Bienvenue dans ce premier volet d’une série que nous espérons longue, intitulée injustement «Made In France» ! Dans cette série de rencontres et d’entretiens, nous reviendrons sur un certain nombre d’acteurs de la chaîne de production musicale française et vous ferons découvrir leur équipement, leurs méthodes de travail, et vous ferons partager leurs réflexions, leur position et leur regard sur un secteur en pleine mutation. Le premier à inaugurer cette série d’interviews est Hubert Salou.
Hubert Salou est avant tout un ingénieur du son et un réalisateur aux multiples compétences, officiant dans les studios d’enregistrement depuis le début des années 90 et dans tous les styles : de groupes indés comme Winston MacAnuff, Camille Bazbaz ou encore Berline à la chanson française (Alain Souchon, Nolwenn Leroy, Laurent Voulzy, Ycare), d’artistes internationaux comme Lenny Kravitz à la musique africaine comme Mandekalou, Thione Seck ou encore Alpha Blondy, en passant par la musique de film ou le jazz (Sixun, Stéphane Grappelli), Hubert Salou est à l’aise dans bien des registres.
Néanmoins, si l’enregistrement et le mixage font partie de ses activités principales, Hubert Salou s’est découvert un véritable penchant pour le mastering, qu’il peut désormais exercer au sein de son propre studio, le Studio Kashmir. Et comme si cela ne suffisait pas, Hubert part également en tournée assurer la façade des artistes avec lesquels il travaille en studio. Autant dire que notre interlocuteur a une certaine expérience.
Entretien avec un ingénieur du son en perpétuelle évolution.
LE STUDIO KASHMIR
Bootz : Hubert, avant de commencer, parle-nous un peu de ton actualité…
HB : Je viens de terminer le mixage et le mastering du prochain album d’Amandine Bourgeois, Sans Amour mon Amour (Sony), dont la sortie est prévue pour avril 2012. Avant cela, je me suis également occupé du mix et du mastering de l’album d’Inna Modja, Love Revolution (Warner), dont le single French Cancan a connu un beau succès l’année dernière. Et puis, il y a eu aussi le mix de la chanson de 14 minutes « La Neuvième Croisade » et le mastering du dernier album de Laurent Voulzy, Lys et Love (Sony), ainsi que le mastering de l’album live de Zaz (Play on) et de Amel Bent (Sony), entre autres. Sinon, entre de nombreux masterings, je suis en train de mixer le prochain album d’Alain Chamfort (Mercury/Universal). Tout ceci a été réalisé dans mon studio, le Studio Kashmir.
Justement, je voudrais que l’on parle un peu de ton studio, son origine… À première vue, dans son ergonomie et sa disposition, ce studio fait vraiment penser à un studio de mastering. Comment l’as-tu pensé ?
J’ai toujours plus ou moins eu envie de faire mon propre studio. J’ai commencé à y penser sérieusement à un moment où je travaillais beaucoup, où j’alternais séances de studio et tournées et je voulais de toute façon avoir un endroit dans lequel je puisse faire des prods, enregistrer des overdubs, éditer, bref, faire des trucs que je pourrais faire tranquillement chez moi, plutôt que de louer un plus gros studio pour ce genre de choses.
Quand j’ai commencé à bosser avec Voulzy en 98, j’avais déjà mon propre Pro Tools. Tout se passait dans son studio et nous avons tout enregistré sur ordinateur. En plus, à l’époque je m’occupais aussi des programmations. À la fin de cet album (« Une fille d’avril », terminé en 2001 NDR), je suis retourné en studio commercial pour bosser avec Alpha Blondy, sur un album enregistré avec un Sony 3348… album qui a été nominé aux Grammy Awards. Déjà, au niveau de l’ambiance en studio, ça m’a fait « Whaouh » (mimant de se prendre une gifle, NDR) et musicalement comme d’un point de vue fréquentiel, ça m’a amené ailleurs. Mais en plus, bosser avec les 3348 en synchro avec le Pro Tools, faire les transferts… Techniquement, ça n’était pas aussi simple pour moi que de bosser directement sur Pro Tools ! Je me suis rendu compte que j’avais bien « switché » sur l’ordinateur et que, pour moi, bosser avec les bandes, c’était terminé. En dehors bien sûr des sessions où l’on va enregistrer sur bande analogique des rythmiques ou autres, ce qui est plutôt rare ces temps-ci en raison des budgets…
Malheureusement dans les studios commerciaux, le truc n’était pas encore vraiment devenu « standard ». Et ce qui m’énervait le plus, c’était d’avoir l’écran de l’ordinateur en dehors du champ des enceintes, à côté de la console, de passer d’une position à une autre, de travailler en étant mal assis, bref… Quand j’ai pensé le studio, il n’y avait que les murs, et je me suis dit : « OK, je bosse sur ordinateur, je n’ai pas envie d’être mal installé, il faut que j’aie l’écran et le clavier au milieu, en face de moi, dans le champ des enceintes ». Après seulement s’est posé le problème de la console, parce que j’avais tout de même envie de bosser avec une console.
Néanmoins, je ne voulais pas forcément partir sur une vieille console, pour laquelle tu as énormément de maintenance à gérer, pour laquelle tu dois avoir une salle des machines, une climatisation, parce que tu es obligé de la laisser allumée tout le temps… En gros, tu n’es pas encore rentré dans le studio que ça te coûte déjà 1000 € d’électricité ! Et personnellement, je ne voulais pas de ça non plus. Je voulais quelque chose d’hyper fonctionnel, avec l’écran au centre et une bonne écoute. La console sur le côté, c’est voulu aussi… Je ne passe pas 3 h à faire une EQ, ça doit me prendre, allez, je ne sais pas, 20 s et je suis même encore un peu devant les enceintes… Pareil avec mes racks : je voulais qu’ils soient « flottants » car le plus important pour moi était d’être au centre de l’écoute.
