Ah la Casino ! Le destin de cet instrument n’aurait certainement pas été le même si, en 1964, un petit gars de Liverpool ne s’était mis en tête d’acquérir une Epiphone.
Complètement sonné par un après-midi d’écoute de musique blues en compagnie de John Mayall, le jeune Paul McCartney se mit en quête d’un instrument lui offrant les joies d’un feedback maîtrisé. C’est évidemment sur le modèle Casino que son choix se porta. Ses copains John et George, convaincus par les qualités de l’instrument, le firent également leur. Coïncidence ou pas, bien des années après, peu de guitares électriques Epiphone peuvent se targuer de susciter encore autant de fascination que ce modèle. Audiofanzine a eu l’occasion de mettre la main sur la dernière Casino en date commercialisée. Modèle signature de l’artiste américain Gary Clark Jr., l’instrument nous a séduits.
Naissance d’un mythe
Le modèle Casino naquit à Kalamazoo, dans le Michigan, en 1961. Mise à mal par la Seconde Guerre mondiale malgré sa longue et passionnante histoire, la firme de la famille Stathopoulos venait de tomber dans l’escarcelle de l’ennemi intime : Gibson. La bataille fut âpre, mais les $20 000 offert par le géant en devenir parachevèrent l’inévitable rapprochement. C’est donc dans ce contexte qu’apparut la guitare qui aujourd’hui nous réunit.
La guitare Casino avait été pensée comme la soeur jumelle de l’ES-330 de Gibson, mais estampillée Epiphone. Cette quasi-copie se différenciait essentiellement par sa forme légèrement remaniée au niveau du corps et de la tête. Hormis cela, l’ensemble des caractéristiques de l’ES-330 étaient conservé, dont notamment les micros P-90 et la caisse hollowbody sans la poutre centrale qui équipait l’ES-335 et la Sheraton. Au fil du temps, chaque modèle vécut sa propre vie, évoluant chacun à sa manière, et passant de main en main. Ainsi, de John Lennon à Dave Grohl, en passant par Keith Richards et Noel Gallagher, nombreux furent les grands noms de la musique à s’approprier l’instrument. Bref, la réputation de la Casino n’est plus à faire, et des artistes émergents perpétuent la légende. C’est notamment le cas de Gary Clark Jr.
Nouveau western
Malgré son nom, Gary Clark Jr. n’est pas le fils illégitime de Gary Cooper et Clark Gable. S’il fallait réellement lui attribuer de fantasques origines, gageons que Jimi Hendrix et Marvin Gaye seraient de la partie. Mais égrener les noms ne saurait rendre compte de l’éclectisme dont fait preuve le guitariste et chanteur. Véritable ode à la musique américaine de la seconde moitié du XXe siècle, l’œuvre de Gary Clark Jr. navigue allègrement entre blues, rock, country, soul, et hip-hop. Les nombreuses collaborations et scènes partagées avec des artistes tels que Jimmie Vaughan, Sheryl Crow, Eric Clapton, Alicia Keys, les Rolling Stones, ou encore les Foo Fighters, peuvent en témoigner.
Si l’artiste ne jouit pas d’une forte popularité en France, il fait depuis quelques années partie du paysage musical aux États-Unis. Parfois critiqué pour ses productions très calibrées et sa présence au sein de l’ogre Warner Bros., ses qualités de show man et ses performances à la fois vocales et guitaristiques en live font l’unanimité. Adepte de riffs furieux qu’il martèle quasi exclusivement sur des modèles Casino, Gary présente le profil type du musicien porte-étendard. Il n’aura donc pas fallu attendre longtemps pour qu’Epiphone se penche sur le cas Clark. En définitive, si certains choix d’artiste lors de parutions de modèles signature étonnent parfois, la légitimité du modèle Gary Clark Jr. « Blak & Blu » Casino, elle, ne fait aucun doute.
Touchez pas au Bigsby !
