Gibson ou Fender ? Fender ou Gibson ? Vous êtes las de devoir toujours prendre parti dans ce débat sans fin. Las des bimbos américaines dont la légende et les derniers charmes ne vous font même plus rêver. Vous aimeriez parfois sortir des sentiers battus, essayer quelque chose de différent, de plus exotique et même pourquoi pas ressentir à nouveau de la passion pour une compagne de caractère qui ne vous perturbe pas trop dans vos repères. Ça tombe bien, ce mois-ci la rédaction d’Audiofanzine vous propose de prolonger vos vacances d’hiver : chaussez vos s(k)ix cordes, on vous emmène faire du hors-piste !
Nous regarderons vers l’est, pour une fois, du côté de l’Allemagne et de Hanovre précisément (plus réputée pour son expertise dans le domaine de la musique que dans celle du domaine skiable) avec le test de la Starplayer TV de Duesenberg. Du hors-piste quand même bien balisé : si la marque germanique est beaucoup moins connue du grand public que ses consœurs U.S, elle s’en inspire pourtant fortement, mais en ajoutant à ses instruments des petites touches vintage et « deutsche qualität » qui les démarquent des innombrables imitations sans personnalité, leur faisant au passage gagner l’intérêt de bon nombre de connaisseurs (dont Ron Wood, entre autres). Le modèle qui nous occupe ici est le « flagship », comme le veut le terme marketing consacré, de la firme, en finition Goldtop. Il est distribué depuis 2006 avec les caractéristiques techniques que nous allons vous présenter. Presque 10 ans après, il était vraiment temps d’en parler !
« Baby you can drive my car, Yes I’m gonna be a star »
Pour la petite histoire, « Duesenberg » était, dans les années 30, un constructeur américain de voitures de luxe convoitées par les plus grandes stars de Hollywood. Ceci explique sans doute les références esthétiques chic et « Art déco », chrome et nickel, typiques des créations du patron luthier Dieter Gölsdorf. Veuillez, je vous prie, observer sur les photos le souci des détails qui confèrent à la guitare un aspect vintage respirant la classe : le logo style « D aérodynamique » au-dessus du manche sur la table, le cache truss-rod « Duesenberg » métallique, le numéro de série inscrit derrière la tête sur une plaque métallique vissée (bien différente des impressions souvent faites à l’arrache, même sur des guitares haut de gamme !), les liserés métalliques qui entourent les micros, l’imitation Bigsby plus-old-school-tu-meurs, les mécaniques qu’on ne trouvera nulle part ailleurs, à 3 plis en référence au logo, comme sur le haut de la tête, du pickguard en plastique (dont l’accroche est toujours en métal, toujours à 3 plis), du capuchon du sélecteur de position, du bout de la tige de vibrato, du haut des potards et même de l’entrée jack ! Große Große Große personalität!
D’autant que la finition de notre instrument est tip top, nous n’avons trouvé aucun défaut, le binding de la table est soigné, celui en érable de la tête est magnifique et les assemblages ont été proprement réalisés. La seule objection que l’ont pourrait formuler concernerait le goldtop à paillettes qui tire sur le caca d’oie (c’est quand même assez incompréhensible cette passion des Allemands pour le kaki et le caca d’oie depuis Derrick !). Des goûts et des couleurs…
Lors du test, le capuchon métallique du sélecteur de position est tombé (et il est assez lourd, tant pis pour mon parquet). Rien de grave, il suffisait de le resserrer avec une clé Allen fournie (parmi d’autres). Mais l’incident m’a amené à ces interrogations capitales : Si je l’avais perdu, aurais-je pu le racheter dans un magasin spécialisé ? Aurait-il fallu que je contacte directement Duesenberg ? Et combien cela aurait-il coûté ? Renseignements pris auprès du distributeur, je l’aurais retrouvé en pièce détachée, comme les autres parties, en cherchant un peu en magasin. Tout va bien alors.
Si notre Doozy est visuellement plus que réussie, nous n’allons pas nous laisser séduire comme ça, nous ne sommes pas des guitaristes faciles et nous examinerons de manière plus pragmatique sa lutherie.
