5 ans après avoir quitté la grisaille parisienne pour le soleil de la Californie, c'est depuis son studio de Los Angeles qu'il nous partage ses coups de cœur, ses conseils, ses envies et ses projets. Partons derrière le son de Jules de Gasperis.
Salut, et merci de ta participation à Derrière le son ! Est-ce que tu peux te présenter en quelques mots ?
Hello! Je m’appelle Jules de Gasperis, j’ai 32 ans. J’ai grandi à Paris où j’ai bossé avec de nombreux artistes dont Amir, mais ça fait maintenant 5 ans que j’habite à Los Angeles, où j’ai installé mon studio d’enregistrement (j’en suis à mon deuxième). Je suis ingénieur du son, arrangeur, et également batteur de tournée, mais malheureusement ça n’existe plus trop en ce moment.
La musique a été une évidence pour toi ou bien pas du tout ? Quel est ton parcours ?
Je viens d’une famille de musiciens, mes deux parents jouent de la musique et mon père était guitariste de live (Renaud, Coluche) et compositeur. Quand j’étais petit, mon père m’a appris le piano et l’harmonie, puis je me suis mis à essayer un peu tous les instruments qui trainaient dans la maison : batterie, basse, guitare, etc. D’ailleurs il avait lui-même un studio d’enregistrement à Paris, le Stakato, j’ai donc eu la chance de pouvoir grandir dans ce genre d’environnement.
Aujourd’hui, quelle est ton coeur de métier principal ?
En ce moment je suis surtout producteur et ingénieur de mix, c’est comme ça que je gagne ma vie. Depuis 2016 je suis donc installé à Los Angeles, et je dirais que ma clientèle aujourd’hui c’est 70% d’Américains, et 30% de Français. J’adore mixer et j’ai développé ça comme spécialité, mais ces temps-ci j’essaie de donner de plus en plus de place à la production, pour faire des albums de A à Z.
D’ailleurs, tu bosses où et dans quelle configuration ?
Comme je disais j’en suis maintenant à mon deuxième lieu de travail, je me suis installé à North Hollywood. Je viens d’ouvrir ce studio, que j’ai repris de la main de Jon Joseph, un jeune producteur qui a le vent en poupe ici et qui a déménagé. Quand je suis arrivé à L.A. en 2016, je me suis demandé si j’allais utiliser une console comme je le faisais à Paris, mais en faisant plusieurs tests A/B j’ai préféré une configuration hybride, dans laquelle j’ai choisi une sélection de préamps (Neve 1073, API, Phoenix Audio DRS-8), de compresseurs et d’EQ (Purple Audio MC77, Distressors, Smart Research C2, Tonelux et Trident pour les EQs). Tout mon matos est relié à un patchbay Bittree (avec connecteurs E3, c’est hyper pratique et modulaire), et enfin pour le mixdown j’utilise un sommateur Neve 8816. Le studio en soi a 3 pièces : une grande cabine (très confortable pour la production), une salle pour les drums et un iso booth dans lequel j’enregistre des amplis ou des voix si on veut quelque chose de très très sec (mais attention à la nausée là-dedans..)
Dans ton équipement, quel est ton matériel préféré ?
Je pense que ma pièce de hardware préférée c’est la Neve 8816, non seulement je trouve qu’elle a un son très intéressant (transients légèrement arrondis, graves chaleureux, et image stéréo magnifique), mais en plus c’est assez hallucinant la quantité d’options qu’ils ont réussi à incorporer dans une pièce de 2U: compression de mix parallèle, imageur stéréo analogique, insert de mix en M/S, monitor controller et j’en passe….
Et côté logiciel, as-tu un plug-in préféré ? Voire un Top 3 ?
Dure question! J’imagine que tout le monde va répondre FabFilter Pro-Q3, que j’utilise aussi, car il est génial, mais pour être un peu original je vais proposer le UAD Neve 1081 Classic Console EQ. Après de nombreux tests, il a remplacé mon égaliseur favori qui était l’URS N4 series (une autre émulation Neve), mais malheureusement ce plug-in n’était plus compatible avec le 64 bit (et la boîte a l’air d’avoir complètement fait faillite..). En bref, c’est juste la plus belle EQ “colorée” que je connaisse.
Sinon pour le TOP 3:
- Tous les plug-ins FabFilter (absolument indispensable !)
- Deux réverbes que j’adore: la Eventide SP2016 et la PSP Audioware 2445
- Kush Audio Omega TWK (meilleur émulateur de transfo que j’ai entendu)
Quelle-est, selon toi toujours, le processeur audio le plus sous-estimé ?
