Après des heures et des heures de durs labeurs, seul ou à plusieurs, vous avez enfin finalisé votre première compo. L’ivresse de la création vous monte à la tête : ça y est, vous dites-vous, je suis un artiste, je suis un Créateur !
Tel le Frankenstein moyen, votre aspiration est maintenant que votre création s’élance au-dehors, vole de ses propres ailes, bref, vous voulez que des gens écoutent votre musique ! Oui, mais voilà, le monde est cruel, et nul doute que votre morceau génial va très probablement être pillé par de vils copieurs dès sa sortie. Vous n’êtes pas si naïf : vous comptez bien protéger vos droits, c’est-à-dire protéger votre musique.
La première étape, c’est de prouver la paternité de votre œuvre. Pour cela, il convient d’être en mesure de prouver l’antériorité de votre création sur celle d’un autre qui s’en inspirerait. Il existe plusieurs moyens de faire cela, et David Lo Pat les a tous cités dans cet article précédent.
La seconde étape, c’est de gérer les droits relatifs à la diffusion de vos œuvres, quel qu’en soit le support. Pour cela, il faut choisir quelles seront les diffusions possibles pour votre œuvre, et c’est vous en tant que créateur qui devez faire ce choix.
Nota : nous ne détaillerons ici que le droit français, nous nous en excusons d’avance auprès de nos lecteurs francophones, mais non français, et par ailleurs nous vous invitons vivement à contribuer en commentaires, en détaillant les spécificités du droit de votre pays si vous le connaissez. Notons d’autre part que l’ensemble des pays d’origine ou d’influence anglo-saxonne (à commencer par les États-Unis et le Royaume-Uni) ne gèrent pas du tout les droits d’auteur de la même manière.
Les droits patrimoniaux et les droits d’usage
Le droit français, en matière de droit d’auteur, distingue deux niveaux :
- D’une part les droits de propriété intellectuelle, ou « droits moraux », qui en France sont incessibles et inaliénables : ils sont à vous en tant que créateur, personne ne peut vous en priver, vous ne pouvez pas les céder à quiconque même contre rémunération, et vous n’avez rien à faire pour en bénéficier, ils sont automatiques.
- D’autre part les droits d’usage, ou « droit patrimoniaux », qui concernent la diffusion des œuvres. Ils appartiennent également à l’auteur au départ, mais l’auteur peut agir dessus, définir qui peut ou ne peut pas se servir de l’œuvre, voire céder tout ou partie de ces droits d’usage à quelqu’un d’autre, avec ou sans transaction commerciale à la clé. Ce sont ces droits qui peuvent générer des revenus dits « droits d’auteur ». En France, ces droits sont valables toute la vie de l’auteur, puis après la mort de l’auteur, encore 70 ans au bénéfice de ses héritiers ayants droit. Au-delà de cette période, vous êtes toujours (et pour l’éternité) l’auteur de l’œuvre, mais vos ayants droit (puisque vous êtes décédé) ne sont plus les maitres de la diffusion de l’œuvre, qui tombe dans le « domaine public ». Une fois l’œuvre dans le domaine public, n’importe qui peut s’en servir pour n’importe quel usage et plus personne ne peut exiger de compensation pour cet usage.
Tous droits réservés
Par défaut, le droit français protège vos droits d’usage en tant que créateur. Le régime par défaut est donc la réservation de ce droit d’usage, c’est-à-dire que normalement, vous seul avez le droit de vous servir de votre œuvre. Vous pouvez autoriser quelqu’un d’autre à s’en servir, mais c’est vous qui décidez à quelles conditions (y compris financières) et cela doit faire l’objet d’un contrat qui définit pour quel usage, pour quelle durée, et selon quel degré d’exclusivité.
Concrètement, dans le domaine musical, l’exploitation commerciale de la musique se fait via des contrats passés avec un ou plusieurs intermédiaires (producteur, éditeur, distributeur) et couvre des aspects tels que la reproduction (droit de fixer l’œuvre sur un support physique pour ensuite commercialiser ce support), la représentation (droit d’utiliser l’œuvre pour la diffuser publiquement), la diffusion (où et en quelle quantité l’œuvre peut être diffusée), etc.