Forêt Noire
Avec la Starplayer TV, les emprunts aux grandes Américaines sont assez évidents : C’est une Semi-Hollow Body (poutre centrale + ouïe) type Fender Telecaster Thinline avec une forme calquée sur la Gibson Les Paul, sans compter son look Gretschissime. Mais le choix des bois ainsi que la conception sont moins conventionnels. Duesenberg a opté pour une table bombée en épicéa (dont nous ne pouvons pas juger la qualité sous la peinture), ce qui est plutôt surprenant quand on connait les propriétés d’amplification de cette essence souvent utilisée sur des instruments acoustiques, mais plus rarement sur les électriques qui en ont par définition beaucoup moins besoin (semi-hollow ou pas). L’intérêt n’est pas énorme, à moins de vouloir alléger la guitare ? Le choix d’un fond bombé en érable flammé, plutôt mignon, est tout aussi intrigant. C’est beau, mais qui le verra à part ma boucle de ceinture (qui en profitera pour le rayer de temps en temps) ? Ma théorie est la suivante : les Allemands ont joué à fond la carte du vintage au point qu’ils ont voulu faire référence aux instruments du début du siècle dont la conception était encore proche des violons, ce qui expliquerait le fond en érable. Années 30 pour le fond, années 50 et 60 (le goldtop) pour la forme, le mot d’ordre de cette Starplayer TV est bien « Vintage ».
Côté manche, moins de surprise avec une combinaison érable/touche en palissandre plus traditionnelle. Nous nous abstiendrons de commenter la qualité de l’érable couvert de peinture noire, mais nous n’hésiterons pas à trouver le palissandre assez commun. Au passage, le travail du bois est réalisé en Corée, comme certaines pièces, d’autres viennent des USA (le sélecteur), du Japon (l’électronique), d’Italie et bien sûr d’Allemagne où l’ensemble est monté, peint, vernis assemblé, etc. Les frettes, au nombre de 22, sont de type jumbo, le radius de la touche est assez large (12 pouces) à la Ibanez, le diapason est long (64,7 mm) à la Fender, et le sillet est plutôt étroit (42 mm). Voilà encore une association surprenante. Le manche n’est pas vraiment fin et le sillet pas vraiment large. Original, mais perturbant, il faudra vérifier ça en pratique.
Quelles surprises nous réservent donc les accessoires et l’électronique ?
Bigsby le Magnifique
Le titre de ce paragraphe est trompeur bien que le vibrato qui équipe notre gratte, un Diamond Deluxe Tremola, soit clairement une imitation du Bigsby à la sauce allemande. L’original étant loin de nous assurer une tenue d’accord optimale, Duesenberg en a profité pour y apporter quelques modifications. Pas tant au bloc en lui même (quoique les cordes sont retenues par une barre en acier sous celle qui les enroule) qu’aux accessoires : les mécaniques ne sont pas à blocage malgré leur apparence et le chevalet est « flottant », il avance et recule légèrement pour compenser les frottements des cordes sur les pontets. Honnêtement, malgré ces améliorations, il faudra réaccorder la guitare de temps en temps après son utilisation (vivement déconseillée aux fans de Van Halen ou Joe Satriani !). Le gros plus de ce Diamond Deluxe est qu’il nous permet de régler l’angle de la tige de vibrato à notre guise au moyen d’une clé Allen pour qu’elle soit plus haute ou plus basse et sa longueur, plus longue ou plus courte (vivement conseillé aux fans de David Gilmour !). Et puis contrairement au Bigsby, nous pourrons tourner la tige à 360° (pour la retourner, mais c’est encore déconseillé, derrière le chevalet et faire des effets « flutter » à la Steve Vai. J’étais bien obligé de le citer après les trois autres, pas réussi à placer Jeff Beck.)
Le micro chevalet est un humbucker Grand Vintage et le micro manche un DP90 Domino qui, comme son nom l’indique, est une sorte de P-90 d’outre-Rhin. Ils sont pilotés par un potard de volume et un seul potard de tonalité. Pour passer de l’un à l’autre, nous aurons un traditionnel sélecteur à 3 positions. Il est temps d’en user et d’en abuser (et pourquoi pas d’en faire tomber le capuchon).
Miss Doozy et son chauffeur
Les accessoires en métal sur la tête me laissaient craindre que la guitare ne pique du nez, mais une fois posée sur la cuisse, la Starplayer TV est bien équilibrée. En revanche elle est assez difficile à jouer, l’action est bien trop haute. Contrairement à la majorité des fabricants qui livrent leurs instruments en 9–42, celui-ci est équipé d’usine avec un bon 10–50. C’est une guitare d’homme et ça se sent. Elle ne conviendra probablement pas à tout le monde, certains la trouveront inconfortable, à vérifier, comme d’habitude, en magasin. La bonne nouvelle c’est que du coup, elle ne frise pas du tout. À vide elle résonne correctement alors branchée, ça donne quoi ?
Voici la chaîne utilisée pour les enregistrements audio : Duesenberg Starplayer TV > Marshall JVM410H (sons clairs) / Mesa Boogie Triaxis + 2:20 (sons crunchs et saturés) > Simulateur de HP Two Notes Torpedo Live > Carte son RME Fireface 802.