La guitare Gary Clark Jr. « Blak & Blu » Casino tire son nom du premier album commercial de l’artiste. Epiphone a en effet décidé de décliner le titre « Blak and Blu », pour le moins évocateur, en une finition Burst unique. D’un bleu profond en son centre, la guitare s’assombrit petit à petit pour laisser place à des contours parfaitement noirs. Le dos, les éclisses, l’arrière du manche, et la tête sont, quant à eux, intégralement noirs. Un binding Pure White sur le corps et sur le manche relève subtilement l’ensemble, et autant le dire tout de suite, la guitare a de la gueule. Elle est même très belle ! Nous avons tous été séduits à la rédaction par le look ravageur de l’instrument.
Côté bois, nous avons affaire à un corps en érable laminé, 5-plis bouleau/érable. Le manche collé est en acajou, et la touche en palissandre. Le tout est assemblé en Corée. Le diapason de la guitare est de 24.75", et le radius de la touche est de 14". Le manche est très agréable à jouer avec son profil 1960's SlimTaper en D. La guitare est déconcertante de facilité. Les 22 frettes se parcourent aisément jusqu’à la 16e case (jointure du manche), mais pas au-delà, l’accès aux aigus n’étant pas une priorité pour ce type d’instrument.
Les deux micros sont bien évidemment de type P-90. Il s’agit de modèles Gibson U.S.A P-90T pour la position chevalet et Gibson U.S.A P-90R pour la position manche. Les deux se comportent admirablement bien, avec ce son à la fois gras, chaud, et précis, typique de ces micros. Nos doigts se baladent, et les P-90 captent de façon puissante et subtile ces allées et venues.
Le chevalet est un ABR Tune-O-Matic tout ce qu’il y a de plus classique. Pour le cordier, deux choix sont possibles : cordier trapézoïdal ou vibrato Bigsby B700. Deux modèles de la Gary Clark Jr. « Blak & Blu » Casino existent donc, l’un avec Bigsby, et l’autre sans. Mais c’est bien la version avec Bigsby qui nous intéresse aujourd’hui. J’en profite d’ailleurs pour indiquer qu’Epiphone nous a aussi prêté le modèle sans Bigsby, mais il était si mal réglé, qu’il nous était impossible de comparer les deux guitares… Espérons qu’Epiphone/Gibson fasse un effort la prochaine fois !
J’ai beaucoup aimé la précision d’accordage qu’apportent les mécaniques Grover Rotomatics ratio 18:1 de cette guitare. À l’inverse, j’ai beaucoup moins aimé l’entrée Jack située sur la table. J’ai trouvé les branchements et débranchements abrupts sur les deux modèles que j’ai eus entre les mains. De plus, je trouve la position de la prise Jack tout simplement peu pratique ! Cependant, les modèles Casino ont toujours été conçus ainsi, et d’une certaine façon, cela fait partie du mythe.
Martin Scorcese Presents… The Blues
Il est temps d’écouter notre Gary Clark Jr. « Blak & Blu » Casino avec Bigsby. Dans ces quatre premiers extraits, vous pourrez découvrir la palette sonore que propose la guitare en son clair. Dans le premier enregistrement j’utilise le micro grave, dans le deuxième les deux micros ensemble, et dans le troisième le micro aigu. Enfin, dans le quatrième extrait je joue avec les potards de tonalité en plaçant celui consacré au micro grave au premier quart de sa course, pour obtenir un son plus rond et jazzy. Les contrôles de volume et de tonalité glissent d’ailleurs très bien et offrent une réelle progressivité.
- Extrait 1 Clean grave 00:18
- Extrait 2 Clean grave et aigu 00:18
- Extrait 3 Clean aigu 00:29
- Extrait 4 Clean grave + Tone à 1:4 00:44
On entend bien à travers ces enregistrements les différentes identités des micros grave et aigu. À l’inverse de certaines guitares, on ressent l’envie de jouer avec les deux contrôles de tonalité, de jouer sur le mix des volumes lorsque les deux micros sont actifs, etc. J’ai aimé tous les sons que propose cet instrument, et ils sont variés ! Pour autant, je ne pourrais pas qualifier cette guitare de polyvalente, le son restant globalement rond et chaud, taillé pour le blues, le jazz et la soul.
