Après l’aspect fonctionnel, envisageons à présent l’automation selon un point de vue artistique en revenant à notre analogie entre musique et cinéma...
Je me rends compte tout à coup que j’ai omis de vous expliquer pourquoi je faisais une distinction entre ces deux types d’automation. La raison est somme toute simple, il s’agit ici d’optimiser le ratio qualité du rendu/temps. Avec l’expérience, je me suis aperçu qu’il était beaucoup plus efficace de rassembler les besognes d’ordre purement technique ensemble afin de s’en libérer pleinement avant de s’atteler à toute tâche artistique. Ainsi, l’esprit me semble plus libre, car il n’est pas interrompu en plein processus créatif par d’éventuels problèmes d’arrière-cuisine. Cela ne vous parle peut-être pas, mais essayez tout de même, je vous assure que le résultat est bluffant, sans parler du bien-être que cette façon de faire procure.
Pensez votre morceau comme un film
Afin de parler de l’automation artistique, je vous propose de revenir à la notion de film de votre mix dont je vous ai déjà parlé en tout début de cette série d’articles. Si nous poursuivons l’analogie cinématographique, le constat actuel est le suivant : le casting est fait, les acteurs connaissent leurs textes sur le bout des doigts et le gros du décor est planté. Mais cela ne suffit pas pour faire un film digne de ce nom ! Il vous reste encore à travailler sur la mise en scène, la scénographie, et bien entendu la réalisation. Tout cela vous paraît peut-être un peu trop abstrait. Voyons donc de quoi il retourne exactement.
Selon André Antoine, la mise en scène est « l’art de dresser sur les planches l’action et les personnages imaginés par l’auteur dramatique ». Pour l’instant, vos acteurs/instruments savent quand ils rentrent et sortent de scène, mais il reste à définir le comment : en douceur sans trop se faire remarquer ou bien d’une façon tonitruante ? De plus, s’ils connaissent leur emplacement initial au sein de l’espace, il faut tout de même encore diriger leurs mouvements tout au long de l’action. En effet, si tout le monde reste planté comme une fougère en pleine forêt durant l’intégralité du film/morceau, le spectateur/auditeur risque d’avoir une sérieuse crise de bâillements à la longue…
Pour la scénographie, c’est peu ou prou la même tisane. Si le décor reste identique et irrémédiablement statique tout du long, l’ennui aura vite fait d’étreindre l’assistance. De subtils mouvements, même en fond de plan, ou des changements complets de décor maintiendront à coup sûr l’intérêt du public.
Enfin, la réalisation s’occupera de l’enchaînement des scènes, c’est-à-dire, en ce qui nous concerne, des passages entre couplets, breaks, refrains, solo, etc. Abrupts ou progressifs, ces changements de cadres sont des piliers pour l’évolution dramatique de votre titre.
Car, ne l’oubliez pas, votre musique raconte une histoire. Et le but de l’automation artistique, comme tout ce que nous avons fait jusqu’à présent d’ailleurs, est de servir ce récit afin que le message émotionnel soit transmis au mieux à l’auditeur.
Nous allons voir de suite les enseignements que nous pouvons tirer de cette analogie cinématographique ainsi que les leviers à votre disposition à l’heure de l’automation artistique qui vous permettront d’arriver à vos fins. Mais au préalable, je vous invite à reprendre en main et étudier attentivement le script de votre film, à savoir les notes rédigées au tout début de cette aventure et constituant votre vision du mix, car vous allez en avoir besoin…
Leçon de cinéma appliquée à la musique
En regard de la mise en scène, le premier enseignement issu du cinéma concerne l’organisation du discours de chacun des acteurs. Qu’il s’agisse de monologues ou de dialogues, il est primordial pour chaque intervenant d’avoir son temps de parole réservé à lui seul, sous peine de rendre son propos complètement inintelligible. Pour revenir au cadre musical, les acteurs principaux se résument bien souvent au chant et aux instruments solistes. Serait-il opportun d’avoir un solo par-dessus le chant ? Ou bien encore deux solos en même temps ? Bien sûr que non. À vous donc d’agencer cela au mieux : apparition de « licks » entre les phrases chantées, articulation des solos sous forme de question/réponse, etc.
J’en entends déjà certains s’inscrire en faux : « Mais c’est de l’arrangement ça, pas du mixage ! ». Effectivement, cela tient plus de l’arrangement. D’ailleurs, si le titre que vous mixez est bien arrangé à la base, vous aurez certainement beaucoup moins de travail à l’heure de l’automation. Mais dans le cas contraire, n’hésitez pas une seule seconde à prendre des décisions, même drastiques, à partir du moment où cela sert l’œuvre musicale et non pas l’égo d’un musicien, d’un compositeur, voire le vôtre.
Toujours au niveau de la mise en scène, il est intéressant de se pencher sur la question des placements et déplacements des personnages. L’intervention d’un personnage clé n’aura aucun impact si ce dernier se trouve à ce moment-là caché derrière un meuble dans le fond du décor ; il se doit d’être à l’avant-scène pour que le public puisse non seulement capter l’intégralité de son propos, mais également toutes ses nuances de jeu. Il est tout aussi évident qu’une fois son discours achevé, ce même personnage ne va pas obstruer inutilement le front de scène, il faut bien entendu qu’il libère la place pour ses petits camarades. Cette danse des protagonistes est essentielle au bon déroulement de votre récit musical, tâchez donc d’y prêter une attention toute particulière.