Comme d’habitude, les sons clairs pour commencer avec, pour chaque extrait, les 3 positions de micro. Le premier exemple est un riff en strumming d’un gang de jeunes Australiens qui sévissaient dans les 90’s, en bas du manche (non, les Australiens sévissaient un peu partout, c’est moi qui joue en bas du manche). Je plaque le dernier accord pour vérifier le sustain. J’opte sur le deuxième exemple pour un jeu plus arpégé avec de plus grandes variations dynamiques, bas et milieu du manche, sur un thème russe en accord. Enfin, j’improvise en solo un peu partout sur le manche au troisième exemple.
- 1 jvm410 clean strumming 3positions 01:02
- 2 jvm410 clean arpeges dynamique 3positions 00:50
- 3 jvm410 clean impro 3positions 00:37
Nous remarquerons que le son est très claquant et brillant. Pour avoir joué plusieurs heures dessus, j’ai constaté que toutes les harmoniques sonnent, les accords sont aussi très bien définis et l’intonation est toujours juste. Une guitare pas vraiment confortable, certes, mais aucune note ne lui résiste. Sur la position du milieu en solo, j’imagine qu’elle a dû faire tendre l’oreille à quelques fans de Mark Knopfler. Je la trouve très efficace dans un contexte folk/pop, peut-être même country, rockab’ sans problème, voire rock à la Arctic Monkeys. En jazz je l’ai trouvée un peu trop brillante. Côté référence, ce n’est clairement pas Gibson, légèrement Fender, un peu plus Gretsch, mais surtout franchement Duesenberg. J’ai cependant été un peu déçu par le sustain, particulièrement pour une guitare lorgnant du côté acoustique de la force.
Passons au son crunch sur une doublette Mesa Boogie Triaxis / 2:20 (sans reverb) pour voir si nos impressions se confirment. Un premier riff d’un chanteur Américain qui ferait mieux de retourner à la musique au lieu de s’essayer au cinéma, micro manche, qui prouvera que les accords sont toujours aussi bien définis, même en son crunch, avec des basses pas trop envahissantes et beaucoup de médiums. Sur le deuxième extrait, position du milieu, le thème d’un artiste canadien qui montre la capacité de notre instrument à bien faire entendre chaque note, même avec un son sale (je la trouve excellente dans ce contexte). Ensuite, un riff en strumming qui prouve que cette guitare à un sévère penchant pour la rythmique. Enfin, pour me contredire un peu, un petite impro bluesy solo dont le résultat sonore est loin d’être mauvais.
- 4 triaxis crunch neck 00:25
- 5 triaxis crunch middle 00:49
- 6 triaxis crunch bridge 00:15
- 7 triaxis crunch impro 3positions 00:29
Finissons avec le son saturé. Sur le premier exemple, un riff où la corde de mi et les cordes graves seront très sollicitées, pour vérifier leur définition lorsque le son est beaucoup plus chargé, en position manche. Comme nous ne sommes pas encore tout à fait au printemps et pour célébrer l’hiver, un thème allemand en solo sur le haut du manche, position manche justement, sur le deuxième extrait. Pour finir en restant chez les Saxons, et puisque le modèle « Rocket » de la marque est sans aucun doute un hommage aux guitaristes d’un groupe mondialement connu et à la longévité incroyable, originaire d’Hanovre lui aussi, voici un de leurs riffs mi-mélodique mi-rythmique en position chevalet.
- 8 triaxis higain neck rythmique 00:27
- 9 triaxis higain neck otannenbaum 00:33
- 10 triaxis higain bridge riffallemand 00:42
Nous constaterons que cette Doozy est vintage jusqu’au bout des frettes. Que ce soit le P-90 ou même le humbucker, le niveau de sortie des micros ne semble pas spécialement élevé. On les entend pousser difficilement le gain du Triaxis. Métalleux passez votre chemin. Mais comme son look ne l’indique pas, je la vois quand même bien sonner dans une application rock à la Foo Fighters, ou encore une fois, à la Arctic Monkeys.
Wunderbar ?
Amoureux du vintage, amateurs de fortes identités sonores et visuelles, guitaristes qui cherchez à sortir du troupeau sans vous égarer, cette Starplayer TV vous comblera, à condition que vous n’ayez pas peur de passer en salle de sport vous muscler la main gauche. Cet instrument se mérite, physiquement, mais aussi financièrement : Il vous faudra débourser dans les 1600 € pour en faire l’acquisition, sans flight case (vendu séparément, au prix de 185 €). S’il avait été offert (nous n’avons que quelques clés Allen et un chiffon en accessoires) le prix aurait paru plus intéressant (enfin, si vous voulez vous faire peur, allez donc jeter un œil au prix américain…). C’est une guitare à prendre telle qu’elle est ou à laisser, pas vraiment faite pour être pimpée, « radikale » oserais-je dire. Mais c’est aussi ce qui en fait un instrument spécial. Peut-être même un futur classique ?