Près de 8 ans après la sortie des enceintes Alpha premières du nom, Focal revisite son entrée de gamme en proposant les Alpha EVO. Reste à voir si c'est bien ce qu'il faut pour compléter l'Omega de votre Home Studio...
Arrivées pour remplacer les CMS en 2014, les Alpha jouissent d’une belle réputation et nous les avions d’ailleurs vraiment appréciées lors de notre test à l’époque. Inutile de dire qu’on est curieux d’entendre leurs remplaçantes dont le fabricant nous a envoyé la version 8 pouces, surtout que si elles se positionnent en entrée de gamme chez Focal, elles n’en boxent pas moins, à 900 euros la paire, dans une autre catégorie que le petit bois qu’on trouve à 500 euros la paire chez la plupart des fabricants d’entrée de gamme (Yamaha, PreSonus, Mackie, etc.). Force est d’ailleurs de constater qu’il n’existe pas vraiment de concurrent à l’Alpha EVO sur le marché : on trouve soit beaucoup moins cher, soit nettement plus cher… En gardant cette histoire de tarif à l’esprit, c’est donc en vis-à-vis d’enceintes sensiblement plus chères (Genelec 1030A) que nous allons tâcher de nous faire une idée sur les EVO… Idée qui commence bien évidemment dès le déballage…
Enceinte de neuf mois ?
Une première chose nous saute aux yeux, le volume des enceintes est assez imposant au point de nous surprendre : 390 cm × 296, et surtout 330 en profondeur ! Cela dit, le poids n’est pas excessif (13 kg tout de même) mais la taille est à prendre en compte pour intégrer ces moniteurs à votre régie ou votre home studio car cette profondeur pourrait être une petite contrainte. Mentionnons-le à ce sujet, on dispose désormais de pas de vis à l’arrière pour fixer les enceintes au mur…
Comme le 80 l’indique dans son nom, l’Alpha 80 EVO est équipée d’un woofer de 8 pouces et d’un tweeter à dôme inversé en aluminium de 1 pouce. Après un petit tour d’horizon de l’offre dans cette catégorie d’enceintes (de proximité, active à deux voies), le woofer 8 pouces n’est pas une caractéristique fréquente pour cette gamme de prix. On va naturellement la comparer à des modèles dont le haut-parleur sera plus petit, 6.5 ou 7 pouces le plus souvent, sans chercher à la mettre en face de modèles 8 pouces d’entrée de gamme où la paire est vendue autour de 500 euros. C’est donc une spécificité à prendre en compte…
Le design est assez élégant : le woofer a une légère coloration grise due à sa membrane Slatefiber (spécialité de chez Focal, made in France, et matériau composé de fibres de carbone recyclé non tissées). Tout le reste est noir et sobre, avec un placage en plastique sur un coffret MDF. On constate aussi un nouvel évent conséquent, dit « laminaire », à l’avant, sous le woofer.
A l’arrière, quelques réglages sont possibles : un boost qui permet de passer de 0 à +6 pour gagner en niveau, sachant que les enceintes sont puissantes et que le +6 permet d’atteindre un sacré volume ! On constate également la présence de 2 shelfs dans le bas (en dessous de 250 Hz) et le haut (au dessus de 4.5 kHz). Ils permettent d’augmenter ou diminuer ces étages de fréquences jusqu’à +6/-6 dB pour le grave et +3/-3 dB pour les aigus. Constat surprenant pour nous, les potentiomètres ne sont pas crantés… Difficile d’être absolument certain du réglage stéréo, du risque de bouger le niveau involontairement… Pour différentes raisons on préfère toujours que ce type de boutons soient crantés…
A noter aussi, les Alpha Evo sont équipées d’un auto-standy (qui est désormais débrayable) : à l’allumage, les moniteurs sont en veille, et se mettent en action quand on leur envoie du signal. Après 15 minutes sans recevoir de son, ils retournent à leur mode standby, signifié par une led rouge (qui, évidemment, est verte quand elles reçoivent un signal). C’est donc avec une LED bien verte que nous allons maintenant aborder l’essentiel de ce banc d’essai : le son !
De l’œil à l’oreille
Nous avons donc testé les enceintes dans la control room des Studios Megaphone, laquelle est exclusivement équipée en Genelec, avec une paire de 1030A deux voies, et une autre de 1037C trois voies, plutôt destinée à l’écoute client mais intéressante aussi pour contrôler le bas.
Comme nous l’avons dit, il s’agira de garder à l’esprit que les enceintes ne sont vraiment au même prix, la paire de Genelec étant vendue 500 euros plus chère à l’époque de sa dernière réédition, tandis que la taille des woofers diffère (6,5 pouces sur les Genelec contre 8 pouces pour les EVO).
On les branche, on les écoute, première impression : une certaine densité dans le bas – pas très grave, un peu au-dessus – une ouverture très haute, mais une certaine retenue dans la zone haut-médium ou début des aigus. Voilà pour le ressenti, maintenant il va falloir écouter et analyser tout ça plus en détail.
