Skalp, un homme dont beaucoup ignorent le nom, mais dont tout le monde connaît le travail. Un artiste aux sonorités diverses et variées allant du rap américain ultra produit à la musique africaine traditionnelle, ses influences vont de Rod Temperton à Timbaland en passant par, Giorgio Moroder, Eric Serra, Quincy Jones, Cerrone, Jean Michel Jarre, Police ,Yann Tiersen, DJ Premier, Teddy Riley, Dr Dre, Michael Jackson et Stevie Wonder. Le réalisateur de disques nous a accordé une interview et nous parle de son parcours, de son matériel, de sa vision de la musique, du rap et du RnB français en 2009 ainsi que du piratage musical.
Skalp, un homme dont beaucoup ignorent le nom, mais dont tout le monde connaît le travail. Un artiste aux sonorités diverses et variées allant du rap américain ultra produit à la musique africaine traditionnelle, ses influences vont de Rod Temperton à Timbaland en passant par, Giorgio Moroder, Eric Serra, Quincy Jones, Cerrone, Jean Michel Jarre, Police, Yann Tiersen, DJ Premier, Teddy Riley, Dr Dre, Michael Jackson et Stevie Wonder. Le réalisateur de disques nous a accordé une interview et nous parle de son parcours, de son matériel, de sa vision de la musique, du rap et du RnB français en 2009 ainsi que du piratage musical.
AudioFanzine : Pour les lecteurs qui ne te connaissent pas, pourrais-tu te présenter en quelques mots et citer quelques-uns des projets les plus connus auxquels tu as participé ?
Skalp : Pour me situer en quelques projets : le premier album de Rohff « La vie avant la mort » avec « TDSI » et « 5.9.1 », la bande originale et l’habillage sonore de Taxi 3 avec 2 gros singles « Qu’est ce que tu fous cette nuit » et « Humphrey » avec Busta Flex, le titre « Match Nul » avec Eloquence Kayliah, des prods sur l’album Panthéon de Booba, « Raï'n’B Fever volume 1 » avec « Sobri », « Un gaou à Oran » avec Magik System et 113, « L’Orphelin »(Willy Denzey), « Just married » avec Relic, le premier album d’Amine, « Ronde de nuit » sur Gomez et Dubois, « Vivons pour demain » de Leslie, « Showbiz », « Elle me contrôle » et « Pas sans toi » sur le 1er album de Matt Pokora, « Laissez nous vivre » avec Corneille… Attends… Je sais que j’en oublie plein (rires). Ah oui, il y avait une opération qu’on avait faite avec NRJ et le ministère de la santé, ça s’appelait « Protection rapprochée », pour sensibiliser les jeunes au port du préservatif, l’album de Tony Parker que j’ai réalisé entièrement, « Ferme les yeux et imagine-toi » sur l’album de Soprano, le morceau « Les cités d’or » sur le dernier album des Psy4 de la rime, « Clandestino » l’année dernière avec Rim’k et Mohamed Lamine, l’album de Don Choa… Enfin voilà, là tu as le principal, après il y a eu aussi des autoprods à l’époque de mes débuts avec notamment Scred Connexion sur les titres « Money money » et « Trop saoulé ».
Le rassemblement
AF : Tu fais quelques titres sur plusieurs disques plutôt que des albums complets. Est-ce un choix ?
S : Je fais les deux en fait. Avant, quand j’étais associé à Kore on travaillait pour divers artistes avec uniquement quelques morceaux par album puis à côté on avait nos projets pour lesquels on réalisait l’intégralité de l’album. Ensuite, lorsque l’on s’est séparé je n’ai pas pu travailler sur les albums comme je voulais, voilà pourquoi. Mais par exemple sur l’album de Tony Parker j’ai fait presque tous les sons et là je lance deux artistes, Rickwel et Awa Imani, et je ferai toutes les instrus sur leurs albums, plus mon album concept qui devrait sortir en 2009.
AF : Quel est ce concept ?
S : L’idée c’est le rassemblement. Pouvoir réunir des artistes inattendus, ça ne sera pas la playlist de Skyrock. Ce sera avec des gens que je connais, avec lesquels je suis en connexion, d’autres que j’ai connu parce qu’ils m’ont envoyé des maquettes sur ma page MySpace et aussi avec des artistes que j’ai rencontrés à des concerts comme Keziah Jones. Je souhaiterai mélanger un Salif Keita avec un Soprano par exemple. Le projet s’appelle « African Tonik » et le nom parle de lui même. Ca mêlera de l’Electro/Dance et du Hip-Hop avec toutes les musiques issues du continent africain.