À la base de toute façon, je voulais faire un studio dans lequel je n’allais pas forcément travailler tout le temps, j’étais parti pour faire un petit studio, fonctionnel, enfin un « petit studio »… Un truc hybride qui ne serait pas mon outil de travail principal. Et qui finalement l’est devenu !
Ce sont des outils, mais pas une finalité. |
Et qu’est ce qui t’a amené à choisir l’API ?
Je ne voulais pas trop d’une SSL. Neve c’est pareil, certainement plus pour des problèmes de maintenance parce que je ne voulais pas m’engager dans quelque chose de lourd à gérer…
… Donc tu as acheté ta console neuve !
Oui, je ne voulais pas partir dans un truc trop « vintage » non plus, où tu trouves de moins en moins de pièces… Je ne suis pas fan du « vintage » à 100 %, parce que justement j’ai quelques périphériques « vintage » et tu passes ton temps à les réparer… Finalement tu ne t’en sers pas parce que c’est toujours en rade ! (rires) Non j’exagère un peu, mais j’aime bien le mélange des deux mondes où tu te dis « OK, il y a la couleur vintage, mais au moins ça marche ! » L’API a une belle couleur sonore… et une alimentation stable. Alors après tu peux discuter et épiloguer pendant des semaines sur « ah ouais, mais ça ne sonne pas comme l’originale… » Honnêtement, j’en ai rien à cirer, la console me donne un truc qui me plaît. L’original fait peut-être un truc « bleu foncé » au lieu de faire « bleu clair » mais déjà le bleu je l’aime bien donc après… je m’en fiche un peu ! Et personne, franchement, ne saurait reconnaître la différence… Qui peut entendre un disque et dire « ah ouais, là il y a un vrai Fairchild 670 ou une réédition… » Parfois, ça sonne et tu ne peux pas savoir par quoi c’est passé, ce qui a été fait… Ce sont des outils, mais pas une finalité.
Je voulais quand même me faire plaisir, j’avais déjà du matériel quand j’ai fait le studio. Je suis associé avec Franck Eulry (arrangeur et réalisateur qui a longtemps travaillé avec, entre autres, Laurent Voulzy, NDR) et l’idée était d’avoir une console analogique. Je ne voulais pas d’une télécommande Pro Tools parce que ça ne m’intéressait absolument pas de payer une surface de contrôle pour avoir des boutons qui tournent et qui font un truc que tu peux faire dans un ordinateur, ça coûte cher… enfin bref, ce n’était pas mon truc. Et puis ça voulait dire une console au milieu de la pièce donc, non, ça ne m’intéressait pas. Et puis l’idée d’avoir des modules qui font des choses différentes, mais de qualité, où chaque module est optimisé… plutôt que d’avoir une console où tu te dis « tiens, le monitoring il est naze », tu vois ce que je veux dire ? Par exemple, sur les SSL, si tu prends la 4000, eh bien, le monitoring, ce n’est pas de la bombe atomique…
Alors justement, en parlant de monitoring, il y a une section monitoring sur l’API, mais je crois que tu te sers du Grace Design, qui te permet du coup de gérer le 5.1…
Oui, le monitoring de l’API est bypassé et j’utilise le Grace Design (m906 NDR) qui gère le 5.1 et toutes les sources (analogiques et numériques) que je peux avoir dans le studio… En plus tu peux offsetter toutes les sources numériques les unes par rapport aux autres, ça gère différentes écoutes stéréo et 5.1 avec possibilité de calibrage d’écoutes et d’enceintes…
… Donc tu peux écouter ton mix en 96 kHz et une source externe en 44,1?
Oui, je peux avoir le retour de mon système Pyramix en 96k et le Pro Tools qui lui revient en 44,1, tout ça en passant à travers les mêmes convertisseurs du m906. J’écoute donc toujours les « mêmes sons ». J’ai toute ma bibliothèque iTunes qui est connectée en numérique aussi donc quand j’écoute un CD de référence, j’écoute toujours le même convertisseur. C’est un truc de mastering et, justement, je voulais en faire donc je vois ça comme un « nodal de monitoring » en quelque sorte. Quand je tourne mes mixes, le Mix Bus de l’API rentre dans le convertisseur Lavry et j’écoute le retour numérique de mon Lavry, tout simplement, à travers le convertisseur de monitoring du Grace Design.
Mais d’après ce que je vois, dans ta sommation, tu n’as pas que l’API, tu as aussi un sommateur Manley et un Chandler… Comment gères-tu ton l’assignation de tes pistes ?
Effectivement, j’ai deux autres sommateurs qui arrivent dans l’API. Sur l’API j’ai déjà pre-câblé 16 compresseurs sur chacune des 16 voies de la console donc en fait dans l’ordre j’ai les Daking, les LTD-2, en 5–6 c’est le Neve 33609, en 7–8 c’est le Alan Smart C2, le Chandler TG1 sur 9–10, en 11–12 c’est le Thermionic Culture Phoenix, 13–14 c’est pour les LA3A, en 15 c’est le Retro 176 là-haut et en16 le Retro STA Level. En ce qui concerne l’API donc, ça veut dire que j’ai un compresseur et une EQ par tranche sur 16 voies. C’est comme si j’avais 16 voies de console SSL sauf que j’ai des compresseurs différents et une EQ API sur chaque tranche.