À défaut de disposer d’un micro de mesure et d’une pièce anéchoïque pour le faire dans les règles de l’art, nous avons tout de même voulu, à titre indicatif et pour valider les impressions d’écoute, réaliser des mesures comparatives. Nous nous comme pour cela servi d’un DPA DFacto LV, micro voix a priori mais à la courbe en réponse très plate. Elément important pour bien interpréter les graphiques, on a une légère différence de niveau entre les deux paires d’enceintes qu’on n’a pas pu totalement corriger, faute de réglages de niveau précis : un petit db de plus en faveur des Genelec.
Nos mesures :
Tout d’abord on a mesuré, à l’aide de signaux sinusoïdaux, la réponse de chaque paire sur certaines fréquences :
- à 100 hz on constate 1 db de plus chez les Genelec
- 200 hz – plus de 2 db supplémentaires chez les Focal
- 500 hz – 1 db de plus chez les Genelec
- 1khz – presque identique
- 2khz – 1 db en plus chez les Genelec
- 4khz et 6khz – presque identique
- 10khz – 3 db supplémentaires chez les Focal
- 15 khz – 1 db de plus chez les Genelec
Cette analyse vient assez clairement confirmer l’impression qu’on avait à l’écoute de quelques chansons.
Quand on compare les réponses en fréquence avec du bruit rose, on se rend vite compte que les mesures de signal sinusoïdal sont confirmées. La bosse à 200 hertz est évidente, ainsi que le creux entre 400 et 1000 hertz, puis à nouveau un creux un peu plus serré mais marqué vers 2 kiloHertz. Le bas du spectre parait assez homogène avec une pente douce mais régulière jusqu’à 20 Hertz qui correspond à la réponse en fréquence du micro DPA. Le haut du spectre est très dense mais assez droit, malgré la petite bosse à 13 kiloHertz, dont nous allons parler un peu plus tard.
Voici ce qu’on obtient avec du bruit rose, sur les Focal à gauche, puis les Genelec à droite qui sont beaucoup plus denses dans le médium, entre 400 hertz et 4 kilohertz, avec une grosse bosse à 3.6 kilohertz et un étonnant pic à 11 kilohertz (que nous pensions un peu plus bas), ce que confirme leur courbe avec le même bruit rose
Et l’écoute musicale confirme tout cela :
The war on Drugs – Under The Pressure
On se rend assez vite compte qu’on manque un peu de présence, les hauts médiums ne sont pas très représentés dans le mix. Il en résulte une légère perte de nervosité par rapport à nos habitudes, les guitares, les hihats et les percussions reculent un peu dans le mix, et la voix perd un peu de sa présence. Le coté très nasal de ce mix est dans le même temps un peu adouci, ce qui est plutôt agréable.
D’un autre côté, les transitoires sont un peu amoindries dans tout le spectre, et le woofer de 8 pouces nous parait avoir une inertie un peu plus importante que le 6.5 pouces de nos Genelec 1030A. Il semble avoir un temps de mise en vibration un peu plus lent, en résulte un son moins nerveux.
On note également une très belle présence de la caisse claire, des toms et de la basse due à une belle densité dans le haut du grave et le bas du low-mid.
Kendrick Lamar – Alright
Passons à un morceau plus actuel et plus électronique dans les textures, et dont la prod et le mix sont beaucoup plus généreux dans le grave et les aigus. Ici, les très hautes fréquences, et notamment le 10 kHz et le 12 kHz donnent beaucoup de précision aux éléments de la programmation rythmique comme les hihat, certaines caisse claires, et les effets qui leurs sont attribués. De la même manière, par rapport aux Genelec, qui ont des transitoires très claquantes dans le haut médium et le bas de l’aigu, les Focal vont être plus douces et mieux absorber des variations de dynamiques un peu extrêmes. On gagne donc de la clarté et de l’air, et on perd du mordant dans les transitoires. Le haut du grave et le bas médium restent très denses, ce qui donne une base tonale intéressante et très lisible. La matière harmonique en sort renforcée, mais prend parallèlement un peu trop de place dans le mix. Les graves des kicks et des basses sont en revanche très homogènes et profonds et confèrent au mix une assise large mais dynamique.
Voyez la réponse en fréquence moyenne sur 4 mesures d’un refrain, avec les Focal Alpha 80 EVO à gauche, et les Genelec à droite.
Radiohead – 15 Step
Ce morceau utilise autant de sons électroniques que d’éléments acoustiques ou électriques, et permet de se rendre compte de la manière dont tout cela se mélange. Les graves nous permettent une lisibilité parfaite de la rythmique et des différentes lignes de basse, qui sont pourtant très riches en informations mélodiques, le tout dans une belle homogénéité. De la même manière, la richesse dans le bas va très bien à la guitare et lui donne une jolie rondeur.
A contrario, les éléments de programmation rythmique ont des hautes fréquences qui peuvent être un peu envahissantes, particulièrement les hihats électro. En effet, l’omniprésence de la programmation rythmique dans ce mix met particulièrement en valeur la bosse des Focal entre 10 et 12 kHz, et peut nous sortir un peu du mix, en faisant passer les autres éléments au second plan.
