Ce n’est un secret pour personne, le Japon occupe une place essentielle au sein de l’industrie des instruments de musique. Outre les puissantes firmes comme Ibanez, Boss/Roland, ou Yamaha, de nombreux constructeurs travaillent dans l’ombre, parfois pour les géants cités, ou même pour leurs homologues américains. Parmi ceux-là, l’on trouve Fujigen, un fabricant oeuvrant depuis les années 60 pour les plus grandes marques, qui propose depuis quelques années ses propres instruments sous le nom FGN. Nous avons testé le prometteur modèle semi-hollow Masterfield MSA-HP.
Big In Japan
L’aventure Fujigen commence en 1960 à Matsumoto, dans la préfecture de Nagano. L’usine produit alors divers instruments, dont des guitares classiques. Rapidement, c’est la guitare électrique qui devient une activité centrale. Ainsi, dès les années 70, Fujigen construit des électriques pour les plus grandes marques japonaises comme Ibanez, Greco, ou encore Yamaha. La renommée du fabricant prend de l’ampleur, et c’est, entre autres, vers Fujigen que s’oriente Fender au début des années 80 pour lancer une production « Made in Japan ».
Les décennies suivantes, d’autres grandes marques cèdent à la tentation japonaise et font appel à Fujigen. L’on citera notamment Orville, Epiphone, Gretsch, et Dean Guitars. Au plus haut de sa forme, Fujigen sort plus de 14 000 guitares électriques par mois de ses usines, et s’impose comme un des leaders mondiaux de la production de guitares. Pourtant, le fabricant reste dans l’ombre de ses clients réputés, et il ne représente rien pour le grand public.
C’est finalement en 2005 que la société japonaise décide enfin de se faire un nom. Elle lance la marque FGN, et s’appuie sur son expertise forgée au fil des années pour proposer des instruments censés rivaliser avec ceux des grandes marques, tout en conservant un rapport qualité/prix extrêmement attractif. Il ne nous reste plus qu’à vérifier que la promesse est tenue !
Turning Japanese
La Masterfield MSA-HP est une guitare semi-hollow dans l’esprit de l’ES-335 de Gibson. En réalité, elle reprend le look du modèle mythique, mais ses dimensions sont un peu plus réduites. Elle n’atteint pas pour autant la compacité d’une ES-339, et le gabarit de l’instrument le place donc entre ces deux modèles.
En ce qui concerne la construction, elle est très classique avec la fameuse poutre centrale permettant d’éviter les problèmes de feedback. Toutefois, c’est de l’acajou massif qui a été choisi, et non de l’érable comme il est de coutume chez Gibson. La sélection des bois est d’ailleurs particulièrement raffinée sur la Masterfield, puisque l’on trouve une table et un dos en érable flammé massif, directement sculpté dans la masse. Les éclisses, elles, sont en acajou, tout comme le manche collé. Enfin, la touche est en palissandre de Madagascar.
La guitare a vraiment de la gueule, et une impression haut de gamme s’en dégage. Les finitions sont quasi-irréprochables, avec un binding très propre bien que légèrement imparfait au niveau de la jonction corps/manche. La table est magnifique, le bois est nuancé, et la couche de vernis est assez bien réalisée pour mettre en valeur tout cela. Cerise sur le gâteau, la tête est réussie ! De nombreuses marques « copiant » des classiques de la guitare reprennent en effet les formes iconiques des instruments, mais pas les têtes. Souvent, le résultat est décevant, tant nous sommes habitués aux lignes des guitares mythiques. Cette FGN est définitivement de bon goût, puisque la tête est classique tout en offrant une légère originalité avec un petit renfoncement asymétrique. C’est élégant, et le logo ainsi que les inscriptions sur la plaque de protection du Truss Rod renforcent cette classe.
La Masterfield MSA-HP est légère, et sa jouabilité est excellente, notamment grâce au frettage. Le profil du manche est de type rond et vintage (profil ’59 en U), mais se parcourt aisément. Attention, il ne répondra tout de même pas aux exigences du jeu moderne et rapide que mettent en action certains shredders. De même, l’arrière verni en rebutera certains, mais la couche est assez fine et n’accroche pas trop. C’est de toute façon la tradition sur ce type d’instrument. La touche, elle, est bien plate, très lisse, et les glissés se font très facilement. Il faut insister sur la qualité du frettage de ce modèle FGN. C’est l’un des arguments principaux de la marque pour vendre sa guitare, et il faut bien avouer que les frettes sortent du lot. Elles sont de type C.F.S. (Circle Fretting System), une technologie propre à FGN, et sont légèrement arrondies pour réduire la surface de contact quel que soit l’angle du frottement, et ainsi préserver justesse et sustain. Enfin, le talon n’est pas trop proéminent, et l’accès aux aigus plutôt bon pour un instrument qui n’est pas dédié au jeu ultra-technique et rapide dans les aigus.