D’ailleurs, cet été j’ai balancé sur le net un morceau test « Chipeur arrête de chiper » avec Mory Kanté, Amine, Mokobe du 113 et DJ Raffa et sur YouTube on a eu plus de 2 millions de clics, ça passe sur Fun Radio alors qu’on a pas fait de promo, rien, c’était juste pour voir si le buzz prenait et c’est très encourageant. Faut pas hésiter à mettre du son sur internet pour savoir comment on se situe, tous les artistes qui cartonnent travaillent beaucoup avec le net.
AF : Donc tu comptes être de plus en plus présent sur le net
S : Oui ! Là il y a la Skalp TV en préparation avec une ou deux vidéos par mois sur comment ça se passe en studio avec les artistes, comment on construit un beat, comment on travaille, tout ça. Y’a un gros aspect tutoriel. Tu sais quand je mixais et que j’ai découvert les vidéos de Qbert ça m’a mis une claque, ça m’a remis en place, c’est le genre de trucs qui font que tu sais si tu dois continuer ou t’arrêter et si tu choisis de continuer, tu sais qu’il va falloir beaucoup travailler.
AF : Tu es plutôt un homme de l’ombre à la base, était-ce voulu ?
S : En fait, je n’ai jamais eu le temps de me montrer, j’ai toujours passé mon temps en studio et à travailler. Je n’ai jamais pris le temps d’aller en soirée, de faire autre chose que d’être à fond sur mes projets.
Mixtapes et banques d’instrus
AF : Quel est ton parcours ? Comment en es-tu arrivé là où tu es aujourd’hui ?
S : Je mixais et faisais mes instrus dans ma chambre, à l’époque il n’y avait pas internet, tu ne pouvais pas entrer en contact avec les artistes. À part à la rigueur aux concerts, mais même, on ne t’accordait aucune crédibilité si tu n’étais pas connu. C’était une époque où j’achetais beaucoup de vinyles, je me suis cultivé comme ça, avec du Pete Rock, Dj Premier, du Hi-Tek, etc., j’ai élargi ma culture Hip-Hop et RnB et je me suis retrouvé avec plein de disques. À ce moment-là, tout le monde dans mon entourage me demandait des mixtapes personnalisées, ça me faisait plaisir, ça me faisait la main, mais au bout d’un moment c’était trop. Donc un jour j’ai décidé d’en faire une vraiment bien, je l’ai passée à un mec et elle a été dupliquée à plus de 100 exemplaires de la main à la main dans tout mon quartier. Ça m’a alors motivé à en faire une « officielle » en 1998, qui s’est très bien vendue puis comme ça a marché j’en ai fait une seconde sur laquelle j’ai invité des rappeurs et que j’ai réalisée de manière plus professionnelle. Parce que la première c’était une pochette imprimée dans ma chambre, j’avais acheté des autocollants, des cassettes en promo au supermarché et je faisais la duplication moi même, cassette par cassette sur ma vieille chaine hifi !
Le volume 2 était donc plus pro et des personnes comme Busta Flex et Mokless de la Scred Connexion ainsi que d’autres du 93 étaient venus poser dessus. Ça m’a permis de rencontrer plein de monde comme Diam’s et Sinik. Par la suite, j’ai voulu me développer et j’ai réalisé que je ne pouvais pas tout faire seul donc j’ai cherché à monter un collectif comme « Double H » ou « Face B » et c’est là que je me suis associé à DJ Kore qui était quelqu’un que je croisais souvent dans les magasins de disques. Nous étions les 2 plus gros vendeurs de mixtapes du moment, donc ça s’est fait naturellement.
Comme j’avais déjà une grosse banque d’instrus (plus de 200), on est allé démarcher tout le monde, toute la scène Hip-Hop/RnB. Pendant un an et demi on allait à toutes les sorties de concerts, de soirées et de studios avec un lecteur minidisc, une boite de MD, un casque et on faisait écouter nos sons aux artistes. Vers 2000 on a commencé à s’intéresser à nous, on a réussi à placer 2 instrus sur l’album de Rohff (TDSI et 5.9.1.) et grâce à ça on a signé en édition chez Sony ATV Publishing par le biais de Nizard Bacard.