Ensuite il y le Manley où j’ai branché des EQ API avant l’input du mixer; je peux insérer par la suite les compresseurs qui restent : les UA 1176, le LA2A, le (Inward Connection) Vac-Rac, les Manley, les Millennia. Tout revient au patch donc je peux assigner mes périphériques où je veux, mais voilà un peu mes 2 configs de base. Tout ça est noté dans l’I/O setup du Pro Tools. Quand je veux envoyer une source dans le Neve 33609 par ex, j’assigne sur « Neve » et je sais que la source va atterrir en 5 sur la console par exemple. Si je veux l’envoyer dans le TG1, ça va sortir en 9, etc. Après, rien ne m’empêche de tout changer au patch mais l’intérêt, c’est qu’avec une config comme ça, je peux travailler vite en sachant où j’envoie mes sources.
Mais du coup tu ne te sers pas du tout des Hardware Insert de Protools ?
Si, je m’en sers sur la voix ou quand je veux faire des suivis post-compresseur, parce qu’effectivement, j’ai besoin de suivre des mots. Après, je ne suis pas un gros fan de suivis donc, sur la majorité des instruments, j’en fais très peu. Sur l’API par exemple je n’ai pas pris l’automation, elle coûte une fortune et je ne suis pas sûr qu’elle soit très fonctionnelle. Je fais toutes les automations dans Pro Tools et quand ça nécessite une automation post-traitement, c’est là que j’utilise le Hardware Insert. Cependant je suis en train de « Beta Tester » une interface avec des VCA pilotables via Pro Tools, désignée par Scott Greiner Enterprises. Je n’ai donc juste qu’à faire mes suivis dans Pro Tools et je peux patcher le VCA où je veux par rapport à mon traitement dynamique.
Voilà un procédé qui devrait trouver son public ! Parce qu’alors, quand tu fais une automation dans Pro Tools avant d’attaquer une voie de l’API sur laquelle un compresseur est branché en insert, c’est finalement le signal d’entrée dans le compresseur qui varie, donc ça change le comportement du compresseur…?
Oui c’est sûr, mais après il y a différentes écoles. Certains sont très friands d’automations et font beaucoup d’automations post-traitement; ils sont habitués à travailler comme ça. Pour ma part, je passe beaucoup de temps sur la balance et je ne suis pas un gros fan des automations qui n’en finissent plus, je me suis habitué à faire mes automations dans Pro Tools et du coup, à régler mes machines en conséquence aussi. Jusqu’à présent, je n’ai pas eu de plaintes donc… (Rires) Ça va avec ma façon de travailler. Sur une piste de basse tu vois, je ne vais pas faire 10 milliards de suivis non plus ! Si à un moment le bassiste a joué trop fort, je n’ai pas spécialement envie que le compresseur compresse plus, j’ai juste envie d’avoir la « couleur » que te donne le compresseur, pas qu’il compresse plus parce que c’est plus fort en entrée. Du coup je fais un suivi sur la piste et il compresse de façon homogène du début jusqu’à la fin. Donc tu vois, les 2 se font. Cependant, l’utilisation des VCA pilotables par Pro Tools me semble être le meilleur compromis. Et ce que je teste ces jours-ci fonctionne très bien. J’espère pouvoir bientôt acheter 2 machines à Scott Greiner soit 36 VCA de très haute qualité.
Pendant que l’on est sur le volet technique, est-ce qu’il y a des choses que tu fais quasiment systématiquement au niveau des traitements ? Puisque tes inserts sont toujours câblés sur les mêmes tranches, tu dois avoir des compresseurs, des périphériques et des chaînes de traitement « préférées »? Ou t’arrive-t-il de tout changer ?
Non, je ne change pas beaucoup parce que tu as toujours des trucs un peu favoris sur tel ou tel instrument. Après, c’est toujours pareil : pour faire des essais, il faut avoir le temps ! En fait tu t’aperçois que quand tu mixes, tu as toujours quelque chose à faire et il faut vraiment avoir le temps pour tester une machine. Donc en fait, il y a des trucs que j’utilise régulièrement sur la batterie ou sur la voix, j’utilise pratiquement toujours la même chaîne, parce que je sais que ça marche. Je pourrais essayer 10 milliards de choses, mais en même temps… Tu imagines le nombre de combinaisons que tu pourrais faire avec tous ces périphériques?… À un moment, tu ne t’en sors plus ! (Rires)
Justement, sur la voix, qu’est-ce que tu utilises ?
Pour les compresseurs, ça change un peu en fonction des voix, mais généralement concernant l’EQ, j’utilise toujours le Manley Massive Passive. Et pour les compresseurs, j’ai des périodes (Rires) : à certains moments je vais utiliser le Retro 176, parfois ça va être le Universal Audio 1176, sinon le LA2A… Ça dépend des voix. Là je suis plus dans ma phase Retro 176 parce que c’est un des derniers trucs que j’ai acheté, c’est aussi simple que ça ! (Rires) Non, il est vraiment bien, mais parfois je ne m’en sers pas parce que ça ne colle pas avec la voix, tout simplement. Parfois, j’ai envie d’un truc compressé différemment, plus violemment pas exemple, avec une couleur différente donc je change… Le Vac-Rac aussi, je l’insère sur la voix de temps en temps, c’est un compresseur que j’aime bien. Et voilà, ça, c’est ma chaîne.
Le Vac-Rac, tu t’en sers sur quoi habituellement ?
