Quand l'éditeur de plug-ins FabFilter s'attaque à un traitement, toute la communauté de l'audio logiciel est aux aguets. Et pour cause, les Hollandais ne nous ont pas habitués à la médiocrité : que ce soit leur égaliseur, leur compresseur, leur gate ou encore leur limiteur, chaque sortie fut couronnée de succès. C'est donc avec un bonheur non dissimulé que nous accueillons leur de-esseur...
Avant de commencer, faisons le point sur ce qu’est un de-esser. Le but de ce traitement est d’atténuer certaines consonnes d’une voix parlée ou chantée, comme les « s », les « z » ou encore les « ch », appelées sibilances, qui ressortent un peu trop sur certains enregistrements à cause du micro, de son placement, ou tout simplement du chanteur. Ces fréquences, situées entre 2 et 10 kHz, peuvent rapidement être agressives et il est parfois utile de les atténuer sans toucher au reste.
Dessine-moi un de-esser
Derrière le de-esser se cache généralement des traitements que l’on connait déjà : un compresseur, un égaliseur et/ou des filtres placés d’une certaine manière. On peut diviser les de-esser en trois catégories : les Broadband, les split-band et les égaliseurs dynamiques.
Le de-esser broadband est assez simple dans son fonctionnement : il s’agit en fait d’un compresseur classique, contrôlé par le même signal, mais égalisé et en sidechain. Il s’agit alors d’accentuer les fréquences incriminées via l’égaliseur, permettant au compresseur de se déclencher (et de réduire le niveau du signal) seulement quand les sibilances font leur apparition. Le problème, c’est que même si le temps d’attaque et de relâchement est très rapide, ce type de de-esser compresse tout le spectre à la fois. Si l’on baisse trop le seuil de déclenchement, le traitement peut s’entendre suivant la source. Or, un de-esseur se doit d’être « inaudible », dans le sens où le son traité doit rester naturel. Heureusement, il existe d’autres types de de-esser plus adaptés à certaines situations…
Le de-esser dit « split band » utilise aussi un compresseur, mais il divise en amont le signal en deux parties via un filtre de type crossover : d’un côté les fréquences qui nous embêtent (les sibilances) et que l’on va compresser, et de l’autre le reste du signal qu’on laissera tranquille pour ensuite remélanger le tout. L’avantage de ce système, c’est qu’une seule partie du signal est compressée et donc altérée, tout le reste est inchangé, ce qui a pour conséquence un résultat parfois plus efficace et des possibilités de traitement accrues (on peut pousser les réglages). C’est finalement le même principe que la compression multi-bande…
La troisième méthode est d’utiliser un égaliseur dynamique qui baissera le gain d’une bande de fréquence en fonction de son niveau en entrée. L’avantage, c’est que l’égaliseur ne travaillera que lorsque des sibilances feront leur apparition.
On pourra aussi parler d’automation, pour les adeptes du travail « a la mano » : on baisse le niveau ou on égalise juste sur la fraction de seconde incriminée. Cela peut être efficace, mais ça prend du temps… D’ailleurs on peut s’interroger sur l’intérêt d’acheter un plug-in de de-essing si on peut en « fabriquer » un soi-même avec un compresseur, un égaliseur et des filtres ? La question n’est pas forcément idiote, mais dans le métier d’ingénieur du son, la rapidité d’exécution et l’efficacité sont des paramètres importants. Si on peut donc accomplir une tâche (ici, réduire les sibilances en toute transparence) en quelques clics de souris avec à la clé un très bon résultat, l’investissement peut être envisageable.