De là tout s’est accéléré, on avait des studios à disposition dans le bâtiment de Sony et en 2001 et 2002 on y était 24/24. Tous les artistes qui passaient dans les bureaux venaient nous voir et enregistraient : Disiz la peste, la Fonky Family, Passi, Jimmy Sissoko, Big Soul, Souad Massi, Amine, Sefyu, Lunatik, Diam’s, Faudel, Nâdiya Leslie … C’est là que tu évolues en tant que beatmaker et que tu deviens un réalisateur, tu maîtrises ta session, tu homogénéises le travail, comme le font des gens comme les Neptunes, Timbaland, JR Rottem ou Dr Dre, mes modèles.
À cette époque on a envoyé une démo à Europa Corp, la boite de production de Luc Besson, quand on a entendu dire que Taxi 3 se préparait. On n’a eu aucune réponse. Un an et demi après, ils nous rappellent, nous fixent un rendez-vous et là ils avaient déjà synchronisé dix morceaux sur les images, on a halluciné. Ils nous ont proposé de collaborer, on a bien entendu accepté et là ça a été l’explosion, on avait alors vraiment le vent en poupe. Ensuite, plutôt que dépenser notre argent en futilités, on a investi dans un gros studio d’enregistrement et monté un label « Artop Records », depuis je n’ai jamais cessé de travailler. Ce n’est pas pour me vanter mais depuis 2001, j’ai toujours au moins un titre en rotation sur les ondes.
Ce fut le moment où on a lancé le style Raï'n’B, qu’on peut comparer d’une certaine manière au Reggaeton. Les populations latino-américaines et maghrébines ayant beaucoup de similitudes culturelles, avec le Raï'n’B il y a eu le même mélange entre les genres musicaux et les cultures qu’avec le Reggaeton. À la base personne n’y croyait, mais ce sont des gens comme Faudel et Corneille qui nous ont soutenus et permis de mener à bien le projet. C’était en 2003 et ça a vraiment cartonné en France, en Europe et Maghreb, c’était très fédérateur. Les gens aiment les mélanges de genre. C’est mon expérience en tant que DJ qui m’a donné cet état d’esprit, mettre ensemble des choses anciennes et des modernes. Quand je vois que sur un de mes sons ma mère danse et qu’un jeune danse aussi, mais façon tektonik, ça me fait plaisir et ça m’éclate. C’est ce même état d’esprit fédérateur que je souhaite insuffler dans mon projet « African Tonik ».
Une armée de plug-ins
AF : Avec quel matériel travailles-tu ? Quel est ton setup ?
S : En fait, j’ai plusieurs setups. Dans celui de base, je séquence avec une MPC 2000 ou 4000 qui contrôle plusieurs racks et expanders. Selon le style musical, je vais utiliser différents outils. S’il s’agit de Rap ou de RnB, je vais par exemple utiliser le Motif ou le Triton. Sinon je possède un Korg TR en rack, un Fantom et un XV-5080 de chez Roland, un Virus C, un Waldorf Micro Q qui est extra et un Andromeda d’Alesis qui est une machine relativement rare et qui apporte son originalité dans les morceaux. Tu as vraiment l’impression de toucher de l’inédit, je m’en sers pour agrémenter les morceaux, pour donner de la largeur, une petite touche, mais je ne le maîtrise pas énormément, j’aimerai m’en servir plus dans mes prods. Sinon j’ai un MiKo et un Apple G5 biprocesseur avec Logic 8 et une armée de plug-ins. Je travaille de plus en plus avec Logic car ça me permet un contrôle plus aisé des machines ainsi qu’une palette sonore plus large même si j’utilise toujours la MPC pour les beats ne serait ce que pour le grain. Bien sur tu peux obtenir ce même grain en travaillant uniquement avec des logiciels, aujourd’hui il n’est plus forcement nécessaire d’avoir un ASR-10 pour avoir du bas.
AF : Quels sont tes plug-ins favoris ?
S : Je suis un grand fan du Vanguard de ReFX, c’est un truc de fou, la qualité, la patate, la largeur, tu peux triturer, t’as vraiment l’impression de bosser avec de l’analogique. J’adore tout ce qui sort de chez ReFX, Slayer, Nexus, QuadraSID… J’aime bien Real Guitar 2, Gladiator de chez Tone2, Genesis qui est un VST injustement méconnu et le Sylenth. Là ça va faire 6 mois que je suis bluffé par Addictive Drums, je l’utilise pour certains sons et c’est vraiment lourd. Je cherchais des sons typés Motown et avec la version Retro j’étais estomaqué.