Vu que c’est un limiteur, ça marche bien sur les instruments que tu veux limiter un peu tout en restant « discret »… Sur les basses ça marche bien. Sur les basses qui font « tong-tong-tong-tong » (mimant une basse jouant des doubles-croches), tu le vois bosser, tu te dis « Waoh, qu’est-ce qu’il fait ? ». Tu vois l’aiguille bouger et tu te dis « c’est bizarre, pourquoi elle bouge là ? » et en fait, tu ne l’entends pas. Enfin, tu ne l’entends pas… Je veux dire, quand tu l’enlèves, tu te dis « ah ouais, d’accord ! » Et là tu te rends compte qu’il te manque! Mais tout le monde n’aime pas ! Moi j’aime bien. Après, dans le même registre, sur la basse, j’aime bien le Retro Sta Level.
La réédition du fameux Gates Sta Level ?
Oui et apparemment, la réédition vaut bien l’original. Tu compresses à fond, ça tient le truc et tu ne l’entends pas « pomper ». Sinon, après, sur les batteries, ça dépend comment c’est enregistré. Mais j’aime bien les LTD-2 sur les kicks/snares, ça dépend. Parfois je mets le Neve 33609. Le Chandler TG-1 j’adore aussi ; il donne tout de suite un son « typé ». Après les Daking (FETII), c’est vraiment bien; il y a des transfos Jensen à l’intérieur je crois, c’est assez transparent et pas très cher en plus. Sur le mix que je viens de faire, j’ai mis ça sur la batterie par exemple. L’Alan Smart C2 aussi, j’aime bien sur la batterie. Après le LA3A… j’aime bien sur la basse aussi.
Et sur les guitares acoustiques ?
Pas forcément. Non, généralement, sur les acoustiques je mets plutôt les Daking. Tu peux compresser pas mal sans que ça s’entende, c’est plutôt assez impressionnant. Et puis voilà, après ça dépend des couleurs ! Quand je fais un truc basse/batterie/guitare, c’est un peu le setup. Mais parfois je vais changer et je vais mettre les ambiances ou les overheads dans le C2, les toms dans le Neve par exemple ou l’inverse; ça ce sont des choses que je peux changer.
Et au niveau de la sortie console ?
Je viens de craquer pour le Shadow Hills Mastering Compressor, une machine 5 U avec 2 compresseurs à l’intérieur. C’est mon dernier investissement, je commence à dompter la bête et j’adore voire bouger ses énormes VU mètres et tourner ses gros boutons… (Rires)
On parle de tes périphériques analogiques, mais quid des plug-ins, toi qui mélange le « meilleur des deux mondes »…?
C’est vrai qu’en termes de compression par exemple, ce n’est pas ce que je vais utiliser en premier. Après, ça dépend, on peut compresser pour compresser ou pour donner une certaine couleur au son. Et il y a des plugs qui peuvent créer de la dynamique sur un signal que tu ne peux pas avoir avec un périphérique analogique… Par exemple j’aime bien le Softube FET compressor. Ce que j’aime sur ce plug, c’est que tu peux doser le signal wet par rapport au signal dry, ce qui reprend un peu le principe de la compression parallèle… Ça existe sur certains compresseurs analogiques, mais c’est plutôt rare. Au niveau des EQ, les plugs sont bien quand tu veux couper une fréquence de manière chirurgicale ou quand tu veux créer une automation d’EQ… Ça, c’est cool. Il y a des choses que les plugs te permettent de faire plus facilement et plus rapidement qu’avec de l’analogique.
Et puis, il y a des plug-ins qui font des choses qui n’existent pas en outboard, ou qui sont plutôt rares. Je pense à certains plug-ins d’effets, des bit crushers, des distorsions numériques. Je n’en ai pas des wagons, mais j’ai les SoundToys, un pack Waves, l’Altiverb et Speakerphone. Speakerphone, c’est typiquement le genre d’effet que tu peux difficilement trouver en outboard… L’Altiverb, également, qui est une super réverbe. De toute façon, je ne suis pas un fou des effets, je reste dans des trucs « simples ». J’utilise beaucoup mon Echoplex ou ma Chorus Echo à bandes par exemple.
Mais voilà, il y a des choses que le Pro Tools et les plug-ins te permettent de faire que tu peux difficilement faire en analogique. Ou alors, tu peux les faire, mais ça va te prendre plus de temps. Et c’est pour ça que mon Pro Tools est au centre de mon setup. Je peux régler mes effets et faire mes automations à la souris, ça ne me dérange pas, j’ai été habitué comme ça ! Chaque personne a ses méthodes et, pour moi, la souris, un Faderport et tout va bien ! Cela ne m’empêche pas de rester très attaché à l’analogique !
« Tu ne peux pas avoir les mêmes recettes qu’Andy Wallace mixant des groupes de rock quand tu fais un groupe de musique mandingue du Mali. » |
Justement, ton setup analogique est vraiment optimisé pour tes méthodes de travail. Mais cela ne t’empêche pas de changer de setup, contrairement à certains ingénieurs notamment, qui ont une chaîne de traitement pour un type d’instruments et qui se collent à ça tout le temps, avec le fader toujours à la même position…?
Oui, mais c’est quelque chose que je peux comprendre; ça m’arrive aussi de fonctionner comme ça. Après la différence c’est le style. Les américains sont souvent dans un « style », c’est-à-dire tu vas avoir Chris Lord-Alge ou Andy Wallace, ils font du rock et par conséquent ils ont des « recettes » comme moi je peux avoir quand je fais du rock, recettes que je n’utiliserai pas quand je fais un piano/voix ou de la chanson… tu vois ?