Mais revenons à nos moutons, et installons le plug-in de FabFilter…
La DS du général
Comme à l’accoutumée avec FabFilter, l’installation et l’autorisation sont aisées et le logiciel est compatible avec à peu près tout : Mac, PC, VST (2 et 3), AU, AAX, RTAS, 32 ou 64 bit… Pour couronner le tout, le manuel (en PDF) est en anglais mais reste bien fait et va à l’essentiel. À l’ouverture du plug-in dans notre séquenceur (Studio One 2 sous Mac), l’interface graphique pointe le bout de ses pixels et dévoile de charmantes couleurs, de gros potards jaunes et tout plein d’informations graphiques qui seront, nous le verrons par la suite, fort utiles…
Déjà en partie séduits par le plug-in, nous plongeons dans les paramètres…
Commençons par les deux boutons qui seront les plus utiles (et qui sont aussi les plus gros) : « Threshold » (seuil en français) permettra de définir le niveau à partir duquel le logiciel commencera à travailler. Plus le seuil est bas, plus le de-esser s’activera souvent. Pour aider l’utilisateur à régler ce paramètre primordial, un indicateur visuel entourant le potard permettra de voir rapidement le niveau de modulation du signal. On aura ainsi une idée grossière de la valeur à appliquer, pour un réglage plus précis, il faudra se fier à ses oreilles… Nous le verrons, les retours graphiques, tout comme l’ergonomie, sont une des grandes forces du logiciel, comme c’est souvent le cas chez FabFilter… Cerise sur le pompon : un bouton « audition » frappé d’un logo ressemblant à un casque permet de n’entendre que ce qui a été atténué par le logiciel. Ainsi, l’utilisateur pourra vérifier rapidement s’il a bien réglé Pro-DS et que ce dernier ne « mange » pas certaines autres portions du signal par inadvertance. Si vous avez bien réglé votre de-esser, des grillons et une ambiance provençale devraient faire leur apparition (ss-ss-s-s-ss…)
Le potard « Range » permet quant à lui de régler le niveau de réduction maximal : plus vous poussez ce potard, plus le niveau des sibilances sera réduit. Juste en-dessous se situent les deux filtres passe-haut et passe-bas permettant de réduire le champ d’action de Pro-DS : en actionnant le bouton « audition », vous écouterez la bande passante sélectionnée et vous affinerez votre réglage suivant ce que vous voulez atténuer. Les « s » se situent généralement entre 8 et 10 kHz, tandis que les « ch » sont un peu plus bas, vers 3–4 kHz. Ce réglage permettra au plug-in de s’adapter à toutes les situations et à faire en sorte que le traitement soit chirurgical. Ajoutez à cela une aide visuelle affichant les fréquences qui ressortent le plus (un analyseur de spectre) et vous obtiendrez un paramètre relativement facile à régler.
Modes et bandes
Passons maintenant en revue les différents modes proposés : le premier et le principal est dénommé « single vocal » et sera utile lorsque vous voudrez traiter votre piste voix. Cela enclenche, d’après l’éditeur, un algorithme qui détecte les sibilances. Le mode « allround » sera utilisé sur des mix entiers, si vous voulez, par exemple, ajouter de la brillance en limitant les hautes fréquences. Ce n’est pas le rôle premier du plug-in, mais c’est toujours agréable de voir que Pro-DS peut être utilisé dans d’autres circonstances.
Juste en-dessous, le logiciel nous propose deux modes de fonctionnement : wide band ou split band. Rappelez-vous le début de l’article : le mode wide band agira comme un « broadband » et compressera la totalité du spectre lorsqu’une sibilance fera son apparition. Au contraire, avec le mode split band, seule la bande de fréquence incriminée sera compressée. Sur un enregistrement complet stéréo, on utilisera le mode split band pour ne pas affecter les fréquences plus basses. Le mode wide band est, d’après l’éditeur, parfois suffisant et plus naturel sur les voix seules, de plus il consomme moins de ressources et insère moins de latence. Il faudra essayer, écouter, et choisir suivant la source…
Bien entendu, le plug-in vous permettra aussi d’utiliser n’importe quel signal en side-chain, il faudra pour cela utiliser le mode externe. Cela peut être utile quand vous placez Pro-DS juste derrière un gros traitement de cochon (disto et compagnie) : il sera plus aisé pour le plug-in de détecter les sibilances avec le signal non traité qu’avec le signal distordu.
DS en MS
Avec un fichier stéréo, le potard « stereo link » s’activera automatiquement, vous permettant de rendre plus ou moins indépendants les canaux droit et gauche du signal. Au-delà de midi, le logiciel pourra même travailler en mid/side et ne traiter ainsi que ce qu’il y a au milieu du champ stéréo. Ceci peut être très pratique pour de-esser une voix (souvent au centre) dans un mix stéréo complet. Si vous voulez de-esser un des éléments situés sur les côtés (les choeurs, par exemple), vous pourrez aussi en ne traitant que le canal « side ».
Enfin, une fonction lookahead permettra à Pro-DS de « regarder » jusqu’à 15 ms avant que le signal atteigne le seuil fixé, afin d’éviter que les transitoires rapides passent au travers du traitement. L’éditeur conseille de garder une valeur autour de 10 ms afin de garder un son plus naturel. Il faut tout de même noter que cette fonction ajoute forcément une latence au traitement, ce qui est être problématique dans certaines situations.