Pour terminer cette découverte du modèle MSA-HP, indiquons que l’accastillage est intégralement composé d’éléments Gotoh. Les mécaniques offrent un peu de résistance, et le ratio permet d’avoir un réglage fin. Voici un récapitulatif des caractéristiques de notre guitare :
- Table et dos en érable flammé massif
- Éclisses en acajou
- Manche collé en acajou, profil 59’ en U
- Touche en palissandre de Madagascar, radius de 305 mm, 22 frettes Medium Jumbo avec traitement C.F.S.
- Diapason de 24.75"
- Accastillage en nickel
- Chevalet Gotoh GE104B
- Cordier Gotoh GE101A
- Mécaniques Gotoh SD90-SL
- Deux micros FGN Alnico 3
- Deux contrôles de volume, deux contrôles de tonalité, un sélecteur à 3 positions
- Vernis acrylique
- Livrée en flight case
- Tarif de 1 999 €
Kaijū
La FGN Masterfield MSA-HP revêt tous les attraits d’un instrument haut de gamme sur le papier. Qu’en est-il du son ? Nous avons branché la guitare dans un Kemper Profiler pour en savoir plus. Les extraits en sons clairs et crunchs sont réalisés grâce à des simulations de Fender Twin Reverb (« Twin 1 Clean » et « TAF – Clapton Blues »), alors qu’il s’agit d’une simulation d’EVH 5150 III (« Edvaha 5150III Hi Sue Red ») pour le dernier exemple sonore. Enfin, comme d’habitude, le tout est enregistré par l’intermédiaire d’une carte son Steinberg UR22.
- 1 Position manche Clean 03:20
- 2 Position intermédiaire Clean 03:26
- 3 Position chevalet Clean 02:40
- 4 Position manche Crunch 02:52
- 5 Position intermédiaire Crunch 01:46
- 6 Position chevalet Crunch 02:00
- 7 Multiples positions Distorsion 02:40
À vide, l’instrument résonne déjà de belle manière, la caisse vibre, et la note dure. Il en va de même une fois la guitare branchée. La résonance est belle et musicale. Les micros sont d’une grande clarté, et offrent un respect de la dynamique excellent. On a l’impression que les micros délivrent le son pur de l’instrument, avec une forme de transparence. Bien que ce soient des humbuckers, on n’obtient pas cette compression naturelle, mais parfois manquant de finesse que l’on trouve sur certains modèles. La clarté des micros et le fort respect de la dynamique qu’ils offrent se ressentent notamment en utilisant des effets : dans nos extraits, chorus et delay sont bien mis en valeur et n’anéantissent pas pour autant l’identité de l’instrument.
Le micro chevalet est particulièrement claquant, tout en ayant du corps. Le micro manche délivre du grave avec parcimonie, et garde un côté claquant et très défini. Il faut dire que les cordes utilisées étaient neuves, mais l’on sent que ce n’est pas un micro très chaud. On aimerait d’ailleurs presque un peu plus de rondeur, mais l’équilibre sonore et le liant sont remarquables. Cette guitare s’inscrit donc plus dans un registre rock charnu et blues, que jazz. Pour allier le surplus de bas du micro grave au tranchant du micro aigu, la position intermédiaire est idéale. Elle permettra d’avoir un spectre assez large tout en perçant dans le mix.
Conclusion
En résumé, les micros de la FGN Masterfield MSA-HP ont de belles qualités, et offrent surtout une très belle définition. Cumulés à la jolie résonance de la caisse, l’on obtient des sonorités très intéressantes bien qu’un poil sages, notamment dans les graves. L’instrument est très polyvalent et s’avérera utile pour le rock, le blues, la pop, ou même le funk, mais les adeptes du jazz devront s’orienter vers un autre modèle. Ce défaut s’avère aussi être une qualité, puisque la Masterfield sortira très facilement d’un mix. Quant au manque de rondeur, il peut être lié au gabarit légèrement plus compact qu’une ES-335. Notons que le même modèle existe monté avec des micros P-90, et qu’il semblerait proposer des sonorités plus grasses.
Sans nous mettre une claque, le son nous aura donc convaincus. Mais c’est surtout la jouabilité (quelles frettes !), l’excellente lutherie, et la réussite esthétique totale qui nous auront marqués. Pour un tarif de 1 999 €, il sera très difficile de trouver mieux, que ce soit chez Yamaha, Ibanez, D’Angelico, ou Epiphone. Quant à Gibson, il faudra dépenser bien plus pour avoir la même qualité de bois et de finitions. Il s’agit toutefois d’instruments fabriqués aux États-Unis, et ils ont aussi leurs atouts. L’unique alternative serait de s’orienter vers d’autres constructeurs japonais partageant certains éléments de l’ADN de FGN, comme Bacchus ou Tokai. Il faudrait toutefois pouvoir réellement comparer ces instruments pour en avoir le coeur net.
Quoi qu’il en soit, la Masterfield MSA-HP est une très bonne guitare au rapport qualité/prix alléchant. L’on sent une véritable maîtrise dans la construction de l’instrument, et si vous êtes en quête d’une six cordes sortant des sentiers battus, vous devriez sérieusement envisager de vous mettre au japonais.