Aujourd'hui, je vous propose un article un peu particulier en guise d'épilogue à notre comparatif des services de mastering automatique en ligne. En effet, mes conclusions exposées lors du dernier épisode m'ont amené à penser qu'il serait peut-être intéressant de voir les différences qu'il peut y avoir entre les résultats obtenus au travers de ces services et le fruit d'un travail réalisé en collaboration avec un véritable technicien du son spécialisé en mastering. La rédaction d'Audiofanzine m'ayant donné son feu vert, voici donc le compte-rendu de cette expérience…
Le pourquoi du comment
Si vous lisez ces quelques lignes, il y a de fortes chances pour que vous ayez déjà parcouru l’un des précédents articles de ce comparatif. Aussi, permettez-moi de ne pas m’étendre sur les conditions de mixage des titres utilisés pour plutôt me concentrer sur les spécificités de la démarche du jour.
Je travaille depuis plusieurs années avec le même ingénieur de mastering. Nous nous connaissons maintenant très bien, tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel, ce qui rend on ne peut plus simple ce passage ô combien délicat de la production musicale. Or, le but ici étant de se rapprocher le plus possible des conditions de travail d’un MAOïste lambda, il me semblait quelque peu incongru de faire appel à ses services dans le cadre de l’exercice qui nous occupe. Ainsi, je suis parti à la recherche d’un autre technicien du son afin de ne pas biaiser les résultats. Le cahier des charges était relativement simple : trouver un interlocuteur local, en l’occurence à Montpellier, avec qui je n’avais jamais travaillé, proposant ses services aussi bien en ligne qu’IRL (In Real Life) à des tarifs raisonnables selon mon expérience du secteur et bénéficiant d’une certaine réputation. Il ne me fallut pas bien longtemps pour tomber sur Pierre du studio Lakanal. Ce dernier a très gentiment accepté de se plier aux règles du jeu et je l’en remercie chaleureusement car, comme nous allons le voir, la chose n’était pas forcément des plus évidentes…
En piste
Voici pour mémoire les mixages originaux :
- 01 So Pretty 02:39
- 02 Call it even 00:36
- 03 The Firethief 02:20
Dans un premier temps, j’ai essayé de reproduire les mêmes conditions que lors des précédents chapitres de ce comparatif dans un souci d’équité, à savoir mêmes fichiers sources et aucune consigne, si ce n’est de traiter chacun des titres de façon indépendante puisqu’aucun des services testés ne propose la gestion d’album. Il faut savoir que cette demande de « mastering à l’aveugle » est tout bonnement hors-norme pour un ingénieur de mastering patenté. Pierre a cependant relevé ce gentil défi et, ne connaissant pas réellement mes attentes, m’a livré deux versions pour chaque titre :
- 01 So Pretty Lakanal MASTER 02:38
- 01 So Pretty Lakanal MASTER (limited edition) 02:38
- 02 Call it even Lakanal MASTER 00:33
- 02 Call it even Lakanal MASTER (limited edition) 00:33
- 03 The Firethief Lakanal MASTER 02:22
- 03 The Firethief Lakanal MASTER (limited edition) 02:22
Comme d’habitude, voici tout ce beau monde ramené au même niveau d’écoute à –18 LUFS :
- 01 So Pretty LUFS 02:39
- 01 So Pretty Lakanal MASTER LUFS 02:38
- 01 So Pretty Lakanal MASTER (limited edition) LUFS 02:38
- 02 Call it even LUFS 00:36
- 02 Call it even Lakanal MASTER LUFS 00:33
- 02 Call it even Lakanal MASTER (limited edition) LUFS 00:33
- 03 The Firethief LUFS 02:20
- 03 The Firethief Lakanal MASTER LUFS 02:22
- 03 The Firethief Lakanal MASTER (limited edition) LUFS 02:22
Avant de commenter ces résultats, jetons un oeil à l’inévitable rapport statistique. Notez que le premier chiffre correspond à la version « Master (limited edition) », le deuxième au « Master », et que, comme d’habitude, les données entre parenthèses correspondent aux mesures relatives au mixage original de chacun des titres.
So Pretty :
- DR : 6 / 7 dB (11 dB)
- Loudness : –8.1 / –9.7 LUFS (-19.4 LUFS)
- True Peak : –0.1 / –0.1 dB (-5.2 dB)
Call it even :
- DR : 6 / 8 dB (11 dB)
- Loudness : –8.0 / –10.2 LUFS (-18.6 LUFS)
- True Peak : –0.1 / –0.1 dB (-6.0 dB)
The Firethief :
- DR : 6 / 8 dB (13 dB)
- Loudness : –8.3 / –10.7 LUFS (-20.6 LUFS)
- True Peak : –0.1 / –0.1 dB (-5.2 dB)
Bien, passons à présents aux remarques. La première que l’on peut faire, c’est que les versions « Master (limited edition) » tapent forts, trop à mon goût. En même temps, sans consignes, il était difficile de savoir si c’était ce que je recherchais ou pas. En tout cas, cela montre au moins que si quelqu’un veut du lourd sauce « loudness war », c’est évidemment possible, et sans problème de True Peak.
La deuxième remarque concerne la version « Master » de « So Pretty ». Cela me semble vraiment pas mal, mais avec la main encore un poil trop resserrée sur la bride de la dynamique selon moi.
Sur Call it even, cette version « Master » correspond à mes attentes pour un interlude musical de ce genre. C’est ramené au niveau des « standards commerciaux » sans débordement(s) incontrôlé(s) et je reconnais mon travail de mix. Client satisfait, merci, bonsoir.