AF : Tu utilises aussi les grooves intégrés ?
S : Non, par fierté je tiens à faire mes rythmes moi même. Mais c’est toujours pratique de pouvoir écouter les sons de la banque mis en place, ça permet de se rendre compte de comment ils sonnent. Mais bon, si un jour je n’ai plus d’idées, peut être que j’irai m’inspirer des grooves qu’ils proposent, mais bon je n’aime pas aller à la facilité. Je respecte des gens comme DJ Mehdi, que j’ai vu travailler sur Taxi 3, qui bosse à fond et qui peut passer 4 heures sur une boucle puis appeler des musiciens pour compléter le son. Même si pour ma part, je préfère faire les choses seul et me monter des défis en me disant que tel instrument je vais le reproduire avec des plug-ins.
Sinon j’utilise aussi Kontakt avec des banques d’échantillons telles que les cordes de chez VSL, c’est très réaliste, les articulations sont vraiment dangereuses. Mais je n’en suis encore qu’à l’apprentissage, car il faut vraiment avoir un certain niveau de maîtrise de l’orchestration pour pleinement les utiliser. Il y a aussi le Miroslav Philarmonik d’IK Multimedia que j’apprécie.
Pour les lignes de basse, j’utilise Trilogy de Spectrasonics qui sonne très live, la basse du Proteus 2000 d’E-MU, celles du Virus C et la « Fretless » du Motif qui, comme tous les sons de cette machine, se marie aisément avec tout. C’est la force du Motif, le son seul sonne très synthétique, mais il se combine facilement, le caractère est très mainstream. Mais j’utilise de nombreux plug-ins pour les basses comme le Sylenth, un de chez Novation ou manybass… Ca dépend, c’est du triturage.
Les gens veulent que ça cogne
AF : Et comme effets ?
S : J’utilise la réverbe de Logic, la Space Designer, j’aime beaucoup mettre de la réverbe sur les instruments acoustiques virtuels, j’ai aussi l’Altiverb 5, j’apprécie particulièrement les réverbes à convolution. J’utilise aussi des flangers, des phasers, des distos, j’expérimente toujours en chaînant jusqu’à 5/6 plug-ins pour créer un son. J’aime beaucoup le Pitch Blender d’Eventide et les TL Audio que j’utilise dans Pro Tools. Je mets aussi souvent des plugs comme le L1 et le L2 de chez Waves ou les Flux sur la tranche Master pour faire mon mastering.
AF : Ah ? Tu mets un L2 sur le master d’un son qui va sortir dans le commerce ?
S : Ah oui ! Carrément ! Si ça sonne comme ça, que la maison de disque l’a validé comme ça, parfois il ne faut pas chercher à remastériser à tout prix. Mais je pense que le mastering est une étape qui peut être appelée à disparaître pour certains styles musicaux. Les beatmakers et compositeurs actuels qui utilisent des logiciels poussent le son au-delà du mix, ils se font des masterings pour se donner une idée et ils progressent.
Pour en revenir aux logiciels, j’utilise aussi le C4 de Waves pour faire ressortir certains éléments. Sinon le plug que j’adore mettre sur le Master c’est le Master X3 de chez TC Electronic, c’est vraiment un de mes favoris pour booster et homogénéiser le son, c’est assez magique. Il y a aussi les émulations UAD qui sont excellentes. Les autres émulations n’imitent pas vraiment bien, ça sonne, mais je les considère comme des modules à part entière. Avec les plugs UAD, tu retrouves vraiment la couleur et le grain des machines originales, tu as l’impression que tu as le matériel avec toi.
Sinon pour la disto, j’aime le Slayer de ReFX, Guitar Rig 3, auquel je reproche de ne pas aller assez à l’essentiel, Amplitube 2 et Trash de chez Izotope. J’aime aussi beaucoup Ozone du même éditeur.
J’utilise beaucoup de plug-ins différents, je n’hésite pas à tout essayer pour trouver le son que je cherche.
AF : Quel est ton avis sur l’hégémonie du son surcompressé ?
