Attaquons-nous cette semaine à l'un des plus importants sujets de ce guide consacré à l'enregistrement : la captation de la voix. Comme nous allons le voir dans cette brève introduction, bien enregistrer la voix ne se résume pas qu'à placer au bon endroit le meilleur micro possible accouplé au préampli "idéal", loin de là…
Prélude
Les personnes qui me connaissent un tant soit peu doivent certainement se dire que je ne suis pas entièrement objectif lorsque je souligne l’importance de la voix dans le cadre de ce guide. Il est vrai que mon aventure musicale personnelle a commencé par là puisqu’avant de travailler dans le son, je suis en premier lieu chanteur. Ceci étant, qu’elle soit chantée, parlée, slamée ou rappée, la primauté de la voix au sein des musiques actuelles me semble indéniable. Mais il ne s’agit pas là du seul et unique argument en faveur d’un traitement spécifique de cet « instrument » si particulier…
D’un point de vue strictement biologique, il se trouve que l’oreille humaine est naturellement conçue pour être plus sensible à la voix qu’aux autres types de sons. Moralité, même le moins connaisseur des auditeurs remarquera la plus petite « imperfection », la moindre « curiosité » ou toute chose qui pourrait paraître inhabituelle. C’est comme ça, nous sommes génétiquement programmés pour percevoir cela. Ainsi, mieux vaut en avoir conscience dès à présent pour d’une part, éviter les erreurs à la prise ou lors de la phase d’édition, et d’autre part, pour éventuellement utiliser cela de façon créative afin d’attirer volontairement l’attention du public sur tel ou tel passage, mais je m’écarte du sujet…
Autre considération plaidant pour un regain d’attention conséquent à l’occasion des prises de voix : il s’agit d’un instrument foncièrement à part. En effet, c’est le seul à posséder pas moins de quatre niveaux de « lecture » : la voix est mélodique, rythmique, porteuse de sens et vecteur d’identité. Si les deux premiers niveaux sont d’une évidence aveuglante, les deux autres méritent peut-être une rapide explication.
La voix est porteuse de sens pour au moins deux raisons. D’une part, les paroles ont une signification et sont, de fait, intellectuellement compréhensibles pour peu que l’on sache parler la langue utilisée. D’autre part, au-delà de la signification des paroles, il y a également le sens véhiculé par l’intonation, les éventuels gémissements, grognements, respirations ou autres qui sont interprétables par tous sur un plan essentiellement émotionnel cette fois-ci. L’un des plus beaux exemples du genre m’a d’ailleurs été rappelé par mon meilleur ami pas plus tard qu’hier soir, il s’agit du son de l’inspiration de Jeff Buckley au début de sa version d’Hallelujah. Effet dressage de poil garanti !
Quant à la voix en tant que vecteur d’identité, c’est bien simple, aucun autre instrument ne reflète aussi bien l’identité d’un musicien. Certes, certains spécialistes peuvent différencier le son d’une Telecaster de celui d’une Les Paul ou reconnaitre le jeu de basse d’un Pastorius entre mille, mais quasiment tout le monde sait identifier les personnes rien qu’à leur voix. C’est vrai dans la vie de tous les jours et ça l’est encore plus dans un contexte purement musical. Certains artistes ont même des « tics vocaux » qui permettent de les identifier en une fraction de seconde comme par exemple Michael Jackson avec ses fameux « Hee-Hee ».
Avec ces quatre niveaux de lecture, la voix est donc définitivement un instrument pas comme les autres. Par conséquent, son enregistrement nécessite de prêter une attention toute particulière à cinq points essentiels pour le bon déroulement de ces lectures possibles : la justesse, le placement rythmique, l’intelligibilité, l’émotion et enfin, le respect du timbre et des « tics vocaux » de l’artiste. Lors d’une prise de voix, si vous arrivez à cocher ces cinq cases, vous aurez la captation parfaite. Or, il faut bien avouer que pour satisfaire ces exigences, le choix du micro, son placement et la « valeur » du préampli utilisés n’ont que très peu d’incidence… Attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, je ne suis pas en train de minimiser la partie purement technique de l’enregistrement de la voix, j’essaye juste de remettre les choses à leur véritable place.
La moralité de toute cette pompeuse introduction, c’est que dans les prochains épisodes, nous aborderons bien entendu en détail le côté technique de la prise de voix, mais que nous traiterons en premier lieu d’autres aspects qui ont beaucoup plus d’importance lorsqu’il s’agit de réussir vos enregistrements. De prime abord, vous pourriez vous dire que tout ce dont nous venons de parler n’est absolument pas du ressort de l’ingénieur du son. Il est vrai que c’est avant tout l’affaire de l’interprète. Ceci dit, il y a un certain nombre de choses que nous pouvons faire à notre « petit » niveau afin de faciliter l’obtention du résultat escompté, comme nous le verrons dès la semaine prochaine !