Il y a une vie en dehors des mastodontes de la banque orchestrale, et Audiofanzine s’en fait régulièrement l’écho. C’est aujourd’hui Audiobro et la version 2 de ses LA Scoring Strings qui passent au crible.
Longtemps le rêve de l’orchestre virtuel n’est resté qu’un… rêve, faute de puissance, de capacité de stockage et de gestion de la mémoire de nos pauvres bécanes, sans parler des capacités de l’hôte lui-même, la solution retenue semblant être l’échantillonnage. Quelques grosses workstations hardware proposaient cependant des solutions qui, sans être d’une fidélité irréprochable, permettaient de créer des pièces aux sonorités orchestrales suffisamment définies (les K2500/2600 équipées des Rom Orchestral, par exemple).
Mais, en tenant compte de la loi de Moore, il était raisonnable de penser qu’un jour ou l’autre des banques proposeraient à la fois réalisme, jouabilité et performances à la hauteur des attentes. Ainsi l’arrivée des bibliothèques signées Miroslav Vitous, puis de la Vienna Symphonic Library, des Halion String Edition, Kirk Hunter Diamond Orchestra, EWQL Symphonic Orchestra, Project SAM Orchestral Brass, Sonic Implants Symphonic Collection, du Synful Orchestra, du Wivi Player (ces deux derniers utilisant la modélisation) et bien d’autres (liste non exhaustive) a enfin donné au compositeur, à l’arrangeur et à l’orchestrateur de nombreux outils performants, avec de plus la possibilité de mélanger les banques entre elles. D’autres éditeurs se sont tournés vers la résolution de problématiques particulières, comme Orchestral Tools ou Sonokinetic (on trouvera facilement sur Audiofanzine de nombreux tests consacrés à la plupart de ces banques).
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Quelques-unes sont passées sous nos radars, ou bien nous n’avons pas eu l’opportunité de les tester à l’époque de leur sortie. Heureusement les mises à jour importantes permettent de rattraper ces manques.
Ainsi, aujourd’hui, de la bibliothèque LASS signée Audiobro, mise à jour dans une version 2 apportant de nombreuses améliorations et nouveautés. À sa sortie, elle avait fait beaucoup de bruit, grâce à une conception autour de réels divisi (on y reviendra), ce que peu de banques proposent (on peut penser notamment à 70 DVZ Strings d’Audioimpressions, un peu plus chère que LASS2, 1499 $ contre 1399 $). Son créateur, Andrew Keresztes, et selon l’argumentaire maison (donc sous réserves), s’est décidé à passer du côté de l’édition pour répondre à des manques qu’il avait constatés dans les produits concurrents lors de leur utilisation (il est lui-même compositeur).
Introducing Audiobro LA Scoring Strings
La bibliothèque est conçue pour Kontakt (à partir de la version 5.0.2, y compris Kontakt Player), et donc compatible Mac et PC (voir les caractéristiques propres de Kontakt sur le site de Native Instruments). Grâce à l’utilisation de la dernière version du sampleur et de son algorithme de compression non destructif, le poids de la bibliothèque a été réduit à 16,4 Go (équivalent à peu près à 24 Go une fois décompressé), alors que la première version affichait à peu près 40 Go.
Après achat (actuellement 999 $ soit à peu près 760 euros), et une fois enregistré sur le site de l’éditeur, on installe un gestionnaire de téléchargement, l’Audiobro Download Center, qui prendra tout en charge, y compris la décompression des fichiers et leur installation. Seul petit reproche, si l’on utilise un autre ordinateur que celui destiné à recevoir LASS2, la copie de l’un à l’autre semble oublier quelques fichiers graphiques, et l’interface utilisateur apparaîtra incomplète. On peut y remédier facilement en ne téléchargeant sur l’ordi hôte que la version n’incluant pas les échantillons.
L’opération terminée, on importe la bibliothèque dans Kontakt via l’onglet Add Library et la procédure d’autorisation habituelle. Sur le disque dur, on dispose d’un dossier Instruments offrant 11 familles, d’un dossier Multis proposant quatre sous-dossiers, les échantillons et fichiers propres à Kontakt ainsi que deux manuels qui, sans être copieux (28 et 49 pages), n’en sont pas moins très détaillés et permettent de prendre en main rapidement la bibliothèque.