Le fait d’apposer la mention « tous droits réservés » sur une œuvre ou son support physique est le rappel de ce statut, il signifie que l’auteur est conscient qu’il possède les droits et le droit de les réserver, c’est-à-dire de choisir ce qui est fait avec son œuvre. Mais l’apposition de cette mention n’est pas obligatoire, puisque de toute façon le droit français reconnaît ces droits à l’auteur de manière systématique.
Notons que la mention « copyright » est une mention relative au droit anglo-saxon, qui n’a pas complètement la même signification que « tous droits réservés », et par ailleurs n’est pas applicable à un auteur qui serait citoyen français. Ne mettez donc pas un joli © sur vos supports, pour faire comme les pros…
Gestion des droits d’auteur : la SACEM
La SACEM, ou Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, est une société de droit privé qui, en France, possède le monopole de la récolte des droits d’auteur liés à la diffusion publique des œuvres.
Concrètement, cela signifie que la SACEM récolte l’argent versé par toute structure diffusant une œuvre musicale, vérifie à qui appartiennent les droits d’auteurs de l’œuvre, et redistribue l’argent en question aux auteurs qu’elle identifie comme faisant partie de ses membres. L’adhésion d’un auteur/compositeur à la SACEM n’est ni automatique ni obligatoire. Une fois adhérent de la SACEM, vous lui confiez la mission de récolter pour vous l’argent de vos droits d’auteurs liés à la diffusion, et cette adhésion est totale, pour toutes vos œuvres futures sans restriction. Si vous n’êtes pas adhérent, la SACEM ne perçoit rien pour vous, vous pouvez (et devez) gérer vos droits de manière autonome.
La SACEM est, il faut le reconnaitre, une structure controversée. Vous trouverez en de nombreux lieux sur internet, à commencer par les forums d’Audiofanzine, des témoignages sur des gens qui en sont satisfaits, et d’autres pas du tout. En tout état de cause, la SACEM perçoit les droits pour des diffusions réalisées par des canaux traditionnels (radio, télévision, concerts) et maitrise encore mal les aspects de diffusion « modernes » par internet, streaming, YouTube et autres diffusions parfois gérées directement par l’artiste lui-même, même si des accords existent avec les principales plateformes de diffusion. En conséquence, si vous êtes un « jeune » artiste, et que vos diffusions sont très limitées et peu susceptibles de générer des droits importants, la pertinence de l’adhésion (payante et quasi irréversible) est à bien peser.
Par ailleurs, comme le soulignait David Lo Pat dans son article, la SACEM n’est PAS chargée de gérer les problèmes d’antériorité d’une œuvre et de preuve d’un éventuel plagiat. Le dépôt à la SACEM peut constituer une preuve d’antériorité puisqu’il prouve qu’à la date du dépôt, l’œuvre existe bien, mais c’est un effet collatéral du dépôt à la SACEM. En réalité l’œuvre est protégée dès sa création qui peut être bien antérieure à la date du dépôt.
Droits de reproduction mécaniques : la SDRM
De même que la SACEM gère les droits liés à la diffusion publique des œuvres, en France une autre structure est chargée de gérer les droits liés à la reproduction sur des supports physiques, c’est la SDRM. Selon le même principe, la SDRM se charge de vérifier, pour chaque support physique (CD, vinyle, DVD, Bluray, cassette, MiniDisc…) fabriqué et vendu en France, à qui appartiennent les droits d’auteur, perçoit les droits des auteurs qu’elle connaît, et redistribue ces droits.
Concrètement, si vous êtes simplement auteur/compositeur, vous n’aurez pas directement affaire à la SDRM. En revanche, si vous endossez le rôle de producteur, et que vous faites fabriquer un support physique pour votre musique, vous aurez à remplir une déclaration préalable mentionnant le nom des auteurs des œuvres qui figureront sur le support. A ce moment, deux cas de figure :
- Si les œuvres appartiennent à un auteur déclaré à la SACEM, vous aurez (en tant que producteur) à payer des droits pour pouvoir utiliser ces œuvres (même si c’est vous l’auteur !), puis (en tant qu’auteur) vous recevrez ces droits qui vous reviennent (moins un certain pourcentage de frais de fonctionnement de l’ensemble de la structure).
