Troisième et dernier volet de notre chapitre consacré au confort du chanteur lors des prises de voix. Aujourd'hui, nous allons nous pencher pour la première fois sur le cas du matériel utilisé. Toutefois, avant d'aborder concrètement la question du "matos" sous un angle purement technique, il convient en premier lieu de s'attarder sur son aspect pratique du point de vue de l'interprète afin de lui permettre de donner le meilleur de lui-même…
Sing, not Sing Sing
Comme je vous le répète depuis quelques semaines, il est primordial que votre chanteur se sente à l’aise lors de vos séances d’enregistrement. Or, les apprentis ingénieurs du son ont bien souvent une fâcheuse tendance à imposer des contraintes techniques aux musiciens du genre « mets-toi là, joue par là et surtout ne bouge pas trop »… Ce type de consigne part bien sûr d’un bon sentiment dans l’optique d’optimiser la captation d’un point de vue strictement technique, mais pour un musicien plus ou moins étranger au monde du studio, cela peut facilement passer pour le règlement intérieur d’une prison. Avouez que ce n’est pas vraiment l’idéal pour qu’un artiste puisse exprimer tout son potentiel, n’est-ce pas ? Ce constat est vrai pour tous les musiciens mais il l’est encore plus dans le cas du chanteur pour diverses raisons que nous avons déjà évoquées à maintes reprises depuis le début de ce chapitre consacré à l’enregistrement de la voix. Moralité, faites en sorte que les conditions techniques ne deviennent pas des contraintes pour votre interprète ! Tout ce beau discours vous semble peut-être beaucoup trop abstrait. Voyons donc un cas concret de façon à éclaircir mon propos.
Prenons par exemple le cas du micro chant. Dans l’idéal, vous avez votre chanteur bien sagement planté devant un pied de micro équipé d’un statique large membrane et d’un filtre anti-pop. Sauf que dans la vraie vie, certains artistes préfèrent avoir le micro en main, ou bien encore d’autres ont la bougeotte, etc. Que faire alors ? Eh bien à mon humble avis, plutôt que de les brider, mieux vaut les laisser s’exprimer comme ils ont l’habitude de le faire et bricoler une solution technique qui rendra les prises exploitables vaille que vaille. Pour être encore plus clair, laissez-moi vous raconter deux expériences personnelles.
Il y a quelques années de cela, j’ai travaillé avec un jeune rappeur. Comme souvent chez les rappeurs, ce dernier avait pour habitude de tenir son micro à la main en le collant littéralement à sa bouche, ce qui est loin d’être idéal… J’ai donc dans un premier temps essayé de capter son flot de façon « traditionnelle » mais sa voix était alors d’une platitude infinie alors qu’en live elle flirte avec la nervosité d’un Eminem à la grande époque. Bien entendu, impossible de lui faire tenir un électrostatique à la main tant ce type de micro est sensible aux manipulations. Du coup, je lui ai collé dans les mimines un bon vieux sm58 pour qu’il s’exprime comme à son habitude et j’ai doublé la prise grâce à un C414 en mode omnidirectionnel placé à environ 1,50 m de lui. En combinant ces deux prises et en compressant bien le tout, j’ai obtenu exactement ce qu’il nous fallait pour le titre en cours de production : de la présence, de l’air et surtout de l’expressivité ! Certes, techniquement parlant le rendu écouté en solo est clairement discutable. Cependant, logé au coeur du mix, cela fonctionne à merveille. Que demander de plus ?
Dans le même ordre d’idée, je me suis retrouvé un jour à faire des prises avec une chanteuse qui bougeait fréquemment la tête à droite ou à gauche lorsqu’elle donnait de la voix. Or, comme le lieu de captation était pour le moins étriqué avec en sus une acoustique pour le moins discutable, il m’était impossible d’éloigner le micro afin de moins subir l’impact fréquentiel de ces nombreux dodelinements intempestifs… Du coup, j’ai eu l’idée de travailler avec trois micros identiques placés en arc de cercle à proximité de la tête de l’artiste. De plus, j’ai pris la peine de filmer les différentes prises avec mon téléphone portable placé sur un trépied. Ainsi, lors de la phase d’édition, j’ai commencé par synchroniser la vidéo aux différentes prises puis j’ai édité les prises en sélectionnant pour chaque phrase le micro vers lequel sa tête était dirigée. Résultat des courses, le comping final est tout simplement bluffant, jamais on ne croirait qu’il provient d’une session d’enregistrement aussi tarabiscotée !
Voilà, j’espère qu’au travers de ces exemples vous aurez compris qu’il faut savoir faire preuve d’imagination afin de faciliter la vie de l’interprète et ainsi obtenir « La Prise ». Après tout, une grande partie du travail de l’ingé-son ne se résume-t-elle pas à élaborer des solutions techniques au service de l’artistique ? Personnellement, j’en suis intimement convaincu.
Sur ce, rendez-vous la semaine prochaine pour de nouvelles aventures !