C’est vrai que tu as une discographie très variée. On parlait de Laurent Voulzy ou Alain Souchon tout à l’heure, mais effectivement, juste derrière tu te retrouves à faire Alpha Blondy ou faire du rock, comme avec Lenny Kravitz…
Oui, c’est vrai, ça m’arrive, mais ce qu’il y a en France, c’est que tu ne peux pas te spécialiser ou très peu… Et j’en ai pas spécialement envie. Tu peux avoir des goûts personnels, tu peux aimer le jazz par exemple, mais si tu ne fais que du jazz, ça peut être difficile. Certains y arrivent, mais c’est difficile… Après, en ce qui me concerne, j’aime bien faire plein de choses, j’aime bien apprendre de différents styles, je suis curieux. Je fais de la musique africaine aussi, j’en ai fait pas mal et j’aime ça : tu ne fais pas les mêmes choses. Ca n’est pas la même façon d’écouter, pas la même façon de mixer, tu n’es pas dans les mêmes « critères », ce ne sont pas les mêmes gens qui écoutent donc tu ne peux pas avoir les (mêmes) recettes qu’Andy Wallace va avoir en mixant des groupes de rock alors que tu fais un groupe de musique mandingue du Mali… Je ne vais pas faire la même chose. Je ne vais pas compresser les voix de la même façon, je ne vais pas égaliser les voix de la même façon non plus, ça n’a rien à voir. J’estime qu’il y a des trucs qui marchent bien pour faire du rock, je suis capable de « thrasher » les sons si ça me plaît et puis quand je vais faire du jazz, et bien je vais moins le faire et puis quand je fais de la musique mandingue, je fais de la musique mandingue, je vais pas faire du métal adapté à la musique mandingue !
Bien que, parfois, dans les rythmiques… (Rires)!
(Rires) Oui, c’est vrai que parfois, certains styles peuvent s’influencer ! Mais de là à partir sur le truc : « ouais, je ne touche pas à mon compresseur parce que c’est comme ça… » Par exemple, un chanteur mandingue, si tu vois les griots qui gueulent comme ça « Oaaaah », tu ne vas pas les compresser de la même façon que, je ne sais pas, Alain Souchon ou j’en sais rien… On n’est pas sur les mêmes critères de dynamique donc à un moment, il y a des trucs qui marchent et d’autres qui ne marchent pas. L’interprétation n’est pas la même.Tu as le problème de la langue française aussi qui, au niveau des accents toniques, est différente et qui change pas mal de choses au niveau de la compression. Pour les Anglo-saxons, c’est un peu différent. Après, je comprends ces ingénieurs qui, une fois leur setup mis en place, ne touchent plus à rien. Si je mixais des groupes de rock basse/batterie/guitares avec un truc, c’est sûr que je ne toucherais pas trop mes compresseurs et je pourrais envoyer 2 titres dans la journée ouais, c’est sûr !
RedLed : Oui et puis il y aussi les artistes qui viennent te voir pour une raison, parce qu’ils veulent sonner « comme ci » ou « comme ça » et si tu ne leur offres pas ça, si tu ne leur donnes pas ce qu’ils veulent, ils ne vont pas être contents…
C’est vrai, et puis certains ingénieurs américains font des trucs qui passent toujours à la radio; tout ce que les mecs touchent devient de l’or, c’est un cercle vicieux, ils sont toujours sur les gros projets. Mais bon, c’est une autre façon de faire. C’est comme en mastering. Je peux très bien faire un truc de hard rock demain, ça ne me gêne pas, et enchaîner sur un truc de musique de film avec un orchestre symphonique derrière. A priori, j’ai cette culture-là donc ça ne me gêne pas de le faire. Mais aux États-Unis, certains peuvent se spécialiser et ne faire qu’un seul style toute la journée, car le marché est beaucoup plus grand. Donc c’est sûr qu’à un moment, tu peux te dire : « ah ouais, je vais aller bosser dans tel studio ». On a tous des fantasmes ! Je peux comprendre qu’un musicien se dise : « je vais aller bosser avec l’ingénieur qui a fait untel et voilà ! » Le mec fait ça tout le temps, depuis 20 ans, alors évidemment il est compétent… En revanche, tu lui demanderais demain de mixer un album de musique mandingue, il appellerait au secours, je pense…! (Rires) Probablement !
J’ai passé une journée avec Greg Calbi. Là, j’ai compris ce que c’était le mastering. |
Bootz : Pour revenir sur le mastering, tu as évoqué le fait d’avoir ça en tête quand tu as pensé le studio. Qu’est-ce qui t’a amené en fait, toi qui étais plus ingénieur de prises et de mix à la base, à te lancer dans le mastering et à développer une certaine expertise là-dedans ?
C’est un peu bizarre… Au début, quand je mixais en studio, mes mixes allaient au mastering et je ne comprenais pas ce qu’il se passait. Quand j’y allais, je ne comprenais rien parce que je n’entendais pas du tout ce qu’ils y faisaient, je ne connaissais pas les écoutes et quand à la fin tu avais le résultat, que tu comparais – si tant est que tu puisses comparer – souvent j’avais cette frustration du genre : « m*** j’ai perdu un truc » ou « c’est moins bien »… Ca me trottait dans la tête et en 2002 je crois, après l’album d’Alpha Blondy, j’avais fait l’album pop-rock d’une chanteuse appelée Veronica Anticco et j’étais allé au mastering avec Greg Calbi à New York. J’ai réussi à leur (la production, NDR) vendre l’idée de le faire. Donc je suis allé à New York et j’ai passé une journée avec Greg Calbi. Là, j’ai compris ce que c’était le mastering.