- Si les œuvres n’appartiennent pas un auteur déclaré à la SACEM, la SDRM répondra qu’elle n’a aucun droit à percevoir, et qu’elle n’est pas concernée. Attention : cela ne sous-entend pas que les œuvres peuvent être utilisées gratuitement ! Cela veut dire que la SDRM ne s’occupe pas de faire l’intermédiaire entre l’auteur de l’œuvre et le producteur qui fait fabriquer le support. Charge donc au producteur et à l’auteur de s’entendre sur les conditions de diffusion (ce qui est généralement aisé si c’est la même personne).
On constate à nouveau que, comme pour la SACEM, ce système est pensé pour être adapté aux canaux « traditionnels » avec un producteur distinct de l’auteur, généralement un label qui dispose de fonds pour avancer les droits auprès de la SDRM puis récupère son avance en commercialisant le support physique, bref, le circuit traditionnel de la musique diffusée commercialement.
En revanche, si vous êtes un auteur diffusant vous-même vos œuvres sur un support physique que vous avez payé de votre poche (c’est-à-dire « autoproduit »), le cumul des différentes casquettes rend le système un peu absurde, à moins de distinguer les deux rôles sur le papier en passant par le biais d’une structure de type association, qui joue le rôle de producteur. Mais dans ce cas c’est plus facile pour un groupe : en France il faut au moins 2 personnes pour fonder une association loi 1901.
Licence(s) libre(s)
Les licences dites « libres » sont un ensemble de licences, issues notamment du monde du logiciel libre, et dont les plus connues et les plus adaptées aux œuvres artistiques sont le groupe des licences Creative Commons. Chaque licence exprime les choix qui sont faits par le créateur sur les différents points de la diffusion par défaut de son œuvre. La licence libre demande que l’utilisateur se pose trois (ou quatre) questions sur ce qu’il souhaite ou non autoriser par défaut pour son œuvre :
- Attribution (critère BY) : cette question consiste à se demander si on exige (ou non) que l’œuvre soit toujours diffusée en attribuant sa paternité à son auteur (obligation de mentionner qui est l’auteur de l’œuvre quand on la diffuse). Cette question n’a que peu d’intérêt pour un auteur français, étant entendu qu’en droit français il ne peut de toute façon pas renoncer à la partie « droit moral » de la paternité de son œuvre et que la loi française exige qu’on respecte cette paternité. On tend donc à considérer que pour un auteur français, le critère BY va de soi puisqu’on ne peut y renoncer jusqu’à son décès.
- Modifiable ou non (ND) : cette question consiste à se demander si on autorise (ou non) une autre personne à utiliser l’œuvre comme base pour faire autre chose (dans le cas de la musique : sampler, réarranger ou réorchestrer, traduire le texte, ou tout simplement faire une reprise). Si on souhaite refuser cette possibilité par défaut, on indique que l’œuvre est ND (No Derivative).
- Nature de la licence dérivée (SA) : dans le cas où on autorise les créations dérivées, on peut choisir si l’on impose que ces créations dérivées aient la même licence que celle de l’œuvre d’origine (SA pour Share Alike). Vous pouvez donc par exemple autoriser par défaut n’importe qui à sampler ou reprendre votre musique, mais uniquement si la nouvelle œuvre est également en licence libre selon les mêmes autorisations que votre morceau d’origine…
- Usage commercial (NC) : vous pouvez choisir si vous souhaitez autoriser ou non par défaut les usages commerciaux de votre œuvre (en diffusion et sur support physique). Si l’on souhaite refuser cette possibilité par défaut, on indique que l’œuvre est NC (Non Commercial).
Une œuvre en licence Creative Commons est donc généralement signalée au moyen d’un logo (ci-contre) assorti de sigles comme BY-SA-ND-NC qui, une fois déchiffrés, indiquent clairement ce que l’auteur autorise ou non au public.
Comme je le disais plus haut, tous ces choix sont ceux qui sont faits par défaut, c’est-à-dire qu’ils définissent ce que le public peut faire sans avoir besoin de demander l’autorisation. Ensuite, n’importe quel usage peut être négocié entre l’auteur et un utilisateur selon le régime d’une autorisation particulière, via un contrat, de manière tout à fait classique.