Dans les deux extraits sonores suivants, j’utilise le vibrato Bigsby B700. Pour les guitaristes qui ne seraient pas habitués à l’utilisation d’un Bigsby, rappelons que celle-ci n’est pas instinctive, et nécessite un réel apprentissage. La pièce en métal prend de la place, et peut notamment gêner la main droite. Mais revenons à nos exemples sonores ! Dans le premier enregistrement, je manipule le B700 avec délicatesse, alors que je l’enfonce plus brutalement dans le second.
- Extrait 5 Clean Bigsby Doux 00:29
- Extrait 6 Clean Bigsby Fort 00:33
L’utilisation d’un Bigsby implique parfois des problèmes d’accordage. En le manipulant comme dans le premier extrait, vous ne rencontrerez aucun problème. Par contre, le second type de manipulation est plus à risque. Je me suis retrouvé quelques fois complètement désaccordé ! Tempérons néanmoins notre constat, puisque j’ai joué un exemplaire peu ou mal réglé, et surtout peu joué. Dans ces conditions, toutes les guitares ont tendance à manquer de stabilité.
Terminons nos extraits en son clair avec cet enregistrement dans lequel je joue un simple accord de Mi avec le micro grave, puis les deux micros ensemble, et enfin le micro aigu. Comme il est de coutume avec les hollowbodies, la Gary Clark Jr. est un régal de résonance et de vibrations.
Place aux sons saturés ! Dans le premier enregistrement j’utilise le micro grave, dans le deuxième les deux micros ensemble, et dans le troisième le micro aigu. Enfin, j’utilise successivement et dans le même ordre les trois micros dans un quatrième exemple sonore.
- Extrait 8 Disto grave 00:24
- Extrait 9 Disto grave et aigu 00:39
- Extrait 10 Disto aigus 00:32
- Extrait 11 Disto solo 3 micros 00:19
Encore une fois, cette Casino se montre particulièrement à l’aise avec les musiques dont Gary Clark se réclame. Le blues rock bien gras, tout comme le rock plus incisif d’un Neil Young lorsqu’il délaisse son acoustique, ne seront pas des problèmes pour la Blak & Blu. Vous pouvez par contre d’ores et déjà oublier les saturations extrêmes. Les guitares hollowbody étant extrêmement sujettes au larsen. Cette propension au feedback peut d’ailleurs très vite devenir une qualité lorsque la saturation est modérée. Entre ce phénomène et les vibrations de la caisse, on a l’impression d’avoir affaire à un instrument animé… Quel pied !
Pour terminer notre balade sonore, reprenons notre fameux accord de Mi et laissons-le résonner avec la saturation. J’utilise d’abord le micro grave, puis les deux micros, et enfin le micro aigu.
Casino Royale
La guitare Gary Clark Jr. « Blak & Blu » Casino avec Bigsby est indubitablement séduisante. Je n’ai pas eu le coup de coeur que peuvent susciter certains instruments d’exception, mais j’ai eu l’impression d’avoir entre les mains une très bonne guitare, vivante, dont le son correspondait parfaitement à mes attentes. Le look de l’instrument, et les micros P-90 sont un régal. Le positionnement tarifaire de la Blak & Blu est aussi intéressant, puisque son prix avoisine les 800 €, ce qui lui offre une place unique dans le catalogue des Casino Epiphone à mi-chemin entre les modèles standards et les modèles Elitist. C’est également un plaisir d’avoir affaire à un modèle signature qui fait sens, tant l’artiste et son instrument partagent le même ADN musical. Mais, évidemment, tout n’est pas parfait ! Tout d’abord, certaines finitions laissent parfois à désirer : le binding du corps n’est pas toujours très net et régulier au niveau de la jointure avec le manche, et la peinture ou le vernis présentent certaines aspérités au niveau des ouïes. Il s’agit de détails, et ce n’est absolument pas rédhibitoire. On pourrait aussi ajouter que le Bigsby a tendance à alourdir et déséquilibrer la guitare, et que l’entrée Jack n’est pas parfaite. Mais tous ces éléments n’entachent en rien la réussite de ce beau modèle Casino que je vous invite vraiment à tester si vous en avez l’occasion.