Alors pour répondre à ça je propose le Radial Engineering EXTC ! Il n’a pas de son à proprement parler, mais c’est un boitier de réamp et grâce à lui tu peux utiliser toutes tes pédales de guitare pour mixer et utiliser tes deux mains pour toucher à tous tes potards! Les possibilités sont infinies. En bref, tout ce qui est physique, mécanique, et qui te permet d’utiliser ta créativité pour mixer je suis preneur…
Quel est l’instrument ou toute autre pièce hardware que tu rêves de t’offrir ?
Le D.W. Fearn VT-7 Compressor Dual Channel. Le paradis de la compression à lampes sur le mix bus… J’ai vu que Hannes Bieger l’utilisait sur tous ses projets et ça m’a conforté dans l’idée d’en acheter un un jour!
Tu sembles te tenir informé des techniques de tes collègues, est-ce qu’il y a un conseil ou autre que tu as toi-même reçu un jour et qui a changé ta façon de voir ou de faire les choses ?
J’ai fait une masterclass avec un ingénieur du son américain, Ronan Chris Murphy, qui est un peu l’ancêtre de “Mix with the Masters” (il faisait la même chose depuis un moment, mais il n’est pas très connu). Il nous a donné un conseil simple, mais tellement percutant un jour: “Faites attention au bouton solo!… Car il peut vite devenir votre ennemi. Si vous travaillez sur une caisse claire, n’écoutez pas la caisse claire uniquement. Si vous travaillez sur un bus de guitares, n’écoutez pas ce qu’il raconte tout seul, mais plutôt comment il interagit avec votre votre voix lead. Quand il s’agit de mixer, on travaille sur un ensemble, sur un morceau complet qui va être imprimé sur un fichier stéréo au final. Le piège du solo, c’est de penser qu’en isolant un élément vous allez réussir à lui trouver sa place sans écouter le reste des ingrédients.”
Et puisque tu es là, aurais-tu un conseil à donner à celles et ceux qui liront ces lignes ?
Oui, je pense que ce qui peut convaincre un client de vouloir travailler avec tel ou tel ingé son, c’est avant tout la musicalité. Il n’est pas nécessaire de savoir jouer plein d’instruments ou d’avoir l’oreille absolue, mais par contre j’ai rencontré beaucoup d’ingés qui étaient des geeks, fascinés par le matos et les plug-ins, en oubliant tout simplement l’aspect humain et le fait qu’avant tout on travaille sur de la musique. Par exemple quand une chanteuse est en train de vivre un élan d’inspiration, et qu’elle veut poser une voix témoin pour essayer son idée, la pire chose à faire serait de prendre le temps de comparer 3 micros et différents compresseurs avant d’enregistrer (oui oui, j’ai déjà vu ça…)
Quelle est ta plus grande fierté ?
Ma plus grande fierté je dirais que c’est d’être devenu pote avec Mike Stroud, le guitariste lead de Ratatat. Il a monté un nouveau groupe récemment qui s’appelle Kunzite, et j’ai commencé à bosser avec eux pour du mix, sur le single NOVAS. De fil en aiguille on est devenus proches, et maintenant je suis batteur pour eux et on s’apprête à partir en tournée… quand la situation se sera améliorée avec la pandémie ! J’ai trop hâte !
En mettant de côté la pandémie actuelle, peux tu nous en dire un peu plus sur tes projets musicaux, dans un futur proche ou éloigné ?
Kunzite, comme je le disais, c’est devenu un de mes projets principaux. Sinon je produis et je mixe régulièrement pour un artiste qui s’appelle Low Hum, j’ai beaucoup d’affinités avec ce groupe et je joue parfois avec eux en live. Sinon avec la France, je suis en train de mixer l’EP de TERRIER, un jeune gars qui a le vent en poupe et qui sort du lot je trouve. Enfin je produis ma propre musique dès que j’ai le temps, et récemment j’ai lancé un groupe avec deux batteurs, qui s’appelle CARRÉ – c’est un peu un mélange entre LCD SoundSystem, Soulwax et Nine Inch Nails pour ceux que ça intéresse !
As-tu quelque chose à ajouter ou dont tu aimerais faire part à nos lecteurs ?
Je n’ai pas grand-chose à ajouter, j’avoue que je suis fan d’Audiofanzine depuis des années, et je suis très content de pouvoir contribuer au site ! Si certains d’entre vous sont de passage à L.A. n’hésitez pas à me faire signe, je réponds aux messages sur Instagram et on a ici toute une communauté de musiciens français, c’est toujours un plaisir de faire des rencontres !
Vous pouvez retrouver Jules de Gasperis et ses réalisations sur son site internet.