences dans les volumes. Et des programmations qui posent parfois question : comment utiliser un lead dont le temps d’attaque est très long ? Ah oui, faire des compos à 10 BPM…
Continuons par les ambiances et autres claviers.
S’il y a quelques très belles réussites, il y a aussi des choses incompréhensibles, au niveau des volumes, attaques ou des tessitures. Et des sons pèsent parfois bien trop lourd (au-dessus de 2 Go de samples) pour les résultats sonores, que l’on peut souvent obtenir avec trois Elements en synthèse (pour avoir au moins trois oscillos) et un bon paramétrage des filtres…
Et quelques séquences pour finir.
Bilan
Je l’avoue, je suis assez partagé, d’où la note. En commençant le test dès la mise à disposition du logiciel pour test (juin 2015), puis après le récent update (voir l’encadré Machine de Test), la profusion de réglages et les possibilités de synthèse offertes semblaient d’une puissance à égaler n’importe lequel des synthés récents, qu’ils soient de conception modulaire, multitimbraux/layers ou de facture plus classique (x oscillos, x filtres au sein d’une seule architecture monotimbrale). Pourtant, et même s’il ne démérite pas vraiment, Rapture Pro ($199 tarif conseillé) peine à produire de gros sons tels qu’on peut en obtenir de synthés beaucoup moins sophistiqués (mais conçus comme tels, concentrant toute leur puissance dans l’approche « analogique » du son), ou usant de synthèse similaire (on pense à Serum, bien sûr).
On laissera de côté l’approche pseudo-réaliste (les instruments « réels »), et on restera sur ce qui devrait faire de Rapture Pro le monstre de synthèse qu’il parait être. D’abord, les présets sont loin de rendre justice à la puissance du synthé. On est parfois étonné par le nombre de moyens mis en œuvre pour le résultat obtenu. Pourtant, dès que l’on commence à rentrer dans la profondeur du logiciel, en se demandant si l’on peut faire ça ou ça, la plupart du temps la réponse est positive. Mais le son n’est pas toujours aussi « énorme » qu’on l’imaginerait. Il est vrai que l’on devient très difficile, tant la lutherie virtuelle fait des progrès, non seulement dans l’imitation (ce qui serait vain…), mais aussi dans une conception sonore originale. On pourra en revanche toujours créer des sons très évolutifs grâce aux excellents Step et Env Generator, ainsi qu’à la matrice de modulation. Et là, Rapture Pro est un candidat de choix pour ce type de sound design.
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