En revanche, je ne peux pas en dire autant de la version « Master » de The Firethief… Dès les premières secondes d’écoute, je me suis demandé où diable était passé mon mix… Qu’est donc devenu mon travail sur la répartition stéréo ? Bref, « What the fudge !? »…
Et c’est là que la magie d’un véritable mastering « humain » entre en scène…
Re-vision
À ce stade de l’expérience, je suis donc entré directement en contact avec Pierre, chose qui nous éloigne de fait des services de « mastering automatique » en ligne. Je lui ai bien évidemment parlé de mon étonnement quant au traitement de The Firethief et figurez-vous qu’il a également été surpris ! Il se trouve que le problème semble venir d’un plug-in de traitement M/S qui bugue sévèrement lors de l’export sous Wavelab. Et comme l’erreur est indiscutablement un bel apanage de notre espèce, Pierre ne s’en était pas aperçu… Eh oui, c’est aussi ça le travail entre êtres humains ! Bref, une fois le problème identifié, il est plus facile de le résoudre, comme nous allons le voir.
Au-delà de ce souci, nous avons pris le temps de discuter de mes attentes en matière de mastering, de la vision artistique que j’avais de ces mixages, mais également des défauts que Pierre trouvait plus opportun que je règle en amont afin que son travail corresponde au plus près à mes exigences. Voici d’ailleurs un résumé de ces derniers :
So Pretty :
- Gérer un peu les sifflantes sur la voix lead 7–11 khz ;
- EQ sur la basse, +3 dB à 90 Hz.
Call it even :
- Manque de graves sur la basse vers 67 Hz.
The Firethief :
- De-esser la lead à 7.9 Khz ;
- Remonter la bande 60–90 Hz sur la basse.
La version « Master » de Call it even me convenant déjà telle quelle, je n’ai pas pris la peine de la retoucher. Par contre, j’ai réalisé les révisions que voici pour les deux autres titres en tenant compte des remarques ci-dessus :
- 01 So Pretty Mix Rev.1 02:39
- 03 The Firethief Mix Rev.1 02:20
Et voici les masters que j’ai eu en retour :
- 01 So Pretty Lakanal MASTER v2 02:37
- 03 The Firethief Lakanal MASTER v2 02:22
Ramené au même niveau d’écoute à –18 LUFS, nous obtenons ceci :
- 01 So Pretty Mix Rev.1 LUFS 02:39
- 01 So Pretty Lakanal MASTER v2 LUFS 02:37
- 03 The Firethief Mix Rev.1 LUFS 02:20
- 03 The Firethief Lakanal MASTER v2 LUFS 02:22
Bien entendu, vous n’échapperez pas aux statistiques :
So Pretty_Rev.1:
- DR : 8 dB (11 dB)
- Loudness : –10.4 LUFS (-19.3 LUFS)
- True Peak : –0.1 dB (-5.3 dB)
The Firethief_Rev.1:
- DR : 8 dB (13 dB)
- Loudness : –10.8 LUFS (-20.1 LUFS)
- True Peak : –0.1 dB (-4.5 dB)
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais personnellement je suis clairement satisfait étant donné la qualité des fichiers sources fournis par mes soins. L’esprit des mixes est bel et bien toujours présent, les points faibles sont gommés autant que faire se peut et les titres sont à présent compatibles avec les « standards commerciaux » pour une diffusion en streaming sur AF sans trop de casse.
Mais ce n’est pas tout ! Le plus beau dans l’histoire c’est que je peux tirer de précieux enseignements des lièvres levés par Pierre. Comme je vous l’ai déjà dit, mon home studio ne me sert jamais à mixer, juste à faire de l’editing, de la composition ou de la pré-production. Or, grâce à cette expérience, je viens de m’apercevoir que ma pièce engendrait certainement des problèmes dans le bas du spectre entre 70 et 90 Hz, ainsi que dans la zone des sifflantes. Moralité, si d’aventure je devais à nouveau mixer chez moi, je prêterai tout particulièrement attention à ces bandes de fréquences. Intéressant, n’est-ce pas ?
À mon sens, c’est là un cas d’école illustrant à merveille l’un des principaux avantages de l’interaction humaine dans le cadre du mastering. Le but de la manoeuvre ne se résume pas à une simple transformation industrielle de produit. C’est avant tout un échange entre artisans du son. Et cela s’avère souvent profitable bien au-delà des seuls titres traités pour l’occasion.
Pour finir, une dernière remarque. Certes, un mastering « traditionnel » n’est pas immédiat comme le sont les services automatiques. Cela demande également un investissement financier sensiblement plus élevé. Mais n’oubliez pas qu’en plus de la qualité sonore supérieure à mes yeux, en plus des conseils personnalisés, il y a également toute une partie de ce mastering « humain » que nous n’avons pas le temps de voir en détail mais qui correspond à un habillage « sur mesure » pour vos oeuvres : optimisation selon la diffusion envisagée, uniformisation sonore entre les titres composant un album, gestion des temps de pause entre les morceaux, gestion des fade-in / fade-out, édition des codes PQ, ISRC, format DDP, bon à presser, format Mfit (Mastered for iTunes) ou Qobuz, etc. Quel que soit votre niveau dans le domaine de la création musicale, ne pensez-vous pas que votre son mérite un traitement de cet acabit ? Pour moi, la réponse est limpide. Et comme les services automatiques sont bien loin de pouvoir délivrer quelque chose d’équivalent à ce jour, ce n’est pas encore tout de suite qu’on m’attrapera à faire des infidélités au mastering « à l’ancienne ». À bon entendeur…
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