D’abord c’est une paire d’écoutes qui sonne. C’est-à-dire que, lorsque tu écoutes ton mix dessus – même si ce ne sont pas les enceintes avec lesquelles tu as mixé, tu comprends ton mix, tu l’entends, avec la couleur de l’enceinte… Voilà, la première chose qui m’a frappé, c’était l’écoute. Après le matériel, il n’a pas 10 milliards de choses ; en revanche, c’est l’intégrité de sa chaîne qui fait « le truc ». J’ai également pu avoir un discours avec Greg Calbi que je n’avais jamais eu auparavant avec d’autres ingénieurs. Non pas que les mecs soient incompétents, pas du tout ; juste je n’entendais pas ce qu’ils faisaient et que je ne pouvais pas discuter avec eux de façon précise.
Techniquement, qu’as-tu découvert là-bas avec lui ? Est-ce que tu as découvert des choses nouvelles au niveau de la compression, de l’égalisation ?
J’ai d’abord découvert que déjà, quand tu entends bien, ça part bien ! Et si en plus tu peux discuter avec lui… ! Après je n’ai pas trouvé qu’il faisait 10 milliards de trucs. Il avait une EQ stéréo, il m’avait expliqué à l’époque le système de M/S aussi pour « élargir » le signal, procédé que je n’avais pas trop vu en France jusqu’alors… C’était en 2002.
Du coup je me suis très vite dit que je voulais moi aussi faire du mastering. Malheureusement, je n’avais pas toutes les compétences techniquement ni l’écoute, le studio… Quand j’ai fait le studio, je me suis dit que ce que je voulais, c’était pouvoir faire des productions de A à Z et pouvoir gérer l’enregistrement, le mixage et le mastering en disant : « voilà, ça c’est ma prod, vous la prenez ou vous ne l’aimez pas ! ». Et c’est comme ça que ça c’est fait, petit à petit…
Au moment où j’ai commencé le studio, Dyam (célèbre studio de mastering français, NDR) fermait donc j’ai racheté leurs enceintes. Je n’avais pas prévu de le faire si vite que ça, mais parfois, tu as des occasions, des opportunités qui font que. Ils vendaient un système Pyramix que j’ai racheté, ainsi qu’un Studer A827 1/2’’ et un TC Electronic M6000, que j’ai également rachetés. Je me suis équipé comme ça ! Après j’ai acheté mes convertisseurs Lavry DA924 et AD122–96, j’avais déjà du matériel et du coup je me suis lancé ! Pourtant, je n’en avais jamais fait auparavant…
Sans le live, je n’aurais jamais fait de mastering |
Donc tu t’es lancé dans l’aventure du mastering simplement par envie?
Il y a autre chose qui m’a fait venir au mastering. La façon dont tu analyses le son quand tu fais du mixage n’est pas du tout la même quand tu fais du mastering. Et entre temps, j’avais fait du live.
J’ai commencé à faire du live en 2003, pour la tournée de Voulzy et, auparavant, je n’avais jamais imaginé en faire. En studio, je ne parlais jamais en fréquence. À l’époque, je mixais tout sur SSL et je savais que, quand je tournais tel bouton, ça me donnait tel résultat. J’avais mes repères. Mais je ne parlais pas en fréquences. Je ne me disais pas : « Tiens c’est du 1k8, c’est du 6 kHz, etc. »… Sincèrement, c’était du chinois pour moi. Autour de moi, rares étaient les personnes qui parlaient en fréquence. Maintenant, avec l’arrivée des plug-ins, c’est un peu différent.
Quand tu fais du live, tu as un rapport analytique aux fréquences et tu ne peux pas t’amuser à essayer des trucs pour voir où il y a une bosse ou un creux. Le mec me disait : « il y a un peu trop de 160 ! » Et je le regardais : (il mime une moue d’incompréhension totale !) : « …ouais ! ». Et j’en ai eu marre donc j’ai appris. J’avais un assistant qui alignait le système et la discussion était hyper intéressante. Ça m’a aidé à compartimenter les fréquences et à parler en fréquences là où je parlais en « musique ». Ça m’a complètement servi quand j’ai monté le studio car, en plus de mon point de vue de mixeur, j’avais également un point de vue d’écoute plus « analytique ». Le live m’a vraiment servi à faire du mastering. Sans le live, je n’aurais jamais fait de mastering. Je n’aurais jamais eu cette oreille analytique en fréquence que le live m’a apporté.
Ce que tu fais en sono, c’est que tu adaptes ton système de diffusion à la salle et à ta musique. Tu bouges la courbe de réponse de ton système en fonction de ta musique et de la salle dans laquelle tu diffuses. En mastering, tu fais « l’inverse » : tu modifies la courbe de réponse de ta musique pour l’adapter à un maximum d’écoutes. Mais au final, c’est pour arriver au même résultat. C’est analytiquement différent, mais le but est le même. C’est vraiment le live qui m’a amené à faire du mastering.
Au début, j’ai essayé sur mes propres mixes et après j’ai demandé à des copains, notamment Stéphane Prin (Jean-Louis Murat, Debout sur le Zinc, NDR) de me passer des mixes et je me suis fait la main comme ça. Ce qui est marrant c’est qu’il était allé voir Greg Calbi pour masteriser un projet qu’il avait mixé ici. De mon côté, je m’étais amusé à faire un mastering, comme ça, pour moi, sur 4 ou 5 titres. Quand il a reçu son mastering de Greg Calbi, il a écouté il est venu me voir et il m’a dit : « T’avais pas fait un essai de mastering sur ce projet ? » J’avais effectivement fait un mastering mais, à l’arrache, comme ça. Je lui ai renvoyé, il a réécouté et il m’a rappelé : « Tu n’aurais pas du temps de libre là ?! » Ils aimaient des trucs dans ce qu’avait fait Greg Calbi mais, globalement, le groupe et lui préféraient ce que j’avais fait car l’esprit collait plus à leurs attentes.
