Légende de la fabrication de guitares Archtop, John D’Angelico laisse à sa mort, en 1964, un très bel héritage. Pourtant, l’aura de D’Angelico s’éteindra petit à petit. En 1999, un changement de propriétaires impulse une nouvelle dynamique : la marque étend drastiquement son offre et investit dans la communication. Que valent vraiment les nouvelles guitares de d’Angelico ? Nous avons testé le modèle EX-SS.
La catalogue actuel de D’Angelico se compose de quatre séries. La plus accessible est la série Premier, avec des instruments fabriqués en Indonésie. Viennent ensuite les séries Excel et Deluxe provenant de Corée. Elles sont toutes deux très similaires, mais les finitions et certaines caractéristiques sont plus travaillées au sein de la gamme Deluxe. Enfin, la série New Yorker s’inscrit dans la tradition de John D’Angelico avec des guitares réalisées à la main en plein coeur de New York.
Pour ce test, c’est vers le modèle SS de la série Excel que notre choix s’est porté. La SS n’est pas une guitare historique de D’Angelico, à l’inverse des modèles New Yorker, Excel, ou Style B. En effet, il ne s’agit pas d’une pure Archtop typée jazz, mais d’une demi-caisse lorgnant plutôt du côté des ES-335 et 330 de Gibson. Voici ses caractéristiques :
- Corps demi-caisse avec pan coupé, binding 7-plis, et deux ouïes en F
- Table, dos et éclisses en érable flammé laminé
- Manche en 3 pièces d’érable/noyer/érable, profil en C
- Diapason de 25"
- Touche en palissandre, 22 frettes Medium Jumbo, incrustations nacrées
- Tête avec placage en ébène
- Sillet en os
- Deux micros humbuckers Kent Armstrong Vintage 57
- Deux contrôles de volume, deux contrôles de tonalité, sélecteur à 3 positions
- Potards en ébène
- Chevalet Stairstep Tailpiece façon Art-Déco (la guitare est aussi disponible avec un Tune-O-Matic)
- Mécaniques Grover Super Rotomatic
- Pickguard tortoise
- Livrée en flight case
- Fabriquée en Corée
- Tarif : environ 1 500€
Bimbimbap
L’EX-SS marque d’emblée par la qualité de ses finitions. Habituellement, les marques se tournent vers une fabrication en Corée pour des modèles sans fioritures et peu onéreux. Malgré ses nombreuses incrustations et autres bindings, la réalisation s’avère impeccable sur notre guitare. Le format du corps est un juste milieu entre une solid body et une hollow body, et la prise en main est très agréable. Le manche est typé Gibson, avec une épaisseur relativement importante, mais est malgré tout très jouable. Les amateurs d’arrière satiné seront toutefois déçus. Ajoutons que l’EX-SS s’inscrit dans la tradition de D’Angelico grâce à son très joli chevalet en escalier façon Art-Déco et sa magnifique tête. Cette dernière est d’ailleurs un peu lourde et la guitare pique légèrement du nez, mais l’équilibre global est bon. Enfin, les mécaniques Grover Super Rotomatic font aussi leur effet avec un style très original. On regrettera toutefois que chacune n’offre pas la même résistance.
À vide, comme toujours avec les guitares Archtop, la guitare vit. L’accastillage se fait entendre, et le son est plus épais grâce à la caisse de résonance. La SS se démarque même par une étonnante saturation naturelle lorsqu’on égrène plusieurs cordes de façon un peu abrupte. Mais c’est surtout une fois branchée que la guitare se dévoile.
K-pop, K-rock, et K-jazz
Voici une série d’extraits présentant les sonorités de la SS. Les sons clairs ont été enregistrés avec un ampli Fender '65 Twin Reverb combiné à un simulateur de HP Two Notes Torpedo VB-101. Le tout rentre dans une carte son Steinberg UR22. Pour les exemples sonores saturés, nous avons ajouté à cette configuration la pédale King of Tone d’AnalogMan.
- 1 Clean manche 02:32
- 2 Clean intermédiaire 01:44
- 3 Clean chevalet 02:20
- 4 Drive manche 02:08
- 5 Drive intermédiaire 03:02
- 6 Drive chevalet 02:38
La guitare s’avère très polyvalente. Le micro manche est très rond et chaud. Il est clairement pensé pour le jazz et des sons très pleins. Le format demi-caisse apporte une belle résonance, et la guitare n’est pas trop sujette aux larsens. De plus, le potard de tonalité ne coupe pas drastiquement les aigus dans un premier temps. Il est utilisable sur une bonne partie de sa course, et permet d’arrondir finement le son sans trop assourdir le résultat. C’est un point très intéressant et rare sur une guitare électrique.
La position intermédiaire permet d’apporter un peu plus de tranchant, et fonctionne bien pour obtenir un son très épais avec de la saturation. Le micro manche et la position intermédiaire manquent un poil de définition pour les fortes saturations, mais ce côté « muddy » est idéal pour du blues.
Enfin, le micro chevalet apporte les sonorités rugueuses et claquantes qui manquaient à l’EX-SS pour s’épanouir dans différents styles. C’est idéal pour du rock, de la country, ou des ballades pop. Le micro reste précis même avec de la saturation, et s’adapte étonnement bien à des gains élevés.
Comme nous l’indiquions, les contrôles de tonalité sont très efficaces et bien dosés, et il en va de même pour le volume. La course est agréable, mais les potards en bois offrent un toucher particulier et il n’est pas facile de les agripper rapidement, ce qui fait craindre un manque d’efficacité pour les utilisateurs effrénés du contrôle de volume. De plus, ils sont assez éloignés des cordes. À l’inverse, le sélecteur est bien placé pour changer facilement de micros, et vous pourrez même baisser l’un des volumes pour un obtenir un effet kill switch comme sur une Les Paul.
Conclusion
L’EX-SS de D’Angelico a de sérieux atouts. La guitare est belle, bien finie, et mêle habilement un certain classicisme à des éléments esthétiques et sonores plus typés, dans la veine des vieux modèles Archtop de John D’Angelico. Sans être une pure guitare de jazz, la SS de la gamme Excel peut s’aventurer sur des terres jazzy grâce à son micro manche et ses réglages de tonalité. Les deux autres positions de micros offrent une polyvalence bienvenue qui rendra des styles plus rock ou pop accessibles.
Notre unique interrogation concerne le prix de l’EX-SS. Il n’est pas habituel de dépenser 1 500 € pour une guitare fabriquée en Corée, et il existe de nombreuses alternatives moins onéreuses chez Ibanez ou Epiphone par exemple. Le niveau des finitions nous a tout de même paru supérieur sur cette D’Angelico, et certaines caractéristiques propres à la marque sont appréciables (la tête, les mécaniques et le chevalet notamment). Sans être une guitare marquante, l’EX-SS tire donc son épingle du jeu en surfant sur le mythe de John D’Angelico. Mais cela suffira-t-il à rendre ses lettres de noblesses au fabricant ?