Concept et réalisation
LASS, puis LASS2, ont donc été conçu pour contourner un des problèmes majeurs des bibliothèques de cordes, celui de la gestion de notes multiples au sein d’une même section. Par exemple, supposons que l’on veuille faire jouer trois notes aux premiers violons (supposons, hein, même si on a parfois quatre voix réparties sur les violons I et II ou quatre violons solo et même six altos solo dans Le Sacre du Printemps ou des accords de quatre notes dans les violons I chez Mahler dans la 5e…). Quelques éditeurs proposent deux sections, premiers et seconds violons, généralement répartis en 16 et 14 instruments. Ce qui permet déjà de jouer sur les deux pupitres, même si ce n’est pas le but recherché. Mais c’est déjà pas mal. En revanche, si l’on joue ces trois notes en accord avec un programme du type 14, 16, 18 ou 24 violons (voire 30, premiers et seconds mélangés) comme on en trouve chez certains éditeurs, on obtiendra des sections correspondant respectivement à 42, 48, 54 et 72 violonistes (90 avec un programme 30 instrumentistes) ! D’où une impression de grosseur, de volume, de masse sonore totalement irréaliste.
Le premier intérêt de LASS2 a donc été de proposer réellement des sections divisi, pour chaque pupitre, premiers et seconds violons, altos, violoncelles et contrebasses. Ainsi, on dispose à chaque fois d’un programme dit Full, avec 16 instrumentistes, de deux programmes A et B offrant chacun quatre instrumentistes, et d’un programme C, disposant de huit instrumentistes.
Par exemple, voici les trois notes de tout à l’heure, jouées par le programme Full, crescendo via la molette (soit l’équivalent de 48 premiers violons…).
Et maintenant, ces mêmes notes réparties sur les trois programmes A, B et C (rappelons que tous les exemples du test sont sans aucun effet, à l’exception des Stage & Color, qui utilisent les effets inclus).
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Étonnant, non ? Et comme Audiobro fait bien les choses, il a aussi fourni un programme dit First Chair, le premier soliste de chaque section. Que l’on peut donc ainsi rajouter si l’écriture le demande. On trouve même un II FC, qui est dérivé du premier (donc utilisant les mêmes samples, mais traité de façon à éviter tout problème de phase). C’est Byzance !
Bien entendu, on retrouve cette architecture dans quasiment toutes les familles de programmes, Legato Sustains, Legato Tremolos, Legato Trills, Pizzicato, Sordinos Sustains, Spiccato et Staccato. Seuls les programmes offrant ce que l’on peut considérer comme des effets ou des techniques de jeu particulières y échappent (Bartok Pizzicatos, Aleatoric (FX), Harmonics).
Un dernier exemple avec les Cellos en mode Legato Tremolos, d’abord avec le programme Full.
Puis en divisi.
La différence saute aux oreilles, d’abord en termes de masse sonore, ensuite dans l’exécution, qui laisse entendre plus de vie dans la partie en divisi, les tremolos étant légèrement différents. On apprécie aussi le fait que l’éditeur n’ait pas proposé des échantillons trop propres, le grain et les « défauts » permettant d’offrir un peu plus de réalisme. Et la possibilité d’utiliser ou non les échantillons de relâchement qui participe à la véracité du son.
Bien sûr, il y a aussi parfois, des bouclages audibles (ici les deux petits coups boisés répétés), mais ils sont plutôt rares par rapport au nombre d’échantillons proposés.
Legato et la cerise
Une des très grandes forces de la bibliothèque est sa gestion des legato. Que ce soit sur des notes tenues, des tremolos ou des trilles, la bibliothèque n’est jamais prise en défaut, et répond de façon appropriée au jeu en temps réel. À cet effet, de nombreux paramètres sont disponibles, les plus évidents étant l’activation du mode, son déclenchement via Midi CC ou le temps en millisecondes permettant de détecter un jeu en accords plutôt qu’un jeu note à note (voir aussi encadré). Au sein d’un même programme, on peut ainsi disposer des articulations Glissando, Portamento ou Legato selon la vélocité, la gestion du volume se faisant par la molette. Voici un exemple utilisant le Cellos C Leg Sus (soit quatre instrumentistes).
Puis la même phrase par le Cello FC et le Cellos A.
Et pour finir, comme l’éditeur offre un deuxième soliste, les deux ensemble :
On apprécie, entre autres, la sensation d’écrasement de l’archet sur la corde sur les volumes élevés, loin d’une volonté de « propreté » un peu stérile.