Pour ce genre de morceaux avec un son très britannique, et dont la balance tonale tire souvent vers une très forte présence des hauts médiums, le mix nous parait alors plus doux et moins saillant.
Voyez la réponse en fréquence moyenne sur 4 mesures de la partie finale du morceau, avec les Focal Alpha 80 EVO à gauche, et les Genelec à droite :
Pink Floyd – Echoes
Enfin, on ne pouvait pas passer a côté de l’occasion d’écouter un bon vieux Pink Floyd, très ambitieux en terme de production, mais qui malgré son Remaster 2011 revêt une grande partie des caractéristiques d’une production du début des années soixante-dix. Dans cette musique très riche en orgues, guitares, effets, réverbes, la pâte harmonique tire vraiment vers le bas-mid, vers la rondeur. On note que pour des morceaux plus anciens, mais malgré tout très ambitieux dans le processus de production, la richesse du spectre dans les sur-aigus devient plutôt une force et met en valeur le haut des batteries, les cymbales et les hihats.
De même, ce que l’on a pu trouver un peu envahissant dans le grave de morceaux très compressés, avec des mastering moderne, ne nous pose ici plus aucun problème. Au contraire la petite bosse dans le bas du médium vient affecter une certaine rondeur aux guitares et aux orgues, aux effets de production et à la batterie, dont ce genre de mix pourrait manquer un peu. La présence et la grande définition du haut médium et du bas des aigus dans les Genelec peuvent être un peu agressives sur ce genre de mix, on n’aura pas ce problème avec les Focal.
La correction est de mise
Après tous ces tests, l’envie est grande d’aller toucher aux deux potards de réglages des aigus et des graves, afin d’essayer de perfectionner l’équilibre fréquentiel et la balance tonale. Le Shelf dans le grave a été testé sur Teardrop de Massive Attack. Le fait qu’il soit situé à 250 Hz ne nous parait pas totalement justifié. Nous aurions préféré qu’il puisse commencer à être effectif un peu plus bas (à partir de 160 peut être ?) dans le spectre afin de pouvoir gagner du grave et du sub sans affecter le haut du grave et le bas du médium, et ainsi rééquilibrer le bas du spectre en étant assez généreux avec celui-ci.
Concernant le high shelf, nous sommes repassés sur 15 step de Radiohead. Là, cela nous a totalement convaincu. En effet, cette bosse dont on vous parle depuis tout a l’heure à partir de 10 kHz, et qui peut être par moment agréable, envahissante, ou très pratique pour le contrôle de certains éléments, et bien elle peut être atténuée pour regagner une courbe plutôt droite et linéaire, et ainsi obtenir une écoute parfaitement fidèle dans le haut du spectre. Nous avons dû couper deux dB par côté pour arriver à quelque chose qui nous paraissait plus neutre et transparent sur l’ensemble de la balance tonale, compte tenu de nos habitudes et références d’écoute.
Bilan d’écoute
Globalement l’image stéréo est très belle et assez souple, très large sur les éléments franchement latéralisés et très progressive sur les éléments plus proches du centre, ce qui permet une grande précision d’exécution sur la latéralisation des éléments, et notamment la largeur et la diffusion des réverbes ou autres effets de production.
Grace à la richesse et la définition des fréquences très aiguës et à l’homogénéité des graves, nous pensons que c’est une très bonne écoute pour des productions modernes, pour lesquelles ces bandes de fréquences ont une importance particulière. Les sifflantes des voix sont très définies et précises, et l’ouverture fréquentielle des réverbes ou delays que l’on pourra affecter aux voix, aux synthés ou à des éléments plus rythmiques pourra donc être parfaitement contrôlée. Rappelons que nous avons la possibilité de rééquilibrer cette bande de fréquence grâce à un réglage en mode High Shelf.
Le grave est très contrôlé mais reste quand même bien vivant avec des dynamiques bien représentées, pour un bon contrôle du bas du spectre. La richesse du bas médium peut être un peu trompeuse, mais en tenant compte de cette petite particularité, elle permet aussi de contrôler la densité de cette bande de fréquence très importante, qui peut fréquemment donner un côté un peu mou à vos mix si elle est trop présente ou pas assez définie.
Concernant les médiums et les hauts médiums, c’est vrai qu’ils sont un peu moins évidents que le reste du spectre, et qu’on aurait aimé qu’ils soient plus présents, plus denses, particulièrement sur les sons continus. Encore une fois, ceci est une étude comparative, et nous avons l’habitude de travailler sur des enceintes Genelec, qui ont la particularité inverse. Il suffira donc de s’y habituer.
Conclusion
La pari de Focal avec ces nouvelles Alpha EVO est indubitablement réussi de sorte que bien qu’on se situe dans l’entrée de gamme du constructeur français, ces dernières n’ont pas à rougir devant des concurrentes plus onéreuses. D’aucuns regretteront un petit manque de nervosité ou la bosse à 200 Hertz, mais ce ne sont certainement pas là, en regard du prix réclamé, des défauts rédhibitoires et il ne fait aucun doute que les EVO feront le bonheur de plus d’un·e Home Studiste exigeant·e…