Comme annoncé la semaine dernière, aujourd’hui nous allons parler distorsion… Quésaco ?
Lorsque je parle de distorsion dans le cadre du mixage, il ne s’agit bien évidemment pas de la grosse saturation qui tache façon pédale de guitare tonitruante. Il est plutôt question ici de la coloration plus ou moins subtile apportée par l’ajout de distorsion harmonique. Sans trop entrer dans les détails, ce genre de saturation enrichit la fondamentale d’un son en l’agrémentant d’harmoniques pairs et/ou impairs. Ce phénomène se rencontre depuis le début de l’histoire de l’enregistrement sonore, car il est, entre autres, une caractéristique inhérente au passage d’un signal à travers un dispositif analogique, qu’il s’agisse d’un préampli, d’un compresseur, d’un égaliseur, etc.
Ce type de distorsion est très souvent utilisé en situation de mix pour plusieurs raisons, comme nous allons le voir.
Pour quoi utiliser la distorsion dans un mixage ?
Bien qu’étant par principe un défaut puisque cela modifie le signal, l’ajout de distorsion harmonique est une bénédiction à bien des égards. En effet, pour identifier un son, le couple oreilles/cerveau utilise la fondamentale et les harmoniques. Moralité, la distorsion harmonique peut renforcer la définition d’un son. D’autant plus qu’un phénomène psychoacoustique nous permet dans une certaine mesure de percevoir un son même si la fondamentale de celui-ci n’est pas réellement diffusée à partir du moment où ses harmoniques sont présentes. L’utilité est alors évidente pour la diffusion de signaux naviguant dans le bas du spectre via des enceintes minuscules.
La distorsion harmonique est également un excellent moyen pour lutter contre la « froideur clinique » de la « perfection » intrinsèque à l’enregistrement numérique. Elle participe à la sensation de vie du son en le rendant moins lisse et pourvu de plus de « caractère ».
D’autre part, il se trouve que cette forme de disto génère une sensation de compression « naturelle » du signal. Du coup, cela en rend l’effet auditif d’autant plus attrayant.
Enfin, et c’est finalement ce qui nous intéresse le plus à ce stade du mixage, ce type de saturation entraîne ce que l’on perçoit comme une coloration du son et contribue donc grandement à ce fameux effet « glue » que nous cherchons si avidement ces derniers temps.
Mise en garde
Forcément, rien n’est jamais tout rose dans la vie et chaque médaille a son revers. Bien qu’agréable à l’oreille, la distorsion harmonique peut vite devenir fatigante pour l’auditeur. Gare aux excès de zèle donc ! Il faut doser la chose avec parcimonie si vous ne voulez pas que ce dernier arrête son écoute prématurément. Le problème, c’est que notre oreille a une fâcheuse tendance à s’habituer très vite à cette distorsion. Du coup, gérer le dosage finement est un véritable challenge pour l’ingénieur du son néophyte. Ne vous en faites pas cependant, avec l’expérience et quelques garde-fous que nous allons voir, vous devriez pouvoir vous en tirer sans trop de problèmes.
Distorsion harmonique : du matériel au logiciel
Comme nous venons de l’évoquer, dans le monde analogique, la distorsion harmonique provient du transit du signal audio via un périphérique hardware quel qu’il soit. Même si l’on reste dans les clous des recommandations en regard des niveaux pour un fonctionnement optimum de la bête et même s’il n’y a aucun traitement à proprement parler (pas de compression, pas d’égalisation, etc.), il y aura toujours un ajout, même infime, de saturation. Pour jouer avec le dosage de cet ajout, il suffit de plus ou moins surcharger l’étage d’entrée de la machine afin de le faire saturer. La coloration induite dépend d’énormément de facteurs : machine à lampes ou à transistors, qualité des composants, etc. Inutile de s’appesantir sur la question, nous verrons tout à l’heure comment mieux appréhender cette coloration.
Et dans le monde virtuel, comment obtient-on le même effet ? Pendant bien longtemps, il faut bien avouer que les solutions disponibles n’étaient que des pis-aller faisant bien pâle figure face au mythique monde analogique. Cependant, ces dernières années, cet état de fait a considérablement pris du plomb dans l’aile grâce à la montée en puissance des processeurs ainsi qu’au talent de certains développeurs. Ainsi, il existe aujourd’hui des plug-ins reproduisant des machines hardware de légendes tout à fait capables de simuler de façon convaincante cet ajout de distorsion harmonique. Et comment joue-t-on avec le dosage de cette saturation ? Tout simplement de manière analogue à la méthode du « monde réel », en surchargeant l’étage d’entrée de ces plug-ins.