Mais Audiobro ne se contente pas des programmes aux notes tenues, il offre aussi tout un assortiment d’articulations courtes, Spiccato, Staccato et Pizzicato (y compris à la Bartok). La particularité de ces articulations est de disposer de l’ART 2.0, qui permet d’appliquer un rythme à une note ou un accord (activation via la pédale de volume), suivant une grille en simple, double ou triolet de croches, sur deux à sept battements. On dessine la vélocité de façon bipolaire, avec possibilités de sauvegarde du rythme ainsi créé, et déclenchement via KeySwitches. De nombreux réglages sont fournis pour affiner le tout.
Par exemple, voici un Multi constitué des articulations Spiccato des Violas. Le mode Auto Arranger est activé (voir encadré). D’abord, un accord est joué sans activer l’ART et l’Auto Arranger, donc joué par toutes les articulations, puis en activant les deux fonctionnalités, ce qui a pour effet non seulement de déclencher le pattern rythmique sélectionné mais aussi de router selon les paramètres choisis (manuellement ou via préset) les notes de l’accord dans les différents divisi. Et tout cela est disponible pour toutes les articulations courtes. Brillant.
Mais. Car il y a un mais : comment faire pour changer plusieurs paramètres ou présets rythmiques d’un coup ? Pas de soucis, à cet effet LASS2 nous présente l’une de ses plus grosses nouveautés (voir toutes les autres en page d’accueil de l’éditeur) avec l’ARC. Mékèsse ?
Audiobro Remote Control, sur scène et en couleur
Tout simplement une gigantesque télécommande pouvant prendre en charge quasiment toutes les fonctions principales des programmes, tout en apportant aussi des réglages exclusifs à la plateforme ARC, à savoir Stage & Color, un système permettant de transformer la « couleur » sonore de la bibliothèque de manière à la faire correspondre à des sonorités typiques, notamment inspirées de musiques de films célèbres (on y reviendra).
La partie Remote Control ouvre sur sept sous-fenêtres, donnant accès aux réglages de Legato, d’Auto Arranger et Delay et Harmonization, de tables des contrôleurs continus Midi, d’outils d’accordage, à un EQ paramétrique trois bandes, et d’une matrice de chargement (Set Up) de 16 programmes avec réglages de volume et de pan indépendants, que l’on pourra sélectionner via KeySwitch (paramétrables dans la sous-fenêtre dédiée, située dans les Performance Tools, offrant huit ensembles séparés de KS). Donc changement d’articulations et de rythmique en temps réel, commande simultanée de plusieurs sections à la fois, déclenchement de rythme synchronisé, le tout avec profusion de raffinements et réglages.
Voici un exemple sur les Violins I, passant diverses articulations et divers rythmes.
Puis vient la section Stage & Color. Ici, on modifiera la sonorité des cordes grâce à un ensemble de réglages, Dry, Color et Reverb combinant EQ, réverbe, convolution et autres procédés sonores permettant d’appeler des configurations de cordes basées sur celles de films célèbres, et bien entendu laissant toute latitude pour les mélanger entre eux. On dispose ainsi de trois rotatifs pour doser la proportion de chacun des trois éléments déjà cités, plus trois boutons d’activations offrant l’accès à des menus déroulants où l’on sélectionnera un paramètre Stage et un Color en fonction de ses envies.
Voici un exemple Dry, suivi de quelques présets d’origine.
Je vous invite à aller entendre et regarder les diverses vidéos créées par l’éditeur, qui en disent bien plus que ce que ne permet ce test. On les trouvera sur le site ou sur la chaîne YouTube d’Audiobro.
Téléchargez les fichiers sonores : flac.zip
Bilan
Très forte impression. C’est dit. Le concept en divisi est évidemment le point fort de la banque. Tout comme les Legato. Et les possibilités de programmation en profondeur. Et la gestion via Midi CC. Et l’ART. Et l’Auto Arranger. Et l’ARC. Et caetera.
Quelques défauts minimes, principalement de bouclage (comme d’habitude dans les banques de samples, direz-vous), ou l’éventuelle complexité de l’ARC pas forcément suffisamment détaillée ne minorent en rien la réussite du produit. Pour tout dire, j’ai fait le ménage dans mes banques orchestrales, et je n’envisage pas de travailler sans cette bibliothèque à l’avenir ; l’impact et le plaisir de jouer avec cette banque ont été tels, que je me suis acheté dans la foulée les LASS Legato Sordino 2. Un conseil : allez écouter les démos audio, et regarder les vidéos sur le site. Elles illustrent parfaitement les capacités de LASS2. Chapeau Audiobro.