Physiquement intelligent
Si les plug-ins de FabFilter font généralement bien le job côté son, ils ne déçoivent généralement pas non plus visuellement. Car même si on doit principalement se fier à ses oreilles lorsque l’on travaille sur de l’audio, il est parfois intéressant d’avoir des repères visuels pour gagner du temps. De ce côté-là, Pro-DS ne déçoit pas : une bonne partie de l’interface graphique est dédiée aux retours visuels. Dans la moitié supérieure, on peut ainsi avoir un aperçu en temps réel du signal, avec les zones traitées surlignées d’une bien jolie façon. Les zones non traitées restent dans l’ombre et à moitié transparentes. À noter qu’il est possible de cacher ce retour visuel, si on manque de place sur son écran, ou si on veut jouer en mode « hardcore » !
On retrouve aussi à droite un vumètre vertical permettant de contrôler le niveau en entrée et en sortie, un mode oversampling x2 ou x4 permettant de réduire l’aliasing en sacrifiant un peu de puissance processeur et en ajoutant un peu de latence. Toutes les petites douceurs habituelles sont aussi disponibles : un MIDI Learn, des boutons undo/redo, un bouton A/B afin de switcher rapidement entre deux paramétrages et un bouton « copy » afin de copier de A vers B ou l’inverse. On retrouve aussi quelques presets d’usine afin de commencer à travailler rapidement et il sera bien évidemment possible de sauver et rappeler les siens en quelques clics.
Maintenant que le tour du propriétaire est fait, essayons le logiciel sur quelques prises…
Les CHauSSettes de l’arCHi duCHeSSe…
Pour essayer ce plug-in, nous avons enregistré deux voix parlées, une première avec que des « s » et une autre avec des « ch » et des « s ».
Première chose: nous avons eu de très bons résultats assez rapidement sur la première prise. Pour ce faire, nous avons utilisé Pro-DS en mode « single vocal ». Nous avons d’abord enclenché le mode « audition » afin de repérer les fréquences qui nous embêtaient. Nous avons commencé avec une bande de fréquence large, un coup d’oeil sur le retour visuel nous a permis de rapidement cerner les fréquences et nous avons confirmé à l’écoute. Deuxième étape, nous avons réglé le seuil avec comme aide le retour visuel et le mode « audition » et nous nous sommes assurés que le logiciel n’affectait que les « s ». On s’est aperçu dès lors que la détection était assez redoutable : écoutez l’extrait sonore « s-only » ! Ensuite, nous avons réglé le range pour plus ou moins atténuer les « s » et c’était dans la boite.
- Red Led Dry Red Led 00:03
- Red Led S Only Red Led 00:03
- Red Led Wet Red Led 00:03
Le deuxième extrait contient des « s », mais aussi des « ch ». Ces consonnes se traduisent différemment en termes de fréquences. Pour l’exemple, nous avons mis deux instances de Pro-DS en insert de notre piste, nous avons réglé la première instance afin d’atténuer les « s ». Avec une bande de fréquences allant de 6 à 10 kHz, nous avons pu isoler facilement ces consonnes. Pour les « ch », nous avons dû sélectionner la bande de fréquences allant de 3 à 4,2 kHz environ. Pro-DS s’est révélé tout aussi efficace, les exemples audio en témoignent :
- Chasseur Dry Red Led 00:04
- Chasseur S Only Red Led 00:04
- Chasseur ch Only Red Led 00:04
- Chasseur Wet s Red Led 00:04
- Chasseur Wet ch Red Led 00:04
- Chasseur Wet s+ch Red Led 00:04
Pour finir, nous avons voulu atténuer le « ch » de Will Knox sur la piste de voix qui contient d’autres instruments, car elle a été faite « live ». Le logiciel n’a eu aucun mal à détecter cette consonne et nous avons pu l’atténuer.
- Will Knox Dry Will Knox 00:07
- Will Knox ch only Will Knox 00:07
- Will Knox Wet Will Knox 00:07
Conclusion
Que reprocher à ce Pro-DS ? Pas grand-chose, car il faut avouer que le plug-in est une franche réussite à tous points de vue : côté sonore il accomplit sa mission avec brio, permettant de réduire les sibilances et autres chuintements avec efficacité et naturel. Le petit dernier de Fabfilter ne consomme pas beaucoup de ressources, est compatible avec la majorité des plateformes, propose une ergonomie sans faille, une jolie interface graphique et des retours visuels pratiques. On pourrait discuter de son prix, fixé à 149 €, aussi cher que le compresseur ou l’égaliseur de la marque, alors que ce traitement reste fondamentalement moins utile et plus spécifique. Un prix de 129 € (comme leur distorsion Saturn) aurait été, d’après nous, plus ajusté.
Téléchargez les fichiers sonores (format FLAC)