Seulement voilà, tout ça c’est bien joli, mais comment fait-on pour apprécier la qualité de la distorsion harmonique d’un plug-in ? Question épineuse en effet, d’autant que le débutant a naturellement du mal à saisir avec finesse ce phénomène, ce qui le pousse forcément à en abuser au détriment de la musicalité du rendu final. Heureusement, il existe une méthode qui vous permettra de vous familiariser avec cette notion de distorsion harmonique tout en mettant en avant la couleur apportée par tel ou tel plug-in !
Entendre la distorsion produite par un plug-in
Pour juger de l’apport d’un plug-in modélisant un appareil analogique sur n’importe quel type de signal audio, il suffit d’appliquer la méthode suivante. Commencez par dupliquer la piste à traiter. Insérez alors sur l’une des pistes le plug-in à passer sur le grill. Attention, n’appliquez absolument aucun traitement en soi ! Il ne s’agit pas ici d’apprécier la capacité de traitement du plug-in (compression, égalisation, ou autre), nous souhaitons juste saisir la production de distorsion harmonique. Maintenant, ajustez le fader de volume des pistes de façon à ce que le volume perçu soit identique pour chacune d’entre elles. Inversez alors la polarité de l’une des pistes, et voilà ! Si tout va bien, vous devriez essentiellement entendre la distorsion harmonique induite par le plug-in. Vous avez encore du mal à saisir la chose ? Poussez donc le gain en entrée du plug-in afin d’augmenter la quantité de distorsion, mais pensez bien à rééquilibrer les volumes perçus.
Cette méthode a deux avantages. Tout d’abord, elle sensibilise vos oreilles à la notion de distorsion harmonique. De plus, elle permet de mieux ressentir la coloration que le plug-in apporte à votre signal. Elle n’est pas belle la vie ?
Voyons à présent comment mettre en pratique ces enseignements.
Comment utiliser la distorsion harmonique lors du mixage
Il y a de fortes chances pour qu’à ce stade du mixage vous ayez déjà utilisé des plug-ins de compression et/ou d’égalisation sauce analogique sur la plupart de vos pistes. Il n’est bien évidemment pas question ici de revenir là-dessus. La sensation « glue » étant un effet cumulatif, l’ajout de petites couches successives va plutôt dans le bon sens de la manœuvre. Pour l’heure, nous allons donc travailler sur les groupes de pistes. Comme je vous l’ai expliqué précédemment, utilisez donc des compresseurs et/ou EQs émulant des appareils vintage et faites-les travailler à minima. Choisissez-les de façon à ce que la couleur qu’ils apportent collent avec votre vision du mix. Puis, appliquez tout simplement les principes exposés la semaine dernière afin de jouer sur la distorsion harmonique.
Bien doser la distorsion dans son mixage
Le problème avec la distorsion harmonique, c’est donc le dosage. À ce titre, nous pourrions dire que ce type de saturation est à la musique ce que le sel est à la cuisine. En effet, le chlorure de sodium est un élément essentiel de l’art culinaire que l’on se doit de doser avec discernement. Lorsqu’il en manque, les plats paraissent fades, mais s’il y en a trop, ils sont immangeables. De plus, le salage intervient à plusieurs moments de la préparation : avant la cuisson, pendant et après. Enfin, s’il est très facile de saler un mets, il est en revanche impossible de revenir en arrière après coup. Bref, tout se joue au moment de la préparation de la recette.
Eh bien en ce qui concerne la distorsion harmonique, c’est un peu la même tisane, l’assaisonnement doit être effectué avec le plus grand des sérieux lors du mixage. Sauf que le fait de travailler dans le monde numérique apporte tout de même un avantage de taille : il est possible de goûter le plat sonore en cours de cuisson et de revenir sur ses pas le cas échéant ! Du coup, en respectant la méthode suivante, vous devriez pouvoir doser l’ajout de distorsion harmonique sans trop risquer de tomber dans l’excès.
Cette façon de faire est relativement simple et se décompose en deux étapes. La première consiste à tendre attentivement l’oreille lors de l’application du plug-in générant la distorsion (EQ et/ou compresseur « vintage »). Dès que vous commencez ne serait-ce qu’à soupçonner l’apparition de saturation harmonique, reculez le niveau d’entrée d’un petit décibel. Une fois cela fait pour l’ensemble des éléments concernés du mix, une bonne pause s’impose histoire de faire prendre l’air à vos esgourdes. Lorsqu’elles sont enfin à nouveau fraîches, passez donc à la seconde phase en écoutant le rendu global et en comparant le résultat avec et sans distorsion harmonique. Normalement, vous devriez constater que l’effet apporte une coloration légère ainsi qu’une sensation de cohérence accrue, mais rien de plus ! La différence doit être à ce point subtile qu’une écoute distraite ne pourrait absolument pas remarquer le subterfuge. Si tel n’est pas le cas, repassez donc à la première étape.
Je sais bien que cette méthode est relativement longue à appliquer. Mais ne vous en faites pas, avec le temps, votre perception auditive s’affinera et vous ne devriez même plus avoir à passer par celle-ci.