S : C’est une évolution du son, c’est une étape. Les gens veulent que ça cogne. Avant tout était conventionnel, les ingés étaient dans des concepts très définis. Désormais, on va plus loin, on pousse les limites. On entend une production sonner d’une certaine manière, on va immédiatement essayer de faire mieux, les choses bougent très rapidement. On tient aussi énormément compte du support sur lequel les gens vont écouter, il s’agit principalement d’autoradios, de chaînes assez basiques et de baladeurs.
Mais après la guerre du volume, ça va être la guerre des basses, c’est ce que tout le monde est amené à travailler. Ça ne va pas forcément être à outrance, mais c’est un point qui revient en avant. C’est encore une question de matériel d’écoute, la tendance est à la popularisation du caisson de basse, on en trouve, à l’instar des États-Unis, de plus en plus dans les voitures et désormais beaucoup de petites enceintes multimédias sont vendues équipées d’un caisson.
On est passé de la culture « Poum Tchak » à la DJ Premier, Pete Rock et autres où il fallait que ça claque, à celle du « Boom » où il faut que ça « bounce », notamment parce que les gens s’équipent différemment.
En tout cas dans mes mixs, je prends toujours en compte comment les gens écoutent la musique, que ce soit sur leurs enceintes d’ordinateur, dans leur voiture ou en boite de nuit.
Mais au niveau du son, tout va très vite, il n’y a plus de limites quel que soit le style. Avant c’était des gens comme Prince ou Björk qui se permettaient des choses, maintenant c’est beaucoup plus ouvert, on expérimente plus volontiers. Écoute « Sexy Back » de Justin Timberlake, la voix a été saturée, il y a divers effets. Il y a moins de barrières des genres.
Bouge ton body baby sur le dancefloor
AF : Que penses-tu de la santé du Rap français actuellement ?
S : Il s’est passé beaucoup de choses. La musique en général entre dans une nouvelle ère, rien qu’au niveau de l’approche du public. Les gens doivent changer leur manière de penser les albums et la promo et dans le rap français il y a beaucoup de gens qui ne savent pas travailler. Leur démarche est trop bourrin, il faut revenir à certains fondamentaux. Le Hip-Hop est une musique conçue pour réunir, pour faire passer des messages et pour cela il n’y a pas que les radios et internet, il y a aussi les concerts, il faut aller à la rencontre des gens. Et d’ailleurs, ceux qui ne bâclent pas cet aspect sont ceux qui s’en sortent le plus. Des rappeurs comme Rohff, Soprano ou Sefyu, c’est par leurs concerts et leur proximité avec le public qu’ils se sont construits, ce n’est pas grâce à la maison de disque.
Il faut aussi savoir se démarquer, tout le monde ne peut pas avoir le même texte. Au niveau des plumes, je dois avouer que je ne suis pas fan de rap français, je suis très rarement aux anges, il y a des sujets, pour moi ce sont des faits divers qui ont été trop rabâchés. Aujourd’hui les jeunes sortent, ils veulent s’amuser, c’est l’époque de l’entertainment. Il y a toujours les fractures sociales, bien sur, mais en cette époque de crise économique les gens ont besoin de baume au coeur. Et puis il faut arrêter de se plaindre, il y a bien pire, le délire cité/street/ghetto, faut arrêter. Ils font des interviews avec des chaînes, des Nike Air, ils montrent qu’ils ont un minimum. Mais quand ça sort de ces clichés, je suis client. J’aime bien, par exemple, Keny Arkana, Soprano, Medine, Blacko de Sniper, Kery James, La Fouine, Sefyu… J’aime aussi Grand Corps Malade, c’est poétique et c’est du rap même si musicalement je n’accroche pas.
AF : Et qu’en est-il du RnB français ?
S : La scène RnB en France arrive tout juste. En fait, jusqu’à présent on n’a eu que du RnB variet’. Aujourd’hui beaucoup se calent sur le modèle américain et arrivent à atteindre un certain niveau en termes de chant et de musique, mais le point faible reste les textes. On sait faire la musique, on compose une mélodie voix en faisant du yaourt et dès qu’on commence l’écriture des textes ça devient moins évident. Jusqu’à présent on a toujours fait appel à des gens issus de la variété et du coup on n’a pas le même RnB qu’aux US.
Quand tu écoutes Vitaa ou Sheryfa Luna, c’est de la variété française pour les jeunes, ce n’est pas du RnB, regarde l’étymologie du terme, ça n’a rien à voir. Mais ce n’est pas péjoratif de dire que c’est de la variété pour les jeunes, c’est une musique populaire, mais pour moi ce n’est pas du RnB.