Concernant la scénographie, les leçons à en tirer d’un point de vue musical sont peut-être un poil plus abstraites de prime abord. En effet, les changements d’arrière-plan sont beaucoup moins perçus de façon consciente par le public. Cependant, il ne faut surtout pas sous-estimer l’impact émotionnel de cet art ô combien difficile ! Imaginez un instant une comédie musicale avec un acteur/chanteur qui se lève d’un coup pour donner de la voix. Eh bien si vous placez la scène dans une cafétéria étudiante entièrement vide, ou pleine, mais avec des clients absolument immobiles, ou bien encore avec une clientèle vivant sa vie sans faire cas du chant, ou au contraire avec tout le monde qui se met à danser sauce Fame, vous vous rendez bien compte que l’impact de la performance change pour chacune de ces situations, qu’importe les paroles ou le style musical.
Dans un contexte purement musical, cela se traduit par le maniement des instruments d’accompagnement. Bien sûr, le jeu des musiciens, le groove du morceau et la densité de l’arrangement influent énormément sur ce sentiment d’ambiance. Néanmoins, il ne faut surtout pas mettre à l’index l’incidence des fluctuations qu’il est possible d’imprimer au décor musical sur la sensation de vie de votre mix, que cela soit fait au travers d’une automation subtile ou non. Attention toutefois, veillez bien à ce qu’aucun de ces instruments d’ornement ne vienne voler la vedette aux acteurs principaux, ce n’est pas le propos. Gardez à l’esprit la vision du film de votre mix et tenez-vous-y fermement afin d’éviter tout débordement.
Finissons cet épisode avec la réalisation — au sens très large du terme. Imaginez la scène suivante : deux étudiants assis sur un lit dans la pénombre. Intercalez un bref plan sur leurs mains qui se frôlent et tout le monde se doutera de la suite des évènements. Par contre, si le plan inséré est cadré sur la poignée de porte de la chambre qui tourne, le public s’attendra à tout autre chose. De plus, l’impact de l’ouverture de la porte sera différent s’il y a allumage de la lumière en simultané ou non, si cette lumière est froide ou chaude, etc. Bref, le cadrage, le montage des plans et la gestion de la photographie jouent tous un rôle important dans l’évolution dramatique du récit. Bien entendu, d’un point de vue strictement musical, cela peut se traduire au niveau de l’arrangement, de l’interprétation des musiciens, voire de la composition elle-même. Mais l’automation artistique peut exacerber l’impact de tout ce beau monde, et même créer de bout en bout ce type d’effet afin de soutenir le déroulement du récit sonore tout en préservant l’attention de l’auditeur.
Volume, Pan, EQ, Mute, Send : que quels paramètres jouer ?
En matière d’automation en situation de mixage, le principal levier est historiquement le fader de volume. Et malgré toute la liberté offerte par nos STAN, ce bon vieux fader reste à ce jour l’arme de choix pour tout ingénieur du son averti. En effet, sa simplicité d’emploi alliée à son impact sonore direct en font un outil diablement efficace pour mettre en avant ou en retrait de votre scène musicale tel ou tel élément du mix à tel ou tel moment en un tournemain. De plus, si vous avez envoyé intelligemment vos différentes pistes vers des bus spécifiques (batteries, rythmiques, voix, etc.), les faders de ces derniers vous permettront de gérer de façon simple les enchaînements entre les couplets, refrains, breaks et solo du titre à mixer. Prenez garde cependant à ne pas avoir la main trop lourde car, comme je vous l’ai déjà dit, l’auditeur n’aime pas vraiment sentir la main du « technicien » derrière les manettes…
Le réglage de panoramique est bien entendu un autre levier de choix en termes d’automation artistique. Tout aussi simple à utiliser que le fader de volume, il permet de rapidement jouer sur la largeur du cadre de votre film sonore. Ceci étant, son maniement nécessite encore plus de subtilité que pour le fader car des changements répétés de façon trop rapide ont vite fait de donner le mal de mer à l’audience, surtout lors d’une écoute au casque. Prudence donc !
L’automation de l’égalisation est également un candidat idéal d’un point de vue artistique. Sur un instrument seul, cela offre une alternative plus subtile que le fader de volume pour mettre en avant ou en retrait cet élément du mix à des moments choisis puisqu’il suffit bien souvent de jouer sur une seule bande de fréquences avec une faible amplitude de gain. De plus, sur des groupes de pistes, l’automation d’un EQ n’a pas son pareil pour changer la couleur d’un paysage sonore.
N’hésitez pas non plus à titiller le bouton Mute de certaines de vos pistes, c’est un moyen simple et efficace d’agir sur la mise en scène, la scénographie ou la réalisation du film de votre mix.
Faire varier les envois de vos pistes vers vos bus auxiliaires de réverbération et/ou délai ainsi que les paramètres de ces derniers sont aussi d’excellents moyens de rendre votre mixage plus vivant. Il vous est ainsi possible de faire « bouger » les éléments du mix dans l’espace, mais également de transformer complètement la scène ou le lieu virtuel dans lequel tout ce beau monde évolue.
Enfin, l’automation ponctuelle du bypass ou des réglages d’effets spéciaux comme les réverbes, délais, filtres, modulations, etc. est une bonne solution pour attirer l’attention de l’auditeur sur un élément spécifique du mix à un moment opportun. Attention toutefois, cette méthode doit être utilisée très occasionnellement pour que le côté exceptionnel de la chose conserve toute sa puissance d’impact émotionnel.
Voilà, je pense qu’avec tout ça vous avez déjà de quoi faire et qu’il est donc grand temps pour vous de transformer votre vision du mix en automation. Pour ce faire, nous verrons dans le prochain article comment réaliser concrètement vos automations.