De même, l’auteur lui-même reste bien sûr libre de faire ce qu’il veut de sa propre œuvre, puisqu’il a tous les droits dessus, sauf bien sûr s’il a confié l’exclusivité de la gestion de ces droits à un organisme tiers.
L’usage commercial : incompatible avec le libre ?
L’un des plus grands débats dans le monde des licences libres est la partie « commerciale » de l’usage autorisé par défaut. Le principe des licences libres est de favoriser la diffusion des œuvres. Ces licences sont, par définition, contradictoires avec une volonté de restreindre les possibilités de diffusion puisqu’il s’agit de fixer à l’avance ce que le public peut faire, dans l’idée qu’ensuite l’auteur « lâche » son œuvre et la laisse se diffuser. Mis à part les restrictions du type « empêcher un usage commercial » ou « empêcher les œuvres dérivées », le principe de la licence libre est que l’auteur diffuse son œuvre et autorise n’importe qui à la diffuser à son tour, du moment qu’il n’enfreint pas les restrictions posées au départ.
La restriction des usages commerciaux est alors une arme à double tranchant. D’un côté, l’esprit des licences libres est, il faut bien l’avouer, plutôt issue d’un esprit libertaire qui aurait tendance à favoriser la libre circulation des œuvres comme celle des idées, voire des objets, et qui considère que l’exploitation commerciale et un droit d’auteur strict et fermé entravent la circulation des œuvres et l’émulation qu’elle engendre.
D’un autre coté, l’usage commercial d’une œuvre est souvent ce qui permet de soutenir les moyens physiques de sa diffusion : c’est la possibilité de commercialiser un album qui permet d’envisager qu’il soit rentable de le fabriquer, et c’est la possibilité de faire payer l’entrée d’un concert qui permet que la musique et la technique son/lumières soient un métier et pas juste un loisir. En cas d’absence totale de ressources issues d’une potentielle exploitation commerciale de la musique, sa création puis sa diffusion dépendra exclusivement de la volonté du créateur et du public, et éventuellement du soutien de mécènes ou de subventions (mais c’est un autre débat).
Du point de vue d’un auteur, le débat est donc de savoir s’il préfère que son œuvre soit :
- Avant tout diffusée, éventuellement grâce au fait qu’un tiers génère une activité commerciale autour de cette diffusion
- Ou avant tout protégée, et donc que toute la diffusion repose exclusivement sur l’usage qu’en fait l’auteur lui-même, ou qu’il autorise explicitement, et d’autre part sur le bon vouloir du public qui peut diffuser, mais n’en retirera aucun bénéfice
À vous de jouer : la diffusion sur internet comme premier pas
Créer ses propres morceaux et les enregistrer dans une qualité acceptable pour une diffusion n’a jamais été aussi aisé, un simple téléphone et une interface minimale suffisent. Avec quelques centaines d’euros devant vous, soit un budget proportionnellement ridicule par rapport au coût des grands studios, vous pouvez enregistrer/créer/mixer/masteriser avec un niveau de qualité insoupçonnable il y a ne serait-ce que 15 ans… Songez-y : c’est exactement dans cette perspective qu’a été créé Audiofanzine il y a justement un peu plus de 15 ans !
De même, à l’heure des multiples plateformes de diffusion sur Internet, de la création à la diffusion le pas n’a jamais été aussi court. Créez en 10 minutes votre nouveau morceau avec une appli sur votre téléphone, cliquez sur « exporter ». Vous êtes maintenant un Auteur, et un Diffuseur donc un Producteur. L’ensemble de la machine du droit français vient de se mettre en branle pour vous, et si la création est simple, le droit reste complexe.
Prendre un instant de réflexion sur le statut que vous souhaitez donner à vos œuvres, sur ce que vous souhaitez ou non autoriser, et le faire assez tôt dans votre cheminement, c’est l’assurance de ne pas se retrouver devant des impasses plus tard. Viktor Frankenstein n’a pas su en faire autant, son remix de la Vie lui échappa alors tragiquement. N’en faites pas autant !