Mais je fais ça de façon empirique. Je ne travaille pas du tout comme les ingénieurs de mastering que j’ai pu voir travailler. Je pars toujours du principe que c’est le résultat final qui compte. Si je dois faire 20 points d’égalisation avec 10 dB de gain sur un mixe, j’en n’ai rien à cirer si, à la fin, le résultat me plaît.
Après, si l’ingénieur adore son mix, qu’il souhaite le garder tel quel ou que je trouve le mix bien, je ne vais pas y toucher et refaire le monde ! Mais si je pense pouvoir améliorer le truc en y allant franco, je vais le faire. Tout dépend à qui tu t’adresses. Mais souvent, de plus en plus, il y a des trucs qui sont mixés à la maison et parfois, ce qu’on me demande au mastering, c’est presque du mixage… C’est vrai que tu peux aller super loin sur les mixes parfois, c’est hallucinant ce que tu peux faire au mastering… En bien, si possible ! Même moi j’en suis le premier étonné !
Justement, qu’utilises-tu comme équipement au mastering ? Tu parlais de ton Studer 1/2’’ que je vois là-bas…
Je m’en sers plus quand je tourne mes mixes sur bande. Au mastering, c’est toujours pareil, tout dépend du budget. La bande a un certain coût, mais si on me donne le budget pour le faire, oui j’utilise mon Studer au mastering. Ça ne veut pas dire que je vais l’utiliser systématiquement, mais je peux l’utiliser. Après, utiliser l’analogique demande un peu plus de temps. Et puis, il faut que les mixes « en vaillent la peine », qu’ils soient déjà bien équilibrés, etc.
Sinon, le coeur de mon système de mastering, c’est le Pyramix. Pourquoi Pyramix ? Parce que pour pouvoir faire un « vrai » mastering, il faut pouvoir réaliser une image DDP (Disc Description Protocol, NDR), que tu donnes à l’usine de pressage, si tu veux faire ça bien. Et Pyramix le fait. C’est un logiciel réputé pour l’intégrité de son horloge, etc. Après, c’est un choix parmi d’autres logiciels, mais c’est un logiciel qui fonctionne, je le sais donc bon… Par contre, je suis toujours aussi nul en editing dans le Pyramix ! Je suis tellement habitué à Pro Tools ! Je sais ce qu’il faut faire pour un mastering mais je ne suis pas le Speedy Gonzales de l’editing dans Pyramix !
Je pars toujours du principe que c’est le résultat final qui compte |
Et on n’a pas du tout parlé de prises, de micros !
Franchement, je ne suis pas un maniaque des micros ! Aussi curieux que cela puisse paraître, il y a des micros que je connais bien, qui fonctionnent bien et je me colle à ça ! Ça fait 20 ans par exemple que j’utilise les mêmes micros sur la batterie et je ne me prends pas la tête. Après, je dois passer à côté de certains bons micros. Aujourd’hui, il y en a plein de différents, des mieux, je ne sais pas… La prise de tête sur les micros de caisse claire, toms, etc. Ça n’est pas mon truc ! Quand tu sais ce que tu leur envoies comme pression acoustique et quand tu sais les traitements que tu fais derrière… À partir du moment où j’ai trouvé un setup qui me plaisait, je me suis tenu à ça. Si, j’ai changé mon setup d’overheads, car j’ai trouvé une paire de micros qui fonctionnaient bien ici. D’ailleurs, ce sont des micros à ruban Cascade Fat Head, ils coûtent une misère – je crois les avoir payés 600 euros – ils ont un transfo Lundahl et ils fonctionnent très bien !! Oui, il y a une petite bosse vers 600 Hz que j’enlève systématiquement, mais bon… je le sais et ça me va ! J’ai un set de micros basique, c’en est presque pathétique…! Des Sennheiser 421 sur les toms, Shure SM 57 sur la caisse claire, j’ai une paire de KM 184 pour les overheads quand je ne mets pas les Fat Head, Beta 52 sur le Kick… Après, toujours chez Cascade, j’ai un micro à ruban stéréo XY dont je me sers aussi, et qui n’est vraiment pas cher. Il me donne très vite une belle ambiance stéréo dans ma pièce. Dans une pièce, petite comme la mienne, ça marche bien. Pour les voix, j’ai un Neumann M149 et un U87. Mais, tu vois, rien d’ésotérique ! Tu ne peux pas investir dans tout et, étant donné que je fais plus de mix que de prises… J’ai préféré porter mon investissement sur les périphériques.
Tu restes malgré tout très diversifié dans tes activités !
Oui, ce que j’aime c’est la diversité. Un jour, je fais du mastering, le lendemain je fais un mix, il y a quelque temps j’étais avec Laurent Voulzy pour un concert sur un bateau qui partait de Naples… Une autre fois je suis rentré d’une semaine d’enregistrement à Bamako et à la sortie de l’avion j’allais faire un live avec Laurent et Rickie Lee Jones. C’est ça que j’aime bien : tu passes d’un truc à un autre, « du coq à l’âne »… (Rires) Chaque chose me ressource pour la prochaine. En revanche, quand je mixe un album, j’aime ne faire que ça pendant la période du mix, parce que cela nécessite beaucoup de concentration, « d’immersion ». Passer d’une semaine de mix à un mastering d’album puis à des concerts… Ça correspond à ce que j’aime faire.
Pour conclure, que penses-tu de la situation actuelle concernant l’industrie de la musique par rapport à ce qui se passait avant ?
