Toujours en limitant le propos au domaine des enceintes, abordons dans ce dernier chapitre la question de la distorsion. Il est intéressant de comprendre pourquoi c’est une spécification qui est rarement affichée pour les enceintes, à l’inverse des amplis pour lesquels c’est toujours donné.
Une définition
On part du principe qu’un système de diffusion doit reproduire le plus fidèlement possible le signal audio source et qu’on fuit toute dégradation du signal. On ne parlera pas ici de la distorsion comme effet esthétique recherché. Il y a distorsion lorsque le signal sortant est altéré comparé au signal entrant (on exclut l’augmentation du niveau général). Selon les effets qu’ils produisent, on distingue plusieurs types de distorsion : la distorsion linéaire et la distorsion non linéaire (avec des sous-catégories dans chacune).
Distorsion linéaire : réponse en fréquence et en phase
La distorsion linéaire englobe les accidents dans la réponse en fréquence et en phase. Quand l’amplitude de toutes les fréquences n’est pas restituée avec la même exactitude et que le temps de réaction de l’enceinte n’est pas le même pour toutes les bandes de fréquences, cela constitue une distorsion du signal. Ce type de distorsion est dit « linéaire » parce qu’il ne génère pas de fréquences nouvelles : les fréquences en entrées sont celles en sortie, on ne fait que constater les écarts d’amplitude et de phase.
On représente par des courbes les réponses en fréquence et en phase. Une réponse idéale signifierait : pas d’écart d’amplitude avec la source et une latence qui serait identique sur l’ensemble de la bande passante de fonctionnement (pas de dépendance de la phase avec la fréquence). Évidemment, c’est un modèle théorique difficilement atteignable, surtout si on veut couvrir tout le spectre audible. Beaucoup de paramètres entrent en ligne de compte. Les haut-parleurs, les enceintes et les filtres sont des produits complexes et chacun contribue, à son niveau, à créer un peu de distorsion.
Exemple ci-contre de courbe de réponse en fréquence (bleue) et en phase (rouge) d’une enceinte de hi-fi. Le niveau de pression acoustique (dB SPL), à gauche, sert à lire la réponse en fréquence. L’angle (degrés), à droite, sert à lire la réponse en phase. En bas : les fréquences en hertz.
Distorsion non-linéaire : distorsion harmonique
La distorsion non linéaire rajoute au signal des fréquences qui n’étaient pas présentes en entrée. Parmi ces fréquences, on différencie les harmoniques et les autres. Un harmonique est un multiple entier de la fréquence fondamentale : par exemple, un sol à 392 Hz a pour deuxième harmonique 784 Hz (392 × 2), pour troisième 1568 Hz (392 × 3). Un son musical (donc avec un aspect périodique) comporte une fréquence dominante (la fondamentale : la longueur d’onde principale) qui caractérise la hauteur de note, et des harmoniques (des longueurs d’ondes proportionnelles), moins forts, mais qui contribuent beaucoup au timbre du son.
Le signal se décompose en cycles qui se répètent. La vitesse à laquelle les cycles se répètent caractérise la fréquence. La longueur d’un seul cycle est appelée la période.
En utilisant une fréquence pure (sans harmoniques, donc une onde sinusoïdale) comme signal, on peut mesurer le niveau d’émergence des harmoniques qu’on trouve à la sortie. On balaye ensuite la bande passante de fonctionnement, le résultat est un ensemble de courbes de niveaux (une par harmonique mesuré). On exprime la quantité totale de distorsion harmonique (THD) sous forme d’un ratio entre le niveau des harmoniques et le niveau de la fondamentale, soit en pourcentage, soit en dB, avec une indication du niveau général auquel la mesure a été faite, et la mention d’une bande passante. Par exemple : THD = 3 % pour 90 dB SPL (100 Hz – 20 kHz). Il est intéressant de considérer que dans le domaine psychoacoustique, la sensation de dégradation du signal n’est pas vraiment proportionnelle au taux de distorsion harmonique. Le deuxième harmonique en particulier, est souvent considéré comme pouvant ajouter de la « rondeur » au son.
Ci-contre, des courbes de mesure du THD d’une enceinte de monitoring Neumann KH420. En violet : distorsion harmonique totale. En rouge : 2e harmonique. En vert : 3e harmonique. À gauche est représenté l’écart de niveau avec la fondamentale. En bas, les fréquences. Le 2e harmonique de 10 kHz étant 20 kHz, limite supérieure de l’oreille humaine, la courbe s’arrête à 10 kHz.
Distorsion non linéaire : l’intermodulation
Les choses se compliquent lorsque le signal source est composé de plusieurs notes simultanées, avec chacune sa fondamentale. En plus de la distorsion harmonique apparaît un phénomène d’intermodulation ; des fréquences qui ne sont pas des multiples entiers des notes fondamentales apparaissent. Elles sont sans corrélation musicale avec les fondamentales et dégradent fortement la qualité d’écoute. Le taux de distorsion par intermodulation n’est jamais renseigné dans les spécifications d’enceintes (sauf à titre expérimental). L’intermodulation varie tellement selon les composantes du signal source, que les résultats ne sont pas vraiment significatifs.
D’une manière générale, les catalogues d’enceintes sont assez avares avec les mesures de distorsion. Elles sont compliquées à faire, le signal de test pour l’intermodulation n’est pas standardisé et les enceintes étant l’étage qui amène le plus de distorsion dans la chaîne son, les constructeurs n’ont peut-être pas envie de faire peur aux clients… Le taux de distorsion harmonique totale d’une enceinte peut facilement atteindre 5 %, et encore plus dans les basses fréquences. En comparaison, les amplis à transistors affichent souvent un THD < 0,1 % sur l’ensemble du spectre.