De toute façon, ici tu ne peux pas faire des paroles à l’américaine à base de « bouge ton body baby sur le dancefloor », ça saoule les gens, on accorde de l’importance au texte. Les gens ont besoin d’être touchés par le texte, aux États-Unis tu peux dire n’importe quoi, les gens s’en fichent, c’est le pays du catch (rires). Ici, on veut de l’entertainment ET du texte. Tu peux bien sur faire sans mais tu ne tiendras pas et ne vendras pas beaucoup. Regarde Corneille, il a des textes de qualité et il a vendu 1 million d’exemplaires de son premier album.
Mais la société évolue, le métissage avance et cela apporte à la musique, au cinéma, à la culture. Petit à petit on accepte de plus en plus de choses, les gens vont commencer à sortir plus aisément de leur contexte, même si ça reste encore très difficile. Par exemple, prends le dernier album de Natasha St Pier. Elle a fait un disque moderne et intéressant, avec des sons un peu à la Timbo mais ça ne marche pas comme ça devrait. Les gens attendent d’elle de la grosse variété, son single ne cadre pas avec ce que les médias souhaitent diffuser, donc ils ne jouent pas le jeu. Les mentalités sont très cloisonnées. Aux États Unis, tu vois des mères de famille danser sur du 50cent, des mamies avec des t-shirts G-Unit ou Roccawear. En France, si tu vois une maman avec un t-shirt Unküt, tu vas penser qu’elle l’a emprunté à son fils!
Le robinet a été ouvert en grand, c’est trop tard
AF : Que penses-tu du piratage musical sur internet et de la crise du disque ? Ainsi que des réponses proposées comme la riposte graduée et la taxe sur la copie privée.
S : En tant qu’acteur du monde de la musique en France, je prends en compte ces paramètres et même si c’était un phénomène annoncé depuis longtemps, personne ne s’attendait à une crise aussi violente. Ca a mis un coup sévère à l’industrie, mais il faut savoir s’adapter à tous les changements et faire avec. Il ne faut pas se plaindre et chercher à arrêter le piratage. Le robinet a été ouvert en grand, les gens sont habitués, c’est trop tard. D’ailleurs, je pense que c’est un motif d’achat d’ordinateur aujourd’hui, je suis sûr que s’il n’y avait pas le piratage on en vendrait moins et il y aurait moins d’abonnés à internet. Il y a des gens, tout ce qu’ils savent faire avec c’est télécharger et graver, ils se fichent des forums, de msn et du reste.
Ce qui est vraiment regrettable c’est que les plateformes de contenu comme YouTube, Dailymotion et autres s’en mettent plein les poches sans être bridées ni inquiétées alors qu’elles ne respectent pas les droits des artistes. On veut couper les accès internet des gens, leur coller des amendes alors que de l’autre côté on ne fait que leur tendre du contenu. Si YouTube et autres me payaient au prorata de toutes mes oeuvres qu’ils diffusent, ça compenserait largement la perte liée au piratage. D’ailleurs, ils devraient rémunérer tous les artistes, même le type qui fait une vidéo marrante, car c’est aussi une création, une performance, des centaines de milliers de personnes vont la voir, pourtant il ne touche rien, à long terme ce n’est pas normal. Bien entendu, le point positif est que n’importe qui peut faire sa pub. Mais l’idéal serait un juste milieu, que ce soit ces plateformes qui nous permettent de mieux diffuser du contenu exclusif et que ce soit elles qui payent, pas les gens.
L’autre problème c’est le prix des disques. L’État taxe avec les TVA, mais nous taxe-nous aussi sur les revenus générés par le disque, c’est trop, ce n’est pas possible, il faut réduire les taxes.
Ceci dit, quand tu es bon, que tu travailles, les gens achètent. Regarde Alain Souchon et Seal qui sont en ce moment en tête des ventes ou Johnny Hallyday, ils ont des carrières. Une carrière ce n’est pas un ou deux albums. Ceux qui sont là depuis longtemps, ils vendent quand ils sortent un disque. Regarde Rohff, il a vendu 55000 albums dès la première semaine, sans passer à la télé ni sur toutes les radios, c’est très fort!
Le plus important c’est de travailler sans se brider, de faire de bons albums et de rester proche des gens.