Je trouve que l’expérience est injustement dévalorisée aujourd’hui. La personnalité passe un peu au second plan, le seul souci est : « Combien ça va coûter ? » Et il faut que ça ne coûte pas cher. Mais c’est malheureusement pour tous les milieux professionnels pareil. On a un peu l’impression de revenir en arrière. Ça n’est pas spécifique à la musique. La seule chose spécifique à l’industrie de la musique, c’est qu’elle a subi 2 crises, la crise économique globale et la crise du disque. Du coup, on est doublement touché.
D’un autre côté, les méthodes de travail ont changé. Aujourd’hui, je bosse tout seul dans mon studio ; généralement, quand je mixe, les clients arrivent en fin de journée pour me donner leur commentaire, ou alors je leur envoie un MP3 et ils me donnent leur retour pour les 2–3 modifications qu’il y a à faire… J’ai un meilleur rythme de vie, je ne fais plus les mêmes horaires non plus et, quand je regarde en arrière, je me dis : « Mais pourquoi on travaillait comme ça, à mixer pendant des heures, jusqu’à 3 h du matin…? » Ça n’est pas franchement humain, et pas plus productif ! Donc du coup, on s’adapte aussi. Et c’est vrai que, le fait d’avoir mon studio aujourd’hui, de pouvoir gérer mes séances comme je le veux – malgré la situation actuelle – je me sens vraiment mieux dans mes baskets aujourd’hui !
Sans prétendre à rivaliser avec notre maître à tous, Bernard Pivot, nous avons voulu poser quelques questions « directes » à Hubert Salou – le Hi – 5.
Ton meilleur souvenir de studio/ta meilleure séance ?
Il y a 5 ou 6 ans, j’ai enregistré et mixé une chanson au profit des victimes du Tsunami en Asie dans laquelle la plus grande partie des chanteurs français intervenaient. On faisait des horaires de fou, les chanteurs défilaient les uns après les autres, ils chantaient une seule ligne, tu sais comment ça fonctionne… (Rires) C’était au Studio Mega et, contrairement à ce que tu peux faire pour certaines séances de ce style où il y a 40 micros installés, j’avais pour ma part installé mon M149, ma chaîne de traitement avec mon EQ, mon compresseur, dont j’adaptais les réglages en fonction des chanteurs, tout simplement. Tout le monde est passé par la même chaîne et à la fin, ça marchait très bien !
Ah oui et un souvenir qui m’a marqué aussi, c’est quand j’ai bossé avec Lenny Kravitz. J’ai enregistré une session guitare/voix qui était filmée et des séances de cordes et cuivres entre autres… Il chante et joue tellement bien, il te calme direct… J’en avais les poils dressés ! Tu sais pourquoi il en est là ! (Rires)
Ton pire souvenir de studio (techniquement parlant)
Le pire ? Je suis vraiment obligé d’en parler ?! (Rires) Vous allez le publier non ?! (Rires) Bon, ok, c’était lors d’une séance dans un grand studio d’enregistrement parisien, tout devait se passer à merveille, avec du très bon matériel et tout est parti en vrille… Les casques ne marchaient pas, sur les micros il y avait une ronflette, le compresseur – je m’en souviens c’était un LA2A – l’aiguille ne marchait pas, tu ne savais pas ce qu’il affichait, s’il compressait ou pas…! Et c’est arrivé avec un artiste qui ne fait pas partie des moins connus… La maison de disques était là en plus, bref, tout était réuni pour que ça se passe bien et ça s’est passé « armoire » !! (Rires) Le cauchemar !! Je crois que j’ai même demandé à ne pas être payé tellement j’étais écoeuré ! Je leur ai dit : « Ne me payez pas, c’est pas la peine ! ». Quand j’y repense, c’était catastrophique ! (Rires)
L’artiste avec lequel tu voudrais travailler ? Et pourquoi ?
Si Freddy Mercury était encore en vie, Queen sans hésiter. Je viens de mixer Bohemian Rhapsody en 5.1 pour m’amuser, et ça me « met les poils »… !!! Non, non, je ne baisse pas les bras pour l’avenir ! (Rires) Après, il y en a plein, certains pour le style de musique, d’autres pour leur personnalité artistique… Il y a 10 milliards d’artistes avec qui je voudrais bosser ! Après, ça peut être des réalisateurs, comme Jon Brion (Crystal Method, Aimee Mann, Elliott Smith), qui n’est pas super connu, mais qui est très fort, par exemple… En France, oui, j’aimerais bien bosser avec Jean-Louis Aubert par exemple.
Dans tous tes équipements, si tu ne devais emporter qu’une seule machine et pourquoi ?
Ça, c’est pareil, je ne sais pas !! UNE seule machine??! Ah non, je ne peux pas…!! (Rires)
Bon, OK, il y a une inondation dans ton studio et tu dois ne garder qu’une seule machine ! (Rires)
Je les prends toutes !! (Rires) Non franchement, c’est difficile à déterminer, mais, à la limite, un truc un peu « personnel » que j’aime vraiment, c’est le Manley Massive Passive. C’est une EQ un peu « atypique » qui t’amène quelque chose d’un peu différent de ce que tu peux trouver dans tous les studios…
Une citation favorite concernant la musique ?
Je ne suis pas très « grandes phrases », même si j’ai des bouquins sur la musique ! (Rires) Après, l’autre jour j’avais une discussion avec Voulzy qui me disait se souvenir d’une phrase que je disais tout le temps, mais sur un volet technique : « Le résultat final dépend du plus mauvais élément ». En électronique, c’est ce que tu apprends. Ce qui est absolument faux, si on l’applique à la musique par exemple !